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Souveraineté agricole et alimentaire de la France : des fragilités "préoccupantes"

Temps de lecture  3 minutes

Par : La Rédaction

En matière agricole et alimentaire, la France est un pays encore majoritairement souverain. Détentrice de la plus grande surface agricole d'Europe (28,3 millions d'hectares en 2022), ses rendements sont parmi les plus hauts comparativement à ses voisins. La France est toutefois confrontée à de multiples défis.

Publié le 31 mars 2024 juste avant la présentation du projet de loi d'orientation agricole au Conseil des ministres du 3 avril 2024, le rapport du gouvernement se penche sur les questions de souveraineté agricole et alimentaire. C'est dans ce contexte également que le gouvernement s'est engagé à définir et à fournir des "indicateurs" de souveraineté agricole et alimentaire de manière régulière au Parlement. 

De multiples défis

Le changement climatique constitue une part importante des préoccupations agricoles. Les projections scientifiques relatives aux rendements agricoles révèlent une dégradation de la situation dans les années à venir en lien avec les divers aléas climatiques (gel, sécheresse, inondation). L'accès à l'eau, l'évolution des températures et le maintien de la fertilité des sols font également l'objet de préoccupations majeures. 

Par ailleurs, le rapport souligne la "très forte" dépendance de la France vis-à-vis des importations d'intrants comme les protéines végétales (engrais, tourteaux), l'azote minéral ou encore le phosphate.

D'autre part, l'évaluation de la souveraineté alimentaire par filière soulève des disparités entre les différentes filières et types de production. Si la France est "autosuffisante" pour 19 filières, 6 filières (fruits et légumes notamment) sont quant à elles dépendantes des importations. En outre, le niveau d'autonomie est aussi marqué par des variations selon le positionnement dans la chaîne de valeur. À titre d'exemple, la France est importatrice de farine et de pâtes alors même qu'elle est la première productrice et exportatrice européenne de céréales.

  • Quelles sont les principales mutations auxquelles sont confrontés les agriculteurs ?

    Les principales mutations sociales auxquelles sont confrontés les agriculteurs français et leurs familles sont de trois types.

    Premièrement, l'effacement démographique sans précédent de la population des chefs d'exploitation.

    Ils ne sont plus, ces agriculteurs, que 1,5 % de l'emploi total en France, soit à peu près 400 000 actifs agricoles.

    On n'a jamais eu aussi peu de chefs d'exploitation en France et il s'avère que dans les années qui viennent, à l'horizon 2026-2030, 50 % d'entre eux auront l'âge de partir à la retraite.

    C'est pas moins de 200 000 chefs d'exploitation qui seront susceptibles de quitter le métier dans les années qui viennent.

    Jamais aussi peu de chefs d'exploitation, jamais aussi peu d'actifs familiaux, c'est-à-dire tous ceux qui donnent des coups de main sur les exploitations, ces parents, retraités, ces enfants... sont de moins en moins nombreux.

    D'autre part, la plupart des chefs d'exploitation travaillent seuls sur des exploitations parce que leur conjoint, leur conjointe, travaille de plus en plus à l'extérieur.

    Seuls 18 % des chefs d'exploitation ont un conjoint ou une conjointe qui exerce le même métier.

    Donc, effacement, vieillissement de la population, baisse des chefs d'exploitation et des actifs avec des salariés qui voient leur nombre relativement stable.

    Mais je parle là des salariés embauchés directement par les chefs d'exploitation.

    Mais on voit que le salariat se développe d'une nouvelle manière, selon de nouvelles modalités.

    900 000 actifs non familiaux interviennent aujourd'hui dans les fermes françaises.

    Ce sont des salariés embauchés par des groupements d'employeurs, des CUMA (coopératives d’utilisation de matériel agricole), des entreprises de travaux.

    Donc on voit bien que le travail agricole se recompose autour de nouvelles figures de producteurs agricoles.

    À côté de cet effacement de la population, c’est la deuxième mutation majeure, une montée en diversité de ce qu'on va appeler les exploitations agricoles françaises, qui sont de plus en plus des entreprises comme les autres.

    C'est-à-dire qu'on a aujourd'hui 90 % de l'exploitation de type familial en France pour des raisons capitalistiques.

    Mais le métier y est de moins en moins exercé, selon une mobilisation d'un travail essentiellement familial.

    On a des exploitations de plus en plus diverses parce qu'elles portent des projets artisanaux pour certaines, industrielles pour d'autres, patrimoniaux encore pour certaines d'entre elles, et ce à l'échelle d'un même territoire.

    Quand trois agriculteurs sont encore présents à l'échelle d'une commune, vous pouvez être sûr qu'ils vont porter trois projets d'entreprise souvent très très différents.

    Et donc il y a un enjeu à accompagner cette montée en diversité.

    À côté des exploitations dites familiales, il y a des exploitations aux allures de firmes.

    Il y a à côté de ça des exploitations aux allures de subsistance.

    Donc le paysage de l'exploitation agricole est de plus en plus protéiforme.

    Et puis enfin, troisième mutation, moins il y en a de ces agriculteurs, plus la question agricole revient sur la table, si je peux me permettre l'expression.

    De plus en plus d'agriculteurs se pensent controversés dans leurs pratiques professionnelles, leur pouvoir est de plus en plus disputé à l'échelle des communes, même si il demeure un pouvoir agricole important puisque entre 12 et 14 % d'entre eux sont encore maires dans les communes françaises.

  • Quel est le profil des nouveaux agriculteurs ?

    Il est très difficile de dresser un portrait-type de ce qu'on va appeler les nouveaux agriculteurs.

