Déclaration de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi et de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, sur l'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2024, à l'Assemblée nationale le 10 juin 2025.

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Circonstance : Discussion sur le projet de loi portant approbation des comptes de la sécurité sociale 2024

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2024 (nos 1456, 1491, 1523).
La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l'emploi.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
En application de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, le gouvernement a l'obligation de présenter un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) – c'est-à-dire l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et le fonds de solidarité vieillesse (FSV) – dont l'équivalent, sur le périmètre de l'État, est le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes. Ce projet de loi participe à l'effort de transparence de nos comptes sociaux et avec ses nombreuses annexes, il renforce l'information du Parlement en la matière. Aucun projet de loi d'approbation des comptes n'a pour le moment été adopté, les exercices 2022 et 2023 ayant été rejetés. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce rejet alors que nous avons pour objectif commun de faire preuve de transparence.

L'année 2024 a été marquée par l'effet retard de l'inflation : quand celle-ci redevient normale et repasse sous les 2 %, les recettes cessent d'être tirées par elle, mais les dépenses restent élevées en raison des revalorisations de prestations fondées sur l'inflation passée. Le ralentissement salutaire de l'inflation, en 2024, n'a donc pas été favorable au rétablissement des comptes sociaux. Après trois années de baisse continue entre 2021 et 2023, le déficit de la sécurité sociale est reparti à la hausse en 2024 pour atteindre 15,3 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB. Cette dégradation des comptes sociaux, que le gouvernement avait anticipée, est cependant inférieure à la prévision inscrite dans la partie rectificative de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025, en raison de recettes plus élevées et de dépenses mieux maîtrisées.

Le déficit continuera à croître en 2025 et pourrait atteindre, si nous ne faisons rien, 21,9 milliards d'euros selon la prévision du rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), ce qui est proche des 22,1 milliards d'euros que nous avons inscrits dans la LFSS pour 2025. En 2028, toujours à situation constante, le déficit, porté par la dynamique des dépenses de santé et des dépenses de pensions, devrait même atteindre 22 milliards pour l'ensemble de la sécurité sociale.

Parmi les différentes branches, la dynamique de dépense est variable : elle est très forte pour la branche maladie et la branche autonomie, forte pour la branche vieillesse et faible pour les branches famille et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Depuis la crise sanitaire et le Ségur de la santé, les dépenses sous Ondam – objectif national de dépenses d'assurance maladie – ont ainsi progressé pour atteindre 256,4 milliards d'euros contre 200 milliards en 2019, soit une hausse de 56,4 milliards.

Le résultat constaté en 2024 est légèrement inférieur à l'objectif budgétaire rectifié par la LFSS pour 2025, mais il reste supérieur à l'objectif qui avait été fixé en texte initial. Contrairement aux années récentes, le dépassement de l'Ondam n'est pas imputable à des événements exceptionnels. Cette sur-exécution concerne principalement les dépenses de soins de ville. Les dépenses les plus dynamiques sont la prise en charge des cotisations d'une partie des professionnels de santé, les indemnités journalières, les dépenses de médicaments et de dispositifs médicaux ainsi que les honoraires des personnels paramédicaux et ceux des médecins spécialistes.

La branche AT-MP a quant à elle été régulièrement excédentaire sur la dernière décennie. La dynamique de cette branche reste soutenue : ses dépenses sont tirées par des prestations comme les indemnités journalières, qui ont augmenté de 8,6 % en 2024, ou les rentes d'incapacité permanente.

En 2024, la dynamique des dépenses de retraite est restée forte : elles ont augmenté de 5 points en volume. Le solde des régimes de base de la branche vieillesse et du fonds de solidarité vieillesse se dégrade fortement, puisque le déficit de l'ensemble est passé de 1,4 milliard en 2023 à 4,5 milliards en 2024. La revalorisation des pensions – de 5,3 % – intervenue au 1er janvier 2024 contribue pour 60 à 75 % à l'augmentation des dépenses de retraite ; les comptes de l'année 2024 subissent clairement le poids de cette revalorisation, qui a coûté à elle seule environ 15 milliards d'euros.

