Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur l'Europe de l'audiovisuel, Strasbourg le 15 septembre 1998.

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Circonstance : Forum européen du cinéma, à Strasbourg le 15 septembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Comme vous le savez, le conseil informel des ministres réunissait l'ensemble des ministres européens en charge de la culture il y a trois jours à Linz en Autriche. Ce premier conseil de la présidence autrichienne a été l'occasion d'aborder des questions essentielles pour l'avenir de l'Union européenne, tant dans le champ de la culture que dans celui de l'audiovisuel et des nouvelles technologies. Je profite de cette occasion pour vous remercier, Monsieur le Secrétaire d'Etat, pour cette nouvelle étape dans la vie communautaire.

Je remercie également les organisateurs du Forum de m'avoir invitée à conclure le Forum européen du cinéma de Strasbourg. C'est avec grand plaisir que je reviens cette année en tant que ministre de la culture et de la communication, dans une enceinte où je me suis occupée de cinéma.

L'année qui s'est écoulée a été riche en événements au niveau européen. La bonne santé des secteurs cinématographique et audiovisuel s'est largement confirmée, inscrivant comme une réalité durable l'entrée dans un monde où l'image prédomine. Le nombre de films produits dans l'ensemble de l'Union européenne a continué de croître, la hausse de la fréquentation des salles de cinéma a perduré dans des proportions relativement proches d'un pays à l'autre, la part de marché des films nationaux a pu progresser dans certains, rendant la France moins isolée, et les bouquets satellitaires ont continué à voir leurs abonnés progresser dans une large proportion, faisant de la télévision à péage un acteur central du secteur.

Nous devons être à la hauteur de ces signaux positifs. L'Europe ne peut plus se contenter de tenir des discours sur la politique cinématographique et audiovisuelle. Elle doit à présent prouver sa détermination à agir. Les professionnels ont montré une belle unanimité à Birmingham. Depuis, six mois se sont écoulés. J'attends les propositions concrètes de la Commission.

Je souhaite vous faire part des axes selon lesquels je crois qu'il nous faut travailler pour faire avancer cette Europe culturelle, creuset de l'Union européenne.

  • 1- Donner une nouvelle impulsion à l'Europe audiovisuelle

La Présidence britannique a pris l'initiative d'un grand rendez-vous des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel pour évoquer les questions qui se posent à l'Europe. Une conférence, qui s'est tenue à Birmingham en avril dernier, a été l'occasion d'une expression forte des professionnels en faveur d'une Europe plus engagée, consacrant davantage de moyens et favorisant la construction d'un véritable marché intérieur des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. Des propositions concrètes ont été formulées. Certaines d'entre elles ont été retenues par la Commission, reprises par une Communication au conseil des ministres européens de la culture en mai dernier. A cette occasion, la Commission proposait des orientations, un calendrier et s'engageait à faire des propositions pour la fin de l'année.

Je rappelle la nature de ces propositions :
*renforcer le soutien automatique à la distribution : la Commission a proposé la pérennisation du dispositif mis en place de manière expérimentale, et son élargissement à de nouveaux domaines - en particulier à la vidéo.
*créer des instruments financiers destinés à attirer les capitaux privés dans la production audiovisuelle européenne. Parallèlement au Fonds de garantie, qui n'a pas vu le jour du fait de l'opposition de quelques pays, la Commission a proposé d'explorer à l'occasion de l'évaluation de MEDIA II de nouvelles pistes.
*créer un mécanisme de soutien à l'exportation des films et des programmes audiovisuels européens sur les marchés non-européens.
J'ajouterai volontiers un quatrième aspect, qui n'a pas figuré à l'ordre du jour des derniers conseils des ministres, mais qui constitue un axe majeur du Forum : le patrimoine, sa conservation et sa diffusion.
Comme vous le savez, la France a depuis maintenant de longues années entrepris de préserver les chefs d'oeuvres du passé en mettant en place un plan de sauvegarde des films nitrates et en restaurant des copies. Considéré par la France comme un art à part entière, le cinéma mérite une politique patrimoniale au même titre que les bâtiments, les tableaux ou les livres. Il en va de la survie de cette mémoire, de la constitution de cette histoire, du lien entre le passé et l'avenir. J'ai souhaité faire un pas de plus dans cette direction en relançant la politique patrimoniale, en l'élargissant à l'audiovisuel, en lui donnant de nouveaux moyens et de nouvelles missions. La future Maison du cinéma y sera en particulier consacrée.
L'Europe doit pouvoir renforcer le volet patrimonial de sa politique cinématographique. Il existe déjà des actions importantes conduites dans plusieurs Etats membres. Il m'apparaît souhaitable de relancer la coordination des politiques conduites ici ou là et de se doter de moyens plus importants.
De manière plus générale, je regrette les difficultés que nous avons à nous mettre d'accord et avancer sur des propositions qui sont, somme toutes, modestes au regard d'autres politiques de l'Union. L'embellie que connaissent plusieurs cinématographies européennes est une occasion inespérée de se mettre autour de la table pour faire avancer cette politique.

