L'abolition de la peine de mort : deux siècles de combat (2/4)

L’Actualité de la vie publique - podcast - N° 23

Temps de lecture  11 minutes 36 secondes

Par : La Rédaction

Podcast

Robert Badinter

La loi abolissant la peine de mort en France a été promulguée le 9 octobre 1981. Le podcast « L’Actualité de la vie publique » vous propose une nouvelle série consacrée à cette grande loi de la Ve République. Quelles ont été les grandes étapes du combat pour l’abolition ?

L'abolition de la peine de mort : deux siècles de combat (2/4)

[GÉNÉRIQUE]

Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.

Signature sonore

Patrice : Bonjour à tous, bonjour Stéphanie

Stéphanie : Bonjour Patrice

Introduction de la série

Patrice : Il y a 40 ans, presque jour pour jour, débute à l’Assemblée nationale le débat qui conduira les parlementaires à voter la loi abolissant la peine de mort en France. Cette loi promulguée, le 9 octobre 1981, vient mettre un terme à un combat, qui aura vu s’affronter, en France, pendant près de deux siècles, les partisans et les opposants à la peine capitale.

Notre podcast « L’Actualité de la vie publique » vous propose une nouvelle série consacrée à cette grande loi de la Ve république.

Dans ce deuxième épisode, nous remonterons le cours de l’histoire pour nous intéresser à l’origine - très ancienne - de la peine capitale et nous pencher sur les 190 ans de lutte menée par les abolitionnistes.

[GÉNÉRIQUE]

  • 1. Patrice : Première question Stéphanie quelle est l’origine de la peine de mort ?

    Stéphanie :Le texte juridique le plus ancien de l’histoire dans lequel la peine de mort figure comme sanction pénale est le code d’Hammurabi. Nous sommes en Mésopotamie dans le Royaume de Babylone dans les années 1730 avant J.-C.. A cette époque, la justification de l’application de la peine de mort repose sur le principe de la Loi du Talion qui consiste à établir une juste réciprocité entre la peine et le crime. Ce principe se traduit dans l’expression populaire que vous connaissez sans doute Patrice ?

    [Intervention Patrice : « œil pour œil, dent pour dent ! C’est cela »].

    Stéphanie : Parfaitement !

    [Intervention Patrice : L’origine de la peine de mort et sa codification sont-ils concomitants de la naissance du droit et de la justice ?]

    Stéphanie : Oui absolument ! L’idée est d’éviter le recours à la vengeance en instaurant une forme de justice pénale impartiale. Quant à la peine de mort, elle apparaît à une époque où l’emprisonnement – quasiment inexistant – ne figure pas parmi les peines. Le but poursuivi avec le châtiment suprême est de dissuader les individus de violer les règles de vie de la communauté et de mettre hors d’état de nuire le coupable. La peine de mort deviendra au fil des siècles une sanction universellement codifiée et appliquée.

  • 2. Patrice : Et de quelle époque date le début du combat en faveur de l’abolition ?

    Stéphanie :La naissance du mouvement abolitionniste peut être datée de la publication, en 1764, du livre du philosophe italien des Lumières, Cesare Beccaria, intitulé Des délits et des peines. Cet aristocrate, également juriste, jette, dans cet ouvrage, les bases de la conception du droit pénal moderne, qui se fixe comme objectif de rendre la peine proportionnelle au délit. Beccaria lance le premier plaidoyer contre l’application de la peine de mort, châtiment qu’il considère comme une pratique barbare, ni utile, ni nécessaire. Il recommande plutôt de chercher à prévenir le crime plutôt qu’à le réprimer. Suivant les recommandations de Beccaria, le Grand-Duché de Toscane est le premier État à abolir la peine de mort en 1786.

    [Intervention Patrice : Comment, Stéphanie, les idées de Cesare Beccaria se diffusent-elles en France ?]

