Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Il y a cinquante ans, les concepteurs de 1948, parmi lesquels René Cassin, ont voulu réaffirmer la dignité et la valeur de la personne humaine. En réaction aux horreurs de la Seconde guerre mondiale qui en avaient réalisé l'anéantissement, ils ont inscrit, au coeur d'une Déclaration, les droits fondamentaux, universels, indivisibles de l'Homme : un idéal pour toute l'humanité dont chacun doit trouver les modalités de mise en oeuvre adaptées à chaque situation. Après la Charte des Nations unies, la Déclaration est devenue le socle d'un système de conventions et d'instruments, de mécanismes et de garanties destiné à protéger et à promouvoir les droits de la personne humaine.
Je suis heureux d'être parmi vous, ce matin, pour célébrer cet acte fondateur - l'adoption, au Palais de Chaillot, de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme - et ouvrir avec vous ce colloque qui devrait nous permettre d'évoquer la justesse des idéaux qui animèrent ses auteurs et leur actualité, et les moyens à mettre en oeuvre pour les faire progresser.
A l'heure où nous célébrons ce cinquantenaire, nous sommes partagés entre le désir de louer les immenses progrès réalisés, sur la base de la Déclaration, grâce notamment à l'acharnement des militants des Droits de l'Homme, et la conscience lucide de l'ampleur des efforts encore à accomplir.
Nous sommes quelque part entre satisfaction et inquiétude. Surtout quand on songe à la sophistication toujours accrue des techniques de répression et de torture, au spectacle d'enfants en armes, aux réfugiés dans toutes les régions du monde - plus de 2,2 millions de personnes -, l'Europe n'étant pas épargnée.
Les mots justes doivent célébrer le bilan, mais aussi rassembler les volontés pour les combats à venir.
Un immense effort de codification des droits de la personne a été accompli depuis cinquante ans. Le monde dispose aujourd'hui ainsi d'un ensemble d'instruments normatifs qui explicitent très largement les droits fondamentaux reconnus dans la Déclaration. Les deux Pactes de 1966 relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels, et la pression constante des comités créés pour veiller à leur mise en oeuvre ont lancé un mouvement, qui n'est pas linéaire certes, la persistance des tragédies nous le rappelle, mais qui ne pourra être jamais être complètement entravé.
Cependant, l'adhésion à ce système de normes internationales prend du temps. Je me bornerai à rappeler ici que la France n'a adhéré à ces Pactes qu'en 1981, que les Etats-Unis n'ont toujours pas adhéré au Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. La Chine commence seulement aujourd'hui à s'y engager. C'est notamment grâce au type de dialogue nouveau qui a été engagé avec elle. L'universalité et l'indivisibilité de ces principes, périodiquement contestées, ont été solennellement confirmés par les Etats membres des Nations unies dans la Déclaration adoptée à Vienne en 1993.
Mais ce travail de construction et de codification n'est pas achevé. Il doit se poursuivre lorsque cela est nécessaire, et il doit, même être accéléré dans certains domaines : je pense à la participation des enfants aux conflits armés, sur lequel un texte est, d'année en année, repoussé. Je pense également aux disparitions forcées, pratique abominable qui associe la détention arbitraire, la torture, l'exécution sommaire et affecte durant des années des familles laissées dans l'ignorance du sort de leurs proches ; une convention internationale sur ce thème devrait désormais être rapidement examinée. Je pense enfin que la complexité croissante du monde, le développement des technologies, rendent nécessaire des instruments complémentaires, pour de nouvelles protections dans de nouveaux domaines, comme celui de la bioéthique, de l'environnement, de l'informatique.
Il reste ensuite et surtout à mettre en oeuvre de manière crédible et efficace les normes adoptées. La formation d'un véritable corpus de droit international donnant progressivement force juridique aux grandes valeurs et principes contenus dans la Déclaration est un immense progrès. Mais cela ne suffit pas. En cette année de cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle, on constate tous les jours que les valeurs essentielles qui fondent la dignité de l'homme demeurent bafouées dans un grand nombre de pays, voire même sont complètement ignorées dans certains cas. Quand certains ne saisissent pas l'occasion de nouvelles négociations pour tenter de remettre en cause les acquis de conventions antérieures.
