Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur le bilan d'un an d'application de la loi du 30 juin 2000 concernant le référé administratif, à Paris le 12 février 2002.

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Circonstance : Clôture du colloque "La pratique du référé administratif : un an après", à Paris, Assemblée nationale, le 12 février 2002.

Texte intégral

Je ne reviendrai pas sur la genèse de la loi du 30 juin 2000. Ce n'est pas l'objet de ce colloque qui s'attache à en tirer un premier bilan d'application, un an après son entrée en vigueur. Mais je ne saurais pour autant laisser passer l'occasion qui m'est ainsi donnée de saluer un travail parlementaire que je crois exemplaire. Préparé par les réflexions d'un groupe de travail conduit sous votre égide, M. le président Labetoulle, ce projet de loi a, par la suite, bénéficié de soutiens autant fervents que constructifs, en la personne de ses deux rapporteurs, M. François Colcombet à l'Assemblée nationale, et M. René Garrec au Sénat.
Ce colloque est une nouvelle illustration de cet échange fructueux entre l'expérience des praticiens du contentieux administratif et la mise en perspective de la représentation nationale qui permit la naissance de la loi. Il donne ainsi corps à l'exercice d'un " droit de suite " de la part de l'Assemblée nationale soucieuse d'évaluer la mise en ouvre effective du fruit de ces délibérations et, pourquoi pas ?, d'anticiper rapidement les retouches qui pourraient, le cas échéant, s'avérer opportunes.
Un an après son entrée en vigueur, quelles leçons tirer de l'application de ces nouvelles procédures d'urgence ?
La doctrine a, dans son ensemble, salué l'entrée en vigueur de ce texte avec beaucoup d'enthousiasme.
C'est une véritable mutation : d'abord pour la justice administrative, ensuite pour l'administration et enfin, j'allais dire surtout, pour les justiciables eux-mêmes.
1. Tout d'abord, une mutation pour la justice administrative :
C'est une banalité que de le dire : le " talon d'Achille " de la justice administrative, était - si ce n'est sa lenteur qui, derrière les moyennes statistiques, pourrait être relativisée - du moins son incapacité à offrir une réponse adaptée aux situations d'urgence voire d'extrême urgence.
La justice administrative puise ainsi dans cette réforme une nouvelle légitimité.
Bien sûr, on a vu dans cette réforme la volonté de faire pièce à ce qui pouvait apparaître comme une dérive de la voie de fait, quand la tentation était trop forte de la part des justiciables et de leurs conseils d'aller chercher auprès du juge judiciaire la célérité que le juge administratif ne pouvait leur offrir, fût-ce au prix d'une dénaturation des termes du débat.
Cette intention n'était sûrement pas absente de l'esprit des auteurs de la réforme mais ce serait leur faire injure que d'apprécier la mise en place des nouvelles procédures d'urgence à l'aune de ce seul objectif.
Je retiendrai, pour ma part, sa face positive : conférer au juge administratif une plénitude de juridiction, en le dotant d'un véritable statut de juge des référés, à l'instar du juge civil.
Non seulement il dispose désormais des moyens procéduraux pour intervenir dans des délais propres à répondre aux situations d'urgence voire d'extrême urgence. Mais, ces nouvelles procédures, combinées à la réforme déjà acquise du 8 février 1995 relative au pouvoir d'injonction, lui offrent, loin de la logique binaire dans laquelle il était trop souvent enfermé, une palette de solutions pour répondre, à titre conservatoire, avec souplesse et pragmatisme, aux situations concrètes qui lui sont soumises.
Enfin, et ce n'est sans doute pas le moindre, en consacrant l'oralité des débats, les procédures nouvelles ont définitivement donné au juge administratif l'image d'un juge accessible au dialogue direct et spontané. Sans doute, de ce point de vue, la simple lecture des décisions rendues ne rend que très imparfaitement compte du travail de pédagogie voire de conciliation accompli durant les audiences de référé.
Certes, les juridictions administratives avaient déjà fait la preuve de leur capacité à innover et à s'adapter à des procédures orales conduites dans des délais d'urgence voire d'extrême urgence. En 1990, l'institution d'une procédure de recours ad hoc contre les arrêtés de reconduite avait déjà constitué un vrai défi. Certains pensaient même que les juridictions administratives ne seraient pas en mesure de le relever. Elles ont, de façon éclatante, démontré le contraire.
Par la suite, l'institution du référé précontractuel les a également conduites à intervenir en temps réel, dans des délais rapides et selon une procédure assouplie.
Mais, désormais, c'est l'ensemble du contentieux administratif qui est irrigué par la culture de l'urgence.
Je ne peux m'empêcher de penser que le Conseil constitutionnel, en rendant au juge administratif, aux termes de sa décision du 28 juillet 1989, le contrôle de la légalité des arrêtés de reconduite à la frontière, a amorcé une évolution sans laquelle la réforme des procédures d'urgence ne serait pas apparu, dix ans plus tard, aussi évidente.
[2. Ensuite, une mutation pour l'administration : ]
Si la mutation est significative pour le juge administratif, elle ne l'est pas moins pour l'administration. Le traitement du contentieux ne peut définitivement plus être une activité de second rang confié, dans l'indifférence des responsables administratifs ou politiques, à un service relégué dans un coin d'organigramme quand ce n'est pas un coin tout court.
