Texte intégral
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui devant notre commission, en cette période d'examen du projet de loi de finances pour 2026.
Je vous remercie de vous être rendue disponible pour échanger avec nous, dès la fin de la discussion en séance au Sénat, de la proposition de loi créant un statut de l'élu local, dont vous étiez l'une des auteurs. C'est une étape importante, à quelques semaines à peine du congrès des maires, et quelques mois avant les élections municipales, échéance majeure de 2026.
Je le réaffirme ici, accompagner les élus locaux, les soutenir dans leur engagement et faciliter leur action est un des grands objectifs de cette commission.
Dans sa déclaration du gouvernement le 14 octobre dernier, le Premier ministre a indiqué qu'il proposerait un nouvel acte de décentralisation, pour " réformer l'État de manière globale et améliorer le fonctionnement de tous nos services publics ". Il a annoncé qu'il proposerait en décembre un projet de loi pour renforcer le pouvoir local, donnant déjà deux grands axes :
– Identifier un seul responsable par politique publique : ministre, préfet ou élu ;
– Repenser complètement notre planification écologique et énergétique.
Notre commission est engagée sur ces questions, et prête à accompagner la préparation de ce nouvel acte, qui intégrerait la transition écologique et l'adaptation au changement climatique au cœur de la démarche de décentralisation.
Je tiens à mentionner ici la mission d'information menée par Vincent Thiébaut et Constance de Pélichy sur la territorialisation et le portage des politiques publiques en matière d'énergie et de développement durable, à rappeler les propositions de celle sur l'adaptation de l'aménagement des territoires au changement climatique de Fabrice Barusseau et Philippe Fait, ou pour l'adaptation de milieux en particulier, de celles rapportées par Sophie Panonacle sur la forêt ou par Vincent Descoeur sur la politique de l'eau.
Avec Constance de Pélichy et Marcellin Nadeau, j'ai mené un travail approfondi sur les moyens de réussir, avec les élus locaux, la transition foncière et les outils à leur donner pour cela. Cela nous a conduits à faire de nombreuses propositions de réorientations fiscales, qui trouveront leur place dans le débat sur le PLF.
Madame la ministre, 87% des Français sont favorables à la poursuite de l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). Comme l'a rappelé Monique Barbut vendredi, il ne s'agit pas seulement d'écologie ou de biodiversité : la préservation des sols est aussi un enjeu lié à la souveraineté alimentaire. Y parvenir nécessite un travail collectif, au bénéfice des élus. Nous souhaitons continuer ce travail avec vous. Quel regard portez-vous sur cette démarche, et en particulier les traductions fiscales ?
Repenser complètement notre planification écologique et énergétique, cela signifie aussi travailler à ce que les documents d'urbanisme intègrent, de plus en plus systématiquement, l'adaptation au changement climatique. Comment abordez-vous cette priorité ?
Plusieurs députés dans cette salle vous interrogeront sur les problématiques des outre-mer, des territoires ruraux, de montagne ou littoraux.
Je souhaite attirer votre attention sur les îles, à commencer bien sûr par les îles bretonnes que vous connaissez bien. Il faut pouvoir activer davantage de prérogatives de différenciation au bénéfice des territoires insulaires, dans des domaines variés : les taxes aéroportuaires sont les mêmes pour un Ouessantin souhaitant rentrer sur son île que pour un vacancier s'envolant pour sa destination touristique, les aides à la rénovation énergétique ne prennent pas ne compte les surcoûts liés aux îles, etc.
Les sujets seront nombreux. Madame la ministre, vous avez la parole !
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Je vous remercie, Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, pour votre accueil dans ce contexte contraint pour votre agenda. Je devrai vous quitter vers 17 heures 45 pour participer à une première réunion interministérielle à Matignon sur la décentralisation, mais je me tiens à votre disposition pour une nouvelle rencontre ultérieure si vous le souhaitez.
Je tiens à souligner l'importance du nom et des attributions de votre commission qui couvre non seulement les enjeux territoriaux mais également ceux de la cohésion sociale. Avant d'aborder les questions budgétaires, je souhaite vous présenter les grandes orientations du ministère tout en répondant à certaines de vos interrogations.
L'aménagement du territoire englobe des enjeux majeurs : le dérèglement climatique, la réindustrialisation, les mutations démographiques, mais surtout la cohésion sociale et la cohésion des territoires. Je place au cœur de notre action ce que j'appelle la réciprocité entre la ville et la campagne. Ces dernières décennies, l'attention s'est naturellement portée sur le fait urbain devenu prépondérant, conduisant à un certain effacement de la ruralité qui représente pourtant 88% des communes de France et concerne 22 millions de Français. Dans une logique de développement durable qui vous est chère, je crois profondément à la réciprocité et à la valeur ajoutée des territoires ruraux qui garantissent notre souveraineté alimentaire et fournissent, en qualité et en sécurité, nos ressources en eau et en énergie renouvelable.
Face à ces défis, notre responsabilité est double. Je ne cède aucunement à la nostalgie d'un passé idéalisé. Nous devons construire aujourd'hui, dans une logique de transition, un avenir pour nos territoires en garantissant l'équité entre tous. Vous avez justement souligné leur diversité. Cette équité concerne non seulement les relations entre territoires métropolitains et d'outre-mer, mais également, au sein de la métropole, entre territoires urbains, ruraux, de montagne et insulaires. C'est pourquoi le Premier ministre souhaite que nous portions résolument une stratégie d'équilibre territorial et que nous améliorions l'articulation entre l'action de l'État et celle des collectivités en simplifiant les outils de contractualisation, dont plusieurs arriveront à échéance en 2026, notamment le contrat de relance et de transition écologique.
La politique d'aménagement du territoire s'appuie sur des instruments éprouvés : les contrats de plan État-Région, les pactes territoriaux, le plan France Ruralités particulièrement ambitieux et efficace, ainsi que les programmes portés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Ces dispositifs produisent des résultats tangibles comme en témoigne l'exemple de France services : 100% des Français accèdent désormais à moins de vingt minutes à l'une de ces structures. Près de 2 900 lieux d'accueil sont déjà labellisés, avec un objectif de 3 000 que nous atteindrons en 2027. Ce réseau traite chaque mois plus d'un million de demandes, avec un taux de satisfaction dépassant 90%, et un taux de résolution dès le premier rendez-vous excédant 90 % à 95% selon les territoires.
