Texte intégral
Monsieur le Directeur général,
Monsieur le Secrétaire du Comité technique central d'établissement,
Je vous remercie de vos paroles de bienvenue et de votre accueil.
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Il est formidable de vous voir aujourd'hui aussi nombreux dans cette salle si symbolique de bien des débats et de justes combats. Je suis particulièrement heureux d'être avec vous pour cette première journée des originaires d'outre-mer de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. J'ai aperçu, dans votre assemblée, des responsables associatifs et syndicaux dont je connais l'action, sur leurs lieux de travail et aussi dans les communes d'Ile de France où j'ai eu souvent l'occasion de constater le dynamisme de votre engagement culturel et civique. J'ai également plaisir à retrouver ici, parmi les intervenants que vous avez conviés, quelques uns de ceux qui nous apportent aussi le renfort de leurs compétences sur des sujets à mes yeux décisifs, comme la mémoire et l'histoire de l'esclavage ou la lutte contre les discriminations qui font injure à la République.
Cette journée du 21 mars est, je le crois, une initiative exemplaire pour la réussite de laquelle vous vous êtes mobilisés ensemble, dans la diversité de vos métiers, de vos engagements, de vos responsabilités, de vos talents professionnels et extra-professionnels. C'est, je l'espère, le coup d'envoi d'autres rendez-vous, à la mesure de l'importance des originaires de tous les outre-mers dans le secteur hospitalier, à la mesure aussi de votre présence active dans la capitale et dans la région Ile de France. Gisèle Pineau, écrivain d'origine antillaise, a joliment évoqué le mouvement qui vous a, vous ou vos parents, conduits en région parisienne : " on quitte une île pour une autre " Pour nous, ajoutait-elle, " le cur du pays Hexagone bat du côté de la Seine, en Ile de France ".
Vous représentez près de 15% du personnel de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris : cela compte. C'est le fruit d'une longue histoire qui mérite en effet une mise à plat et une mise en perspective, une mise en commun et une mise à l'honneur.
L'Assistance publique, avec ses nombreux établissements et services, est une grande maison à laquelle, un jour ou l'autre, la plupart de nos concitoyens franciliens ont affaire, pour le bonheur d'une naissance ou l'épreuve d'une maladie. Au cur de cette institution, vous êtes au contact quotidien des malades, c'est à dire aussi de la souffrance et de la mort, parfois de l'extrême solitude. C'est pourquoi vos métiers ne sont jamais faciles et requièrent, quelle que soit votre tâche, beaucoup d'humanité. Je crois qu'une de vos tables rondes abordera la question de l'apport des originaires d'outre-mer à la culture des soins, que je prends ici au double sens, médical et humain, de prodiguer des soins et de prendre soin de ceux qui (les aides-soigantes le savent peut-être mieux que tous) ne se réduisent jamais à leur statut de malade.
Frantz Fanon, auquel j'ai voulu que nous rendions hommage en décembre dernier pour le 40è anniversaire de sa mort, a écrit dans Peau Noire, Masques Blancs, une phrase que je trouve belle et juste : " la médecine de la personne se pose comme un choix délibéré d'optimisme en face de la réalité humaine ". Médecin martiniquais, il étudia et commença d'exercer dans l'hexagone. Il y fit l'expérience du racisme. Il y découvrit la nécessité d'une pratique médicale plus respectueuse du sujet, quels que soient les troubles dont celui-ci est atteint. Le médecin auprès duquel il fit cet apprentissage a dit de lui : " sa main et sa voix étaient toujours prêtes et tendues vers l'autre et sa souffrance ". Je crois que c'est pour cette unique et même raison qu'il fut à la fois un praticien novateur et un militant anti-colonialiste dont la pensée critique reste une puissante source d'inspiration pour ceux qui ne se résignent pas au mépris d'autrui. Je suis heureux de rappeler ici que l'apport des outre-mers au monde hospitalier, ce fut aussi Fanon dont nous pouvons, je crois, être fiers ensemble.
