La députée auteure du texte, Aurore Bergé, devenue depuis ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations, considère que la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité en matière d'égalité. Son initiative s'inscrit dans un contexte d'avancées législatives obtenues ces dernières années (allongement de 20 à 30 ans du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur les enfants en 2018, création du bracelet anti-rapprochement, double seuil de non-consentement pour mieux punir les actes sexuels commis sur les enfants en 2021, aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales en 2023...).
Chaque année, 217 00 femmes âgées de 18 à 74 ans sont victimes de viols, de tentatives de viol et/ou d'agressions sexuelles. Seules 6% d'entre elles portent plainte. Le taux de classement sans suite demeure très élevé : 86% pour les affaires de violences sexuelles et 94% pour les viols. L'insuffisance de caractérisation des infractions est un des facteurs expliquant ces chiffres.
Pour pallier ces lacunes, la proposition de loi, qui a été complétée et modifiée par les parlementaires et le gouvernement, porte une série de mesures.
Harcèlement et attitudes coercitives au sein du couple
Les sénateurs ont complété et enrichi la définition du harcèlement sur conjoint, en s'inspirant de la notion de contrôle coercitif.
La notion de contrôle coercitif est apparue dans la littérature féministe des années 1970 et a été théorisée en 2007 par le sociologue des violences conjugales Evan Stark. Absente actuellement du code pénal, elle a été mentionnée pour la première fois par une juridiction en 2024 (cinq arrêts de la cour d'appel de Poitiers).
Cette notion permet de décrire la stratégie des auteurs qui y ont recours, dans le cadre d'une relation conjugale actuelle ou passée. Le contrôle coercitif se traduit par une accumulation d'actes qui visent à isoler, contrôler et intimider la victime : contrôler les liens de la victime avec son entourage, réduire son autonomie financière, surveiller ses activités quotidiennes, manipuler ses droits parentaux...
Le texte, tel que modifié par les députés, prévoyait la création d'un nouveau délit de contrôle coercitif mais les sénateurs l'ont supprimé, craignant une censure constitutionnelle au regard de la fragilité des notions ("la peur", "la crainte"...) sur lesquelles reposait la définition adoptée.
Si la notion de "contrôle coercitif" n'apparaît plus dans la version du Sénat, on y retrouve des éléments constitutifs d'une attitude coercitive. Constitueront ainsi le délit de harcèlement sur conjoint "les propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de restreindre gravement la liberté d'aller et venir de la victime ou sa vie privée ou familiale ou de contraindre sa vie quotidienne par des menaces ou des pressions psychologiques, économiques ou financières".
La peine encourue pour le délit de harcèlement, prévu à l'article 222-33-2-1 du code pénal, est de 3 ans de prison et 45 000 euros d'amende maximum. Elle peut être augmentée à 5 ans voire 10 ans de prison en cas de circonstances aggravantes : incapacité totale de travail (ITT) de plus de 8 jours, présence d'un mineur, suicide de la victime. Les sénateurs ont étendu la liste des circonstances aggravantes : particulière vulnérabilité de la victime...
À noter : le contrôle coercitif est criminalisé en Grande‑Bretagne, en Écosse, au Canada et dans certains États américains.
Prescription, auditions et circonstances aggravantes
La proposition de loi étend aux victimes majeures de viol le principe de la prescription glissante, appliqué aux crimes et délits sexuels commis sur mineurs depuis la loi du 21 avril 2021. Les sénateurs ont ajouté des précisions sur l'applicabilité de la prescription glissante, en distinguant les cas où la première infraction sexuelle commise est un délit ou un crime. Ils ont en revanche supprimé une disposition qui prévoyait que les règles sur l'interruption du délai de prescription applicables aux victimes mineures seraient étendues aux majeurs.
Tel qu'amendé au Sénat, le texte allonge également à 30 ans (contre 20 aujourd'hui) la durée de prescription en matière civile en cas d'actes de torture, de barbarie ou de violences sexuelles commises sur un enfant (soit la même durée de prescription qu'en matière pénale). Les victimes mineures auront ainsi 30 ans pour demander l'indemnisation de leur préjudice. Le texte initial prévoyait une imprescriptibilité civile des viols commis sur des enfants, qui avait été supprimée par les députés.
Afin d’améliorer la prise en charge des victimes, les sénateurs ont introduit un amendement qui rend possible l’enregistrement audiovisuel par la police ou la gendarmerie des auditions des victimes majeures de viol ou d'agression sexuelle, avec leur accord. Cette mesure est déjà appliquée pour les enfants victimes.
De nouvelles circonstances aggravantes ont été créées en cas de viol. Ce crime sera puni de :
- 30 ans de prison en cas de viols sériels (comme dans les affaires du violeur de la Sambre ou des viols de Mazan), ou en cas de pluralité de circonstances aggravantes mentionnées à l'article 222-24 du code pénal (par exemple si le violeur a autorité sur la victime et qu'il l'a droguée) ;
- 20 ans de prison pour les viols filmés par l'auteur, les viols perpétrés par effraction dans le lieu où se trouve la victime (à son domicile, sur son lieu de travail...) et les viols commis avec préméditation ou guet-apens.
Les sénateurs ont supprimé deux mesures votées par l’Assemblée nationale : l'allongement de la durée maximale de garde à vue à 72 heures pour les meurtres et viols conjugaux et la remise d'un rapport sur la lutte contre l'inceste. Ils ont en revanche voté un amendement gouvernemental qui précise que les professionnels de la protection de l'enfance devront être formés à la détection des infractions sexuelles sur les enfants.
L'Assemblée nationale doit désormais examiner la proposition de loi en deuxième lecture.
Cette page propose un résumé explicatif du texte pour le grand public. Elle ne remplace pas le texte officiel.