Sur la base de cette réussite, nous allons mettre en œuvre, à la demande du Premier ministre et en partenariat avec le ministre de la santé, le déploiement du réseau France Santé. Il ne s'agit pas d'inventer depuis Paris un nouveau concept, mais de nous inspirer des initiatives existantes dans les territoires. Nous constatons partout en France l'existence de maisons de santé et de centres de santé développés par les collectivités locales en partenariat avec l'État via les agences régionales de santé (ARS), qui répondent aux besoins locaux de façon exemplaire. Notre ambition consiste à développer et labelliser ce type de structures sur l'ensemble du territoire.
Un autre sujet extrêmement important, auquel je sais que vous êtes attachés, concerne le maintien d'une ingénierie publique forte au service des collectivités. L'ANCT, qui suscite autant de commentaires que toutes les autres agences, présente une particularité essentielle : elle agit au plus près des territoires tout en étant articulée et activée par l'intermédiaire du préfet de département. Nous atteignons ainsi cette proximité grâce aux programmes que vous connaissez : Action cœur de ville, Petites villes de demain, Villages d'avenir. Si je considère uniquement les programmes Petites villes de demain et Villages d'avenir, ils concernent près de 4 600 communes. Ces dispositifs permettent de développer un véritable projet de développement communal, car quelle que soit la taille de la commune, les élus doivent et peuvent nourrir une ambition, porter un projet d'avenir.
Pour cela, nos élus locaux, particulièrement dans les collectivités les plus modestes, ont besoin d'une ingénierie que l'ANCT fournit aujourd'hui largement, parfois avec l'appui du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Un chef de projet accompagne les élus dans la définition de leur projet territorial. Trop souvent, le conseil municipal déclare vouloir rénover l'école ou la salle polyvalente, et engage immédiatement un chantier de rénovation. On s'aperçoit ensuite, au fur et à mesure de l'avancement des travaux, que les problématiques de mobilité douce ou de stationnement de proximité n'ont pas été prises en compte. Tous ces programmes permettent aux élus de définir et dessiner l'avenir de leur commune avant d'engager des investissements concrets qui ne seront pas remis en question ultérieurement faute d'une réflexion suffisante sur leur fonctionnement.
Le deuxième volet concerne la décentralisation, sujet amplement abordé par le Premier ministre, avec une échéance relativement proche. Cette question doit être associée à celle de la déconcentration et de la différenciation, puisque la volonté du Premier ministre vise à améliorer l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier – ou premier – kilomètre, en appliquant un concept fondamental : celui de la subsidiarité, c'est-à-dire permettre à l'échelon le plus pertinent d'agir.
Une fois ce principe énoncé, nous savons que la loi NOTRe ont tenté de définir ce « jardin à la française » où chaque compétence correspond à une collectivité spécifique. Prenons l'exemple de la compétence mobilité. Cette dernière relève potentiellement des agglomérations, des communautés urbaines et des régions, mais le premier kilomètre est souvent traité par l'intercommunalité. La loi NOTRe présente cette particularité – je vous livre mon sentiment personnel – que nous imaginions avoir trouvé le Graal permettant de définir, depuis Paris, par une loi, comment organiser parfaitement les compétences entre collectivités.
Or, la France ressemble davantage à un jardin à l'anglaise où les particularités territoriales doivent être prises en compte. Vous évoquiez les territoires de montagne, les îles, les territoires littoraux. Naturellement, nous sommes conscients que les dispositifs fonctionnent différemment selon la géographie, l'histoire et la culture des territoires.
Le Premier ministre souhaite que nous déterminions précisément qui est responsable de quels services. Aujourd'hui, nous nous perdons dans un maquis d'initiatives où nous sommes – tant l'État que les collectivités – souvent nombreux à intervenir simultanément. Cette situation ralentit le processus décisionnel, nuit à sa cohérence et génère parfois de la surenchère dans le coût. La volonté du Premier ministre consiste à définir une responsabilité claire pour chaque action publique due à nos concitoyens. Il s'agit d'établir qui est responsable de quoi. Nous pouvons identifier un responsable, un chef de file, qui pourra collaborer avec d'autres structures, mais les attributions seront clairement définies.
Décentraliser signifie reconnaître l'importance de ce que j'appelle, Madame la Présidente, le « circuit court ». Ce principe ne s'applique pas uniquement à l'alimentation, mais s'avère particulièrement efficace dans la production de l'action publique. Comment allons-nous mettre en œuvre ce chantier ? Le diagnostic a déjà été largement établi par les travaux de votre Assemblée, ceux du Sénat, les rapports d'Éric Woerth et de Boris Ravignon. Le Premier ministre a, dès sa première semaine de fonction, invité le Parlement, les présidents des régions et des départements à lui soumettre des propositions d'évolution organisationnelle en matière de décentralisation. Ces propositions sont attendues pour le 31 octobre. Nous en avons déjà reçu plusieurs et avons commencé à explorer les possibilités.
Notre méthode de travail, relativement classique, garantit la plus grande efficacité car nous souhaitons associer l'ensemble des parties prenantes. D'abord, ce projet de décentralisation doit être porté de manière interministérielle. La première réunion, qui se tient tout à l'heure – raison pour laquelle je devrai vous quitter – rassemble l'ensemble des ministères concernés : la santé, le logement, l'éducation nationale, les transports, ainsi que le ministère de l'intérieur. Ensuite, nous organiserons naturellement des rencontres avec les associations d'élus. Pour ma part, je souhaite associer des parlementaires en amont de la présentation d'un projet de loi afin de mener un travail véritablement concerté.
Je ne m'engage pas sur un " grand soir ", car je sais que les grands soirs sont souvent suivis de petits matins blêmes. Je considère que nous devons nourrir une ambition, un projet. Notre engagement dans la décentralisation répond à un objectif clair : améliorer l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre. Sans doute ces transformations ne seront-elles pas achevées dans les mois à venir, mais nous allons entreprendre des avancées ambitieuses, parfois modestes mais significatives, qui permettront de libérer l'engagement des élus locaux.
Parallèlement à la décentralisation et au transfert de compétences, je souhaiterais que nous accomplissions enfin un travail jamais réalisé malgré nos nombreuses lois territoriales, qu'il s'agisse de la loi NOTRe ou de la loi 3DS. Ces textes n'ont jamais été accompagnés d'une définition précise du rôle de l'État. Avant de transférer aux collectivités telle ou telle compétence, il convient de déterminer quelle est la fonction de l'État. Celui-ci doit demeurer fort et puissant dans ses fonctions régaliennes – sécurité, justice et autres domaines similaires. Il doit fixer des orientations en matière de santé et d'éducation, définir de grands objectifs, et assurer un rôle de péréquation permettant à tous les territoires, quelles que soient leurs capacités d'action ou leur richesse, de disposer des ressources nécessaires pour garantir cette égalité des droits fondamentale.