Les originaires d'outre-mer représentent une dimension durable de la France hexagonale, une population aussi nombreuse que celle qui vit aux Antilles, Guadeloupe et Martinique réunies, tout particulièrement concentrée en Ile de France. Au point que certains parlent à son propos de " 5ème DOM ". Ce n'est pas le seul objectif de cette journée mais c'est peut-être le premier : vous rendre hommage et prendre la vraie mesure de l'apport qui est le vôtre, à l'AP et dans le pays. Sans rien gommer des difficultés que vous vivez ni des combats à mener pour que, tout simplement, la République tienne pleinement ses promesses à l'égard de tous les siens.
Je n'ignore pas la récente décision du Conseil d'Etat relative à l'attribution de l'indemnité d'éloignement aux agents originaires d'outre-mer de l'AP-HP. Je sais que, dans votre établissement, la concertation entre les représentants de la direction et des syndicats va démarrer maintenant sur les modalités d'application de cette décision aux personnels aujourd'hui en métropole. Le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité m'a fait savoir qu'il s'apprêtait, pour sa part, à prendre les décrets nécessaires, à l'avenir, pour la fonction publique hospitalière, afin qu'elle ne soit pas à l'écart de la nouvelle prime spécifique d'installation.
Les originaires d'outre-mer à l'AP, ce sont des familles installées de longue date dans l'hexagone, pour lesquelles les liens avec les régions d'origine ne prennent pas nécessairement la forme d'une " retour au pays natal " (pour le dire avec les mots d'Aimé Césaire) mais plutôt de ce que Maryse Charlot, que vous entendrez tout à l'heure, appelle " un va et vient " voire un système de " multi-résidence ". C'est, sans oublier là-bas, un enracinement ici où s'inscrivent des projets de vie à long terme. Ce sont aussi les nouvelles générations nées dans l'hexagone, qui posent et se posent des questions, elles aussi nouvelles, d'identité, de scolarité, d'insertion sociale et professionnelle tout en témoignant souvent d'une créativité culturelle remarquable.
Ce sont aussi, pour beaucoup, des femmes élevant seules leurs enfants, qui doivent assumer responsabilités familiales et vie professionnelle sans pouvoir s'appuyer sur les formes d'entraide et de solidarités inter-générationnelles qui aident traditionnellement à faire face dans les départements d'outre-mer. D'où l'importance, dans leur vie quotidienne, des équipements collectifs et systèmes de garde pour la petite enfance que le gouvernement s'est attaché à développer. D'où l'importance des solidarités publiques et des possibilités de formation et de promotion tout au long de la vie. D'où l'importance, aussi, de la question du logement quand on sait que, par exemple, 42% des ménages antillais vivant dans l'hexagone habitent dans le parc de logement social et sont donc très directement concernés par le refus d'une ville à deux vitesses et à deux visages, avec d'un côté les beaux et bons quartiers où l'on reste entre soi et, de l'autre côté, des quartiers qui deviennent, du coup, des quartiers de relégation, d'autant plus exposés aux incivilités, aux insécurités et aux désespérances urbaines. Vous connaissez ces réalités car beaucoup d'entre vous les vivent.
L'égalité des droits, pour ne pas être simplement formelle et pour se traduire dans les faits, exige vigilance et un combat jamais achevé contre les formes anciennes et nouvelles de discrimination, contre tous les " plafonds de verre ", ces barrières invisibles qui bloquent, sans le dire ouvertement, l'accès au droit commun en même temps qu'ils amènent à douter de soi.
L'égalité des droits n'oblige pas à l'uniformité, à l'assimilation autoritaire et unilatérale des uns par les autres. Elle suppose la réciprocité des influences. Elle n'est pas ennemie de la pluralité qui fait notre richesse commune. L'égalité n'implique pas la réduction à ce qu'Edouard Glissant appelle " la racine unique " qui tue toutes les autres et ampute chacun d'une partie de lui-même. C'est particulièrement vrai à l'AP mais aussi, plus largement, dans la cité comme le montre la vitalité des 700 associations qui agissent dans l'hexagone : les originaires de tous les outre-mers veulent être respectés dans toutes les dimensions de leurs cultures et de leur histoire, ce qui ne veut pas dire assignés à leur origine. Ce faisant, ils nous rendent à tous un fier service en nous poussant à voir la France telle qu'elle est et telle qu'elle devrait être davantage encore : forte de sa pluralité. Ils nous aident à comprendre combien la République n'en est pas affaiblie mais affermie, à regarder ensemble et plus lucidement notre histoire commune, condition d'un avenir mieux partagé.
