Pilier de la démocratie, la liberté des médias est d'abord celle de la presse avant de s'étendre aux médias audiovisuels et à l'internet. Les médias jouent un rôle clé dans la libre circulation des informations et des opinions.
La liberté des médias vise à garantir une participation éclairée des citoyens au débat public. Partie intégrante des droits fondamentaux, elle est corollaire de la liberté de pensée, d'opinion et d'expression et une condition première au droit de vote et d'association.
Liberté des médias, comment se place la France à l'échelle internationale?
En France, l'Autorité de régulation de l'audiovisuel et du numérique (Arcom) veille au respect du cadre législatif spécifique aux médias audiovisuels et numériques. Elle régule le pluralisme des médias. L'autorité administrative indépendante contribue à une veille sur les évolutions de l'environnement médiatique. Elle contrôle la mise en conformité des acteurs avec les règlements nationaux et européens.
Différents classements évaluent les risques et les menaces pesant sur la liberté et le pluralisme des médias (classement de Reporters sans frontières RSF, MPM, 2024...). Ils rendent possible une comparaison entre les pays.
La France est considérée comme un pays à risque moyen en ce qui concerne la liberté des médias. Des améliorations peuvent être apportées en matière de transparence de la propriété et d'empêchement des violences et intimidations s'exerçant sur les journalistes. La liberté des médias répond, comme toutes les libertés, de certaines limites. Ces dernières doivent cependant être repensées au regard des évolutions de l'environnement médiatique et des nouveaux acteurs qui l'animent. Un nouveau règlement européen sur la liberté des médias (Euuropean Media Freedom Act, EMFA) a été adopté par l'Union européenne (UE) en mai 2024.
Quel cadre en France pour la liberté des médias?
Principes et limites
En consacrant le principe de la liberté d'expression, la Révolution française permet une multiplication des journaux et l'avènement d'un journalisme fondé sur la communication des opinions et le compte rendu des actes du pouvoir (Chupin I., Hubé N. et Kaciaf N. (2012), Histoire politique et économique des médias en France, La Découverte). Avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, la liberté de la presse passe d'une liberté de fait à une liberté de droit (article 11 : "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi").
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse propose une transformation importante du régime juridique en faisant dépendre la presse du ministère de la Justice et non plus de l'intérieur. Dès lors, le "directeur de publication" endosse la responsabilité civile et pénale des écrits de ceux qu'il publie. Les deux catégories de limites à la liberté d'expression en France sont la diffamation et l'injure d'une part, les propos appelant à la haine (apologies de crimes contre l'humanité, propos antisémites, racistes ou homophobes) d'autre part.
Dans une recherche historique sur la "police de l'espace public", cinq stratégies de contrôle des médias mises en œuvre par les gouvernements sont identifiées (Tréguer F. (2019), L'utopie déchue. Une contre-histoire d'Internet. XVe-XXIe siècle, Fayard) :
- la censure ;
- la surveillance ;
- le secret ;
- la propagande ;
- la centralisation des technologies de communication.
Elles se déclinent aujourd'hui sous des formes différentes en fonction des médias et des espaces où circule l'information.
Menaces sur la liberté des médias en France
En 2024, la France est placée en 21e position dans le classement de Reporters Sans Frontières (RSF) pour la liberté de la presse et en 8e position parmi les pays européens en matière de liberté et de pluralisme des médias selon l'étude du Media Pluralism Monitor (voir graphiques). Les résultats de ces classements sont plutôt positifs, même si leur valeur en elle-même reste limitée. La France s'appuie sur un cadre légal et réglementaire jugé favorable, elle dispose d'outils de régulation pour lutter contre les conflits d'intérêts et protéger la confidentialité des sources. Ces derniers sont toutefois qualifiés "d'insuffisants, inadaptés et dépassés" (RSF, 2024).
Les principales préoccupations concernent les poursuites-bâillons, action en justice visant à intimider et à faire taire un journaliste ou lanceur d'alerte, et les atteintes à la sécurité des journalistes.
Ces dernières peuvent être de différentes natures, allant de la détention des journalistes (Ariane Lavrilleux du média indépendant Disclose en 2023) à la menace sur leur sécurité physique lors de manifestations, de conflits sociaux ou d'émeutes urbaines (conflit sur les retraites, émeutes consécutives à la mort de l'adolescent Nahel à l'été 2023). Des projets de texte permettant la surveillance électronique des journalistes ont cependant été écartés :
- censure du Conseil constitutionnel d'un article de la loi du 16 novembre 2023 qui aurait pu autoriser l'identification d'une source ou des données collectées à partir d'un appareil électronique ;
- révision de l'article 4 de l'EMFA introduisant des exceptions au nom de la sécurité nationale permettant d'espionner les journalistes, dénoncée par les syndicats de journalistes et finalement abandonnée) (Ouakrat A., Sklower J. (2024), "Le pluralisme des médias en contexte numérique. Application du Media Pluralism Monitor aux États membres de l'Union européenne et aux pays candidats en 2023", rapport, France, CMPF).