Quant à la branche autonomie, elle enregistre un excédent, mais ses dépenses progressent rapidement – elles ont augmenté de 6,2 % en 2024 – et vont continuer à progresser en 2025. Enfin, si la branche famille est excédentaire depuis 2018, son équilibre est structurellement soutenu par la réduction du nombre de naissances qui se diffuse progressivement à l'ensemble des dépenses. Ni l'excédent de 2024 ni celui, réduit de moitié, de 2025, ne sont de bonnes nouvelles : cet effet volume est positif pour le solde, mais très inquiétant pour notre pays, et le gouvernement entend y répondre avec le plan Démographique 2050.

Je sais que la non-certification des comptes de la branche famille par la Cour des comptes est une source de préoccupation permanente et importante pour tous. Les incertitudes sur la fiabilité des données, notamment en ce qui concerne le calcul du RSA et de la prime d'activité, ne sont pas normales. Nous sommes attentifs à progresser sur ces aspects, notamment grâce au pré-remplissage automatique des déclarations de ressources trimestrielles, instauré depuis le 1er mars 2025 – je sais que Catherine Vautrin et Amélie de Montchalin y veillent très sérieusement.

Je terminerai en évoquant la dette sociale. La Cour des comptes a tiré il y a quelques semaines le signal d'alarme, le premier président évoquant même un risque de crise de liquidité pour l'Urssaf Caisse nationale. Les souplesses de gestion qui ont été introduites notamment par la LFSS pour 2025 sont certes précieuses, mais elles ne peuvent pas répondre à elles seules à un tel risque. Avec de la dette de court terme, l'Urssaf ne pourra financer sans risque une dette sociale qui continuerait à croître chaque année. Si c'était nécessaire, la situation difficile de l'Urssaf Caisse nationale et l'alerte lancée par la Cour des comptes nous rappellent une exigence fondamentale : il faut ramener à l'équilibre les comptes de la sécurité sociale, qui n'ont pas vocation à être financés par de l'endettement, donc par les générations futures.

Nous célébrerons les 80 ans de la sécurité sociale au mois d'octobre. Fille de la Résistance et de la crise des années trente, cette grande institution sociale a permis de sécuriser notre économie et notre société. Projet politique, la sécu a fait de la France une démocratie accomplie. Face à la dégradation des comptes sociaux, nous ne pouvons nous comporter en simples consommateurs dotés d'un droit de tirage. La tâche de notre génération est d'assurer un financement soutenable de notre système de protection sociale, pour nous-mêmes et pour les jeunes générations. Les fondateurs de la sécurité sociale avaient devant eux, sans le savoir, au moins deux facteurs clés de succès : une croissance élevée et un bond démographique, auxquels j'ajouterai des gains de productivité importants. Nous devons garantir son financement dans un monde fini, marqué par une croissance bien plus faible et par une démographie – pour l'instant – en berne.

Exercice budgétaire après exercice budgétaire, le risque est de ne traiter que les paramètres du moment en accumulant globalement des déficits et de la dette. Le premier ministre a présenté les enjeux de la situation le 27 mai dernier : le PLF et le PLFSS pour 2026 devront contribuer à redresser les finances publiques, mais nous devrons aussi mener, dans le même temps, des réformes beaucoup plus structurantes pour que notre pays retrouve de la force productive et contributive.

Les travaux conduits ici, au Parlement, mais aussi dans le cadre de la Commission des comptes de la sécurité sociale et au sein de trois Hauts Conseils du champ social, doivent nous permettre de dessiner un chemin commun pour revenir à l'équilibre en 2029. Par deux fois, le Parlement a refusé l'obstacle en rejetant les deux premiers projets de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale en 2022 et 2023. Alors que nous abordons six mois décisifs, je pense qu'un vote négatif, qui pourrait constituer une solution de facilité, ne serait pas tout à fait à la hauteur de la situation.

M. Yannick Monnet
Je pense que nous allons tout de même voter contre !

M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Je souhaite brièvement mettre en lumière quelques éléments complémentaires par rapport à ce qui vient d'être dit par Astrid Panosyan-Bouvet. Vous le savez, ce texte est une nouveauté introduite par la loi organique de mars 2022, qui a voulu transposer au champ social le modèle du projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'État, afin que le Parlement puisse approuver les comptes de l'année passée avant d'examiner le projet de loi de financement de l'année à venir.