Cette nouvelle impulsion en faveur d'une Europe audiovisuelle forte me semble très importante à plusieurs titres :
*sur le simple plan culturel, préserver la diversité des sources de création, continuer à offrir au public une image du monde plurielle et non passée à travers un seul et même filtre, me semble crucial. De la même manière que nous construisons une Europe forte en mettant en commun nos atouts économiques, financiers et monétaires, sans renier nos spécificités, nous devons unir nos forces dans des secteurs aussi fondamentaux que ceux des programmes et de leur diffusion.
*afin d'arriver unis dans les négociations internationales qui se succèdent et se ressemblent toutes au moins sur un point : la volonté des Etats-Unis d'élargir à l'audiovisuel la logique de libéralisation qui prévaut dans bon nombre de secteurs. Plus les pays membres de l'Union auront d'intérêts communs dans ce secteur, plus nous arriverons à parler d'une même voix à l'extérieur. C'est pourquoi je me réjouis tant du renouveau des industries cinématographiques et audiovisuelles de plusieurs pays membres. C'est la plus grande chance que nous ayons pour construire notre discours non pas sur de simples prises de positions idéologiques qui seraient relayées par un protectionnisme de mauvais aloi mais sur une réalité économique qui repose sur une logique de succès.

Les négociations de l'AMI reprennent officiellement dans quelques jours, les négociations transatlantiques initiées par Sir Leon Brittan continuent leur cours, et bientôt nous allons devoir définir notre stratégie pour le nouveau round de négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. La Commission européenne, bien que ne participant que comme observateur à l'AMI, était arrivée à définir une position commune aux Etats-membres en matière d'audiovisuel : un consensus s'était dégagé pour ne pas remettre en cause les acquis du GATTS. Cet équilibre qui avait été difficile à obtenir, nous devons le consolider par le renforcement d'une politique européenne structurée.
*un contexte qui s'y prête : la multiplication des canaux de diffusion des oeuvres, les grandes batailles que se livrent les bouquets pour accéder aux programmes, devraient être des incitations fortes pour favoriser la production et la circulation des oeuvres européennes. Nous savons très bien qu'en l'absence de politique offensive en la matière, ce sont les programmes américains qui occuperont l'essentiel des nouvelles cases.
Cette dernière réflexion me permet de passer au deuxième point que je souhaitais aborder avec vous : la préparation de l'Europe élargie dans le domaine de l'audiovisuel.

  • 2- La préparation de l'Europe élargie dans le domaine de l'audiovisuel

En juillet 1997, la Commission européenne a estimé qu'il était possible d'entamer des négociations d'adhésion avec cinq pays : la Hongrie, la Pologne, l'Estonie, la République tchèque et la Slovénie. La Commission a proposé d'adopter un " véritable plan Marshall " pour les pays d'Europe centrale et orientale afin de les aider à devenir membres à part entière de l'Union. Ce plan doit comporter trois axes : l'adoption progressive des acquis communautaires, la familiarisation avec les programmes et les méthodes de travail communautaires, l'attribution d'aides financières de pré-adhésion qui représentent un montant total de 21 milliards d'ECU sur la période 2000-2006.

Je souhaite attirer votre attention sur l'enjeu que représente pour l'Union européenne la préservation dans une Europe élargie des acquis communautaires en matière audiovisuelle. La France est particulièrement attachée à ce que les pays d'Europe centrale et orientale dans leur ensemble adaptent leur législation audiovisuelle à la directive " Télévision sans frontières", au titre de l'acquis communautaire qu'ils doivent reprendre.

Les accords d'association avec les pays d'Europe centrale et orientale prévoient une harmonisation (en particulier sur la directive TVSF), mais il n'y a pas obligation juridique de transposition de la part de ces pays. Ainsi, même pour ceux des Pays d'Europe Centrale et Orientale dont l'adhésion à l'Union européenne est prévue à court terme, et en l'absence d'échéancier, la transposition des quotas ne constitue pas une obligation. Il est donc souhaitable d'adopter une approche globale consistant à " favoriser " les Etats qui avancent sur les questions audiovisuelles, dans le but d'obtenir une application effective des quotas et d'instaurer un suivi des progrès.

Par ailleurs, dans le cadre des négociations multilatérales en cours (OCDE, bientôt OMC), il est nécessaire que ces mêmes pays ayant vocation à intégrer l'Union européenne agissent en conformité avec la politique de la Communauté dans leurs relations commerciales avec les pays tiers.
Ces pays représentent pour l'avenir de la politique audiovisuelle européenne une véritable frontière. Ainsi, lors de leur adhésion à l'OMC, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne ont veillé à aligner leurs engagements au titre du GATTS sur ceux de l'Union européenne, dans la perspective de leur future adhésion et afin de ne pas exposer celle-ci à des demandes de compensation de la part des Etats-Unis.