Nous devons définir et proposer, aux différents niveaux de collectivité, un champ de compétence précis. Je prendrai l'exemple particulièrement pertinent de la loi d'orientation des mobilités portée par Élisabeth Borne. Elle avait conçu les bassins de mobilité, partant du principe qu'il convient d'agir non pas à l'intérieur d'un périmètre administratif, mais dans un périmètre correspondant à la réalité de vie des citoyens.
Je souhaite insister sur la simplification, enjeu fondamental pour lequel nous devons non seulement afficher une ambition, mais développer une véritable addiction, avec une rigueur absolue dans l'établissement et l'évaluation des normes.
Concernant le ZAN, je connais votre attachement Madame la présidente et celui de vos collègues à ce que j'appelle la frugalité foncière. Je m'exprime toujours avec franchise. Personne ne conteste la nécessité de cette frugalité foncière. Nous ne pouvons plus continuer à consommer des hectares de terres comme nous l'avons fait par le passé. Cette pratique ne correspond plus ni à nos modèles de société, ni aux impératifs de préservation des terres et de la biodiversité. Une transformation s'impose donc impérativement.
Cependant, la question de la frugalité foncière se pose différemment selon les territoires. Lorsque nous conjuguons réindustrialisation et besoin de logements, nous affrontons un véritable défi de capacité d'accueil. Nous devons prendre en compte la diversité de nos territoires et des situations pour que chacun s'engage à respecter un objectif. Je vous livre ma conviction : la disposition ZAN introduite dans la loi « climat et résilience » l'a été sans véritable étude d'impact. Cette carence explique les difficultés actuelles de mise en œuvre.
J'affirme avec force l'impératif de frugalité foncière, mais j'entends également les préoccupations des territoires ruraux qui nous disent : " Nous qui n'avons rien consommé durant les années de référence, serions-nous condamnés à renoncer à tout développement futur ? " Cette inquiétude mérite notre attention, tout en rappelant que chacun doit assumer ses responsabilités : élus, services de l'État, et l'ensemble des citoyens.
Je salue votre travail approfondi sur la faisabilité du ZAN, notamment concernant ses conditions de financement. Cet enjeu est crucial car, après avoir visité 49 départements, j'ai pu constater l'ampleur des défis liés au logement. Comment réaliser notre ambition de frugalité foncière si nous ne parvenons pas à inciter nos concitoyens à habiter dans les maisons de centre bourg et de centre-ville ? Cette problématique se vérifie jusqu'à Jarnac, où nous peinons à proposer une offre de logement adaptée à la redynamisation du centre. Il ne s'agit pas uniquement d'une question de performance énergétique, mais fondamentalement d'un type d'habitat qui ne correspond plus aux modes de vie contemporains.
Je sais que vous avez engagé des réflexions, et que le Sénat a également mené des travaux, notamment avec une proposition de loi baptisée " TRACE ". Changer de nom ne suffit évidemment pas à modifier l'objectif, mais je crois sincèrement nécessaire d'instaurer un dialogue constructif sur ce sujet, au-delà des caricatures qui ont parfois émaillé les débats sur le projet de loi de " simplification ". Mon intention n'est pas d'abandonner l'objectif, mais d'assurer sa faisabilité concrète. Je serai heureuse de poursuivre ce travail avec vous, en concertation avec les sénateurs si vous le jugez opportun.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Merci, Madame la ministre. Nous passons maintenant aux orateurs des groupes. Compte tenu de votre contrainte de temps, je propose que tous les représentants des groupes s'expriment successivement, avant que vous ne leur répondiez globalement.
M. Sébastien Humbert (RN). Madame la ministre, nous vous retrouvons désormais à la tête du ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, un portefeuille essentiel pour notre ruralité que vous connaissez parfaitement.
Les politiques publiques territoriales ont, en quelques années, perdu toute lisibilité. La multiplication des opérateurs et agences a considérablement complexifié la fonction de maire, alors que près de 30% d'entre eux envisagent de ne pas se représenter en 2026. Ce phénomène préoccupant, conjugué à une crise de l'engagement citoyen, s'est aggravé par la réforme délétère que vous avez portée, imposant aux petites communes une parité stricte et supprimant le panachage. On peut légitimement s'interroger si ces mesures ne visent pas à compromettre la constitution de listes municipales pour favoriser la fusion des communes, vous qui défendez activement le principe des communes nouvelles.
Concernant les agences et opérateurs publics, dont l'ANCT censée apporter son expertise technique aux communes, la situation est alarmante : 52% des élus locaux ignorent son existence. La prolifération de ces structures aux budgets faramineux, qui diluent souvent la responsabilité politique, associée à un millefeuille territorial estimé à 7,5 milliards d'euros selon le rapport Ravignon, compromet sérieusement le redressement des finances publiques.
Certaines initiatives comme les maisons France services ou le programme Village d'Avenir apportent des solutions concrètes aux difficultés de montage de projets dans les communes rurales. Ces dispositifs gagneraient toutefois en efficacité s'ils relevaient directement des préfectures, éliminant des intermédiaires comme l'ANCT et générant ainsi des économies substantielles.
Madame la ministre, il devient urgent de simplifier les procédures administratives qui pèsent sur le quotidien des Français, particulièrement en milieu rural. Nos communes doivent retrouver leur autonomie face à des intercommunalités devenues omnipotentes qui alourdissent fréquemment la pression fiscale locale.
Vous avez récemment visité ma circonscription dans les Vosges et constaté les atouts considérables de la ruralité française. Donnez-nous les moyens de nos ambitions. Préservez les services publics, notamment nos écoles. Défendez cette cause auprès de votre homologue de l'éducation nationale. Restaurons les leviers d'action de nos maires. Libérons nos communes des schémas contraignants comme le schéma de cohérence territoriale (Scot) ou le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) qui, à travers le ZAN, figent le développement de nos territoires tout en organisant ce que j'appellerai le massacre durable de nos paysages par l'implantation massive d'éoliennes et de panneaux solaires au nom d'une écologie punitive. Protégeons nos paysages ruraux de ces prédations et valorisons le patrimoine de nos campagnes. Avec mes collègues députés du Rassemblement national, nous œuvrerons toujours en faveur de nos territoires.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Madame la ministre, je vous remercie pour votre présence aujourd'hui devant notre commission alors que nous examinons le programme aménagement des territoires dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026. Ce programme constitue le cœur de notre ambition collective visant à garantir l'accès de tous aux services publics, soutenir les projets des collectivités locales et accompagner les transitions écologique, économique, démographique et sociale. Dans un contexte marqué par des fractures territoriales persistantes, votre action s'avère déterminante pour assurer la cohésion et la résilience de nos territoires.
