Déclaration de Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer, sur les aménagement et développement durables du territoire de Guyane, à l'occasion du débat demandé par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, à l'Assemblée nationale le 25 novembre 2025.

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Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Aménagement et développement durables du territoire de Guyane." Ce débat a été demandé par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. La conférence des présidents a décidé de l'organiser en deux parties : nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées d'une durée d'une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention du gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses d'une durée d'une heure. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Jean-Yves Tarcy, président de la chambre d'agriculture de Guyane, à M. Malick Ho-A-Sim, secrétaire général de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux en Guyane (Armos) et à Mme Clarisse Da Silva, experte des questions autochtones.

(…)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer
En préambule, je voudrais d'abord remercier le groupe GDR et son président, M. Stéphane Peu, qui ont fait le choix d'inscrire ce débat important à l'ordre du jour de vos travaux. Je salue également la présence des personnalités qui nous ont éclairés dans la première partie de cette séance, que j'ai suivie à distance, en apportant un regard d'experts extérieurs.

Ce débat qui nous réunit reprend l'intitulé du rapport transpartisan de la mission d'information de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire dont vous étiez corapporteur, monsieur Jean-Victor Castor, aux côtés de notre ancien collègue Jean-Marc Zulesi, de Mme la présidente Clémence Guetté et de M. Gérard Leseul.

Je me réjouis de m'adresser à vous aujourd'hui pour traiter de ce territoire extraordinaire, au sens littéral, qu'est la Guyane. En effet, la Guyane est le seul territoire ultramarin non insulaire. Sa superficie est de 84 000 kilomètres carrés – peu ou prou celle du Portugal continental, pour donner un ordre de grandeur. Pas moins de 97 % de son territoire est couvert par la forêt amazonienne, avec tout ce que cela implique du point de vue de la biodiversité, mais aussi de difficultés en matière d'aménagement et d'enclavement – nous allons échanger sur ces sujets.

Extraordinaire, la Guyane l'est également du fait de sa démographie. Sa population a été multipliée par treize en quatre-vingts ans. La jeunesse des Guyanais en fait un territoire dynamique, tourné vers l'avenir. C'est aussi un territoire soumis à d'importants mouvements migratoires en provenance du Surinam, du Guyana, du Brésil et d'autres États plus éloignés.

De ce caractère extraordinaire découlent autant de défis, qui se posent à tous les publics concernés. Il en découle que le modèle de développement et d'aménagement de la Guyane ne peut ressembler à aucun autre : il doit être unique, à l'image du territoire.

S'agissant de l'action de l'État, j'aborde ce débat avec beaucoup de franchise – vous le verrez – et de modestie. Je n'ignore rien des difficultés qui ont freiné le nécessaire développement du territoire ces dernières années : les coupures électriques, l'engorgement des axes routiers, le développement de l'habitat informel ou encore les violences. Je sais les attentes légitimes des Guyanais. J'entends aussi celles et ceux qui évoquent une Guyane maintenue sous cloche – cette expression est souvent utilisée. Toutefois, je veux aussi vous rappeler, en espérant que vous ne m'en voudrez pas, l'engagement quotidien et pérenne de l'État au service des Guyanais.

La richesse du territoire guyanais ne peut pas se résumer en quelques mots qui seraient prononcés depuis mon siège. J'ai débuté cette intervention en vous disant d'abord ma lucidité sur les défis qui sont posés par la mise en valeur des nombreux atouts du territoire, en premier lieu la forêt, pour laquelle un équilibre doit être trouvé entre la protection et la préservation, d'une part, l'exploration, d'autre part.

Alors que la filière forêt-bois est le deuxième secteur économique de Guyane, je ne me satisfais pas de la stagnation de la production ces dernières années, et le recours à du bois importé pour la construction m'interpelle. L'exploitation de la forêt doit bien sûr se faire dans le plus strict respect des normes environnementales, particulièrement dans ce poumon de la planète qu'est la forêt amazonienne – qui, je le rappelle, produit 5 % de l'oxygène mondial, et dont l'importance doit être rappelée alors que se clôture la COP30 à Belém, au Brésil, à moins de 1 000 kilomètres de Cayenne à vol d'oiseau.

La forêt amazonienne renferme aussi une biodiversité unique : les 400 000 espèces animales et végétales connues recensées dans le parc amazonien de Guyane doivent être protégées efficacement. Je sais que tous les Guyanais, qu'ils habitent sur le littoral ou dans l'intérieur du territoire, savent vivre avec la forêt et sont attachés à sa préservation. L'État l'est également : la certification PEFC – Programme de reconnaissance des certifications forestières – dont bénéficie la forêt gérée par le Parc amazonien de Guyane depuis 2012 en témoigne.

Ma conviction, c'est qu'il est possible de conjuguer le développement économique du territoire et la préservation d'un écosystème si fragile et précieux. Les avis convergent sur ce point, et la Cour des comptes recommande d'accélérer la production. L'entreprise Triton vient d'inaugurer une usine au lac de Petit Saut ; il faut désormais lever les obstacles qui freinent artificiellement le développement de cette filière du fait d'une mauvaise connaissance, me semble-t-il, de la réalité guyanaise.

Je me réjouis à ce titre de vous annoncer que le gouvernement a été entendu : nous avons obtenu très récemment, il y a quelques jours, un courrier des deux commissaires européens compétents qui laissent entrevoir une solution juridique, peut-être même un report de l'entrée en vigueur du Règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE) au 1er janvier 2027. Des mesures d'adaptation aux régions ultrapériphériques (RUP) seront prévues par une directive omnibus qui doit être adoptée dans le courant de l'année 2026.

Vous le voyez, la porte qui était fermée encore récemment est désormais entrouverte, et nous allons continuer à travailler. C'est l'un des principaux obstacles à l'aménagement du territoire tel qu'il est prévu qui est en train de se lever, grâce à l'action du gouvernement, des élus et des acteurs concernés, en concertation avec l'Union européenne. J'y vois un exemple de notre capacité collective à allier développement économique et préservation de l'environnement, et à avancer.

Venons-en aux fleuves, dont je sais le rôle prépondérant qu'ils occupent dans la vie quotidienne des Guyanais, pour leurs transports en particulier. Je sais que pour beaucoup, le fleuve n'est pas qu'une frontière, mais le garant d'une mobilité efficace ; qu'il n'est pas qu'une difficulté, mais une composante à part entière de l'identité du territoire. La conception qu'en ont les Guyanais ne se retrouve pas, me semble-t-il, dans une vision hexagonale trop stricte.

