Interviews de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, dans "Le Figaro Magazine" du 5 janvier 2002 et à RTL le 8, sur les conséquences de l'arrêt "Perruche" .

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - Le Figaro Magazine - RTL

Texte intégral

S. Royal
RTL - 7h50
R. Elkrief : Les médecins généralistes en grève reçoivent de plus en plus de soutiens. E. Guigou n'a pas été comprise. Pourquoi le Gouvernement reste-t-il sourd à leurs revendications ?
- "C'est un sujet difficile. Il faut d'abord redire que les médecins généralistes jouent un rôle primordial dans le système de soins français. D'ailleurs, l'organisation mondiale de la Santé a reconnu que c'était grâce à eux que la prise en charge médicale de la population française était d'une aussi grande qualité. Il y a deux aspects, je crois, dans leur malaise : il y a un aspect qualitatif d'abord, un problème de reconnaissance de leur rôle..."
Pourquoi ne sont-ils pas entendus ?
- "Parce que c'est un sujet difficile, qui a des implications financières extrêmement fortes. Les négociations commencent après-demain avec la Caisse nationale de l'assurance-maladie. Il faut espérer que le problème sera réglé rapidement, en tout cas avant le 23 janvier, date de leur préavis de grève. Je crois que ce conflit a duré déjà depuis trop longtemps. Il n'est pas facile à trancher..."
Il faut leur donner satisfaction ? "20 euros c'est excessif" dit madame Guigou, "Ce n'est pas excessif" dit madame Buffet, deux ministres du même Gouvernement ?
- "Du point de vue des médecins, cela n'est certainement pas excessif. Du point de vue de ceux qui subissent des sujétions particulières, comme par exemple en milieu rural, où la charge est très lourde sur des médecins qui sont de moins en moins nombreux, dans les cités difficiles où il faut vraiment être des militants de la médecine pour rester dans certains quartiers, cela mérite d'être compensé. Tout comme les questions des astreintes et des gardes, la question des urgences, la question de l'orientation vers des médecins spécialistes. Il y a à la fois une reconnaissance du rôle des médecins généralistes, qui se sentent insuffisamment reconnus dans la société. Il faut donc voir comment on peut revaloriser cette médecine, y compris dans la reconnaissance qualitative, politique. En même temps, il faut répondre financièrement à un certain nombre de problèmes - peut-être pas de façon générale pour l'ensemble des consultations. Nous avons déjà revalorisé le prix de la visite. Nous avons déjà revalorisé le prix des déplacements des médecins, certaines contraintes, certaines astreintes. C'est aussi, je pense, une véritable mutation de la médecine qui est en jeu. C'est pour cela que c'est difficile, comme toute les grandes mutations professionnelles. Il y a des tensions fortes. Il faut à la fois résoudre les questions à court terme - financières - et en même temps réfléchir à l'évolution du mode de l'exercice médical."
Le rendez-vous est donc donné ce jeudi ?
- "Le rendez-vous est donné ce jeudi."
On parle de l'arrêt Perruche. Cet arrêt de la Cour de cassation qui permettait à un enfant handicapé d'être indemnisé du seul fait de sa naissance. Il y aura des modifications importantes jeudi. Sans doute une loi, une proposition de loi ou un amendement - vous allez nous le dire. En cas d'anomalie non décelée et qui ne serait pas due à une faute médicale, qui aura le doit de se retourner contre les médecins ? Les parents ou l'enfant ?
- "D'abord, je voudrais dire qu'il y a très peu de recours. On a l'impression que la médecine est submergée par une judiciarisation, et ce n'est pas exact. Je voudrais rappeler que l'arrêt Perruche est un contentieux qui dure depuis dix ans. Si on considère qu'il y a un peu plus de 1.000 enfants handicapés qui naissent tous les ans, sur dix ans, cela fait à peu près 10.000 enfants. Sur 10.000 naissances d'enfants handicapés, il y a eu, en tout et pour tout, six recours devant la Cour de cassation, dont trois ont été refusés. C'est pour recadrer les choses, notamment vis-à-vis des assurances privées qui, dans cette affaire, ont un comportement un peu scandaleux. J'ai vu des courriers adressés aux médecins par des assurances qui résilient de but en blanc leur couverture assurantielle à l'égard des médecins. Cela n'est pas acceptable. Alors, nous avons beaucoup travaillé, parce qu'il faut trouver un équilibre délicat sur un sujet difficile. Nous allons le faire sans doute par amendement parlementaire - puisque c'est une proposition de loi - et qu'il faut laisser aux députés, qui ont également beaucoup travaillé dans la commission des lois avec J. Le Garrec et C. Evin, l'initiative de ce texte. Il était important que le Gouvernement établisse une position. Quelle est celle-ci ? Nous allons d'abord apaiser les personnes en situation de handicap. Je les réunis d'ailleurs demain dans le cadre du Conseil national consultatif des personnes handicapées, en réaffirmant que toute vie vaut la peine d'être vécue. C'est vrai que l'arrêt Perruche avait soulevé des questions éthiques par rapport à cette question-là. En retirant donc à l'enfant la possibilité de faire un recours, nous affirmons solennellement qu'en aucun cas, le fait de naître peut être considéré comme un préjudice et ne peut donc donner lieu à aucune réparation."