Le budget 2026 que nous examinons reflète une volonté claire de prioriser l'exécution des projets engagés et de tenir les promesses de l'État. Le programme France services est un succès que je tiens à souligner, avec 2 804 espaces stabilisés au 1er septembre 2025 et un objectif de 3 000 espaces d'ici 2027. Ce dispositif garantit un accès aux services publics à moins de 20 minutes pour chaque citoyen. Nous observons là une avancée majeure pour l'égalité républicaine et la proximité administrative qui répond aux attentes des territoires ruraux et périurbains. Ce maillage territorial constitue un outil précieux pour lutter contre les fractures territoriales et assurer un service public de qualité pour tous.
Le zonage France Ruralités Revitalisation, qui prend le relais des zones de revitalisation rurales (ZRR), représente également un outil précieux pour nos communes. Pouvez-vous nous confirmer sa pérennité, car il joue un rôle clé dans la revitalisation des territoires, tout comme les dispositifs Petites villes de demain, Villages d'avenir, Action cœur de ville et autres programmes qui permettent de redonner vie aux centralités locales ?
Je souhaite également vous faire part des difficultés que rencontrent nos commerces de centre-ville. Autrefois, le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) était très apprécié, mais il a été dilué et nos collectivités peinent désormais à s'y retrouver. Bien que l'ANCT intervienne, les maires des petites communes nous signalent que ces dispositifs ne leur sont pas toujours suffisamment accessibles.
Les ajustements budgétaires proposés dans ce PLF s'avèrent nécessaires pour maîtriser les dépenses publiques, mais ils doivent s'accompagner d'une vigilance accrue afin que les territoires les plus fragiles ne soient pas laissés de côté. Ces mesures ne doivent pas non plus nous faire oublier les autres réformes attendues dans nos petites communes, pour nos élus locaux, notamment la création du statut de l'élu local, qui devra apporter des avancées à la hauteur de la valeur de leur engagement.
Le Premier ministre a annoncé un nouvel acte de décentralisation, dont vous nous avez parlé, qui devra permettre d'interroger le rôle et les missions de l'État ainsi que sa relation avec les collectivités territoriales. Je sais que vous êtes très investie sur ce projet, au plus près des collectivités concernées, avec un souci constant d'efficacité de l'action publique.
Votre engagement s'avère crucial pour garantir que ces réductions budgétaires ne se traduiront pas par un affaiblissement de notre pacte républicain.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Madame la ministre, cette année, les collectivités territoriales se voient amputées de 4,6 milliards d'euros, soit le double par rapport à 2025. L'Association des maires de France (AMF) annonce même une amputation qui pourrait atteindre 7,2 milliards d'euros. Le rapporteur pour la partie aménagement du territoire souligne des financements insuffisants qui menacent la capacité de l'État à honorer ses engagements contractuels envers les collectivités territoriales.
Dans le viseur figurent les contrats de plan État-Région qui sont déclinés à l'échelle des bassins de vie pour réussir la transition écologique via des contrats de relance et de transition écologique, ce qui confirme l'absence de préoccupations environnementales des gouvernements successifs d'Emmanuel Macron. Quant à l'ANCT, elle voit à nouveau son budget fondre après une diminution de 25% l'année dernière. L'Agence a déjà perdu 21 équivalents temps plein cette année, et vous prévoyez qu'elle en perde 30 supplémentaires l'an prochain. Cherchez-vous donc la suppression de l'Agence ?
Cette réduction de budget pour l'ANCT impliquera encore moins de participation pour les espaces France services. Ce sera donc aux collectivités d'augmenter leur soutien financier afin que les citoyens les plus éloignés des agglomérations puissent néanmoins bénéficier de services publics. À rebours d'une diminution budgétaire, les collectivités devraient être soutenues dans leur financement des maisons France services.
Les dépenses de fonctionnement de l'ANCT qui alimentent le marché de l'ingénierie demeurent stables. Cependant, le rapporteur sur cette discussion budgétaire souligne qu'une part importante, 18 millions d'euros, est fléchée vers des cabinets privés, alors que des structures publiques existent déjà et se voient, elles, réduites. L'expertise du Cerema, par exemple, est reconnue par les élus, mais cet organisme a perdu 633 emplois en sept ans. Je cite le rapporteur, notre collègue Fabrice Barusseau : " Le recrutement interne constitue une allocation plus efficace des ressources publiques, au lieu de solliciter de nouvelles interventions de cabinets privés ".
J'alerte également sur les difficultés financières des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Les thématiques qu'ils couvrent sont nombreuses : sobriété foncière, rénovation énergétique, revitalisation des centres bourgs, renaturation et mobilité. Je rejoins là encore la position du rapporteur pour avis : le non-recouvrement de la taxe d'aménagement conduit déjà à des licenciements au sein de ces structures. Il faut impérativement sécuriser leur financement.
La France insoumise fait également le choix de renforcer les moyens consacrés au plan chlordécone et interpelle le gouvernement au sujet de la lutte contre les algues vertes en Bretagne, deux crises sanitaires et environnementales majeures dont les budgets ne sont pas à la hauteur. Rappelons que les Antilles détiennent des records de cancers de la prostate avec 220 personnes pour 100 000 habitants chaque année.
Le projet de loi de finances pour 2026 s'inscrit dans l'affaiblissement des moyens accordés aux communes pour assurer des services de proximité quand l'État s'en désengage. En outre, ce projet ignore les enjeux d'adaptation climatique et de transition énergétique. Comme à l'accoutumée pour les gouvernements d'Emmanuel Macron, une trajectoire budgétaire environnementale à la hauteur des enjeux ne constitue pas une priorité.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Madame la ministre, je connais votre engagement pour nos collectivités locales et souhaite attirer votre attention sur deux sujets majeurs pour nos territoires : le manque de moyens alloués à l'aménagement du territoire et la réduction inquiétante des crédits du fonds vert, pourtant présenté comme l'un des piliers de la transition écologique et climatique. Ces deux politiques sont intimement liées : sans aménagement équilibré, nous ne parviendrons pas à assurer la cohésion territoriale ; sans moyens pour la transition, nous ne garantirons pas un avenir durable à nos territoires.
Concernant l'aménagement du territoire, les crédits inscrits au programme 112 qui constituent le socle de cette politique connaissent depuis plusieurs années une érosion constante. En 2025, ils avaient déjà subi une réduction de plus de 90 millions d'euros. En 2026, malgré une légère hausse des autorisations d'engagement à 102 millions d'euros contre 97 l'an passé, ils demeurent quasiment divisés par deux par rapport à 2024. Parmi les premières conséquences, les engagements pris par l'État dans le cadre des contrats de Plan État-Région (CPER) ne sont plus honorés : 55 millions d'euros restent bloqués, faute de crédits de paiement.