Pourtant, des améliorations peuvent être apportées aux usages qui en sont faits quotidiennement, tant sur le Maroni à l'ouest que sur l'Oyapock à l'est. Les drames de décembre 2023 ou de juin 2025 sur le Maroni, dus au chavirage de pirogues, nous rappellent combien les trajets du quotidien peuvent être dangereux. C'est pourquoi l'État a voulu professionnaliser les usages qui sont faits des fleuves, pour assurer la sécurité de tous. Je sais les inquiétudes que ce sujet a pu faire naître localement – je les comprends, évidemment. Si ma volonté d'assurer la sécurité est intangible, les services de l'État sont attentifs à ce que la mise en œuvre de cet impératif ne se fasse pas au détriment des plus isolés. Là encore, nous devons toujours nous efforcer de concilier sécurité et amélioration de la qualité de vie des Guyanais.

Le troisième atout de la Guyane – j'aurais d'ailleurs pu l'évoquer en premier –, ce sont les Guyanais eux-mêmes. Je vais donc parler de la démographie. Alors que la France hexagonale et d'autres territoires ultramarins, notamment aux Antilles, sont confrontés au vieillissement de la population, la Guyane bénéficie d'une démographie très dynamique et d'une population jeune, dont les aspirations doivent nous pousser à agir et dont les espoirs peuvent être satisfaits.

J'ai donné les chiffres tout à l'heure : la population de la Guyane a été multipliée par treize en quatre-vingts ans. Nous devons offrir aux jeunes Guyanais, comme à chaque citoyen français, les conditions de vie satisfaisantes dans lesquelles ils pourront s'épanouir pleinement. C'est un sujet d'importance pour moi – je fais souvent le parallèle avec mon propre département, le Val-d'Oise, qui est l'un des plus jeunes de l'Hexagone. C'est une dynamique très puissante, mais en face, nous devons y apporter des réponses – il faut que les jeunes aient des perspectives.

Cela passe d'abord par l'accès à un logement légal et digne. Le territoire guyanais peine aujourd'hui à remplir les objectifs de construction, notamment de logements sociaux, qui permettraient d'offrir un toit à tous. Les programmes conduits ces dernières années ne répondaient pas forcément aux caractéristiques de la population : ils ont pu être trop petits, trop coûteux, trop peu nombreux. Sur cette question en particulier, l'État et le ministère que je dirige ont un rôle à jouer.

Nous avons d'ores et déjà agi, par l'accélération de la viabilisation de foncier aménageable par l'établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane et par la création de la première opération d'intérêt national d'outre-mer, sur le territoire de neuf communes, qui prévoit la construction de 17 000 logements en quinze ans. D'ici la mi-2026, la construction de 3 200 logements, dont 60 % de logements aidés, aura débuté pour près de 200 millions d'euros de travaux d'aménagement – grâce à la mobilisation très forte de la ligne budgétaire unique, dont les montants ont été doublés entre 2016 et 2024.

Nous devons trouver les moyens d'accélérer la production de logements adaptés aux aspirations locales. Mon ministère en prendra toute sa part avec constance, en recherchant toujours le moyen de servir le plus utilement possible nos concitoyens. Nous avons commencé depuis quelques années à identifier les moyens de construire moins cher, tout en assurant bien sûr un niveau de qualité et en nous adaptant aux conditions particulières de ces territoires. Je souhaite désormais que les enseignements de ces initiatives puissent être tirés, pour que nous puissions rapidement construire des solutions utiles et accessibles.

De nouveaux leviers doivent être identifiés par tous les acteurs pour faire émerger de nouvelles solutions constructives d'habitat digne, écourter les délais et faire baisser les coûts de construction en innovant avec des matériaux locaux et provenant de l'environnement régional. Sur ce point, les décrets d'application de la loi Bélim du 13 juin 2025, sur lesquels mes services travaillent avec le ministère du logement, le permettront. Ce sera une véritable révolution du point de vue de l'adaptation des normes.

Sur ce sujet comme sur tant d'autres, l'État ne peut pas tout bien faire tout seul. Le contexte actuel nous invite donc au dialogue, au partenariat et à ses solutions partagées. L'État a une responsabilité immense à assumer dans le développement du territoire, et je ne cherche en rien à minimiser celle-ci. Au contraire, j'ai la conviction que l'État peut être un véritable partenaire de projet, et pas juste un prescripteur de normes – qualification qui a été plusieurs fois mentionnée dans le rapport que j'évoquais tout à l'heure. L'État doit assurer à la Guyane les conditions de son développement économique, comme pour n'importe quel territoire de la République – je crois qu'il a commencé à le faire, notamment s'agissant des questions structurantes du foncier, de la continuité territoriale, de l'énergie et de la sécurité.

Vous savez aussi bien que moi combien la question du foncier est prégnante pour le développement du territoire guyanais, de ses infrastructures et, plus largement, de son économie. Conformément aux engagements pris lors de l'accord de Guyane en 2017, et grâce à l'opération d'intérêt national débutée en 2016, d'ici la fin de l'année prochaine, plus de 300 000 hectares auront été transférés de l'État aux collectivités territoriales, dont 250 000 depuis 2017. La Safer a été installée et a bénéficié d'une première cession de 560 hectares le 16 juin. Les concertations en vue du transfert de 400 000 hectares aux populations amérindiennes ont récemment repris. Les agriculteurs bénéficient quant à eux de baux adaptés qui leur permettent de travailler plus sereinement à la mise en valeur du territoire.

C'est cette même logique de soutien de l'État à ceux qui travaillent pour mettre en valeur leur territoire qui a présidé à la signature hier par ma collègue chargée de la transition écologique de la convention entre les pêcheurs de Guyane et différents organes de l'État. C'est l'action de l'État telle que je la conçois : des outils concrets et utiles pour faciliter la vie des habitants. C'est un chemin qui est long, mais c'est celui que nous suivons et qui me semble être le bon.

L'État doit également agir pour assurer la mobilité des Guyanais. C'est une condition sine qua non au développement économique du territoire. Là encore, les attentes sont nombreuses ; les incompréhensions face au ralentissement récent de certains chantiers emblématiques sont légitimes. Je crois toutefois que, dans son champ de compétence, l'État prend sa part, en partenariat et en bonne intelligence, autant que possible, avec les collectivités territoriales. J'en veux pour preuve la continuation ou la reprise récente de travaux structurants pour le territoire, à l'image du pont du Larivot. Le contrat de convergence et de transformation a acté ce soutien dans le temps long, avec un investissement financier de 150 millions d'euros sur quatre ans.