C'était déjà le premier article de la proposition de loi de J.-F. Mattéi, le président du groupe DL ?
- "Tout à fait. Cet article a le mérite d'exister. Nous allons l'améliorer un peu, pour bien cibler justement sur le fait que toute vie vaut d'être vécue. Il faut réaffirmer très solennellement cela. Il faut répondre ainsi à la blessure intime qu'avaient ressenti les handicapés en s'interrogeant sur la question de savoir si finalement, il y avait eu des bons parents et des mauvais parents, qui eux, n'auraient pas poussé leurs enfants à faire des recours. Je dis cela tout en respectant la démarche des parents Perruche et en n'acceptant pas aussi certaines déclarations très violentes qui ont été faites à leur égard. Je crois qu'il faut aussi respecter leur douleur et leur préoccupation. A leur façon, c'était être bons parents que d'essayer de couvrir leur enfant contre les risques de la vie. Le deuxième principe qui va être affirmé et qui va répondre cette fois aux préoccupation des médecins, c'est bien de distinguer la faute médicale - c'est-à-dire celle qui sera directement à l'origine du handicap - d'une autre faute qui, elle, ne sera plus médicale, celle qui consiste dans les erreurs de diagnostic prénatal. Là, il faudra une faute, mais non médicale. Autrement dit, par rapport à cette question toute simple qui consiste à se demander si un médecin n'a pas bien vu, lors d'un diagnostic prénatal, tel ou tel handicap, sa faute ne pourra plus être engagée."
Cela vise à rassurer les échographistes notamment, qui sont en grève ?
- "Tout à fait. Et cela vise aussi à leur dire bien clairement que l'exercice médical n'est pas une science exacte. Il n'y pas d'obligation de résultats, mais simplement l'utilisation de moyens compte tenu des progrès de la médecine. Je pense que ce débat est aussi un hommage rendu à la médecine prénatale. C'est vrai qu'il y a des progrès considérables et des techniques médicales. Il y a donc des problèmes éthiques qui sont soulevés. Il ne faut pas laisser les médecins, seuls, confrontés à ces nouveaux problèmes éthiques. Cela pose enfin le problème de l'intégration des handicapés. Le vrai combat est là, par exemple, dans l'intégration à l'école. C'est tout le sens de mon combat dans ce ministère."
Vous avez été très impliquée dans la lutte contre la pédophilie dans vos différents postes, notamment à l'Education. Il y a évidemment cette affaire du petit Larbi. On se rend compte que la personne qui est mise en examen et qui a reconnu la mort du petit dans son appartement habitait dans le même quartier, qu'il y avait beaucoup d'enfants. Est-ce que la vigilance naturelle n'a pas baissée ? Est-ce qu'il ne faut pas prendre de nouvelles mesures ? Est-ce qu'il ne faut pas avertir le quartier qu'il y a, là, une personne qui a été condamnée pour pédophilie ?
- "D'abord, cette affaire est abominable. Je comprends la révolte des voisins. N'importe quel parent qui aurait subi cela, par rapport à la proximité d'un délinquant sexuel sans que personne n'en soit informé, considérerait comme cela inacceptable."
Qu'est-ce qu'il faut faire concrètement ?
- "Je reçois, demain, les associations de défense de l'enfance, avec les spécialistes des suivis médicaux et sociaux des pédophiles. Il y a eu tout un débat qui a été ouvert. Je ne pense pas qu'il faut aller jusque là. Les Anglais, par exemple, ont une obligation d'information du commissariat de police le plus proche de l'existence dans les quartiers des ex-délinquants pédophiles."
Il ne faut pas aller jusque là ?
- "Je crois surtout qu'il faut renforcer le suivi médico-social des délinquants qui sont toujours en situation de récidive potentielle. Il faut aussi que les commissariats de police et les gendarmeries de proximité soient informés de la présence dans les quartiers de délinquants ou d'ex-délinquants de ce type. Ne serait-ce que pour qu'eux mêmes soient cadrés et encadrés. Je crois qu'il faut aussi renforcer à l'école toute la prévention, la sensibilisation des enfants sur la question de l'attention portée aux comportements de certains adultes."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 janvier 2002)