Ce sont des projets de revitalisation de centres bourgs, d'adaptation d'infrastructures au changement climatique et de rénovation d'équipements publics qui sont reportés ou annulés et qui, s'ils sont maintenus, pèsent lourdement sur la trésorerie de nos collectivités. Il faut rappeler que l'aménagement du territoire constitue une politique de long terme et que chaque variation brutale des crédits d'une année à l'autre compromet la planification, déstabilise les acteurs locaux et retarde la mise en œuvre des projets. L'État doit donc redevenir un partenaire fiable et prévisible.
L'aménagement du territoire n'est pas une variable d'ajustement budgétaire, mais un instrument de justice territoriale. C'est ce qui permet à chaque commune, qu'elle soit rurale ou urbaine, littorale ou de montagne, de construire son avenir dans la cohésion nationale.
Le fonds vert, présenté lors de son lancement comme l'outil essentiel de la transition écologique dans les territoires, voit aujourd'hui ses moyens fondre à une vitesse vertigineuse : 2,5 milliards d'euros en 2024, 1,1 milliard en 2025 et seulement 650 millions prévus dans le projet de loi de finances pour 2026. Comment expliquer une telle dégradation alors que les besoins explosent ?
Les collectivités se trouvent en première ligne pour faire face aux dérèglements climatiques – inondations, incendies, sécheresses, montées des eaux – mais aussi pour assurer la rénovation énergétique des bâtiments, l'adaptation des réseaux et le développement des mobilités durables. Pourtant, elles disposent de moins en moins de moyens pour agir.
C'est pourquoi, au nom de mon groupe, nous vous demandons solennellement de rétablir une trajectoire budgétaire claire, stable et sincère qui permette à l'État de redevenir un partenaire fiable pour les territoires.
M. Jean-Pierre Taite (DR). Madame la ministre, je vous remercie d'évoquer devant nous le budget du ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation qui traduit l'engagement de l'État en faveur des territoires et son soutien aux collectivités territoriales.
Alors que la tentation de l'État de faire peser l'effort budgétaire sur nos collectivités n'a jamais été aussi forte, les chiffres que vous nous présentez font l'objet d'une attention particulière de la part des acteurs locaux et des parlementaires. Les budgets de la mission Cohésion des territoires vont régresser d'un peu plus de 1 milliard d'euros en 2026 par rapport à l'exercice actuel. Il s'agit d'un effort conséquent qui ne peut être indolore, mais qu'il faut penser pour préserver au mieux le soutien aux collectivités qui en ont le plus besoin.
Pour avoir été moi-même rapporteur des crédits des programmes 112 et 162 l'an passé, et après examen de la littérature relative à l'organisation des politiques publiques d'aménagement du territoire, je regrette que l'on réfléchisse davantage aux ajustements budgétaires possibles qu'aux évolutions structurelles nécessaires pour améliorer l'efficacité de la gestion des deniers publics. Tous les rapports administratifs, parlementaires ou d'analystes indépendants pointent depuis longtemps le coût du millefeuille administratif et la complexité des démarches pour nos élus locaux.
Le rapport du Sénat du 2 février 2023 établissait que plus de la moitié des élus, soit 52 %, ne connaissaient pas l'ANCT, tandis que les trois quarts des répondants, 74 %, déclaraient ne l'avoir jamais sollicitée. Autre chiffre éloquent, celui des 7 milliards d'euros évalués par Boris Ravignon comme coût du millefeuille administratif.
Voilà, à mon sens, la première des priorités pour redresser la barre sans pénaliser les capacités d'intervention de l'État en faveur de nos territoires. Pouvez-vous, Madame la ministre, nous indiquer concrètement l'intention du gouvernement en la matière, alors que ce constat fait consensus depuis longtemps et que notre situation budgétaire ne nous permet plus d'attendre ?
De façon plus ciblée, concernant une agence dont le budget est examiné par notre commission via le programme 112, j'aimerais connaître votre appréciation sur la qualité de l'offre de service de l'ANCT, créée par la volonté du Président Macron en 2020. Un récent rapport sénatorial, conduit par notre collègue Christine Lavarde, met en évidence les dysfonctionnements majeurs des agences autonomisées, insuffisamment pilotées, dont l'action s'avère souvent illisible ou redondante. Il ne s'agit nullement de remettre en cause les politiques publiques menées ni la qualité des agents, mais bien la structuration de la décision et de l'offre actuelle. Aussi, je me permets de vous poser la même question que mon collègue Vincent Descœur à M. Henri Prévost récemment : faut-il, selon vous, au regard de ces constats, engager une réflexion sur la transformation, voire la suppression de l'ANCT, ou jugez-vous son fonctionnement actuel satisfaisant ?
Mme Marie Pochon (EcoS). Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue à ce poste. Je tiens également à saluer votre successeur, M. le ministre délégué chargé de la ruralité, et à m'excuser au nom de la nation pour le mépris qu'il a subi lors de sa nomination, qu'il aura apprise en direct à la télévision un dimanche soir. Cette situation est révélatrice, particulièrement après le dernier comité interministériel aux ruralités tenu en juin dernier dans les Vosges, qui ne s'était pas réuni depuis 2021 et dont rien de substantiel n'a émergé.
Que dire du bilan du plan France Ruralités ? Un observatoire des dynamiques rurales largement sous-utilisé, un dispositif Villages d'avenir insuffisamment soutenu, seulement onze bus en circulation sur les cent médicobus promis d'ici fin 2024, moins d'un euro par habitant et par an investis pour garantir le droit à la mobilité dans nos campagnes, des montants dérisoires et partiellement décaissés, la suspension de MaPrimeRénov' puis sa reprise avec une réduction d'un demi-milliard d'euros de crédits. Et pour la transition écologique, presque rien, sinon une baisse de 60% des financements du fonds vert et les menaces croissantes sur le ZAN.
Les mots manquent pour décrire notre réalité dans nos territoires éloignés de Paris, pour exprimer les distances que nous mesurons en temps de trajet et en coûts pour accéder à l'école, aux soins médicaux ou faire nos courses, pour évoquer les gendarmeries délabrées, la pénurie de médecins, les impacts du changement climatique, l'insuffisance de moyens pour rénover les bâtiments communaux, les agents France services qui cumulent d'innombrables fonctions sans interlocuteurs adéquats à l'autre bout du fil, les élus qui jettent l'éponge.
Que dire, Madame la ministre, des 4,6 milliards d'euros amputés sur le budget des collectivités et de l'aménagement du territoire, de la double division par deux du fonds vert, du gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF), des crédits réduits pour l'ANCT, pour les agences de l'eau, les outre-mer, de la mise en concurrence des territoires urbains et ruraux par la fusion des crédits dans le fonds d'investissement territorial ?