    Je dirais même les nouveaux producteurs agricoles.

    En effet, l'agriculture est le plus souvent une étape dans une carrière professionnelle de plus en plus sinueuse.

    La plupart des nouveaux producteurs agricoles, des nouveaux installés, sont des personnes qui gardent un pied dans une autre activité professionnelle.

    Ils sont 30 % à être pluriactifs.

    Ils sont de plus en plus nombreux à être très bien formés.

    Qu'ils soient enfants d'agriculteurs ou non issus du monde agricole.

    Il faut savoir qu'ils sont 30 % à ne pas être issus du monde agricole à s'installer aujourd'hui.

    Et bien c'est après aussi une formation beaucoup plus complète, pas forcément agricole, mais aussi une formation parfois généraliste.

    Et donc ils arrivent avec de nouveaux projets, de nouvelles façons de considérer le produit, la commercialisation.

    C'est aussi pour ça qu'on trouve des nouveaux agriculteurs qui développent des circuits courts, de nouvelles façons de commercialiser et même dans des schémas plus conventionnels.

    Eh bien ces nouveaux producteurs cherchent à réinventer la manière avec laquelle ils vont produire dans un certain nombre de filières et ils portent des ambitions entrepreneuriales très, très diverses, qu'elles soient artisanales, patrimoniales ou industrielles.

    Mieux formés, souvent pluriactifs, mais également, on assiste à une arrivée plus importante de jeunes femmes parmi les moins de 40 ans.

    30 % des jeunes installés sont des femmes.

    Alors on n’assiste pas à une féminisation du métier - ce métier de chef d'exploitation demeure un métier essentiellement masculin - mais on voit qu'un certain nombre de jeunes cadres, de jeunes actives, de jeunes salariées font le choix de s'installer après une première étape dans leur carrière professionnelle.

    Et puis les nouveaux producteurs agricoles, ce sont aussi des jeunes chefs de culture, des jeunes chefs d'atelier, c'est-à-dire qu'on peut décider de s'insérer dans l'agriculture par les métiers du salariat, au service des exploitations.

  • Comment inciter les jeunes à s’orienter vers les métiers agricoles ?

    Parmi les axes prioritaires d'une politique permettant d'orienter les jeunes vers la profession agricole, vers les métiers de l'agriculture, il y a la sensibilisation finalement aux grands enjeux, aux grands défis que l'activité agricole cristallise.

    L'enjeu alimentaire, celui de la souveraineté alimentaire, l'enjeu de l'environnement, l'enjeu de l'emploi.

    Et donc il s'agit bien de former toute une nouvelle génération, non seulement à ces enjeux, mais à un secteur d'activité, à des métiers qui vont permettre de relever ces défis.

    Et parmi ces métiers, l'agriculture est peut-être le premier d'entre eux.

    Et donc il va falloir faciliter l'accès au foncier.

    On en parle très souvent à travers des foncières, en améliorant le financement de l'accès au foncier mais aussi au financement du capital d'exploitation.

    Il va falloir peut-être aussi imaginer dans le secteur agricole, admettre que des investisseurs pourront arriver pour contribuer à cet effort.

    Il va falloir peut-être aussi proposer des solutions pour que les conditions de travail soient améliorées.

    Et parmi les outils au service de l'amélioration des conditions de travail, il y a aussi les outils qui relèvent de ce qu'on va appeler le numérique.

    Alors bien entendu, les robots, les plateformes, ne vont pas remplacer les agriculteurs et les agricultrices, mais ils pourront peut-être les soulager dans certaines tâches.

    Du moins, on peut l'espérer.

    Et il va falloir aussi former davantage à ce qu'est une entreprise de plus en plus complexe et aujourd'hui, pour faire en sorte que ces entreprises soient reprises, il va falloir aussi qu'il y ait du revenu au bout.

    Il va falloir aussi proposer des contrats dans les filières attractifs permettant de sécuriser la vie sur une exploitation qui sera de plus en plus complexe, qui sera multi-spécialisée et qui devra répondre à des défis à la fois internes à l'exploitation et des défis externes, que ce soit les grands aléas économiques ou les grands aléas autour du changement climatique.

Quels axes d'amélioration ?

Face à ces constats, le gouvernement souhaite favoriser une certaine "résilience économique" des exploitations et des filières françaises sur laquelle reposerait à terme la souveraineté alimentaire et agricole de la France. Le rapport prend en exemple l'autonomisation progressive des importations d'intrants. 

De surcroît, dans cette volonté de limitation de dépendance en intrants, différents plans et stratégies sont ou vont être mis en place, c'est notamment le cas du plan "protéines végétales" et du futur plan de souveraineté sur l'azote. Une stratégie de limitation de la dépendance des itinéraires techniques aux produits phytopharmaceutiques de synthèse a également été mise en place par le gouvernement dans sa stratégie Écophyto 2030

Dans un contexte environnemental particulier, la planification écologique permet une amélioration de la "résilience" de l'agriculture face au changement climatique. De ce fait, la planification prévoit : 

  • la protection du sol de l'érosion ;
  • une évolution des assolements à l'échelle du pays et de l'exploitation ; 
  • la sélection variétale pour réduire la consommation d'eau ;
  • le développement des pratiques de l'agroécologie. 

Enfin, le gouvernement souhaite "élargir l'enjeu de la souveraineté alimentaire à une notion de souveraineté agricole" dont l'enjeu serait triple :

  • préserver les facteurs de production ; 
  • dégager des marges de manœuvres pour améliorer la souveraineté énergétique sans compromettre la souveraineté alimentaire ; 
  • mieux réguler les usages de la production agricole non-alimentaire. 

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