    Stéphanie : Des délits et des peines est rapidement traduit et diffusé dans toute l’Europe provoquant une véritable prise de conscience. En France, les philosophes des Lumières Voltaire et Diderot font la promotion du livre de Beccaria. Cette œuvre lance véritablement le débat entre les tenants de la prévention et les partisans de la répression.

    [Intervention Patrice : C’est bien en France qu’a lieu le premier débat parlementaire sur l’abolition, n’est-ce pas ?]

    Stéphanie : En effet, le premier débat parlementaire de l’histoire sur la peine de mort a lieu en France durant la Révolution : le 30 mai 1791 un projet de loi sur l’abolition est déposé à l’Assemblée constituante - première assemblée constituante française.

    Vous le voyez c’est un long combat de près de deux siècles qui a conduit à l’abolition de la peine de mort comme le rappelle Robert Badinter dans le discours qu’il a prononcé le 17 septembre 1981 à l’Assemblée nationale. Écoutons-le :

    ARCHIVE SONORE EXTRAIT DISCOURS ROBERT BADINTER

    Stéphanie : Si la peine de mort n’est finalement pas abolie, une loi est votée en octobre 1791 qui supprime la torture – qui était souvent un préalable à l’exécution – et uniformise le mode d’exécution. La décapitation qui était un privilège réservé à la noblesse devient la norme pour tous les condamnés.

    [Intervention Patrice : Et c’est de cette époque que date la généralisation du recours à la guillotine ?]

    Stéphanie : Oui le code pénal français spécifie à cette date que « Tout condamné aura la tête tranchée ». Ce mode opératoire perdurera jusqu’à l’abolition. L’usage de la guillotine est généralisé pour tous les civils. Une avancée importante pour les abolitionnistes est la réduction du nombre de crimes passibles de la peine capitale qui de 115 passe à 32.

    [Intervention Patrice : Mais durant la Révolution, la Convention nationale – qui a succédé en 1792 à l’Assemblée nationale législative, en tant que pouvoir législatif, et fondé la première République - ne prend-t-elle pas la décision d’abolir la peine de mort ?]

    Stéphanie : En effet, lassée des milliers d’exécutions commises durant la Terreur entre 1793 et 1794, la Convention nationale vote le 25 octobre 1795 (c’est-à-dire le 4 brumaire an IV du calendrier révolutionnaire) - une loi qui proclame que la peine de mort sera abolie en France à dater de l’instant où la paix générale sera rétablie. La France est à cette époque en guerre contre les monarchies européennes. Mais au retour de la paix, en 1802, Napoléon Bonaparte est au pouvoir et se montre hostile à l’abolition. La loi votée par la Convention nationale en 1795 ne sera finalement pas appliquée.

  • 3. Patrice : Les débats parlementaires, Stéphanie, entre abolitionnistes et antiabolitionnistes se poursuivent en France tout au long du XIXe siècle, quels en sont les temps forts ?

    Stéphanie : Dans les années 1830, une réforme du code pénal réduit encore le champ d’application de la peine de mort et généralise les circonstances atténuantes. Le poète Alphonse de Lamartine, élu député en 1833, prononce en 1838 à la Chambre des députés un discours remarqué en faveur de l’abolition. Dix ans plus tard, sous la deuxième République, c’est au tour de Victor Hugo, qui est élu à la députation en juin 1848, de défendre à la l’Assemblée nationale des amendements en faveur de l’abolition totale de la peine capitale. En 1848, la peine de mort n’est abolie que dans le cas des crimes politiques.

    [Intervention Patrice : Après l’échec de ces différentes tentatives, en dépit du soutien de parlementaires illustres comme Lamartine ou Hugo, il faut attendre le début du XXe siècle pour assister à une nouvelle tentative d’abolition de la peine capitale, n’est-ce pas ?]