Vous avez été l'aiguillon qui a poussé notre pays à porter sur l'esclavage et son abolition un autre regard. A qualifier la traite et l'asservissement pour ce qu'ils furent : un crime contre l'humanité. A restituer à ceux qui résistèrent leur dignité d'acteurs et, bien souvent, de combattants. 1802-2002 : évoquer cette année les figures de Delgrès, de Solitude, présente depuis le 8 mars sur la façade du Panthéon, et de leurs compagnons, c'est redonner à la résistance au rétablissement de l'esclavage par Bonaparte sa juste place dans les grandes pages de notre histoire commune. J'ai confié au Comité que préside Maryse Condé la mission de donner à la loi du 10 mai 2001 les prolongements pratiques dont elle a besoin pour que notre histoire soit durablement remise sur ses pieds et transmise. Dans les programmes et les manuels scolaires. Dans les rues de nos villes (comme le Maire de Paris l'a fait en débaptisant la rue Richepanse, massacreur de la résistance guadeloupéenne, ou le maire de Cergy en installant une statue rendant hommage aux nègres marrons). Par la proposition d'une date de commémoration dans l'hexagone, comme chaque département d'outre-mer et Mayotte ont déjà les leurs. Ce Comité procèdera à de nombreuses auditions de toutes les associations oeuvrant pour la préservation de la mémoire de l'esclavage ainsi que des organisations syndicales. Le droit à l'histoire telle qu'elle fut est une condition nécessaire pour ne pas, comme le disait Fanon, rester " esclave de l'esclavage qui déshumanisa mes pères ".
Ce changement de regard sur ce pan-là de notre histoire est indissociable d'un profond changement de regard sur les outre-mers qui a inspiré le temps de réformes et de dialogue engagé depuis 1997, pour qu'enfin égalité, pluralité et solidarité marchent ensemble. C'est tout le sens, notamment, de la loi d'orientation de décembre 2000 qui lie développement économique durable et égalité des droits sociaux Des moyens jamais réunis ont été mobilisés pour le soutien aux économies et à l'emploi outre-mer. Certains s'en indignent et parlent d'assistanat. J'appelle, moi, cela solidarité et équité. Des dizaines de milliers d'emplois créés de la sorte et le chômage en baisse de plus de 10% dans les départements d'outre-mer : je ne m'en contente pas mais c'est une inversion de tendance que je crois plus efficace que les recettes éculées du tout-libéral. Pour aller plus loin, il faut, dans tous les domaines, affirmer la continuité territoriale comme principe républicain fort, valant pour les transports aériens comme pour l'accès de tous à l'école ou aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il faut aussi, pour prolonger cette dynamique, associer toutes les forces vives d'outre-mer à la définition de contrats de développement durable préparés par les Etats Généraux sur le terrain et non des décisions tombées d'en haut.
En matière de santé publique, un effort tout particulier est fait dans tous les outre-mers et en priorité en Guyane et à Mayotte où les problèmes sont les plus aigus. J'ai rencontré les personnels hospitaliers sur le terrain et je puis vous assurer que le renforcement des systèmes de santé locaux, la modernisation de l'hôpital de Mamoudzou, l'amélioration de la situation des personnels mahorais tout comme la mise à niveau des établissements de Cayenne, de Saint Laurent du Maroni, des centres de santé de Maripasoula et de Saint Georges de l'Oyapock, le développement de la télémédecine, la lutte contre le paludisme, le sida, la pollution pathogène de l'eau par le mercure ainsi d'ailleurs que l'ouverture de lieux d'accueil pour les femmes battues constituent des dimensions essentielles de politiques sanitaires et solidaires nécessaires. Ainsi d'ailleurs que le lancement, en janvier dernier, du plan de lutte contre la drépanocytose, cette maladie génétique peu connue, encore mortelle ou gravement invalidante, qui frappe outre-mer comme en Ile de France et contre laquelle j'ai voulu renforcer le réseau d'information et de prise en charge, le soutien aux associations et le financement de l'effort de recherche.