En 2023, le rapport sur l'État de droit dans l'UE mentionne que la France "n'a accompli aucun progrès supplémentaire dans le domaine du renforcement de la transparence en matière de propriété des médias, en particulier en ce qui concerne les structures d'actionnariat complexes". Sur cette base, il lui est recommandé "d'intensifier ses efforts". Les ressources attribuées à l'Arcom sont estimées "adéquates" et le niveau de risque sur son indépendance faible (MPM, 2024). Par ailleurs, sont soulignés :
- les difficultés de financement pérenne engendrées par la suppression de la redevance audiovisuelle pour l'indépendance de l'audiovisuel public ;
- le fait que les journalistes continuent d'être exposés à des menaces et des attaques, malgré des mesures conçues pour renforcer leur sécurité dans le contexte des manifestations et conflits sociaux (comme le nouveau schéma du maintien de l'ordre).
L'accès à l'information et les aides publiques, obstacles à l'indépendance des médias français ?
L'accès à l'information est une condition nécessaire à la transparence des affaires publiques. En la matière, tous les médias ne sont pas logés à la même enseigne. L'accès aux coulisses de la décision politique sur les actes de gouvernement est discrétionnaire et inégal. Par ailleurs, la raison d'État constitue parfois un obstacle au travail journalistique, notamment à travers le secret défense, qui recouvre une acception plus ou moins large selon les pays. La France adopte plutôt une perspective extensive à cet égard.
Les aides publiques sont attribuées selon des critères spécifiques tels que le nombre d'exemplaires diffusés ou de lecteurs, la périodicité des journaux, leur appartenance à la catégorie de l'Information Politique et Générale (IPG) ou de faibles revenus publicitaires. Estimées à plus de 1,1 milliard d'euros par an au total, les aides publiques se divisent en aides directes (aides au pluralisme, fonds stratégique de développement, fonds de soutien à l'émergence et l'innovation) et en aides indirectes (réductions fiscales, taux de TVA réduit, aides postales, soutien à l'AFP). La distribution des aides est sujette à contestation car elle favorise les titres de la presse imprimée les plus reconnus, parfois possédés par de riches entrepreneurs (comme en France Bernard Arnault, Xavier Niel ou Vincent Bolloré). La discussion porte sur le périmètre des aides, leur allocation et la concentration autour d'un petit nombre de titres. La Cour des comptes a à plusieurs reprises critiqué le système de ces aides (rapport de 2013, rapport de 2018, rapport 2023). À l'inverse du financement des annonceurs par la publicité commerciale, des gouvernements ou collectivités pour la publicité institutionnelle, les aides reposent cependant sur des critères transparents et une commission publique, la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). Elle définit les titres éligibles à ces aides. Ainsi, le risque de suppression arbitraire de ces aides semble moins élevé. Seules la reconsidération du statut d'une publication par la CPPAP, comme France Soir, ou les condamnations en justice, par exemple pour incitation publique à la haine, la violence ou la discrimination, peuvent donner lieu à une suppression des aides publiques.
Les subsides publics pourraient créer une situation de dépendance économique des médias à ce type de financement, voire influer sur les sujets traités et le rapport au gouvernement. Cependant, à notre connaissance, aucune mesure de rétorsion en France n'est documentée dans la littérature universitaire ou la presse. L'éventuelle collusion avec le gouvernement passe davantage par la crainte de perdre l'accès aux sources, et donc à l'information, qu'aux aides publiques.
Pour répondre de façon plus spécifique aux cas urgents de mise en danger de la sécurité des journalistes, le Conseil de l'Europe propose une plateforme pour la promotion de la protection des journalistes et leur sécurité. Le Media Freedom Rapid Response (MFRR) est un outil de signalement et de caractérisation des atteintes à la sécurité des journalistes à travers l'Europe. Co-financé par l'Union Européenne (UE), il associe des ONG de défense de la liberté de la presse. En 2023, l'initiative a enregistré au total 110 alertes pour 134 personnes attaquées lors de l'année 2022 en France. Ces alertes sont de différentes natures. 39 concernent les agressions physiques, mais il peut aussi s'agir d'intimidations, de vols ou d'endommagement du matériel professionnel, d'amendes ou d'arrestations. Concernant les atteintes à la sécurité des journalistes, les manifestants semblent être davantage en cause que les policiers selon le nombre de signalements. Toutefois, il est évident que les interférences policières avec le travail journalistique sont plus préoccupantes.