Là encore, je suis lucide : la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Les difficultés sont nombreuses et les effets peinent encore à se faire ressentir. Ces chantiers s'inscrivent dans le temps long et d'autres suivront immédiatement ceux qui sont en cours aujourd'hui, pour faire de la Guyane un territoire de son temps, accessible et ouvert. Je serai donc attentive à accompagner tout ce qui doit l'être – tout ce qui peut l'être – du mieux possible. Je suis à votre écoute pour faire avancer les projets que vous me soumettrez et pour tenter de lever ensemble les freins et les blocages.

Compte tenu de la situation politique actuelle que vous connaissez, je ne vais pas vous promettre une grande transformation structurelle à tous les étages ni un grand soir qui n'arrivera pas. Je ne veux pas non plus vous promettre de tout changer et de tout régler en quelques heures ou demain et d'apporter une réponse définitive à des difficultés qui se posent depuis des décennies. Mais je m'engage avec certitude à débloquer tout ce qui peut l'être, à être une facilitatrice, à aider à faire avancer des projets concrets pour changer réellement et concrètement la vie de nos concitoyens ultramarins, en l'occurrence guyanais – je le répète, ma porte est grande ouverte.

Pour donner au territoire les moyens d'améliorer la mobilité des Guyanais et, plus globalement, pour soutenir son développement économique, la Guyane doit renforcer son autonomie énergétique.

Pour l'électricité, nous sommes sur la bonne voie et l'objectif d'un mix électrique 100 % renouvelable est en passe d'être atteint dès 2027. Cela doit permettre d'améliorer la vie des citoyens. Le doublement des capacités de production dans l'ouest du territoire permettra, à l'horizon 2033, non seulement d'augmenter la production, mais aussi de la fiabiliser, et ce pour tous les citoyens, ceux du littoral comme ceux de l'intérieur.

L'autonomie énergétique demande que nous soutenions le verdissement de la flotte de véhicules en rendant l'usage de véhicules électriques plus simple et moins coûteux pour tous, notamment en poursuivant le développement de l'installation de bornes de recharge et de filières d'accompagnement technique. Le partenariat entre l'État et le gestionnaire de réseau porte ses fruits.

Pour que tous ces efforts ne restent pas vains, l'État doit répondre au premier de ces devoirs, qui est de garantir la sécurité des citoyens. Les mouvements les plus radicaux instrumentalisent cette question à des fins politiques. Ce n'est ni digne ni honnête.

En 2024, la Guyane était le territoire le plus violent de la République, mais ce n'est pas la conséquence d'un désengagement de l'État. Les premiers indicateurs de 2025 montrent une baisse importante des crimes et des délits les plus violents. Au 1er mai 2025, on peut ainsi constater une diminution de 40 % des homicides et de 42 % des tentatives d'homicide. Il reste du chemin à parcourir, mais il faut continuer sur cette lancée.

La lutte contre l'orpaillage illégal, qui détruit l'environnement, met les populations en danger et nuit au développement économique, se poursuit. Je veux saluer le dévouement des militaires qui prennent part à l'opération Harpie, dont vous connaissez l'extrême dangerosité, et je rends hommage aux deux militaires morts en 2025 : le sergent Maxence Roger, le 19 mai, et le caporal Jimmy Gosselin, le 3 novembre.

La réponse régalienne restera ferme. Elle s'est notamment traduite début octobre, lorsque l'antenne du GIGN – Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale – de Guyane et la Brigade fluviale et nautique de Matoury ont réussi à intercepter six pirogues sur un convoi de huit chargées de matériel destiné à l'orpaillage illégal. Un piroguier et un passager ont été interpellés et 5 tonnes de matériel ont été saisies.

Le développement de la filière d'orpaillage légal est le deuxième levier. Aujourd'hui, la Guyane compte 400 sites exploités par environ 7 200 chercheurs d'or clandestins qui extraient 7,5 tonnes par an, contre 1 tonne pour le secteur légal. La priorité est d'installer des orpailleurs légaux sur les sites exploités clandestinement pour occuper le terrain, mais aussi pour des raisons sanitaires, puisque l'orpaillage légal n'utilise pas de mercure, et environnementales, puisque l'orpaillage légal reboise. Il faut donc faciliter l'implantation de ces orpailleurs sur d'anciens sites illégaux, souvent dégradés, mais le principal soutien que nous devons leur apporter est l'adaptation des normes.

Le troisième levier est la coopération régionale. Face à la puissance de la filière de l'orpaillage illégal, la réponse doit être coordonnée avec les pays limitrophes, au premier rang desquels le Brésil. Le travail diplomatique se poursuit en ce sens. Il devrait notamment permettre de lever l'obligation de visa pour les travailleurs brésiliens transfrontaliers, mais, comme l'a annoncé le président de la République en juin dernier, l'entrée en vigueur de cette mesure est conditionnée à la signature d'un accord de transfèrement de détenus. Le Brésil connaît nos conditions, la balle est donc dans son camp.

L'État agit concrètement pour donner à la Guyane les moyens de choisir sereinement son avenir. La voie que suivra le territoire devra être définie avec l'État, mais l'aménagement du territoire de la Guyane ne peut pas se faire totalement depuis Paris – ce n'est d'ailleurs déjà pas le cas. Je voudrais rendre hommage au préfet, représentant de l'État, qui agit avec beaucoup de détermination et d'engagement pour améliorer la vie des Guyanais.

La Guyane formule depuis plusieurs décennies une demande d'autonomie renforcée, notamment sur la base du modèle polynésien. Je n'y suis pas fermée par principe. J'entends poursuivre le dialogue qui a repris le 30 juillet dernier à l'occasion d'une rencontre entre mon prédécesseur, le ministre d'État Manuel Valls et une délégation guyanaise pour parler du chantier statutaire et institutionnel. Le 30 septembre dernier, le président de la République a défini une méthode. Il y a un chemin pour avancer avec confiance et sérénité vers la définition d'un cadre institutionnel adapté aux spécificités de ce territoire unique, sur la base du document d'orientations sur l'évolution institutionnelle de la Guyane. L'État accompagnera cette évolution en se concentrant sur ses compétences propres. Ma porte est ouverte pour la poursuite de ces discussions, que nous sommes en train d'organiser en vue de proposer des réunions avant la fin de cette année.

