Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les engagements pris par les entreprises en matière de protection de l'environnement et sur les orientations offertes aux pouvoirs publics en faveur d'un véritable projet d'éco-développement : fiscalité, coordination internationale, partenariat avec les entreprises, Paris, le 15 novembre 2001.

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Circonstance : Remise du prix du meilleur rapport Environnement 2001 à Paris, le 15 novembre 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je suis heureux d'être parmi vous pour remettre le Prix du meilleur rapport environnement 2001 et féliciter Jean-Pierre Tirouflet et Francis Mer dont les entreprises et les salariés sont les lauréats de ce prix 2001. Deuxième édition de ce prix et déjà presque une institution : chacun appréciera la performance. Elle est largement le fait d' " Entreprise et progrès " et de Paul Dubrule, son dynamique Président.
Trop longtemps, la réalisation d'un rapport " Environnement " ne s'imposait que comme un pensum et, encore, aux entreprises dites polluantes. Cela change. La sensibilisation de l'opinion et des pouvoirs publics, l'évolution des données réglementaires et l'état d'urgence écologique de la planète plaident pour que chaque entreprise prenne désormais en compte publiquement et concrètement les conséquences environnementales de ses activités. C'est le sens de la recommandation émise en mai dernier par la Commission européenne. C'est ce que permet la loi sur les nouvelles régulations économiques, qui impose aux entreprises dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé d'indiquer dans leur rapport annuel leurs engagements environnementaux.
Cette éco-révolution est indispensable car la planète se porte mal. Certaines menaces, hier incertaines, se précisent. La plus grave peut-être concerne les gaz à effet de serre : entre 1992 et 2000, les rejets de gaz carbonique dans l'air sont passés de 20 à 28 milliards de tonnes par an. À ce rythme et si rien n'est fait pour inverser la tendance, la température risque d'augmenter de 1° C à 5° C au cours du siècle. Alors que le PIB mondial devrait augmenter de 75 % au cours des 25 prochaines années, la préservation de la biodiversité devient un enjeu vital.
Pendant près de 2 siècles, l'industrie a utilisé l'air, l'eau, la terre sans trop penser qu'elle les utilisait. Cette vision mécanique et myope du progrès fondée sur l'altération de l'environnement - aux 2 sens du mot : transformation et dégradation - est dépassée. Aujourd'hui, les entreprises doivent savoir, elles savent que l'air ou l'eau sont des biens publics globaux, qu'ils ne sont pas des ressources illimitées, mais des ressources périssables. Le développement durable, c'est-à-dire la prise en compte du long terme dans nos décisions et nos choix d'aujourd'hui, suppose à la fois l'affirmation de nouveaux principes - comme celui de précaution - ; de nouveaux concepts - comme la notion de PIB vert ; de nouvelles méthodes - tels que les fonds éthiques qui représentent plus de 2 000 Md $ aux Etats-Unis et seulement 400 M en France ; enfin de nouvelles dimensions : tous les niveaux, mondial, européen, national, territorial doivent être mobilisées pour éviter que la croissance économique indispensable ne s'accompagne d'atteintes graves à l'environnement.
Pour faire face aux défis de l'environnement, les pouvoirs publics se heurtent à au moins 2 séries d'obstacles. Nous devons d'abord parfaire notre connaissance des phénomènes écologiques : le consensus scientifique sur la nature et l'ampleur du changement climatique est récent. En 1992, au sommet de Rio, experts et gouvernements se divisaient sur l'existence même du réchauffement de la planète. En 2000, lors de la conférence de la Haye, ils étaient unanimes à le constater même s'ils divergeaient sur les moyens à mettre en oeuvre pour l'endiguer. D'où la seconde difficulté : si chacun milite pour l'intérêt général de la planète, beaucoup ont l'oeil rivé sur leurs propres indicateurs et intérêts à court terme. La raison écologique semble se heurter souvent par exemple à la raison économique, à la raison fiscale, voire à la raison électorale. Ma conviction est que économie et écologie ne doivent pas s'opposer, tout simplement parce qu'elles ne peuvent plus se permettre de le faire. L'économie n'est pas viable sans ressources naturelles préservées ; la sécurisation et la valorisation de l'environnement ne sont pas fiables sans des instruments économiques adaptés.
Alors, que faire ? dénoncer, bien sûr quand c'est nécessaire. Agir. Je souhaite, brièvement, évoquer 3 orientations offertes aux pouvoirs publics pour construire un véritable projet d'éco-développement, développement à la fois économique et écologique, créateur d'emplois et respectueux des générations futures.
Premier instrument : la fiscalité. Contrairement à une idée reçue, elle n'est pas l'unique outil. Le champ réglementaire demeure particulièrement adapté dans des situations d'urgence ou d'application du principe de précaution - je pense aux dispositifs mis en place pour prévenir la fièvre aphteuse ou, en matière industrielle, aux premières mesures prises afin qu'une tragédie telle que Toulouse ne se reproduise plus. Comme l'ont annoncé le Premier ministre et le ministre de l'Environnement, un plan de prévention des risques technologiques sera prochainement créé, qui s'imposera au moins à toutes les constructions neuves. Les moyens de contrôle des sites sont renforcés grâce notamment à la création de 150 postes d'inspecteurs des installations classées prévue dans la loi de finances pour 2002.