La Drôme, où j'ai grandi et où je suis élue, est le troisième département de France en termes de disparités d'accès aux services et aux équipements. J'aurais tant à dire, mais je me limiterai à deux questions. Que ferez-vous pour assurer la navette parlementaire de la proposition transpartisane de lutte contre les déserts médicaux adoptée en juin dans cette assemblée ? Ce sujet me semble structurant pour l'aménagement du territoire.
Alors que le Premier ministre envisage de repenser entièrement la planification écologique par la décentralisation, comment justifiez-vous la division par deux du fonds vert dans le budget ?
M. Mickaël Cosson (Dem). Madame la ministre, je souhaite aborder la question de l'urgence, qui n'est plus seulement d'ordre budgétaire. Les crédits annoncés ne feront que complexifier la tâche de nos collectivités, mais je tiens surtout à souligner l'urgence d'une révision structurelle. Nos collectivités font face à une lourdeur administrative croissante, aggravée par les dernières lois qui n'ont fait que les surcharger sans donner un sens véritable à l'action publique.
Nos collectivités se trouvent aujourd'hui en première ligne face aux transitions écologiques et climatiques, alors même qu'elles sont fragilisées par un manque d'ingénierie criant. Elles doivent mener des opérations de plus en plus complexes avec des mécanismes d'analyse financière devenus archaïques. Je pense notamment au calcul de dette par habitant qui persiste, alors que les opérations, comme la rénovation d'une école nécessitant d'aménager ses abords, deviennent plus complexes et coûteuses. Nous persistons à calculer la dette par habitant plutôt que d'évaluer la dette environnementale que la collectivité léguera aux générations futures.
Je souhaite également aborder la question de la réindustrialisation. La France dispose du PIB industriel le plus faible d'Europe, avec seulement 9% contre une moyenne européenne de 14%. Les études démontrent que la réindustrialisation nécessite avant tout du foncier disponible. Or, nos collectivités se trouvent doublement contraintes, à la fois par le ZAN et par la multiplication des recours qui paralysent des projets concrets qui deviennent de plus en plus artificiels puisqu'ils ne sortent jamais.
Il est impératif de repenser activement notre décentralisation pour permettre à nos collectivités d'avancer sur leurs projets et de répondre efficacement aux besoins de leurs populations. Les décisions uniformes ne peuvent convenir à la diversité de nos territoires, riches de potentiels souvent inexploités en raison de contradictions législatives ou de recours juridiques sans cesse croissants.
Sans un changement profond de méthode, sans un dialogue renouvelé, sans confiance restaurée, nous risquons un véritable décrochage socio-économique. Je pense également au renouvellement du milieu agricole qui, s'il n'est pas assuré, aggravera encore ce décrochage.
Madame la ministre, ma question se veut constructive et politique : pouvez-vous préciser l'engagement du gouvernement concernant l'acte de décentralisation à venir ? Comment garantir qu'il ne reproduira pas les limites des décentralisations précédentes ? Comment assurer que nos maires et nos élus locaux seront véritablement renforcés dans leurs missions ? Nous resterons vigilants sur ces points essentiels pour que l'action publique devienne enfin tangible et efficace.
M. Jean-Michel Brard (HOR). Madame la ministre, permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour votre nomination à la tête de ce ministère essentiel pour la cohésion de notre pays. Vous prenez vos fonctions à un moment charnière, alors que les fractures territoriales, sociales et économiques se creusent et que la promesse républicaine d'égalité entre les territoires se trouve ébranlée. Nous le constatons tous sur le terrain, des territoires décrochent, des services publics ferment, et nos concitoyens ressentent parfois que l'État s'éloigne. Ce sentiment d'abandon, qu'il soit rural, périurbain ou même urbain, mine la confiance dans l'action publique.
Pourtant, chaque jour, des maires, des élus municipaux, des présidents d'intercommunalités, des conseillers départementaux et régionaux s'engagent pour faire vivre le service public et maintenir la cohésion de nos territoires. Le Premier ministre a annoncé il y a quelques semaines la préparation d'un nouvel acte de décentralisation, avec le dépôt d'un projet de loi en décembre visant à renforcer le pouvoir local. Nous saluons cette ambition qui répond à une attente forte des élus et des citoyens.
Vous avez récemment indiqué que votre objectif consistait à assurer l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre, en appliquant le principe de subsidiarité. Cela suppose de faire confiance à nos maires, à nos présidents de département et de région, à nos intercommunalités, à tous ceux qui gèrent quotidiennement le concret : les écoles, la solidarité et l'aménagement. Cela implique également de réhabiliter la liberté locale, non comme une menace pour l'unité nationale, mais comme la condition même de son efficacité.
Au sein du Groupe Horizons et indépendants, nous partageons pleinement cette vision d'une République décentralisée qui fait confiance aux élus locaux et s'appuie sur leur connaissance du terrain. Nous défendons une organisation plus lisible et efficace des pouvoirs publics, fondée sur la responsabilité et la proximité, afin de donner aux territoires les moyens d'agir et de répondre concrètement aux besoins des citoyens, tout en redonnant de la cohérence à notre organisation territoriale.
Madame la ministre, pouvez-vous préciser quelle méthode vous entendez retenir pour élaborer ce projet de loi ? Quelle place accorderez-vous à la concertation avec les associations d'élus ? Comment comptez-vous traduire concrètement le principe de subsidiarité que vous évoquez ?
Comment garantir que cet acte de décentralisation ne se limitera pas à un simple transfert de compétences, mais constituera véritablement un transfert de confiance, de moyens et de capacité d'action, notamment dans le domaine crucial de la transition écologique ?
Nous nous tiendrons à vos côtés, Madame la ministre, pour bâtir une République plus décentralisée, plus efficace et plus proche, car nous croyons profondément que c'est en faisant confiance aux territoires que la République se renforce.
Mme Constance de Pélichy (LIOT). Madame la ministre, je me réjouis de vous retrouver parmi nous ce soir pour ce premier échange sur vos priorités dans le cadre de la mission Cohésion des territoires. Je tiens à vous remercier pour vos propos liminaires, à la fois précis, concrets et couvrant de nombreux sujets.
J'aimerais revenir sur un sujet particulier qui me semble résumer à lui seul l'un des enjeux fondamentaux pour nos élus autant que pour la cohésion de nos territoires : celui de la simplification administrative. Ce sujet revêt un caractère prioritaire car il se trouve à l'origine d'une véritable crise de vocation. Lorsqu'il devient trop complexe de faire aboutir un projet, les acteurs locaux baissent les bras et renoncent à s'impliquer.