Mesdames et messieurs les députés, vous connaissez désormais l'idée que je me fais du développement de la Guyane. Mon intervention est trop courte pour évoquer ce sujet de manière approfondie. Je me tiens donc à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme la présidente
Nous en venons aux questions des députés.
La parole est à M. Jean-Victor Castor.

M. Jean-Victor Castor (GDR)
Un aspect très important dans la question de l'aménagement du territoire est celui du temps. J'ai 63 ans et j'ai connu la Guyane avec 60 000 habitants. Notre croissance démographique est hors norme. Le temps des politiques publiques et des décisions est trop lent. Ainsi, à défaut de pouvoir programmer et planifier le développement de la Guyane, on se retrouve avec des activités illégales dans tous les domaines et j'ai bien compris que, dans la conjoncture d'austérité que vous avez rappelée, la France manque de moyens.

La question du développement pose celle de l'aménagement et du foncier. Tout pays qui s'est développé a commencé par être aménagé. Je prends un exemple : il n'y a pas de port en eau profonde en Guyane, alors que nous savons où le construire depuis quarante ans. Nous payons par conséquent 20 millions chaque année pour désenvaser et toute l'économie dépend de bateaux à faible tirant d'eau. Il n'y a pas de routes et les fleuves sont considérés comme non navigables, ce qui n'empêche pas que des enfants y soient transportés, mais ils le sont alors sans assurance. Ce n'est donc pas en donnant des permis à des gens qui savent naviguer que nous allons régler le problème de la mobilité.

Ces exemples montrent que des non-réponses sont apportées à des problèmes qui sont identifiés depuis soixante ans, car le rythme ne correspond pas du tout à ce qui se passe dans la réalité, qui est celle d'une croissance démographique hors norme et d'un pillage et d'une spoliation continus de la part d'organisations étrangères qui profitent de l'absence de développement de notre territoire pour s'y implanter. J'ai pris tout à l'heure l'exemple de la pêche, qui est un très bon exemple, car, quand nous avions 150 à 200 chalutiers sur les mers de Guyane, ce problème ne se posait pas.

La question foncière est essentielle. Il ne pourra y avoir de développement tant que c'est un préfet – même si vous estimez que c'est un bon préfet – qui décidera en lieu et place des Guyanais des rétrocessions foncières. En 2017, l'État a signé pour attribuer 400 000 hectares aux autochtones, mais pas un mètre carré n'a été restitué en 2025 ! Avant ce débat, j'ai demandé au préfet de me donner les derniers chiffres. Sur les 250 000 hectares qui devaient être rétrocédés aux collectivités, seuls 125 000 l'ont été. J'ai le tableau sous les yeux. Nous sommes très loin du compte. Dans le domaine agricole, 500 hectares ont été restitués sur 20 000.

J'ai fait voter à deux reprises à l'Assemblée nationale un amendement au projet de loi de finances pour transférer entre 120 000 et 150 000 hectares à la Safer. Ce volume est indispensable pour que la Safer puisse planifier des zones agricoles sur plusieurs années et éviter qu'on se retrouve, encore une fois, à courir après les retards.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
La question de la croissance démographique appelle une multitude de réponses et le foncier est probablement l'une des plus importantes, pourvu qu'il s'agisse de foncier aménageable. Sur un territoire composé à 97 % de forêts, l'État peut tout transférer, mais si ce n'est pas aménageable, cela ne fait pas avancer le sujet.

Un travail de dentelle est donc effectué par le préfet, avec les élus locaux, pour identifier le foncier utile à l'aménagement. En quarante ans, il a été procédé à des transferts importants.

J'ai déjà cité certains chiffres, je vais maintenant évoquer les transferts les plus récents. À la suite de l'accord de 2017, le transfert de 125 000 hectares a déjà été notifié aux collectivités territoriales et 25 000 hectares supplémentaires seront transférés d'ici la fin de cette année. Les 100 000 hectares restants ont déjà été identifiés par les services de l'État et seront proposés aux collectivités dans le courant de l'année 2026. Ces transferts visent à répondre équitablement aux priorités exprimées par chaque collectivité, tout en tenant compte de la répartition inégale du foncier de l'État disponible entre les communes du littoral et celles de l'intérieur.

Le travail avec la Safer progresse également. Il a permis la mise en exploitation à un rythme qui est passé de 800 à quasiment 1 000 hectares par an. Ce travail est relativement récent. Il ne suffit pas de transférer : la Safer doit pouvoir absorber ces transferts.

Les discussions avec les peuples autochtones sont restées très longtemps bloquées et nous ne parvenions pas à trouver un accord. Elles ont repris depuis peu et elles vont dans le bon sens, puisque des transferts ont été réalisés.

Nous devons être très pragmatiques. Je me tiens à votre disposition si vous avez identifié des projets inutilement bloqués.

Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.

M. Nicolas Metzdorf (EPR)
Je commencerai par une réflexion. On a l'impression que la France, de manière générale – je ne dis pas l'Hexagone, puisqu'en tant que député de Nouvelle-Calédonie, j'inclus l'ensemble du territoire dans cette remarque –, manque de stratégie pour ses outre-mer. On n'arrive pas à exploiter des territoires qui regorgent pourtant de richesses, ni au bénéfice de la France ni au bénéfice des territoires eux-mêmes. La Guyane, un territoire grand comme le Portugal, en est sans doute l'exemple le plus parlant avec ses ressources aurifères, pétrolières et halieutiques. Ne pas donner la chance aux Guyanais d'exploiter ces ressources, c'est quand même dommage. On pourrait aussi prendre l'exemple de la Nouvelle-Calédonie et de ses ressources en nickel ou celui de la Polynésie française et de sa zone économique exclusive (ZEE) de la taille de l'Union européenne.

On a donc l'impression que la France manque d'ambition pour ses outre-mer, mais, en disant cela, je ne vous adresse aucun reproche. Il y a une incompréhension entre les ultramarins et les responsables hexagonaux, pour ne pas dire une relation mortifère. L'État considère que nous faisons des demandes d'argent public et nous considérons qu'on n'en fait jamais assez pour nos territoires. En réalité, nous ne souhaitons pas obtenir toujours plus d'argent public : ce que voudrions, c'est être plus autonomes avec nos propres richesses. Nous ne voulons pas aller à chaque fois taper dans la poche du contribuable métropolitain pour développer nos régions. Il faut repartir en cherchant à s'inscrire dans un cercle plus vertueux.

Après cette réflexion, je voudrais poser une question liée à l'actualité, et qui prend une signification particulière dans le contexte budgétaire que l'on connaît.