Alors, comment favoriser le respect effectif de ces normes notamment par les Etats ? Il requiert une bonne articulation entre exigence et pragmatisme, persuasion et coopération. C'est un des problèmes quotidiens à régler par un pays comme la France pour sa politique étrangère. C'est tout le sens de la démarche des grandes institutions internationales, dans le domaine des droits civils et politiques comme dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, où l'on va vers l'incitation et la coopération en renonçant à une conditionnalité trop rigide, parfois arrogante, et à l'efficacité incertaine.
L'Organisation des Nations unies, souvent critiquée pour la lourdeur des procédures la bureaucratie, la duplication des travaux, a su faire preuve en ce domaine d'un effort d'imagination et d'une capacité d'adaptation qu'il faut saluer. L'arrivée de Mme Robinson en qualité de Haut commissaire pour les Droits de l'Homme devrait permettre de poursuivre les pistes les plus efficaces, à la Commission des Droits de l'Homme, et au sein des différentes agences des Nations unies, que Mme Robinson a engagées à intégrer la dimension des Droits de l'Homme dans toutes leurs activités. Nous attendons beaucoup de son action.
Il a fallu parfois contourner les obstacles politiques, désarmer les critiques de partialité, avec toujours l'ambition de préserver un espace de dialogue dans toutes les situations pour pouvoir sauver des vies humaines. Ce fut, à partir de 1978, l'objectif des rapporteurs et groupes de travail dits thématiques de la Commission des Droits de l'Homme des Nations unies. Qu'ils concernent la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées, la détention arbitraire, nous croyons en l'utilité de ces mécanismes qui représentent à plusieurs titres la concrétisation d'équilibres fragiles entre la dénonciation des exactions qui ne doit jamais cesser et l'assistance à la construction de l'Etat de droit.
Je crois que nous pouvons également tous nous réjouir de l'adoption, cette année anniversaire de la Déclaration universelle, du statut de la Cour pénale internationale. Lors de la Conférence de Vienne de 1993, la France avait souhaité inscrire au coeur de la Déclaration et du Programme d'action l'importance de la lutte contre l'impunité des auteurs de violations des Droits de l'Homme. La démarche n'est pas simple ; elle est pourtant essentielle. Vous le savez mieux que moi parce que certains d'entre vous, représentants d'associations, experts, militants, participez depuis des années à ce combat. Des pays différents empruntent des approches différentes, également intéressantes : Commission réconciliation et vérité en Afrique du sud, Commission de la vérité au Salvador, par exemple. La Cour qui vient d'être créée apporte la garantie que les auteurs des crimes particulièrement atroces seront poursuivis et jugés, même si la justice de leur pays est défaillante.
Et je sais que tous les défenseurs des Droits de l'Homme espèrent même que l'existence d'une Cour pénale internationale de nature permanente, dotée d'une faculté d'autosaisine dans des conditions définies par son statut, contribuera à prévenir les crimes les plus graves. Je souhaite la mise en oeuvre rapide de la Cour et j'estime sa bonne insertion dans le système international indispensable pour la cohérence de l'action multilatérale pour la paix. Naturellement, le travail politique et diplomatique pour trouver des solutions durables aux conflits de toutes sortes qui engendrent de tels drames devra toujours être poursuivi.
Au delà de ces tribunaux, la capacité des Etats à assurer le respect de ces normes doit également être renforcée, afin que se consolide partout, à partir de la réalité des diverses situations, un Etat de droit. Ce sont des processus complexes et longs, qui reposent sur une dialectique créatrice entre droits collectifs et individuels, qu'il faut nourrir notamment par l'éducation et la formation, naturellement aussi par la mise en garde, la dénonciation.