Tout se tient, en réalité entre ici et là-bas. Pour les originaires d'outre-mer durablement installés dans l'hexagone, mieux vivre ici c'est aussi savoir que là-bas, l'avenir n'est pas barré. Pour ici comme pour là-bas, je revendique donc la même politique de la fierté. Fierté de ce que chacun est et fierté de ce que nous sommes ensemble. Fierté d'une France plus égalitaire et plus forte de sa diversité. Les outre-mers sont aussi dans l'hexagone et c'est le pays tout entier qui bénéficie de leurs apports. L'AP le montre avec la part active que vous prenez au fonctionnement de ce grand service public. Vous y apportez plus que vos savoir-faire : vos savoir-être, votre mémoire, votre histoire, vos identités, vos sensibilités. La Cité des outre-mers le montrera aussi, mettant en valeur pour un large public les riches cultures de tous les outre-mers qui sont une dimension essentielle de notre patrimoine vivant et de notre modernité dans un monde qui, comme le dit Edouard Glissant, " se créolise ".
Je ne pourrai malheureusement pas rester avec vous toute la journée, j'assisterai seulement à votre premier débat car d'autres tâches m'appellent et notamment, tout à l'heure, l'inauguration du stand que nous avons installé au Salon du Livre de Paris pour l'ensemble des éditeurs d'outre-mer. Toutes mes félicitations à ceux qui ont travaillé pour que cette journée vous rassemble. Elle me paraît correspondre à la belle exhortation que j'ai lue sous la plume de Maryse Charlot : " il ne suffit pas de demander un droit d'être, il faut affirmer sa volonté d'être ".
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 18 avril 2002)
Monsieur le Secrétaire du Comité technique central d'établissement,
Je vous remercie de vos paroles de bienvenue et de votre accueil.
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Il est formidable de vous voir aujourd'hui aussi nombreux dans cette salle si symbolique de bien des débats et de justes combats. Je suis particulièrement heureux d'être avec vous pour cette première journée des originaires d'outre-mer de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. J'ai aperçu, dans votre assemblée, des responsables associatifs et syndicaux dont je connais l'action, sur leurs lieux de travail et aussi dans les communes d'Ile de France où j'ai eu souvent l'occasion de constater le dynamisme de votre engagement culturel et civique. J'ai également plaisir à retrouver ici, parmi les intervenants que vous avez conviés, quelques uns de ceux qui nous apportent aussi le renfort de leurs compétences sur des sujets à mes yeux décisifs, comme la mémoire et l'histoire de l'esclavage ou la lutte contre les discriminations qui font injure à la République.
Cette journée du 21 mars est, je le crois, une initiative exemplaire pour la réussite de laquelle vous vous êtes mobilisés ensemble, dans la diversité de vos métiers, de vos engagements, de vos responsabilités, de vos talents professionnels et extra-professionnels. C'est, je l'espère, le coup d'envoi d'autres rendez-vous, à la mesure de l'importance des originaires de tous les outre-mers dans le secteur hospitalier, à la mesure aussi de votre présence active dans la capitale et dans la région Ile de France. Gisèle Pineau, écrivain d'origine antillaise, a joliment évoqué le mouvement qui vous a, vous ou vos parents, conduits en région parisienne : " on quitte une île pour une autre " Pour nous, ajoutait-elle, " le cur du pays Hexagone bat du côté de la Seine, en Ile de France ".
Vous représentez près de 15% du personnel de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris : cela compte. C'est le fruit d'une longue histoire qui mérite en effet une mise à plat et une mise en perspective, une mise en commun et une mise à l'honneur.