Mais la réglementation n'a guère d'effets lorsque les pollutions sont diffuses et lorsque les évolutions recherchées sont structurelles. C'est là où peut intervenir la fiscalité. La fiscalité écologique n'a pas pour objectif de générer en priorité des ressources publiques supplémentaires au détriment de la compétitivité des entreprises, mais d'inciter les consommateurs et les producteurs à utiliser des produits moins dommageables pour l'environnement. Depuis 1997, le Gouvernement a pris près de 30 mesures législatives dans ce sens : instauration d'une taxe générale sur les activités polluantes qui couvre désormais des domaines aussi divers que les installations classées, les mises en décharge, les décollages d'avion, les lessives ; baisse de la TIPP sur le GPL consommé par des véhicules propres et exonération pour les biocarburants ; crédits d'impôt pour l'acquisition d'un véhicule " propre " ou pour les dépenses d'équipements utilisant une source d'énergie renouvelable ; les avancées donc ne manquent pas. D'autres voies sont également utiles, par exemple la mise en place de marchés de permis ou encore les engagements négociés, quand les pollueurs sont en nombre limité mais suffisant pour être mis en concurrence et être contrôlés dans de bonnes conditions.
Deuxième levier : la coordination et la régulation internationales. Les pollutions se jouent des frontières, les accidents se moquent des nations. La création d'une organisation mondiale de l'environnement doit figurer à l'ordre du jour du sommet de Johannesburg qui se réunira l'an prochain. L'Union européenne, qui est souvent le cadre le plus pertinent, doit accentuer ses efforts, par exemple pour adopter une fiscalité énergétique.
S'agissant de la lutte contre l'effet de serre, chacun sait l'attachement non négociable de la France au protocole de Kyoto. Si je me réjouis que 170 gouvernements aient adopté samedi dernier à Marrakech ses modalités d'applications, je regrette que les Etats-Unis maintiennent leur refus qui, compte tenu de l'enjeu - la lutte contre le réchauffement climatique mondial - est grave. Dans nos relations avec les pays du Sud, dont l'effort légitime de rattrapage économique peut avoir des incidences lourdes pour l'environnement, nous souhaitons que les impératifs écologiques - comme d'ailleurs l'accès à la santé et à l'éducation - soient intégrés dans la définition de notre aide publique. Nous plaidons pour la diversification des sources d'énergie, l'utilisation des énergies renouvelables, la réorganisation des modes de transports à l'échelle mondiale. Chaque nation doit être mise devant ses responsabilités. C'était un enjeu de la conférence de l'OMC à Doha et singulièrement du volet " environnement ". Il est bon que pour la première fois l'environnement soit désormais intégré dans la négociation commerciale multilatérale, mais celle-ci ne sera effective que si les accords multilatéraux sur l'environnement sont signés et ratifiés par toute la Communauté Internationale : bref, après Doha, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que l'environnement soit totalement pris en compte.
Troisième outil : la mise en place de véritables partenariats avec les entreprises. En matière de lutte contre les pollutions et les nuisances, nous n'obtiendrons pas de résultat satisfaisant si nous considérons les entreprises comme des acteurs hostiles plutôt que comme des partenaires utiles. Ainsi, nous cherchons à mettre en place une concertation avec les entreprises pour aller vers une réduction volontaire et volontariste des émissions de gaz à effet de serre. Pour que ce dispositif soit crédible, il faut naturellement que, dans la concertation, les entreprises qui s'engageront acceptent que les écarts soient sanctionnés. L'objectif est clair, le chemin se négocie et se discute. Le Gouvernement y travaille et j'y suis personnellement favorable. D'autant plus que, - nouveaux procédés industriels, nouvelles technologies, nouveaux services -, les gisements d'emplois et d'innovation " verts " sont considérables. Les pouvoirs publics ont une mission d'incitation forte, en particulier grâce à l'aide à la R D dans les activités de préservation de l'environnement et au soutien à la labélisation des produits respectueux de l'environnement par un mécanisme de certification rigoureux. La valorisation de l'environnement devient elle-même un secteur économique majeur dans lequel la France est au premiers rangs mondiaux : je compte sur nos entreprises pour renforcer encore notre avancée dans ce domaine.
Mesdames et Messieurs, la globalisation des échanges engendre la globalisation des risques qui pèsent sur l'environnement, mais aussi sur les droits sanitaires, les droits sociaux, les droits culturels. Il revient donc aux responsables politiques et aux acteurs économiques de prévenir leur dégradation, voire leur disparition. Cette préservation dépend largement de notre volonté et de notre force de conviction. C'est le sens de l'action menée en particulier par Usinor et Rhodia qui méritent pleinement cette récompense, mais aussi par toutes les entreprises qui sont ici réunies et qui s'efforcent, comme c'est indispensable, de conjuguer de plus en plus ensemble économie et environnement. Merci.
(Source http://minefi.gouv.fr, le 16 novembre 2001)