L'existence d'une société civile structurée, capable d'accompagner ce mouvement en est un des moteurs. Nous devons le favoriser : par exemple, dans de nombreux pays, les défenseurs ou associations des Droits de l'Homme doivent être mieux protégés et je me réjouis que l'Assemblée générale des Nations unies s'apprête à adopter le 10 décembre prochain une déclaration sur ce thème - sur les défenseurs des Droits de l'Homme. L'émergence d'institutions nationales de protection des Droits de l'Homme, conformes aux principes dits de Paris, d'organisations de concertation sociale, sont autant de nouveaux espaces de dialogue possibles qui facilitent la construction et la consolidation de l'Etat de droit.
Je parle de mouvement, de construction, de consolidation. N'oublions pas que l'Etat de droit n'est jamais sorti tout constitué des ruines d'une dictature, comme de la cuisse de Jupiter. Il a toujours et partout, à commencer par nous, en France, résulté de processus qui n'ont jamais été linéaires.
C'est pourquoi la politique de la France dans les organisations internationales, à commencer par l'Union européenne, se concentre sur la consolidation de ces processus.
C'est dans cette perspective que nous appelons toutes les organisations internationales à mieux prendre en compte les paramètres humains et sociaux du développement.
La Conférence internationale du travail a ainsi adopté le 18 juin dernier une déclaration affirmant l'engagement de la communauté internationale à faire respecter les droits fondamentaux de l'homme au travail. Cette Déclaration, qui engage les 174 Etats membres de l'Organisation internationale du travail, trouve son origine dans les inquiétudes qui se sont manifestées, notamment au Sommet mondial sur le développement social (Copenhague, 1995), à l'égard des conséquences sociales souvent brutales de la libéralisation des échanges et du processus de mondialisation.
Je suis frappé de voir combien ces notions ont progressé depuis quelques années, en particulier au sein des grandes institutions de coopération internationale : l'Etat de droit est désormais très largement considéré comme l'une des clés et l'une des bases indispensables du développement ; celui-ci nourrit en retour la consolidation de l'Etat de droit.
Historiquement, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme était avant tout un instrument contre l'Etat répressif, la dictature, le totalitarisme. Car c'est ce type de menaces que l'on avait à l'esprit en 1948 et dont on voulait empêcher le retour. Mais nous avons réappris depuis lors que la violence ne vient pas uniquement des Etats. Dans plusieurs régions du monde, le drame naît au contraire de l'implosion des structures d'Etat, qui libère toutes les formes ancestrales et toujours actuelles de haine entre les groupes humains et laissent se déchaîner les forces du crime organisé. Dans ces cas, c'est au rétablissement de l'Etat qu'il faut s'attacher en priorité. N'oublions jamais que, dans "Etat de droit", il y a aussi le mot "Etat".
Face à ces enjeux d'aujourd'hui, la Déclaration démontre toute l'actualité de son message.
Nous sommes aussi ambitieux que les rédacteurs de 1789 ou de 1948. Nous avons appris que nous ne pouvons pas plaquer d'emblée toutes les formes de la démocratie avancée sur n'importe quelle situation politique, économique ou sociale. Nous devons donc affirmer les principes universels, maintenir nos ambitions, être vigilants et apporter un soutien effectif à la mise en oeuvre de ces principes, à l'enclenchement ou à la consolidation des processus de construction de l'Etat de droit, de favoriser leur accélération autant que possible, sans provoquer de retour en arrière, rester mobilisés.
Chaque jour je suis dans mes fonctions face à ces impératifs et j'essaie d'y répondre de la façon la plus efficace possible. Car s'il n'y a pas de politique étrangère qui puisse se fonder seulement sur cette dimension, il n'y en a plus dans le monde d'aujourd'hui qui ne puisse donner à la défense des Droits de l'Homme une très haute place.