L'Assistance publique, avec ses nombreux établissements et services, est une grande maison à laquelle, un jour ou l'autre, la plupart de nos concitoyens franciliens ont affaire, pour le bonheur d'une naissance ou l'épreuve d'une maladie. Au cur de cette institution, vous êtes au contact quotidien des malades, c'est à dire aussi de la souffrance et de la mort, parfois de l'extrême solitude. C'est pourquoi vos métiers ne sont jamais faciles et requièrent, quelle que soit votre tâche, beaucoup d'humanité. Je crois qu'une de vos tables rondes abordera la question de l'apport des originaires d'outre-mer à la culture des soins, que je prends ici au double sens, médical et humain, de prodiguer des soins et de prendre soin de ceux qui (les aides-soigantes le savent peut-être mieux que tous) ne se réduisent jamais à leur statut de malade.
Frantz Fanon, auquel j'ai voulu que nous rendions hommage en décembre dernier pour le 40è anniversaire de sa mort, a écrit dans Peau Noire, Masques Blancs, une phrase que je trouve belle et juste : " la médecine de la personne se pose comme un choix délibéré d'optimisme en face de la réalité humaine ". Médecin martiniquais, il étudia et commença d'exercer dans l'hexagone. Il y fit l'expérience du racisme. Il y découvrit la nécessité d'une pratique médicale plus respectueuse du sujet, quels que soient les troubles dont celui-ci est atteint. Le médecin auprès duquel il fit cet apprentissage a dit de lui : " sa main et sa voix étaient toujours prêtes et tendues vers l'autre et sa souffrance ". Je crois que c'est pour cette unique et même raison qu'il fut à la fois un praticien novateur et un militant anti-colonialiste dont la pensée critique reste une puissante source d'inspiration pour ceux qui ne se résignent pas au mépris d'autrui. Je suis heureux de rappeler ici que l'apport des outre-mers au monde hospitalier, ce fut aussi Fanon dont nous pouvons, je crois, être fiers ensemble.
Les originaires d'outre-mer représentent une dimension durable de la France hexagonale, une population aussi nombreuse que celle qui vit aux Antilles, Guadeloupe et Martinique réunies, tout particulièrement concentrée en Ile de France. Au point que certains parlent à son propos de " 5ème DOM ". Ce n'est pas le seul objectif de cette journée mais c'est peut-être le premier : vous rendre hommage et prendre la vraie mesure de l'apport qui est le vôtre, à l'AP et dans le pays. Sans rien gommer des difficultés que vous vivez ni des combats à mener pour que, tout simplement, la République tienne pleinement ses promesses à l'égard de tous les siens.
Je n'ignore pas la récente décision du Conseil d'Etat relative à l'attribution de l'indemnité d'éloignement aux agents originaires d'outre-mer de l'AP-HP. Je sais que, dans votre établissement, la concertation entre les représentants de la direction et des syndicats va démarrer maintenant sur les modalités d'application de cette décision aux personnels aujourd'hui en métropole. Le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité m'a fait savoir qu'il s'apprêtait, pour sa part, à prendre les décrets nécessaires, à l'avenir, pour la fonction publique hospitalière, afin qu'elle ne soit pas à l'écart de la nouvelle prime spécifique d'installation.
Les originaires d'outre-mer à l'AP, ce sont des familles installées de longue date dans l'hexagone, pour lesquelles les liens avec les régions d'origine ne prennent pas nécessairement la forme d'une " retour au pays natal " (pour le dire avec les mots d'Aimé Césaire) mais plutôt de ce que Maryse Charlot, que vous entendrez tout à l'heure, appelle " un va et vient " voire un système de " multi-résidence ". C'est, sans oublier là-bas, un enracinement ici où s'inscrivent des projets de vie à long terme. Ce sont aussi les nouvelles générations nées dans l'hexagone, qui posent et se posent des questions, elles aussi nouvelles, d'identité, de scolarité, d'insertion sociale et professionnelle tout en témoignant souvent d'une créativité culturelle remarquable.