J'ai cru comprendre que la construction d'un centre pénitentiaire de haute sécurité était prévue en Guyane, mais que de nombreux élus guyanais s'y opposaient. Je vous le dis avec humour, mais de façon très claire : vous avez annoncé que la demande des élus de Nouvelle-Calédonie de création d'un nouveau centre pénitentiaire ne serait pas satisfaite. Je vous propose donc d'arrêter le projet en Guyane pour le transférer en Nouvelle-Calédonie.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
Je partage votre constat. L'un des premiers éléments qui sautent aux yeux, c'est le manque d'intégration de la réalité ultramarine dans notre conscience collective. Le réflexe hexagonal qui persiste à propos de chaque question ultramarine crée un décalage. C'est probablement ce qui explique que certains problèmes ne soient ni suffisamment approfondis ni correctement traités depuis Paris. Consciente de cette situation, je souhaite, en parallèle des travaux de fond, élaborer une feuille de route qui permette d'y remédier.

Pour l'avoir moi-même constaté lorsque j'étais députée, je sais que la commission des lois a tendance à traiter l'outre-mer à examiner les questions ultramarines en fin de parcours, au titre des dispositions diverses. Cette méthode, parfois utile, mais pas toujours, est révélatrice. La feuille de route que je prépare, en accord avec le premier ministre, vise donc à changer notre manière d'aborder les outre-mer, tant au sein des ministères que dans la société civile, et à tous les niveaux de décision.

Le projet de centre pénitentiaire en Guyane est indispensable, compte tenu du niveau d'insécurité et du taux d'incarcération. Il est parfois critiqué ou contesté, mais n'est pas remis en cause : l'État tiendra son engagement.

En Nouvelle-Calédonie, la création d'un nouvel établissement pour remplacer le Camp Est, qui offre des conditions de détention indignes, se heurte à des difficultés, notamment financières et calendaires. C'est pourquoi nous devons imaginer des solutions alternatives pour alléger la pression qui pèse aujourd'hui sur cet établissement.

Mme la présidente
La parole est à M. Perceval Gaillard.

M. Perceval Gaillard (LFI-NFP)
Sous le contrôle de mon collègue Jean-Victor Castor, il me semble que les élus guyanais ne s'opposent pas au centre pénitentiaire en lui-même, mais uniquement au quartier de haute sécurité.

La Guyane, comme l'ensemble des outre-mer, traverse une crise historique en matière de production de logements sociaux. Les besoins sont immenses, comme l'a rappelé tout à l'heure l'un des intervenants. La Réunion connaît des difficultés comparables. Depuis plusieurs années, les crédits inscrits dans la ligne budgétaire unique sont en baisse.

Nous venons d'être privés du débat budgétaire sur la mission Outre-mer, mais la commission a adopté un amendement qui prévoit un ajout de 100 millions d'euros à la LBU. Pouvez-vous vous engager à ce que cette augmentation indispensable figure dans la version finale du budget pour 2026 ?

Je rappelle que l'État reprochait souvent aux outre-mer de ne pas consommer toutes les autorisations d'engagements. Ce n'est plus du tout le cas : l'ensemble des opérateurs et des collectivités sont désormais pleinement en mesure d'utiliser les crédits, car nos besoins immenses. Pouvez-vous donc confirmer que cette augmentation de la LBU sera bien retenue ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
Je comprends votre préoccupation concernant la sécurisation de ces 100 millions d'euros supplémentaires – et les besoins sont sans doute encore plus importants. Cependant, la question ne se résume pas au montant des crédits, mais au rythme de la construction sur place. En effet, tous les crédits ne sont pas consommés.

M. Perceval Gaillard
Je viens de dire le contraire !

Mme Naïma Moutchou, ministre
Il faut d'abord s'assurer que les capacités de construction permettent d'accélérer avant d'envisager un ajout de crédits. L'État s'est fortement mobilisé pour renforcer la LBU, dont les montants ont doublé entre 2016 et 2024. L'engagement financier est donc réel, mais la concrétisation des logements sociaux doit suivre. Pour cela, il est nécessaire d'identifier les difficultés qui ralentissent la construction.

La prochaine publication de décrets contribuera à accélérer ce rythme, en allégeant certaines contraintes pesant sur le parc social, qui continue de croître mais dont les programmes ne correspondent pas toujours aux besoins de la population. L'État reste pleinement disponible pour accompagner les collectivités et avancer concrètement dans ce sens.

Mme la présidente
La parole est à M. Elie Califer.

M. Elie Califer (SOC)
Permettez-moi de remercier le groupe GDR, son président ainsi que mon collègue Castor, d'avoir pris l'initiative de ce débat. Il nous permet, à nous députés de la nation, élus dans l'Hexagone ou dans les outre-mer, de mieux comprendre la réalité guyanaise, si particulière.

Vous avez rappelé, madame la ministre, le potentiel immense de ce territoire ainsi que sa biodiversité, qui constituent non seulement un atout pour son avenir, mais également pour celui de l'Hexagone, et peut-être même pour l'Europe. Je souhaite également saluer votre intervention qui a couvert l'ensemble des sujets – on pourrait presque s'arrêter là, en considérant que tout a été dit. (Sourires.)

Toutefois, je souhaite vous poser une question très brève : quels projets concrets le gouvernement entend-il entreprendre à court et moyen terme pour contribuer au désenclavement interne de la Guyane ? Le réseau routier reste encore fortement marqué par la présence de pistes, et il n'est pas aisé de se déplacer d'un bout à l'autre du territoire.

Comme le soulignait mon collègue Castor, il est essentiel d'établir un calendrier précis et d'offrir aux Guyanais une visibilité claire sur les projets susceptibles de soulager leur douleur, comme on le dit en Guadeloupe, et d'alléger leurs préoccupations.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
Dans mon propos introductif, je disais être convaincue qu'il fallait probablement concevoir moins de solutions depuis Paris et davantage en partenariat avec tous les acteurs locaux – élus, acteurs économiques, collectivités – afin de proposer des réponses adaptées aux territoires. Je constate que les solutions imaginées de manière centralisée ne sont pas toujours appropriées. Cela explique sans doute les nombreuses interrogations sur le mode : "Que fait l'État ?"

Pourtant, l'État contribue largement au désenclavement du territoire, pas seulement sur le plan financier, mais aussi dans l'expertise et dans l'accompagnement technique. Il est vrai que cette contribution peut paraître insuffisante ou trop lente, et j'entends parfaitement les remarques liées difficultés calendaires et à l'exigence d'une amélioration rapide. C'est un travail au long cours.