Et cela, c'est pour une très large part votre victoire, et celle de ceux qui vous ont précédés, et de tous ceux qui ne baisseront jamais les bras.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Il y a cinquante ans, les concepteurs de 1948, parmi lesquels René Cassin, ont voulu réaffirmer la dignité et la valeur de la personne humaine. En réaction aux horreurs de la Seconde guerre mondiale qui en avaient réalisé l'anéantissement, ils ont inscrit, au coeur d'une Déclaration, les droits fondamentaux, universels, indivisibles de l'Homme : un idéal pour toute l'humanité dont chacun doit trouver les modalités de mise en oeuvre adaptées à chaque situation. Après la Charte des Nations unies, la Déclaration est devenue le socle d'un système de conventions et d'instruments, de mécanismes et de garanties destiné à protéger et à promouvoir les droits de la personne humaine.
Je suis heureux d'être parmi vous, ce matin, pour célébrer cet acte fondateur - l'adoption, au Palais de Chaillot, de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme - et ouvrir avec vous ce colloque qui devrait nous permettre d'évoquer la justesse des idéaux qui animèrent ses auteurs et leur actualité, et les moyens à mettre en oeuvre pour les faire progresser.
A l'heure où nous célébrons ce cinquantenaire, nous sommes partagés entre le désir de louer les immenses progrès réalisés, sur la base de la Déclaration, grâce notamment à l'acharnement des militants des Droits de l'Homme, et la conscience lucide de l'ampleur des efforts encore à accomplir.
Nous sommes quelque part entre satisfaction et inquiétude. Surtout quand on songe à la sophistication toujours accrue des techniques de répression et de torture, au spectacle d'enfants en armes, aux réfugiés dans toutes les régions du monde - plus de 2,2 millions de personnes -, l'Europe n'étant pas épargnée.
Les mots justes doivent célébrer le bilan, mais aussi rassembler les volontés pour les combats à venir.
Un immense effort de codification des droits de la personne a été accompli depuis cinquante ans. Le monde dispose aujourd'hui ainsi d'un ensemble d'instruments normatifs qui explicitent très largement les droits fondamentaux reconnus dans la Déclaration. Les deux Pactes de 1966 relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels, et la pression constante des comités créés pour veiller à leur mise en oeuvre ont lancé un mouvement, qui n'est pas linéaire certes, la persistance des tragédies nous le rappelle, mais qui ne pourra être jamais être complètement entravé.
Cependant, l'adhésion à ce système de normes internationales prend du temps. Je me bornerai à rappeler ici que la France n'a adhéré à ces Pactes qu'en 1981, que les Etats-Unis n'ont toujours pas adhéré au Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. La Chine commence seulement aujourd'hui à s'y engager. C'est notamment grâce au type de dialogue nouveau qui a été engagé avec elle. L'universalité et l'indivisibilité de ces principes, périodiquement contestées, ont été solennellement confirmés par les Etats membres des Nations unies dans la Déclaration adoptée à Vienne en 1993.
Mais ce travail de construction et de codification n'est pas achevé. Il doit se poursuivre lorsque cela est nécessaire, et il doit, même être accéléré dans certains domaines : je pense à la participation des enfants aux conflits armés, sur lequel un texte est, d'année en année, repoussé. Je pense également aux disparitions forcées, pratique abominable qui associe la détention arbitraire, la torture, l'exécution sommaire et affecte durant des années des familles laissées dans l'ignorance du sort de leurs proches ; une convention internationale sur ce thème devrait désormais être rapidement examinée. Je pense enfin que la complexité croissante du monde, le développement des technologies, rendent nécessaire des instruments complémentaires, pour de nouvelles protections dans de nouveaux domaines, comme celui de la bioéthique, de l'environnement, de l'informatique.
Il reste ensuite et surtout à mettre en oeuvre de manière crédible et efficace les normes adoptées. La formation d'un véritable corpus de droit international donnant progressivement force juridique aux grandes valeurs et principes contenus dans la Déclaration est un immense progrès. Mais cela ne suffit pas. En cette année de cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle, on constate tous les jours que les valeurs essentielles qui fondent la dignité de l'homme demeurent bafouées dans un grand nombre de pays, voire même sont complètement ignorées dans certains cas. Quand certains ne saisissent pas l'occasion de nouvelles négociations pour tenter de remettre en cause les acquis de conventions antérieures.