Cette loi visait, je le rappelle, à renforcer la transparence de nos comptes sociaux et à approfondir le contrôle parlementaire, en s'appuyant notamment sur de nouveaux outils d'évaluation et des indicateurs de performance. Or force est de constater que cet objectif reste inachevé puisqu'à ce jour, aucune loi d'approbation n'a encore été adoptée : les projets relatifs aux exercices 2022 et 2023 ont, vous le savez, été rejetés. Je souhaite qu'il en aille différemment cette année, car approuver les comptes n'est pas donner un blanc-seing à la gestion passée : c'est plutôt reconnaître leur sincérité et leur transparence. C'est l'esprit de ce projet de loi et des quelque 600 pages d'annexes qui l'accompagnent – le fait qu'il y ait 600 pages ne signifie rien en soi, mais on trouve dans ce document des éléments très clairs et très complets sur l'état des comptes.

Le constat qu'Astrid Panosyan-Bouvet vient de dresser est clair et vous le connaissez : le solde des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse s'établit à 15,3 milliards d'euros de déficit en 2024, soit un peu moins, certes, que les 18 milliards anticipés, mais nettement plus que la trajectoire votée en décembre dernier, qui prévoyait un déficit de 10 milliards.

La détérioration du solde est le résultat d'une mécanique implacable : les recettes, élastiques à l'inflation et aux salaires, ont commencé à ralentir en 2024, sans que les dépenses ne s'ajustent. En 2023, l'inflation avait contribué positivement aux recettes, en particulier grâce à la revalorisation du smic et à son impact sur les cotisations. En 2024, ce même mécanisme a joué à l'envers : les dépenses indexées sur l'inflation de l'année précédente sont, du fait des mesures de revalorisation et de la progression des volumes, restées plus dynamiques. En un mot, la dynamique de dépenses n'a pas été ajustée à celle des recettes.

Quelques chiffres en témoignent : les recettes ont augmenté de 4,6 %, tandis que les dépenses ont progressé de 5,3 %. Il en résulte ce déficit de 15 milliards qui marque une rupture nette, puisque le déficit, qui s'était certes creusé en 2021 – il s'établissait alors à 24 milliards –, s'était largement résorbé en 2023 – il avait été réduit à 10 milliards. L'amélioration des comptes en 2022 et 2023 était due pour une large part à l'extinction progressive des dépenses exceptionnelles liées au covid et aux effets de l'inflation ; or ces éléments n'ont pas perduré en 2024.

Il nous faut donc désormais aller beaucoup plus loin. Rétablir les comptes de la sécurité sociale et, avec eux, nos comptes publics dans leur ensemble, nécessitera des mesures de court, moyen et long terme pour en retrouver la maîtrise. C'est un enjeu de souveraineté, mais aussi d'équité intergénérationnelle, puisque nul n'avait imaginé, en 1945, que notre protection sociale serait génératrice de dette, ce qui est d'autant plus inquiétant dans le contexte démographique qui nous attend dans la prochaine décennie.

C'est aussi un enjeu d'efficience, car la dette publique et la dette sociale ont un coût. Autant le dire tout de suite : avec une dette publique de plus de 115 % du PIB et des charges d'intérêt de plus de 60 milliards d'euros, je ne crois pas que la solution pour rétablir nos comptes passe par des transferts de charges entre sous-secteurs ou entre la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et l'Urssaf Caisse nationale, ni par une hausse des recettes. Nous payons déjà très cher le financement de la dette. Aucun mécanisme comptable ne saurait masquer à court terme cette réalité.

Par ailleurs, certains disent qu'il suffirait de transférer une part de la dette à la Cades. Dois-je rappeler qu'en 2024, les excédents de la Cades, qui correspondent à l'amortissement de la dette des régimes obligatoires de base, ont tout juste compensé le déficit courant de ces régimes et du FSV ? C'est là un motif de très grande préoccupation et la raison pour laquelle je ne crois pas à la solution facile d'un transfert du déficit courant à la Cades en l'absence de mesures de redressement crédibles. Ce serait une fuite en avant irresponsable et insoutenable, par définition dangereuse.