Par ailleurs, le rapport de Boris Ravignon, rendu public il y a quelques semaines, met en évidence un constat effrayant compte tenu du contexte actuel : les doublons de compétences entre les différentes strates de collectivités, auxquels s'ajoutent les interventions de l'État et la multiplication des comités de pilotage, coûteraient la somme considérable de 7,5 milliards d'euros à notre pays.
J'aimerais donc que vous puissiez approfondir votre vision concernant cette question de la simplification, qui me semble indissociable de la décentralisation souhaitée par notre Premier ministre. Pourriez-vous préciser davantage le calendrier envisagé et les priorités retenues ? Vous avez commencé à en évoquer certaines dans vos propos liminaires, mais j'aimerais également connaître votre approche quant à l'articulation des compétences, non seulement entre l'État et les collectivités, mais aussi entre les collectivités.
Je souhaite attirer votre attention sur un point particulier : celui de la contractualisation. Ce concept, devenu omniprésent dans les relations entre l'État et les collectivités, m'inspire une certaine inquiétude. En tant qu'élue locale – et je pense que tous ceux qui ont exercé des responsabilités locales dans cette assemblée peuvent le confirmer – combien d'heures avons-nous passées en comités de pilotage pour élaborer des contrats dans lesquels nous ne nous reconnaissions pas, qui engendrent ensuite une cascade de plans, de schémas, de suivis et de bilans à mi-parcours, pour finalement n'apporter que peu de valeur ajoutée aux projets de territoire portés par les élus ?
La contractualisation constitue donc à mon sens un sujet à aborder avec la plus grande prudence, et je me permets d'insister fortement sur ce point, ayant constaté qu'elle figure parmi les priorités en matière de cohésion des territoires.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Permettez-moi, Madame la présidente, de répondre à l'ensemble de vos interventions, qu'elles aient pris la forme de questions ou d'expressions de convictions.
Je souhaite revenir sur la simplification et la contractualisation. Sur ce dernier point, qui rejoint nombre de vos préoccupations, nous travaillons activement sur la relation État collectivités dans un objectif de prévisibilité. Il est impératif de mettre fin à la multiplication des appels à projets successifs et aux logiques d'annuités. Une mission a été confiée à Madame Dominique Faure, ancienne ministre des collectivités, précisément sur les évolutions de cette contractualisation. Nous aurons l'occasion d'approfondir ce sujet ultérieurement.
Concernant le budget 2026, j'entends parfaitement les préoccupations exprimées par les uns et les autres, notamment par les associations d'élus. Rappelons toutefois le contexte : notre pays vit depuis plus de cinquante ans en ne connaissant que la moitié de la fable de La Fontaine, La cigale et la fourmi. Nous avons aujourd'hui atteint un niveau d'endettement supérieur à 3 400 milliards d'euros. Durant cette heure que nous venons de passer ensemble, la dette s'est accrue de 12 millions d'euros. Le budget de la France finance les services essentiels : justice, police, éducation, santé.
Collectivités et État constituent deux partenaires indissociables de l'action publique. Je n'affirmerai jamais que les collectivités représentent des centres de coûts ou constituent un problème. Au contraire, les territoires incarnent pour moi des solutions, avec cette particularité qu'elles sont tenues à l'équilibre budgétaire, contrairement à l'État qui n'a pas présenté de budget équilibré depuis cinquante ans.
Aujourd'hui, en responsabilité, le Premier ministre propose un budget de redressement. La France peut être comparée à un avion en perte de vitesse qui pique dangereusement du nez. Notre mission consiste à le redresser afin de maintenir des services publics de qualité, contrairement aux situations qu'ont connues la Grèce ou l'Espagne. Ce redressement exige une œuvre commune, une contribution de chacun. Le projet de loi de finances 2026 demande effectivement un effort aux collectivités de 4,6 milliards d'euros. Ce budget est désormais entre les mains du Parlement, qui en déterminera l'évolution.
Monsieur Humbert, je partage votre conviction quant à la nécessaire confiance dans la liberté d'action des collectivités. C'est précisément pourquoi je soutiens les projets de communes nouvelles. Je tiens à rappeler que ces projets sont exclusivement initiés et choisis par les élus locaux eux-mêmes. Ma confiance dans le respect de leur volonté me conduit à soutenir ces démarches lorsqu'elles émanent des collectivités concernées. Quant au scrutin de liste, je me suis déjà expliquée sur ce sujet. Cette proposition de loi émanait de l'Assemblée nationale, et j'étais présente au banc pour la soutenir ? Pourquoi l'ai-je soutenue ? Originaire moi-même d'un village de 700 habitants, j'ai parcouru 49 départements français et entendu des parlementaires s'opposer à ce scrutin de liste. Pourtant, avec beaucoup de conviction, j'estime que malgré les difficultés d'organisation à quelques mois des élections, toutes les communes de France et tous les citoyens méritent que l'équipe qui est candidate présente un projet cohérent et une véritable dynamique collective.
Les études menées, notamment la dernière par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), montrent que les principales souffrances des maires, particulièrement dans les petites communes, résultent souvent de leur isolement lorsque chaque conseiller a été élu sur son nom propre. Le texte permet d'ailleurs une incomplétude du conseil municipal, exigeant seulement cinq conseillers dans la plus petite commune de France. Si trouver deux femmes dans une commune peut parfois sembler difficile, je connais de nombreuses communes où la parité existe déjà. En 2014, quand les communes de plus de 1 000 habitants ont dû adopter le scrutin de liste, la transition a été délicate, mais aucune n'a depuis réclamé un retour à ce que j'appelle, sans détour, " le tir aux pigeons " ou " le ball-trap ".
J'ai entendu les remarques concernant le plan France Ruralités. Durant mes huit premiers mois au ministère de la Ruralité, j'ai procédé à son évaluation approfondie. Je vous livre mon constat : j'attends encore qu'on me démontre que les mesures inscrites dans ce plan, voulues par Élisabeth Borne, constituaient des erreurs. Tous les programmes – Villages d'avenir, Petites villes de demain, France services – sont de véritables réussites. Prenons l'exemple concret des dossiers de retraite : il y a sept ans, un citoyen confronté à cette démarche se heurtait invariablement à un parcours d'obstacles – documents manquants, systèmes téléphoniques labyrinthiques, interlocuteurs insaisissables. Aujourd'hui, les maisons France services permettent d'accomplir ces démarches avec efficacité et proximité.