Des annonces ont été faites, notamment par le président de la République, qui s'était exprimé sur la Route du fleuve. Les collectivités ont également lancé des études pour explorer différents scénarios. Tout cela est extrêmement coûteux, car le territoire est particulier : on ne construit pas une route en Guyane comme on le ferait en région parisienne.

L'État peut alléger ce fardeau économique en accompagnant les projets et reste pleinement ouvert au dialogue. Mais il ne pourra pas agir seul. Son rôle sera donc d'accompagner le désenclavement au plus près du territoire, afin que les fonds soient utilisés de manière efficace et adaptée aux besoins locaux.

Mme la présidente
La parole est à Mme Maud Petit.

Mme Maud Petit (Dem)
En ce qui concerne l'aménagement et le développement durable du territoire de Guyane, les analyses transmises par les élus locaux et les services de l'État nous permettent de mieux appréhender la réalité d'un territoire vaste comme le Portugal, jeune, dynamique et profondément singulier. La Guyane est un territoire amazonien, littoral, plurilingue, aux frontières multiples : son développement ne peut reposer sur des modèles uniformes, mais doit être adapté à ses problématiques quotidiennes, construit avec les acteurs locaux et pensé dans la durée.

De nombreux enjeux ont déjà été soulevés. Je voudrais revenir sur deux d'entre eux. Le premier est celui des infrastructures, que la question précédente a déjà évoqué. Les liaisons entre les différentes communes restent complexes. Le réseau existant entre l'ouest du territoire et Cayenne, ou encore entre le littoral et l'intérieur, impose des déplacements longs, souvent tributaires des conditions météorologiques.

L'amélioration progressive de la route nationale 1 (RN1), le renforcement des transports fluviaux ou encore la pérennisation des dessertes aériennes intérieures constituent des besoins partagés, mais il convient d'évoquer aussi les infrastructures de services publics, dont le développement demeure nécessaire – je pense notamment aux écoles et aux infrastructures rendant accessible l'eau potable.

Le second enjeu est celui de l'énergie. La Guyane dispose d'un potentiel remarquable en hydroélectricité, en solaire et en biomasse. Les projets engagés doivent être consolidés afin de tendre vers une autonomie énergétique durable et respectueuse de la biodiversité exceptionnelle du territoire.

La Guyane attend depuis soixante ans des avancées pour son développement. Je partage à la fois l'inquiétude et l'incompréhension des collègues déçus par des progrès trop lents et toujours à venir. Quelles mesures le gouvernement peut-il engager pour renforcer l'ingénierie territoriale et accélérer la réalisation de ces projets d'infrastructure ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
Je peux comprendre ce que ressent la population – et il ne s'agit pas seulement d'un sentiment, mais de la réalité du quotidien des Guyanais : les changements ne vont pas assez vite et leur vie n'est pas encore suffisamment transformée. Pourtant, des projets avancent et l'État prend sa part dans la construction des infrastructures, que ce soit dans les chantiers en cours ou ceux à venir.

Entre 2024 et 2027, 150 millions d'euros sont dédiés au développement du réseau routier. Des centaines de millions sont d'ores et déjà engagés dans plusieurs chantiers emblématiques et structurants pour le territoire, parfois en partenariat avec les collectivités locales : 200 millions sur le chantier du pont du Larivot, 45 millions sur le boulevard urbain d'accès à Cayenne depuis Matoury, 6 millions pour la reconstruction du pont du Grand Laussat sur la RN1.

D'autres chantiers structurants sont également à l'étude pour transformer durablement le territoire, notamment pour adapter la RN1. Leur lancement devra être concerté avec les collectivités locales concernées.

Vous avez également souligné l'importance de l'accompagnement des collectivités et des communes qui le souhaitent. Les services de l'État seront disponibles pour apporter le soutien le plus efficace possible à celles qui en feront la demande, dans le respect des compétences de chacun. Je n'ai évoqué que quelques chantiers majeurs, mais il en existe bien d'autres, souvent plus modestes, qui n'en sont pas moins essentiels pour le quotidien des Guyanais, et pour lesquels l'État est engagé.

Mme la présidente
La parole est à Mme Mereana Reid Arbelot.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR)
Je partage toutes les inquiétudes exprimées par mes collègues, notamment sur les nombreux chantiers à entreprendre : il reste beaucoup à faire en Guyane, peut-être parce que, jusqu'à présent, pas grand-chose n'y a été fait. Certes, la Guyane est le seul territoire ultramarin qui n'est pas insulaire, mais c'est un océan vert, confronté à des difficultés de liaison similaires à celles d'une île ou d'un archipel. Les habitants se déplacent difficilement de village en village, de ville en ville, tant nous manquons de routes.

Quand on relit l'histoire du territoire, comme l'ont rappelé les intervenants de la première partie, on constate qu'on a tout pris aux Guyanais : leur terre et leurs ancêtres. Vous avez évoqué les terres qu'on ne peut restituer au motif qu'elles ne sont pas aménageables, et ces propos me fendent le cœur : ces terres étaient les leurs ! Il est difficile d'accepter qu'on ne puisse leur rendre ce qui leur appartenait. Qu'a fait l'État de ces terres non aménageables, ou plutôt non aménagées ? Il faut agir.

Quand je dis qu'on a pris aux Guyanais leurs ancêtres, je pense aux ancêtres des Kali'nas, arrivés vivants dans l'Hexagone et morts de froid dans des zoos humains, et dont les restes n'ont toujours pas été ramenés en Guyane. Cela fait pourtant trois ans que nous demandons la restitution de ces corps.

On leur prend tout et on ne leur rend rien. On a pris leur dignité aux Guyanais, à toutes ces communautés guyanaises. Je veux bien que vous nous parliez de technique et de chantiers, mais rendez-leur la dignité.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
Je suis touchée par votre question ; qui ne le serait pas ? Je répondrai d'abord à votre dernière remarque. Oui, c'est une question de dignité. J'ai été tout récemment saisie de la question de la restitution des corps, je suis en train d'y réfléchir et j'espère pouvoir y apporter des réponses très rapidement. En tout cas, l'État ne cherche nullement à entraver ce processus, d'autant moins qu'il est essentiel pour les personnes concernées.