L'action publique européenne en matière de liberté des médias
En août 2025, le règlement européen sur la liberté des médias (EMFA) sera appliqué au sein de l'UE. Il complète le Digital Service Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA), deux règlements ayant ouvert la voie à une approche graduée et différenciée de la régulation. Précisément, il s'agit pour l'Europe de prendre en compte "l'impact systémique" et "structurant" des plus importantes plateformes de services et d'applications numériques dans l'accès à l'information des publics (Sonnac N. (2023), Le nouveau monde des médias. Une urgence démocratique, Odile Jacob).
Dès lors, elles sont soumises à un régime spécifique d'obligations de transparence, compte tenu de leur pouvoir de marché. En effet, l'oligopole formé par les principales plateformes numériques se traduit par une responsabilisation plus importante en raison des conséquences potentielles de leurs activités pour les publics et les acteurs tiers (comme les éditeurs de médias) (Ouakrat A. (2020), "Négocier la dépendance ? Google, la presse et le droit voisin", Sur le journalisme, volume 9, N°1, p.44-57.). En février 2025, l'European Board for Media Services (EMBS) sera mis en place pour superviser et coordonner l'action des régulateurs nationaux à l'échelle européenne. Il s'agit à la fois d'un remplacement et d'une extension des missions de l'actuelle Fédération européenne des régulateurs audiovisuels nationaux (ERGA).
L'adoption d'une définition extensive des médias a été nécessaire afin de pouvoir réglementer l'espace informationnel numérique à partir d'une approche graduée et différenciée selon le niveau de protection et de responsabilité jugé nécessaire pour chaque type d'acteur. Ainsi, "tous les acteurs impliqués dans la production et la diffusion" de l'information, quel qu'en soit le canal ou le format, sont intégrés à la législation européenne. Les acteurs qui ne participent qu'à la circulation des informations (et non par exemple à leur production) doivent répondre d'un niveau de responsabilité spécifique.
La définition européenne des médias
Trois types d'acteurs sont désormais reconnus : les médias grand public, les autres acteurs médias et les acteurs technologiques et assimilés (The European Media Freedom Act: media freedom, freedom of expression and pluralism, Study for the European Parliament).
Les médias grand public agissent comme des médias, ont des buts et des objectifs liés à ceux des médias, exercent un contrôle éditorial, se reconnaissent dans les standards professionnels du journalisme, cherchent à obtenir une audience et une diffusion auprès du grand public et à satisfaire les attentes du public. Il s'agit des médias imprimés (journaux et périodiques), audiovisuels (radio, télévision, médias de service public, locaux, etc.) et audiovisuels non-linéaires (vidéo à la demande), des sites web et applications d'actualité, des éditeurs imprimés et en ligne ainsi que des journalistes professionnels. Les autres acteurs médias sont les bloggeurs, les ONG, les journalistes-citoyens, les lanceurs d'alerte, les utilisateurs de médias sociaux connus, les podcasteurs, etc. qui contribuent au débat public et réalisent des activités journalistiques ou d'intérêt général. Enfin, les acteurs technologiques et assimilés ("intermédiaires et services auxiliaires") permettent l'accès aux médias et ne devraient pas exercer de contrôle éditorial (raison pour laquelle ils répondent en ce domaine d'une responsabilité limitée). Les acteurs considérés sont alors les services et réseaux de communications électroniques, les services intermédiaires (moteurs de recherche, plateformes de partage de vidéos, réseaux sociaux, etc.), les équipementiers (fabricants de télévisions connectées, de mobiles ou d'équipements domotique), les annonceurs et les agences de publicité.
Fondé sur la révision de la directive "Services de médias audiovisuels" (directive SMA) dont elle étend le champ d'application à la radio, à la presse et au numérique, l'EMFA est un nouvel ensemble de règles et de mécanismes en faveur de la promotion du pluralisme et l'indépendance des médias dans l'ensemble de l'UE. Le règlement a pour objectif d'encourager :
- le développement des médias de service public indépendants et disposant d'une source de financement stable ;
- la transparence en matière de propriété des médias ;
- la protection de l'indépendance éditoriale ;
- la mise en place de garde-fous visant à garantir le pluralisme des médias et à en empêcher la concentration ;
- la création du comité européen pour les services de médias.