La réactivité que la rapidité des procédures exige, la capacité de soutenir un débat contradictoire oral devant le juge des référés supposent une organisation administrative qui fassent désormais la part belle aux juristes.
Plus fondamentalement - et la ministre de la justice que je suis ne peut que s'en réjouir - l'efficacité et la rapidité des procédures juridictionnelles bouleversent nécessairement l'appréhension des enjeux juridiques.
Notre administration a fait, ces dernières années, des progrès considérables pour intégrer pleinement la dimension juridique de ses choix. La prise de conscience relativement récente des risques pénaux y avait beaucoup contribué. Il me semble légitime que ce soit désormais davantage sous l'aiguillon du juge administratif que du juge pénal que l'administration soit conduite à expertiser avec précision la faisabilité juridique d'une opération ou la légalité d'une décision.
Il reste encore à apprendre à gérer " l'après - référé ". C'est peut-être, sur ce point, que le bilan est aujourd'hui le moins concluant. Le phénomène, bien connu devant le juge civil, de la non poursuite d'une action au fond après une action en référé ne paraît pas encore se dessiner devant le juge administratif .
Sans doute, faudra-t'il plus de temps pour que se dégagent progressivement les répercussions de ces nouvelles procédures sur les stratégies contentieuses, sur les pratiques des administrations et donc sur le traitement des dossiers de fond.
3. Enfin et surtout une mutation pour les justiciables :
J'ai mis au coeur de mon action le rapprochement de la justice et de la société. Cette réforme dont je n'ai eu à recueillir que les fruits, de surcroît sans épine, ni pépin !, est une belle illustration de ce souci de la justice de proximité qui, loin des fureurs des affaires pénales et des affaires tout court, s'efforce de répondre aux litiges du quotidien, c'est-à-dire à ceux empoisonnent concrètement la vie de nos concitoyens.
Les avocats sont, bien entendu, en première ligne pour assurer l'effectivité de cette justice de proximité. Je veux saluer ici la rapidité avec laquelle ils se sont appropriés ces nouveaux outils procéduraux, pour le plus grand profit de leurs clients.
Pour que le bénéfice de ces réformes de procédure profite pleinement à tous, il nous faut, toutefois, un dispositif d'aide juridictionnelle rénové. Vous savez que c'est aujourd'hui l'une de mes tâches prioritaires et, si le Parlement n'aura pu disposer, sous la présente législature, du temps nécessaire à l'examen de cette réforme, j'ai tenu à ce que le Gouvernement laisse un gage de ses intentions, si d'aventure nos concitoyens continuaient de faire confiance à la même majorité politique. A cet effet, j'aurais l'honneur et le plaisir de présenter la semaine prochaine au Conseil des ministres un projet de loi visant à faciliter l'accès au droit et à la justice.
En conclusion, je voudrais insister sur la responsabilité qui continue d'incomber aux pouvoirs publics. La réussite de cette réforme ne peut évidemment reposer entièrement sur le dévouement des magistrats administratifs et des personnels de greffe. Il est vrai qu'ils ont relevé avec d'autant plus de ferveur le défi qui leur était lancé que cette réforme répondait aussi à leur propre attente.
Mais sa réussite définitive suppose - c'est évident - un engagement des pouvoirs publics sur l'évolution des moyens consacrés à la justice administrative.
Vous savez que ce Gouvernement a fait un effort sans précédent en faveur de la justice. J'ai, pour ma part, toujours veillé à ce que les moyens dédiés aux juridictions administratives connaissent une progression similaire à celle de l'ensemble de mon budget. Ainsi, depuis le début de la législature, l'effectif des magistrats administratifs a augmenté de plus de 25 % .
Cette année encore : alors que le budget de mon ministère est globalement en progression de 5,7 %, la part propre aux juridictions administratives augmente de 5,2 % et les créations d'emplois dans les juridictions administratives se sont poursuivies au niveau déjà atteint les années précédentes : 80 créations d'emploi, dont 40 emplois de magistrat et 40 emplois de personnels de greffe.
Mais, cet effort devra être poursuivi. Outre que le rattrapage des années creuses n'est pas encore totalement acquis, il faut - maintenant que l'on a une vision précise de l'impact de ces nouvelles procédures - déployer les moyens nécessaires pour que leur mise en oeuvre ne se traduise pas par un sacrifice du contentieux traditionnel qui, pour ne pas justifier un traitement d'urgence, n'a pas pour autant l'éternité devant lui !
Pour conclure, je voudrais redire mon attachement au bon fonctionnement de la justice administrative. Je n'ignore pas qu'ici ou là, des voix se font entendre pour mettre en cause certaines des compétences dévolues aux juridictions administratives quand ce n'est pas leur existence même.
Pour ma part, je pense que notre société aurait plus à perdre qu'à gagner à un affaiblissement de la justice administrative qui a toujours su soumettre, avec doigté et fermeté, l'administration au principe de légalité comme au principe de responsabilité.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 18 février 2002)