Selon la sénatrice Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi, la question de l'indépendance des médias occupe l'espace public depuis plusieurs années. Les controverses qui ont entouré certains mouvements capitalistiques récents, comme les rachats d'I-Télé en 2016 ou du Journal du dimanche en 2023, ont mis en lumière la question cruciale de la confiance dans l'information délivrée.
Si la presse écrite en France s'est dès le début du 19e siècle distinguée par son caractère de presse d'opinion, il a toujours existé un consensus sur la qualité et la véracité des informations délivrées. Deux évolutions ont cependant marqué ces dernières années la presse :
- la concurrence des grandes plateformes numériques et des réseaux sociaux, capables de diffuser instantanément toute forme d'information tout en asséchant les ressources économiques des médias traditionnels ;
- et, en réponse, "l'arrivée des chaînes d'information en continu et des émissions dites "de plateau" sur le modèle américain où l'actualité est analysée par des commentateurs, parfois au détriment de la recherche et de la vérification de l'information".
Ces deux mouvements ont abouti "au paradoxe que l'information n'a jamais été disponible si rapidement et jamais elle n'a paru aussi peu fiable et elle-même sujette à controverses et débats."
La proposition de loi entend tirer les premiers enseignements des travaux des États généraux de l'information (octobre 2023-juillet 2024), qui ont souligné l'inadéquation du cadre législatif aux grands mouvements qui agitent le monde de l'information. Toutefois, elle a été largement remaniée par les sénateurs qui ont supprimé plusieurs de ses mesures.
Lors des débats, la ministre de la culture a annoncé qu'un projet de loi consacré aux médias et issu des conclusions des États généraux de l’information serait déposé en 2025.
L'essentiel de la proposition de loi
La proposition de loi renforce les comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes (CHIPIP) au sein des médias audiovisuels, dont les résultats sont considérés jusqu'à aujourd'hui "peu probants". Ces comités, institués par la loi dite "Bloche" du 14 novembre 2016 et composés de personnalités indépendantes, devront :
- rendre publique la liste de leurs membres ;
- publier l'ensemble de leurs avis et leur bilan annuel ;
- mettre en place un mécanisme de saisine en ligne facilement accessible, anonyme et garantissant la confidentialité des échanges (par exemple au moyen d'un onglet dédié sur le site Internet du média).
Un membre du CHIPIP assistera de droit aux conseils d’administration et de surveillance de la chaîne ou de la radio ou, pour les associations, aux assemblées générales.
La proposition de loi instaure également deux mécanismes destinés à améliorer le contenu et l'effectivité des chartes déontologiques des journalistes, imposées aux rédactions par la loi "Bloche" de 2016. Ces chartes devront :
- se référer aux trois grands textes fondateurs du cadre déontologique des journalistes (Charte d'éthique professionnelle des journalistes [1918], Déclaration des droits et devoirs des journalistes [1971], Charte d'éthique mondiale des journalistes [2019]) ;
- être publiées sur le site internet des éditeurs de presse ou d'audiovisuelle et être transmises au Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), qui en garantira l'accès pour le public sur son site Internet.
Des dispositions sur la protection des sources complètent le texte. Le droit à la protection du secret des sources est étendu :
- à tous les journalistes exerçant leur profession dans le cadre fixé par le code du travail (qui travaillent pour des entreprises ou agences de presse ou des médias audiovisuels) ;
- aux directeurs de publication ou de rédaction.
Enfin, l'effectivité des droits voisins des éditeurs et des agences de presse est améliorée. La loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse protège les agences et les éditeurs de presse dont les contenus sont reproduits et diffusés comme libres de droit par les grands acteurs d'Internet (les GAFAM comme Google, Meta). La proposition de loi renforce la transparence de la négociation de la rémunération entre éditeurs, agences de presse et plateformes numériques. Les plateformes auront l'obligation de fournir des éléments pour permettre d'éclairer les négociations, dont la liste sera fixée par décret. A défaut, l’Autorité de la concurrence saisie pourra leur infliger une astreinte maximum de 5% de leur chiffre d'affaires mondial total journalier moyen par jour de retard.
L'Assemblée nationale doit à présent examiner le texte.
Plusieurs mesures de la proposition de loi supprimées
Les sénateurs ont supprimé plusieurs dispositions :
- l'article 1er qui visait à renforcer le rôle de l'Arcom en matière de pluralisme de l'information, en donnant une valeur législative à la décision du Conseil d'État du 13 février 2024 dans une affaire opposant l'association Reporters sans frontières (RSF) à la chaîne CNews ;
- l'article 2 qui complétait les sanctions pouvant être prononcées par l’Arcom ;
- l'attribution au CDJM d'une mission de contrôle des chartes déontologique ;
- l'extension de la protection du secret des sources aux collaborateurs de rédaction, en raison du risque de censure constitutionnelle encouru ;
- l'article 6 qui instaurait, dans la presse écrite et audiovisuelle, un droit d'agrément des rédactions sur le choix de leur directeur ;
- une nouvelle définition pour les publications de presse pour renforcer l’effectivité des droits voisins. Les sénateurs ont estimé que la définition actuelle retenue dans la loi du 24 juillet 2019 reprend exactement celle qui figure dans la directive européenne du 17 avril 2019.
Cette page propose un résumé explicatif du texte pour le grand public. Elle ne remplace pas le texte officiel.