    Stéphanie : En effet, le débat sur l’abolition reprend sous la IIIe République, dans les années 1906-1908 dans un climat politique où le courant abolitionniste a le soutien du président de la République, Armand Fallières et du chef du gouvernement, Georges Clémenceau. Au début de son mandat, Armand Fallières gracie systématiquement tous les condamnés à mort. Un projet de loi visant à remplacer la peine de mort par une peine d’internement perpétuel est déposé par le gouvernement à l’Assemblée nationale. C’est Aristide Briand, ministre de la Justice, qui est chargé de défendre le projet. Il s’évertue, statistiques à l’appui, à convaincre les députés que la peine de mort n’est nullement dissuasive pour les criminels [de 1888 à 1897 décennie où les présidents de la République font exécuter les condamnés 3066 homicides//de 1898 à 1907 décennie où les présidents de la République E. Loubet et A. Fallières gracient systématiquement les condamnés 1608 homicides, quasiment moitié moins].

    [Intervention Patrice : Mais le courant antiabolitionniste reste puissant, n’est-ce pas ?]

    Stéphanie : Oui ! Aristide Briand doit faire face à l’opposition de députés farouches partisans du maintien de la peine capitale comme Maurice Barrès. Un autre parlementaire illustre, Jean Jaurès, prend en revanche fait et cause pour l’abolition mais son engagement fervent ne suffira pas. Après une campagne extrêmement violente menée par une partie de la presse contre les abolitionnistes, le projet de loi est rejeté par les députés. Après cela, plus aucun vote relatif à la suppression de la peine de mort n’aura lieu devant le Parlement durant plus de 70 ans.

  • 4. Patrice : Quels sont les principaux arguments invoqués dans le débat entre abolitionnistes et antiabolitionnistes ?

    Stéphanie :Les antiabolitionnistes considèrent que le châtiment suprême constitue une peine exemplaire à même de dissuader les criminels. Ils avancent que face à l’augmentation de la délinquance et à l’existence de criminels incurables, la peine de mort est une sanction qui sert à protéger la société contre ses ennemis les plus dangereux.

    [Intervention Patrice : Et quels sont les arguments des abolitionnistes ?]

    Stéphanie : Concernant les abolitionnistes, les arguments de nature juridique et philosophique défendus par Cesare Beccaria au XVIIIe siècle vont rester valables durant les deux siècles qui ont conduit à la suppression de la peine de mort en France. A ces arguments s’ajouteront les études menées par les criminologues et les organisations internationales, qui montrent qu’il n’a jamais été établi une corrélation quelconque entre la présence ou l’absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante. En résumé, les abolitionnistes dénoncent notamment l’horreur et l’inefficacité du procédé, le mauvais exemple donné par l’État et l’impossible réparation en cas d’erreur judiciaire.

  • 5. Patrice : Pour finir, Stéphanie, vous avez évoqué le cas de la Toscane en 1786, pouvez-vous nous dire quels ont été les autres États précurseurs de l’abolition de la peine capitale ?

    Stéphanie : Après le Grand-Duché de Toscane en 1786, d’autres États vont dès le XIXe siècle abolir la peine de mort. On peut citer : la république de Saint-Marin, le Royaume de Tahiti, les Pays-Bas, le Portugal, le Venezuela, le Costa-Rica ou l’Italie. Dans ce dernier pays, la peine de mort sera réintroduite par le régime fasciste de Mussolini en 1926, puis sera abolie de nouveau après la Deuxième Guerre mondiale.

Fin de l’épisode

Patrice : C’est la fin de cet épisode ! Merci Stéphanie ! Vous nous avez bien résumé cette longue lutte de près de deux siècles qui a conduit à la suppression de la peine de mort en France, il y a de cela quarante ans.

Au sommaire du prochain épisode : les différentes mesures qui ont été prises, au fil des ans, pour rendre quasiment irrévocable cette grande loi d’abolition de la peine de mort, votée en 1981.

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On se retrouve très bientôt !

Au revoir Stéphanie, au revoir à tous !

Stéphanie : À très vite pour un nouvel épisode ! Au revoir Patrice !

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