L'EMFA établit également des mécanismes renforcés de coopération entre les autorités et organismes de régulation des États membres. L'UE cherche à centraliser les informations sur la propriété des médias ainsi que l'octroi des subventions aux médias locaux, régionaux et nationaux afin de renforcer le pluralisme. Il s'agit aussi de consolider le mécanisme de réaction rapide visant à apporter une aide concrète aux journalistes menacés (MFRR), de mettre à disposition un fonds de soutien d'urgence pour les journalistes d'investigation et les organisations de médias. Enfin, le développement de l'instrument de surveillance du pluralisme des médias pour recenser l'évaluation des menaces et des risques éventuels pour le pluralisme des médias (MPM) est souhaité.
Depuis 2020, le rapport annuel sur l’État de droit produit par la Commission européenne prend le "pouls de la situation en matière d'état de droit dans chaque État membre et dans l'ensemble de l'UE, en détectant et en prévenant les nouveaux problèmes ainsi qu'en soutenant les réformes en matière d’État de droit" (Commission européenne, 2023). L'un des quatre piliers de l'État de Droit est la liberté et le pluralisme des médias, aux côtés de la justice, la lutte contre la corruption et les questions institutionnelles plus globales liées à l'équilibre des pouvoirs. La revue annuelle de l’État de droit est directement informée par le Media Pluralism Monitor (MPM). Les aspects considérés sont :
- l'indépendance des autorités de régulation des médias ;
- la transparence en matière de propriété des médias, la transparence et l'équité de l'allocation des dépenses pour la publicité d'État ;
- la sécurité des journalistes et l'accès à l'information.
Le Media Pluralism Monitor, qui fête ses dix ans en 2024, est une étude annuelle sur la liberté et le pluralisme des médias, coordonnée par le CMPF de l'Institut universitaire européen de Florence. Le rapport évalue le niveau de risque et de menace selon 20 indicateurs organisés en quatre catégories : les protections fondamentales, le pluralisme de marché, l'indépendance politique et l'inclusion sociale. Chacune des 200 variables correspond à une évaluation quantitative du niveau de risque (faible, moyen, élevé) et à une évaluation qualitative appuyée sur des sources de différentes natures (législatives, institutionnelles, médiatiques, etc.). L'étude vise à identifier les faits marquants et les évolutions d'une année sur l'autre.
| Dispositif | Acteur | Type | Échelle | Description |
|---|---|---|---|---|
| Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen | État français | Réglementation | Nationale | Texte servant de préambule à la Constitution française |
| Loi de 1881 sur la liberté d'expression | État français | Réglementation | Nationale | Texte de référence concernant la liberté d'expression et le droit de la presse |
| Avis, décisions, rapports | Arcom | Régulation | Nationale | Autorité de régulation de l'audiovisuel et du numérique |
| DSA | UE | Réglementation | Européenne | Règlement concernant les services numériques |
| DMA | UE | Réglementation | Européenne | Règlement concernant les marchés numériques |
| EMFA | UE | Réglementation | Européenne | Règlement concernant la liberté des médias et la sécurité des journalistes |
| Avis, décisions, rapports | EBMS | Régulation | Européenne | Fédération des régulateurs nationaux audiovisuel et numérique |
| Media Freedom Rapid Response (MFRR) | Conseil de l'Europe | Régulation | Européenne | Plateformes de recensement des alertes sur les atteintes à la sécurité des journalistes |
| Media Pluralism Monitor (MPM) | CMPF-IUEF | Évaluation | Européenne | Évaluation des risques et des menaces pesant sur la liberté des médias et le pluralisme |
| Classement liberté de la presse | RSF | Évaluation | Mondiale | Évaluation de la liberté de la presse associée à un score par pays |
Une politique concurrentielle insuffisante ?
L'environnement numérique évolue rapidement et la définition même des médias a connu une transformation profonde. L'information est créée, consommée et partagée différemment au moyen des services et applications numériques.
Il est fort probable que l'économie politique basée principalement sur la politique concurrentielle soit insuffisante à endiguer les menaces et les risques que fait peser sur la démocratie le pouvoir de marché considérable des grandes plateformes. L'hybridation des registres du marché et des libertés connaît certaines limites qui, si elles permettent l'expérimentation d'un modèle de gouvernance coopérative entre les plateformes et la Commission européenne ou la mise en place d'un méta-régulateur européen fédérant les autorités de régulation nationales, ne doivent pas exclure de son champ d'action le contrôle des concentrations et des entraves économiques et politiques à la liberté des médias et des journalistes.