Plus récemment, dans le cadre des négociations d'adhésion de la Lettonie à l'OMC, celle-ci a subi de nombreuses pressions de la part des Etats-Unis pour prendre des engagements complets en matière d'accès au marché et de traitement national dans le secteur audiovisuel. Face à la fermeté de la Commission, un compromis a finalement été trouvé permettant à la Lettonie de s'aligner sur les engagements pris par l'Union européenne en contrepartie d'engagements dans deux domaines commerciaux (l'investissement dans les salles de cinéma et dans les entreprises de location de vidéo). Ce compromis ayant été accepté par les Etats-Unis et finalisé par la Commission, il va être généralisé aux autres Etats baltes, réglant ainsi la question de leur adhésion à l'OMC.
Il me semble donc indispensable de veiller avec beaucoup d'attention à l'évolution de l'ensemble de ces pays dans le domaine de l'audiovisuel. Je souhaite enfin aborder un troisième axe de développement, qui a été longuement évoqué lors du Conseil de Linz : le service public audiovisuel.

  • 3- Le service public audiovisuel

En tant que ministre de la Culture et de la communication, j'ai engagé un processus de réforme de l'ensemble du cadre réglementaire de la communication audiovisuelle. Le Gouvernement français présentera en particulier d'ici la fin de l'année 1998 un projet de loi relatif au secteur public, amorce d'un changement en profondeur du service public télévisuel français.

Je tiens à établir un lien entre cet attachement à un service public audiovisuel fort et le développement de la société de l'information dans son ensemble. Nous devons être très vigilants à ce que le plus grand nombre puisse accéder à l'ensemble de ces nouveaux services. Et cette démocratisation de l'accès au savoir à travers les nouveaux outils passe par une redéfinition de la place et de l'évolution du secteur public de radiodiffusion.

Dans ce nouvel environnement technologique, qu'il soit Internet ou la télévision numérique par câble ou satellite, la présence du secteur public de radiodiffusion est fondamentale, voire incontournable :
*il est indispensable que de grands réseaux nationaux, et parmi eux les chaînes publiques, restent une référence partagée par tous alors même que se multiplient les supports de communication et se développe une spécialisation de plus en plus forte des usages audiovisuels.
*un audiovisuel public fort et diversifié constitue par ailleurs un facteur irremplaçable d'entraînement économique et culturel pour nos industries de programmes.
*enfin, l'audiovisuel public, par la richesse de ses programmes et de ses savoir faire, dispose d'atouts remarquables pour contribuer au développement de l'offre thématique et pour renforcer notre présence dans la compétition internationale de l'information et des programmes. L'audiovisuel public est également bien placé pour anticiper l'enrichissement des services et des formats que permettent le développement de la radio numérique et la perspective de la télévision hertzienne de terre.

A cet égard, le droit communautaire, en particulier depuis l'adoption du Protocole d'Amsterdam en juin 1997, offre désormais un cadre clair qui ne saurait être contesté. En effet, l'adoption de ce Protocole manifeste clairement l'importance que les Etats membres attachent au service public de l'audiovisuel, et réaffirme leur autonomie dans la définition de ses missions et la détermination des modalités de financement.

Par ailleurs, ce Protocole permet, à condition de ne pas en restreindre abusivement l'interprétation, au secteur public de radiodiffusion d'être présent sur les nouveaux réseaux et de proposer des services diversifiés, comme des chaînes thématiques ou des services interactifs.

Les radiodiffuseurs publics ont démontré leur capacité d'adaptation et d'innovation. Par l'appui qu'ils fournissent à la création, audiovisuelle et désormais multimédia, par leur engagement dans la coopération européenne, les radiodiffuseurs publics constituent des éléments majeurs du paysage audiovisuel européen qu'il convient de conforter.

Je sais que les services de la Commission européenne chargés de la concurrence préparent des propositions visant à limiter le champ d'intervention des télévisions publiques. Il ne saurait en être question. La définition des missions de service public doit rester au niveau des Etats. Il en va de la survie de la spécificité de chacun.
Il s'ouvre devant nous de nouveaux horizons, liés aux très fortes mutations du paysage audiovisuel européen. Nous avons tout entre nos mains pour construire cette Europe de l'audiovisuel que nous appelons de nos voeux. Mais pour que ces voeux ne restent pas lettre morte, il nous faut absolument, Etats membres comme Commission, définir très rapidement et très concrètement des propositions, à défaut de voir l'Europe se construire sans nous dans des domaines pourtant cruciaux.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 14 septembre 2001)