Alors, comment favoriser le respect effectif de ces normes notamment par les Etats ? Il requiert une bonne articulation entre exigence et pragmatisme, persuasion et coopération. C'est un des problèmes quotidiens à régler par un pays comme la France pour sa politique étrangère. C'est tout le sens de la démarche des grandes institutions internationales, dans le domaine des droits civils et politiques comme dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, où l'on va vers l'incitation et la coopération en renonçant à une conditionnalité trop rigide, parfois arrogante, et à l'efficacité incertaine.
L'Organisation des Nations unies, souvent critiquée pour la lourdeur des procédures la bureaucratie, la duplication des travaux, a su faire preuve en ce domaine d'un effort d'imagination et d'une capacité d'adaptation qu'il faut saluer. L'arrivée de Mme Robinson en qualité de Haut commissaire pour les Droits de l'Homme devrait permettre de poursuivre les pistes les plus efficaces, à la Commission des Droits de l'Homme, et au sein des différentes agences des Nations unies, que Mme Robinson a engagées à intégrer la dimension des Droits de l'Homme dans toutes leurs activités. Nous attendons beaucoup de son action.
Il a fallu parfois contourner les obstacles politiques, désarmer les critiques de partialité, avec toujours l'ambition de préserver un espace de dialogue dans toutes les situations pour pouvoir sauver des vies humaines. Ce fut, à partir de 1978, l'objectif des rapporteurs et groupes de travail dits thématiques de la Commission des Droits de l'Homme des Nations unies. Qu'ils concernent la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées, la détention arbitraire, nous croyons en l'utilité de ces mécanismes qui représentent à plusieurs titres la concrétisation d'équilibres fragiles entre la dénonciation des exactions qui ne doit jamais cesser et l'assistance à la construction de l'Etat de droit.
Je crois que nous pouvons également tous nous réjouir de l'adoption, cette année anniversaire de la Déclaration universelle, du statut de la Cour pénale internationale. Lors de la Conférence de Vienne de 1993, la France avait souhaité inscrire au coeur de la Déclaration et du Programme d'action l'importance de la lutte contre l'impunité des auteurs de violations des Droits de l'Homme. La démarche n'est pas simple ; elle est pourtant essentielle. Vous le savez mieux que moi parce que certains d'entre vous, représentants d'associations, experts, militants, participez depuis des années à ce combat. Des pays différents empruntent des approches différentes, également intéressantes : Commission réconciliation et vérité en Afrique du sud, Commission de la vérité au Salvador, par exemple. La Cour qui vient d'être créée apporte la garantie que les auteurs des crimes particulièrement atroces seront poursuivis et jugés, même si la justice de leur pays est défaillante.
Et je sais que tous les défenseurs des Droits de l'Homme espèrent même que l'existence d'une Cour pénale internationale de nature permanente, dotée d'une faculté d'autosaisine dans des conditions définies par son statut, contribuera à prévenir les crimes les plus graves. Je souhaite la mise en oeuvre rapide de la Cour et j'estime sa bonne insertion dans le système international indispensable pour la cohérence de l'action multilatérale pour la paix. Naturellement, le travail politique et diplomatique pour trouver des solutions durables aux conflits de toutes sortes qui engendrent de tels drames devra toujours être poursuivi.
Au delà de ces tribunaux, la capacité des Etats à assurer le respect de ces normes doit également être renforcée, afin que se consolide partout, à partir de la réalité des diverses situations, un Etat de droit. Ce sont des processus complexes et longs, qui reposent sur une dialectique créatrice entre droits collectifs et individuels, qu'il faut nourrir notamment par l'éducation et la formation, naturellement aussi par la mise en garde, la dénonciation.