Ce sont aussi, pour beaucoup, des femmes élevant seules leurs enfants, qui doivent assumer responsabilités familiales et vie professionnelle sans pouvoir s'appuyer sur les formes d'entraide et de solidarités inter-générationnelles qui aident traditionnellement à faire face dans les départements d'outre-mer. D'où l'importance, dans leur vie quotidienne, des équipements collectifs et systèmes de garde pour la petite enfance que le gouvernement s'est attaché à développer. D'où l'importance des solidarités publiques et des possibilités de formation et de promotion tout au long de la vie. D'où l'importance, aussi, de la question du logement quand on sait que, par exemple, 42% des ménages antillais vivant dans l'hexagone habitent dans le parc de logement social et sont donc très directement concernés par le refus d'une ville à deux vitesses et à deux visages, avec d'un côté les beaux et bons quartiers où l'on reste entre soi et, de l'autre côté, des quartiers qui deviennent, du coup, des quartiers de relégation, d'autant plus exposés aux incivilités, aux insécurités et aux désespérances urbaines. Vous connaissez ces réalités car beaucoup d'entre vous les vivent.
L'égalité des droits, pour ne pas être simplement formelle et pour se traduire dans les faits, exige vigilance et un combat jamais achevé contre les formes anciennes et nouvelles de discrimination, contre tous les " plafonds de verre ", ces barrières invisibles qui bloquent, sans le dire ouvertement, l'accès au droit commun en même temps qu'ils amènent à douter de soi.
L'égalité des droits n'oblige pas à l'uniformité, à l'assimilation autoritaire et unilatérale des uns par les autres. Elle suppose la réciprocité des influences. Elle n'est pas ennemie de la pluralité qui fait notre richesse commune. L'égalité n'implique pas la réduction à ce qu'Edouard Glissant appelle " la racine unique " qui tue toutes les autres et ampute chacun d'une partie de lui-même. C'est particulièrement vrai à l'AP mais aussi, plus largement, dans la cité comme le montre la vitalité des 700 associations qui agissent dans l'hexagone : les originaires de tous les outre-mers veulent être respectés dans toutes les dimensions de leurs cultures et de leur histoire, ce qui ne veut pas dire assignés à leur origine. Ce faisant, ils nous rendent à tous un fier service en nous poussant à voir la France telle qu'elle est et telle qu'elle devrait être davantage encore : forte de sa pluralité. Ils nous aident à comprendre combien la République n'en est pas affaiblie mais affermie, à regarder ensemble et plus lucidement notre histoire commune, condition d'un avenir mieux partagé.
Vous avez été l'aiguillon qui a poussé notre pays à porter sur l'esclavage et son abolition un autre regard. A qualifier la traite et l'asservissement pour ce qu'ils furent : un crime contre l'humanité. A restituer à ceux qui résistèrent leur dignité d'acteurs et, bien souvent, de combattants. 1802-2002 : évoquer cette année les figures de Delgrès, de Solitude, présente depuis le 8 mars sur la façade du Panthéon, et de leurs compagnons, c'est redonner à la résistance au rétablissement de l'esclavage par Bonaparte sa juste place dans les grandes pages de notre histoire commune. J'ai confié au Comité que préside Maryse Condé la mission de donner à la loi du 10 mai 2001 les prolongements pratiques dont elle a besoin pour que notre histoire soit durablement remise sur ses pieds et transmise. Dans les programmes et les manuels scolaires. Dans les rues de nos villes (comme le Maire de Paris l'a fait en débaptisant la rue Richepanse, massacreur de la résistance guadeloupéenne, ou le maire de Cergy en installant une statue rendant hommage aux nègres marrons). Par la proposition d'une date de commémoration dans l'hexagone, comme chaque département d'outre-mer et Mayotte ont déjà les leurs. Ce Comité procèdera à de nombreuses auditions de toutes les associations oeuvrant pour la préservation de la mémoire de l'esclavage ainsi que des organisations syndicales. Le droit à l'histoire telle qu'elle fut est une condition nécessaire pour ne pas, comme le disait Fanon, rester " esclave de l'esclavage qui déshumanisa mes pères ".