En ce qui concerne les terres aménageables, je parlais des terrains qui peuvent être exploités utilement pour construire quelque chose. Si une parcelle comporte de la forêt, nous sommes contraints par les normes environnementales applicables. C'est simplement ce que je voulais dire ; il ne s'agit pas de terres possédées par l'État et que celui-ci refuserait de transférer.

Mme Mathilde Feld et Mme Sabrina Sebaihi
Mais si !

Mme Naïma Moutchou, ministre
Il faut seulement qu'elles soient transférables et propres à être exploitées pour un nouvel usage.

M. Jean-Victor Castor
Elle ne se rend même pas compte de ce qu'elle dit !

Mme Naïma Moutchou, ministre
L'État aura beau transférer des centaines de milliers d'hectares, cela sera inutile s'ils sont inexploitables. C'est pourquoi un travail est en cours, impliquant notamment les collectivités locales, pour identifier les terres exploitables et transférables. Cette question est indépendante de la possibilité pour les populations autochtones de vivre de la forêt – une possibilité qui, je le dis clairement, n'est pas remise en cause.

Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot.

Mme Mathilde Panot (LFI-NFP)
Vous reprenez un ministère dont je comprends que vous ne puissiez maîtriser immédiatement tous les enjeux. Il n'empêche que la Macronie est au pouvoir depuis huit ans et que la Guyane continue de souffrir d'un sous-investissement chronique qui entrave son présent et son avenir. Je rappelle quelques chiffres : un Guyanais sur deux vit sous le seuil de pauvreté, alors même que ce seuil est inférieur de 60 % à celui de l'Hexagone ; 13 à 20 % de la population est privée d'électricité ; un habitant sur cinq est privé d'accès à l'eau ; je ne reviendrai pas sur les problèmes de logement déjà évoqués ; la Guyane souffre d'une pénurie de personnels médicaux et paramédicaux, et 700 enfants attendent une place dans un établissement médico-social. Malgré tout cela, Emmanuel Macron a osé, lors de sa visite en 2017, dire aux Guyanais qu'il n'était pas le père Noël ! Combien de temps les citoyens et citoyennes des territoires dits d'outre-mer devront-ils se battre pour obtenir simplement le respect de leurs droits et la pleine considération des pouvoirs publics ?

Plusieurs collègues, parmi lesquels Jean-Victor Castor et Clémence Guetté, ont rendu il y a deux ans un rapport d'information dans lequel ils recommandaient d'accélérer la restitution du foncier en Guyane. Vous nous avez indiqué que des concertations avaient repris au sujet de la restitution par l'État de 400 000 hectares ; Jean-Victor Castor ayant rappelé que pas un mètre carré n'avait été restitué en 2025, vous avez dit que cela se ferait courant 2026. Quel est le calendrier exact ?

Le rapport préconisait de désenclaver le territoire par un réseau routier. Où en est la Route du fleuve promise par Emmanuel Macron lors de sa campagne de 2022 ? Pourquoi une commune sur trois est-elle toujours inaccessible par la route ?

Le rapport recommandait également de garantir l'accès à tous les services publics de base, notamment à l'eau potable – évoquée par les intervenants que nous avons reçus –, à l'électricité, à l'éducation, à la sécurité et à la santé. Nous en sommes très loin.

Enfin, nous avons parlé de l'orpaillage illégal et de ses conséquences terribles sur la vie et la santé des Guyanais. Qu'allez-vous faire, en particulier s'agissant du scandale qu'est l'exposition au mercure et au plomb ? Je rappelle que des associations de victimes ont saisi le tribunal administratif pour carence fautive de l'État dans sa mission de protection de la population.

Je terminerai par deux remarques brèves. Premièrement, vous n'avez pas répondu à Jean-Victor Castor au sujet du port en eau profonde, je me permets donc de reposer la question. Deuxièmement, vous avez dit que l'État n'avait ni l'argent ni le temps pour construire une nouvelle prison en Kanaky-Nouvelle-Calédonie ; je trouve ces propos particulièrement malvenus, étant donné que la prison de Camp Est est la pire de la République française et qu'il est plus de temps que fermer ce lieu indigne.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
En deux minutes, vous avez évoqué à peu près tous les sujets possibles. Vous trouverez donc sûrement ma réponse très lacunaire. Je tiens à rappeler quelque chose d'important. Je n'ai pas la science infuse, je n'ai probablement pas votre connaissance de tous les dossiers ultramarins,…

Mme Mathilde Panot
Mais moi, je ne suis pas ministre !

Mme Naïma Moutchou, ministre
… mais je souhaite sincèrement avancer, y compris par la stratégie des petits pas. J'appelle petits pas des projets peu spectaculaires, mais qui ne sont pas petits en ce qu'ils changeront concrètement la vie des Guyanais. Je ne recherche pas le buzz ; je veux faire progresser les choses autant que possible, quitte à rester dans l'ombre en agissant par des mesures discrètes.

S'agissant de la Route du fleuve, l'État – je rappelle que la voirie ne relève pas de sa compétence – a pris acte de la délibération de la collectivité de Guyane visant à financer des études préparatoires à la construction d'un acte routier entre Apatou et Papaïchton. À l'issue de ces études, il a promis de se tenir disponible pour accompagner les projets de la collectivité. C'est ce qu'il fait. Il fournit un accompagnement important, bien que cet axe ne fasse pas partie du réseau routier national. L'État participe, aux côtés des collectivités territoriales, à l'aménagement de la piste entre les deux communes, à laquelle il contribue à hauteur de 7,5 millions d'euros au titre du programme 123 du ministère des outre-mer. Ce montant a été inscrit au contrat de convergence et de transformation (CTT) de la Guyane pour les années 2024 à 2027, pour poursuivre les aménagements déjà engagés. Un premier tronçon de près de 13 kilomètres a déjà été réalisé.

M. Jean-Victor Castor
Cela fait trente ans que l'État n'arrive pas à faire 30 kilomètres !

Mme Naïma Moutchou, ministre
Par ailleurs, toute la longueur de la piste – 31,5 kilomètres – est entretenue pour en assurer la praticabilité, notamment en période de pluie. Le gros entretien est assuré et concerne notamment les ouvrages et les accotements.

J'ai tâché de vous donner une réponse concrète. Ayant épuisé mon temps de parole, je pourrai répondre plus longuement en aparté à vos autres questions.

Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS)
Nous débattons de l'aménagement durable en Guyane, mais comment parler d'avenir quand l'État administre encore ce territoire comme s'il lui appartenait ? Plus de 90 % du foncier guyanais est détenu par l'État français. Ce n'est pas neutre : cela signifie que ce sont des bureaux parisiens et non les habitants, les élus locaux, les peuples autochtones, qui décident d'accorder ou non le droit de se loger, de cultiver, d'exploiter la terre ou d'y vivre dignement.