L'existence d'une société civile structurée, capable d'accompagner ce mouvement en est un des moteurs. Nous devons le favoriser : par exemple, dans de nombreux pays, les défenseurs ou associations des Droits de l'Homme doivent être mieux protégés et je me réjouis que l'Assemblée générale des Nations unies s'apprête à adopter le 10 décembre prochain une déclaration sur ce thème - sur les défenseurs des Droits de l'Homme. L'émergence d'institutions nationales de protection des Droits de l'Homme, conformes aux principes dits de Paris, d'organisations de concertation sociale, sont autant de nouveaux espaces de dialogue possibles qui facilitent la construction et la consolidation de l'Etat de droit.
Je parle de mouvement, de construction, de consolidation. N'oublions pas que l'Etat de droit n'est jamais sorti tout constitué des ruines d'une dictature, comme de la cuisse de Jupiter. Il a toujours et partout, à commencer par nous, en France, résulté de processus qui n'ont jamais été linéaires.
C'est pourquoi la politique de la France dans les organisations internationales, à commencer par l'Union européenne, se concentre sur la consolidation de ces processus.
C'est dans cette perspective que nous appelons toutes les organisations internationales à mieux prendre en compte les paramètres humains et sociaux du développement.
La Conférence internationale du travail a ainsi adopté le 18 juin dernier une déclaration affirmant l'engagement de la communauté internationale à faire respecter les droits fondamentaux de l'homme au travail. Cette Déclaration, qui engage les 174 Etats membres de l'Organisation internationale du travail, trouve son origine dans les inquiétudes qui se sont manifestées, notamment au Sommet mondial sur le développement social (Copenhague, 1995), à l'égard des conséquences sociales souvent brutales de la libéralisation des échanges et du processus de mondialisation.
Je suis frappé de voir combien ces notions ont progressé depuis quelques années, en particulier au sein des grandes institutions de coopération internationale : l'Etat de droit est désormais très largement considéré comme l'une des clés et l'une des bases indispensables du développement ; celui-ci nourrit en retour la consolidation de l'Etat de droit.
Historiquement, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme était avant tout un instrument contre l'Etat répressif, la dictature, le totalitarisme. Car c'est ce type de menaces que l'on avait à l'esprit en 1948 et dont on voulait empêcher le retour. Mais nous avons réappris depuis lors que la violence ne vient pas uniquement des Etats. Dans plusieurs régions du monde, le drame naît au contraire de l'implosion des structures d'Etat, qui libère toutes les formes ancestrales et toujours actuelles de haine entre les groupes humains et laissent se déchaîner les forces du crime organisé. Dans ces cas, c'est au rétablissement de l'Etat qu'il faut s'attacher en priorité. N'oublions jamais que, dans "Etat de droit", il y a aussi le mot "Etat".
Face à ces enjeux d'aujourd'hui, la Déclaration démontre toute l'actualité de son message.
Nous sommes aussi ambitieux que les rédacteurs de 1789 ou de 1948. Nous avons appris que nous ne pouvons pas plaquer d'emblée toutes les formes de la démocratie avancée sur n'importe quelle situation politique, économique ou sociale. Nous devons donc affirmer les principes universels, maintenir nos ambitions, être vigilants et apporter un soutien effectif à la mise en oeuvre de ces principes, à l'enclenchement ou à la consolidation des processus de construction de l'Etat de droit, de favoriser leur accélération autant que possible, sans provoquer de retour en arrière, rester mobilisés.
Chaque jour je suis dans mes fonctions face à ces impératifs et j'essaie d'y répondre de la façon la plus efficace possible. Car s'il n'y a pas de politique étrangère qui puisse se fonder seulement sur cette dimension, il n'y en a plus dans le monde d'aujourd'hui qui ne puisse donner à la défense des Droits de l'Homme une très haute place.
Et cela, c'est pour une très large part votre victoire, et celle de ceux qui vous ont précédés, et de tous ceux qui ne baisseront jamais les bras.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)