L'action de l'État envers les territoires ruraux s'est profondément transformée, même si cette évolution manque encore de visibilité. Les maisons France services, y compris dans leur version mobile qui se déplace au plus près des citoyens, souffrent effectivement d'un déficit de communication. Tous ceux qui les utilisent en sont satisfaits, mais beaucoup ne les connaissent pas encore. Voilà un axe d'amélioration essentiel.
Plusieurs d'entre vous m'interrogent sur l'ANCT. J'ai pris connaissance des observations et rapports sur les agences. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Monsieur le député, je me suis rendue à deux reprises dans votre département des Vosges, où s'est tenu le comité interministériel à la ruralité. J'y ai rencontré des élus majoritairement satisfaits. Je vous invite à recueillir leur avis sur les maisons France services, sur Villages d'avenir et Petites villes de demain. L'ANCT est aujourd'hui la seule agence activée directement par le préfet de département.
Nous devons évaluer comment l'État a choisi de déployer ses missions, car nous avons sans doute trop externalisé sans maintenir un contrôle suffisant. Le Premier ministre François Bayrou a pris une disposition révolutionnaire dans le processus décisionnel et la déconcentration de l'État : un décret qui désigne les préfets de département comme chefs d'orchestre de tous les services et agences de l'État. Désormais, toute décision d'une ARS, d'une direction des finances publiques ou d'un rectorat doit être harmonisée par les préfets. L'État doit être fort et réaffirmer sa présence dans nos territoires.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogée sur la capacité des préfets à apprécier la norme et à accompagner les maires, plutôt que d'exercer uniquement une fonction de contrôle. Je connais parfaitement votre ancienne préfète des Vosges, Monsieur le député, ainsi que nombre de préfets de vos départements. Aujourd'hui, je considère que ces hauts fonctionnaires, extrêmement compétents et dévoués à l'action publique, s'inscrivent davantage dans une démarche de facilitation.
Concernant les ZRR, je partage votre analyse Mme Ferrer. Comme vous le savez, le dispositif des zones de revitalisation rurale arrivait à échéance et a été converti en France revitalisation rurale (FRR), avec quelques ajustements de périmètre. Les communes qui étaient précédemment en ZRR mais ne répondant pas aux critères du nouveau dispositif FRR ont été maintenues jusqu'à fin 2027, tandis que les communes intégrant pleinement le dispositif FRR y resteront jusqu'en 2029. Dans un souci de stabilité que vous appelez de vos vœux, je souhaite que nous conservions ce cadre sans modification supplémentaire.
Une mission est en cours concernant l'articulation avec France Santé. Nous constatons en effet que certaines dispositions facilitant l'installation d'entreprises ou de professionnels de santé dans le cadre des ZRR entrent en contradiction avec les dispositifs du ministère de la santé. Pour gagner en simplicité et en efficacité, nous devons prendre le temps d'examiner ces incohérences, mais nous disposons de l'année 2026 pour y remédier.
Je confirme que le programme Petites villes de demain est garanti jusqu'à fin 2026, et Villages d'avenir jusqu'en 2027. Je tiens à rappeler que l'an dernier, en maintenant le même niveau de crédits grâce à l'action du Parlement – que je salue –, nous avons pu accueillir 450 nouvelles communes dans le dispositif Villages d'avenir. Cette extension a été rendue possible par une évaluation rigoureuse de l'avancement des projets et non par une décision ministérielle unilatérale.
J'ai demandé à chaque préfet de département d'évaluer sa capacité à intégrer de nouvelles communes dans le dispositif, en tenant compte des sorties potentielles. Ce processus s'est déroulé en étroite collaboration avec les associations d'élus, et le dispositif progresse de manière satisfaisante.
En ce qui concerne le commerce en milieu rural, je vous remercie d'avoir souligné ce point essentiel. Nous avons soutenu 600 implantations commerciales, objectif sur lequel nous continuons à travailler avec mon collègue Serge Papin. La revitalisation des centres-villes et centres bourgs constitue un enjeu majeur, particulièrement dans les petites villes et villes moyennes qui représentent des centralités essentielles. Face au dépérissement commercial dû à la transformation des modes d'achat, nous devons non seulement maintenir des commerces, mais également réintroduire des services dans ces cœurs de ville : maisons France services, médiathèques, crèches.
Concernant le statut de l'élu local, je tiens à souligner que la nation française voue une véritable passion aux sapeurs-pompiers volontaires. Je me tourne vers Stéphane Delautrette, avec qui nous avons travaillé sur ce dossier. J'aspire à ce que nous témoignions le même respect et la même gratitude envers les élus locaux. La France compte 500 000 élus locaux, dont 80% sont bénévoles, et 35 000 maires qui s'investissent sans relâche toute l'année. Nous devons permettre à chaque citoyen, indépendamment de son âge ou de sa situation professionnelle et sociale, de s'engager s'il le souhaite. Le statut de l'élu ne constitue pas un privilège ; il ne s'agit pas simplement de parlementaires qui s'occupent d'élus, mais bien de permettre l'engagement citoyen. Je rappelle que plus de 400 maires démissionnent chaque année, non seulement en raison de la complexité de leur mission – ce qui nous invite à réduire les normes et à simplifier leur tâche – mais aussi parce que nous devons restaurer le sens du respect et l'esprit républicain.
J'espère sincèrement que ce texte, cher Stéphane Delautrette, adopté au Sénat la semaine dernière pour la deuxième fois et ayant recueilli l'unanimité à chacun de ses examens parlementaires, sera mené à son terme, c'est notre devoir collectif.
Madame la Présidente, je dois malheureusement vous quitter, mais je serai très heureuse de revenir pour répondre à toutes vos questions.
Vous savez que le développement durable n'est plus un simple choix de société mais une nécessité d'action. Je ne connais aucun maire qui ne dirige pas sa commune dans une logique de développement durable. Qu'il s'agisse de rénover l'éclairage public ou une salle polyvalente, qu'il ait accès ou non au fonds vert, toutes les propositions actuelles respectent les normes de transition écologique. L'État conditionne désormais l'ensemble de ses aides, tant la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) que la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), à des projets " vertueux ", c'est-à-dire non seulement écologiques mais inscrits dans une logique de développement durable. Nous aurons l'occasion d'approfondir ces sujets ultérieurement.
J'ai bien noté votre question sur la taxe d'aménagement et m'efforcerai d'y répondre par écrit. Madame la députée Pochon, j'ai eu le plaisir de vous rencontrer récemment. Permettez-moi de vous dire très librement que j'apprécie particulièrement votre intervention qui, bien que comportant peu de questions, témoignait d'une appréciation enthousiaste de l'action gouvernementale.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Merci Madame la ministre. Nous vous accueillerons de nouveau dans notre commission avec grand plaisir.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 7 novembre 2025