Ce changement de regard sur ce pan-là de notre histoire est indissociable d'un profond changement de regard sur les outre-mers qui a inspiré le temps de réformes et de dialogue engagé depuis 1997, pour qu'enfin égalité, pluralité et solidarité marchent ensemble. C'est tout le sens, notamment, de la loi d'orientation de décembre 2000 qui lie développement économique durable et égalité des droits sociaux Des moyens jamais réunis ont été mobilisés pour le soutien aux économies et à l'emploi outre-mer. Certains s'en indignent et parlent d'assistanat. J'appelle, moi, cela solidarité et équité. Des dizaines de milliers d'emplois créés de la sorte et le chômage en baisse de plus de 10% dans les départements d'outre-mer : je ne m'en contente pas mais c'est une inversion de tendance que je crois plus efficace que les recettes éculées du tout-libéral. Pour aller plus loin, il faut, dans tous les domaines, affirmer la continuité territoriale comme principe républicain fort, valant pour les transports aériens comme pour l'accès de tous à l'école ou aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il faut aussi, pour prolonger cette dynamique, associer toutes les forces vives d'outre-mer à la définition de contrats de développement durable préparés par les Etats Généraux sur le terrain et non des décisions tombées d'en haut.
En matière de santé publique, un effort tout particulier est fait dans tous les outre-mers et en priorité en Guyane et à Mayotte où les problèmes sont les plus aigus. J'ai rencontré les personnels hospitaliers sur le terrain et je puis vous assurer que le renforcement des systèmes de santé locaux, la modernisation de l'hôpital de Mamoudzou, l'amélioration de la situation des personnels mahorais tout comme la mise à niveau des établissements de Cayenne, de Saint Laurent du Maroni, des centres de santé de Maripasoula et de Saint Georges de l'Oyapock, le développement de la télémédecine, la lutte contre le paludisme, le sida, la pollution pathogène de l'eau par le mercure ainsi d'ailleurs que l'ouverture de lieux d'accueil pour les femmes battues constituent des dimensions essentielles de politiques sanitaires et solidaires nécessaires. Ainsi d'ailleurs que le lancement, en janvier dernier, du plan de lutte contre la drépanocytose, cette maladie génétique peu connue, encore mortelle ou gravement invalidante, qui frappe outre-mer comme en Ile de France et contre laquelle j'ai voulu renforcer le réseau d'information et de prise en charge, le soutien aux associations et le financement de l'effort de recherche.
Tout se tient, en réalité entre ici et là-bas. Pour les originaires d'outre-mer durablement installés dans l'hexagone, mieux vivre ici c'est aussi savoir que là-bas, l'avenir n'est pas barré. Pour ici comme pour là-bas, je revendique donc la même politique de la fierté. Fierté de ce que chacun est et fierté de ce que nous sommes ensemble. Fierté d'une France plus égalitaire et plus forte de sa diversité. Les outre-mers sont aussi dans l'hexagone et c'est le pays tout entier qui bénéficie de leurs apports. L'AP le montre avec la part active que vous prenez au fonctionnement de ce grand service public. Vous y apportez plus que vos savoir-faire : vos savoir-être, votre mémoire, votre histoire, vos identités, vos sensibilités. La Cité des outre-mers le montrera aussi, mettant en valeur pour un large public les riches cultures de tous les outre-mers qui sont une dimension essentielle de notre patrimoine vivant et de notre modernité dans un monde qui, comme le dit Edouard Glissant, " se créolise ".
Je ne pourrai malheureusement pas rester avec vous toute la journée, j'assisterai seulement à votre premier débat car d'autres tâches m'appellent et notamment, tout à l'heure, l'inauguration du stand que nous avons installé au Salon du Livre de Paris pour l'ensemble des éditeurs d'outre-mer. Toutes mes félicitations à ceux qui ont travaillé pour que cette journée vous rassemble. Elle me paraît correspondre à la belle exhortation que j'ai lue sous la plume de Maryse Charlot : " il ne suffit pas de demander un droit d'être, il faut affirmer sa volonté d'être ".
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 18 avril 2002)