Cette situation n'est pas le fruit d'un héritage figé, mais celui d'une politique active de maintien du pouvoir qui empêche la Guyane de choisir son modèle de développement et qui produit les résultats décrits par l'Insee : en périphérie, près d'un logement sur deux est classé comme habitat informel. L'État bloque l'accès au sol, puis criminalise les familles qui construisent faute d'alternative.

Cette politique produit aussi une dépendance alimentaire absurde : 95 % des aliments sont importés. Pourtant, la terre cultivable existe, mais elle n'est pas accessible à ceux qui pourraient nourrir la population. Elle produit enfin l'injustice ultime : les peuples autochtones n'ont aucun droit collectif reconnu sur leurs terres, alors même que l'État continue de délivrer des titres miniers sur des zones revendiquées. Ce modèle extractif contredit toute ambition écologique et bafoue les droits fondamentaux.

La Guyane n'a pas besoin de nouvelles promesses, mais de pouvoir. Elle a besoin que l'État cesse de décider seul, de loin, de ce qui doit être fait sur une terre qu'il ne vit pas, qu'il ne connaît pas et qu'il continue d'administrer comme un propriétaire colonial. Je vous poserai trois questions simples. Quand l'État cessera-t-il d'autoriser de nouvelles concessions minières sur des terres autochtones non sécurisées juridiquement ? Quand vous engagerez-vous à ouvrir enfin une négociation pour reconnaître des territoires autochtones protégés en Guyane, avec des droits fonciers collectifs conformes au droit international ? Quand, en application de l'engagement pris par l'État en 2017 dans le cadre de l'accord de Guyane, vous engagerez-vous sur la rétrocession de foncier aux collectivités locales ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
S'agissant du foncier, un travail est engagé et des transferts sont en cours. Nous pourrions probablement en faire davantage, mais on ne peut pas dire que rien n'est fait. Nous maintiendrons le mouvement engagé en 2017 et qui s'est construit depuis. La responsabilité de l'État consiste à poursuivre dans cette voie, mais pas seul : il a besoin de l'appui des collectivités locales pour déterminer dans un premier temps les terres qui doivent être transférées. Une évolution est sans doute possible sur ce point.

De même, en ce qui concerne le logement, l'État n'est pas resté inerte. La première opération d'intérêt national d'outre-mer prévoit la création, dans neuf communes guyanaises, de 17 000 logements sur une période de quinze ans. Ce n'est pas rien.

M. Jean-Victor Castor
La première opération date de vingt ans !

Mme Naïma Moutchou, ministre
La construction de 3 200 logements devrait avoir débuté au deuxième semestre de l'année 2026, ce qui représente un investissement de 200 millions d'euros.

Vous avez évoqué la pleine reconnaissance. Cette question importante devrait être discutée dans le cadre de débats de nature institutionnelle. Nous nous sommes engagés à poursuivre ces échanges lors de réunions de travail que nous organiserons sous peu – la première doit se tenir début décembre. La pleine reconnaissance fait partie des thématiques que nous aborderons avec les élus présents, parmi lesquels des parlementaires.

Je répondrai enfin à M. Castor en ce qui concerne le port en eau profonde. Le grand port de Guyane étudie cette hypothèse à titre prospectif. Mon collègue ministre des transports et moi-même sommes mobilisés pour accompagner les études, qui sont fondamentales au démarrage d'un tel projet. Le travail a donc été amorcé sur ce point.

Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu (GDR)
Je n'avais pas prévu d'intervenir, mais je pense qu'il serait utile que vous apportiez des précisions sur la question de la prison. À l'issue de la mobilisation sociale de 2017, un accord a été signé entre l'État, les élus guyanais et les collectifs qui avaient conduit la mobilisation, accord qui prévoyait notamment la construction d'une prison – jusque-là, tout va bien.

Ce qui ne va pas, c'est ce qui se passe depuis la visite en mai dernier du ministre Gérald Darmanin qui, au lieu de confirmer la construction de la prison telle qu'elle avait été prévue dans l'accord conclu avec les élus guyanais, a proposé d'en faire un troisième quartier de haute sécurité, destiné à accueillir 500 personnes. Il a lui-même mentionné le chiffre de 49 grands narcotrafiquants de Guyane et des Antilles, ce qui montre bien que de nombreux autres détenus seront envoyés de l'Hexagone. Tout cela sans consultation des Guyanais, en contradiction avec l'accord signé par l'État en 2017 à la suite des mobilisations sociales, et en rappelant à la Guyane qu'elle a été pendant longtemps une colonie pénitentiaire.

M. Elie Califer
C'était un bagne !

M. Stéphane Peu
Ces déclarations faites sans aucune concertation sont à tout le moins maladroites et portent même la marque du mépris. Vous devriez examiner cette question de près pour revenir à la lettre de l'accord de 2017 : ce qui avait été convenu avait recueilli l'assentiment de tous, à savoir la construction d'une prison moderne pour régler les problèmes judiciaires et d'insécurité en Guyane, et non pour y exporter nos délinquants les plus dangereux.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre
L'insécurité est un enjeu important et la construction de cette prison est nécessaire – vous avez rappelé les termes de l'accord. La nouvelle prison sera effectivement construite et il est prévu qu'elle comprenne un quartier de haute sécurité ; c'est comme cela que cela avait été pensé.

M. Jean-Victor Castor
Non, non !

Mme Naïma Moutchou, ministre
Il ne s'agit pas dans sa totalité d'une prison de haute sécurité, mais les quartiers de haute sécurité en font partie.

M. Jean-Victor Castor
Non, c'est ce que dit M. Damarnin, mais ce n'est pas vrai !

Mme Naïma Moutchou, ministre
Le ministre de la justice est revenu sur les propos qu'il avait tenus mentionnant le transfert de détenus hexagonaux parmi les profils dangereux : ce transfert ne se fera donc pas – je pense qu'il ne saurait y avoir d'ambiguïté sur ce point qui a fait l'objet d'une déclaration publique. Tout le monde s'accorde à dire qu'une nouvelle prison est nécessaire, dans laquelle un quartier de haute sécurité est prévu, mais il s'agit d'une prison faite pour les Guyanais et les Guyanaises, n'ayant pas de lien avec d'éventuels transferts depuis l'Hexagone.

Mme la présidente
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 27 novembre 2025