Nous devons donc reconnaître lucidement que les comptes de 2024 agissent comme un révélateur : ils mettent au jour un déficit structurel croissant, de l'ordre d'un demi-point de PIB, et ce malgré des recettes toujours dynamiques. En effet, j'y insiste, les recettes demeurent dynamiques : dans de nombreux cas, elles progressent à un rythme supérieur à celui de la croissance et de l'inflation.

La perspective à moyen terme est très préoccupante. Ce projet de loi d'approbation ne le dit pas explicitement, mais l'analyse des trajectoires le rend évident. À législation constante, vous le savez, le déficit social continuerait de se creuser, pour atteindre plus de 24 milliards d'euros en 2028. S'ajouteraient alors des déficits courants cumulés, qui fragiliseraient durablement notre capacité à financer la protection sociale.

Il est donc urgent d'agir, avec détermination, responsabilité et esprit de justice. Il nous appartient de faire des choix libres, comme une nation qui regarde en face ce qu'elle doit faire pour assurer la solidité de son modèle social, sans le condamner à l'accumulation de dettes qui sont certes invisibles aujourd'hui, mais constituent un renoncement silencieux à ce qui a fondé notre pacte républicain.

Pour finir, je souhaite revenir sur l'enjeu de la certification des comptes de la branche famille. J'ai eu l'occasion de le dire ici à plusieurs reprises en répondant à des questions au gouvernement, cette situation est pour nous très insatisfaisante ; elle nous préoccupe autant que vous. Non, le gouvernement ne se satisfait pas de ces 6,3 milliards d'euros de risque résiduel, mêlant indus et rappels. Cela reflète des incertitudes persistantes quant à la fiabilité des données, notamment celles qui servent au calcul du RSA et de la prime d'activité, versés par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) pour le compte de l'État et des départements. Il s'agit là d'un enjeu majeur de justice sociale, de confiance dans notre système social et de bonne gestion des deniers publics.

Vous le savez, nous avons pris des mesures fortes. En particulier, le pré-remplissage automatique des ressources, généralisé depuis le 1er mars 2025, est un levier majeur pour fiabiliser les données, pour simplifier les démarches des allocataires, pour lutter à la fois contre la fraude et le non-recours. Les effets de cette réforme, qui correspond, je le rappelle, à un engagement du président de la République concernant la solidarité à la source, ne se verront évidemment que dans les prochains exercices.

De même, le plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques lancé par le gouvernement en mai 2023, lorsque Gabriel Attal était ministre des comptes publics, commence à porter ses fruits. En 2024, l'Urssaf et l'ensemble des caisses de sécurité sociale ont fait progresser de 30 % le volume de fraudes détectées, pour un total record de 2,9 milliards d'euros, soit près de deux fois plus qu'en 2019 – et la branche famille y a largement contribué.

Mais il faut aller plus loin. Nous devons poursuivre la modernisation des outils de gestion, renforcer les échanges de données entre administrations et accompagner les usagers comme les professionnels dans un objectif commun : garantir que chaque euro de la sécurité sociale soit versé à bon droit et au bon bénéficiaire.

En résumé, nous restons pleinement mobilisés. Je souhaite que le prochain PLFSS permette d'améliorer concrètement les capacités des services à lutter contre la fraude. La certification complète et sans réserve de toutes les branches est bien notre objectif commun. Elle est la condition d'une sécurité sociale solide, équitable et digne de la confiance des citoyens. Néanmoins, l'absence de certification ne remet pas en cause la sincérité du présent projet de loi, la Cour des comptes ayant estimé que "les tableaux d'équilibre […] fournissent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde qui en découle".

C'est dans un esprit de lucidité et de transparence que je vous invite à examiner ce projet de loi d'approbation des comptes. C'est dans le même esprit que je souhaite engager, dans le sillage de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale qui s'est tenue le mardi 3 juin – dans un format exceptionnel, en présence de plusieurs d'entre vous –, un travail de fond visant à redresser la trajectoire de nos comptes sociaux dans la perspective d'un retour à l'équilibre avant 2029. Catherine Vautrin, Astrid Panosyan-Bouvet, Yannick Neuder et moi-même ne souhaitons pas nous arrêter à la description des problèmes d'hier ; le gouvernement dans son ensemble veut réfléchir avec vous aux solutions de demain.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 12 juin 2025