Déclaration de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national et candidat à l'élection présidentielle 2002, sur ses propositions en matière de politique maritime, Brest, le 19 janvier 2002.

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Circonstance : Discours électoral à Brest, le 19 janvier 2002

Texte intégral

Mesdames et messieurs,

Vous le savez, à coeur breton, nulle terre bretonne n'est étrangère, surtout que l'homme de mer que je suis, amoureux des bateaux par tradition familiale et par goût personnel, n'est jamais aussi ému que lorsqu'il songe aux merveilleuses histoires des marins, voyageurs, aventuriers et soldats partis de Brest à la conquête du monde.

C'est Kerguelen qui part en 1772, puis Bougainville qui entame en 1766 son tour du monde, et enfin La Pérouse qui prend son dernier départ en 1885.

C'est l'époque de la création de l'Académie de Marine.

C'est aussi, au milieu des faits d'armes glorieux qui rythment l'histoire de la ville, le souvenir ému du courage de l'amiral Villaret de Joyeuse, cinglant sur l'Anglais et sacrifiant la flotte au passage des navires chargés de blé destinés à alimenter la population sous la Révolution.

La marine envoie sa flotte combattre bien sûr, mais aussi surveiller les comptoirs d'Afrique, des " îles à sucre " (les Antilles) et de la " Nouvelle France ".

La France, alors dotée d'une solide marine de guerre et d'une ambition universelle, avait mis en oeuvre une grande politique maritime.

La politique du grand large, c'est celle des grandes ambitions.

C'est à cette vocation que notre pays a aujourd'hui renoncé, limitant son horizon politique à l'Europe continentale, appendice occidentale de l'immense Eurasie.

Bien évidemment, il s'agit là d'un choix idéologique lié à la construction de l'Europe et non pas d'un fait géopolitique.


I- En effet, à l'orée du troisième millénaire, la France dispose d'atouts considérables, qui lui confère de fait le statut de grande puissance mondiale.

D'un point de vue territorial tout d'abord, notre pays a un horizon planétaire, puisqu'à la possession de grandes îles - la Corse en Méditerranée, la Réunion dans l'Océan Indien, la Martinique et la Guadeloupe dans le bassin Caraïbe, la Guyane en Amérique du sud, la Nouvelle Calédonie et la Polynésie dans le Pacifique sud, les terres australes et antarctiques - à la possession de ces grandes îles disais-je, il faut ajouter quelque 30.000 petites îles et îlots dispersés aux quatre coins du monde.

Qui ne voit qu'il s'agit là de points d'appuis témoignant de l'horizon mondial de la politique de notre pays ?

Ces perspectives stratégiques évidentes par elles-mêmes, elles semblent être tombées en désuétude, au moins dans l'esprit de nos dirigeants, qui ont tous réglé leur montre à l'heure de la fin de la guerre froide, des " dividendes de la paix " et du nouvel ordre mondial.

Ils subissent donc un important décalage horaire, qui d'ailleurs les fatigue beaucoup, car plus que jamais, les rapports internationaux apparaissent comme totalement fondés sur les rapports de force.

Si ce n'était pas le cas, pourquoi les Etats -Unis conserveraient-ils de nombreuses bases militaires - Hawaï, Diego Garcia, Berbera...- et de somptueuses flottes de guerre, telle la VIème flotte en Méditerranée ou la VIIème dans le Pacifique ?

En vérité, même si nous étions entrés dans une ère où le commerce prend le pas sur la guerre, la puissance économique et commerciale resterait liée à la sécurité des communications.

Je ne prendrais qu'un seul exemple : la souveraineté française sur les îles Eparses dans le canal du Mozambique permet théoriquement à notre pays de contrôler plus de 90% du trafic maritime dans cette région.

Une grande politique maritime permet donc d'assurer la continuité des approvisionnements, mais aussi de bénéficier de matières premières ou de ressources alimentaires.

Ainsi, la France dispose de plus de 11 milliards de km² de zone économique exclusive, c'est-à-dire de considérables richesses halieutiques et minérales, qu'il faut impérativement mettre en valeur par une politique d'exploitation bien définie.

Notre économie recèle ainsi d'immenses possibilités de développement : 20% de la production mondiale de pétrole est issue du sous-sol marin, et les scientifiques font état de gisements potentiels autour de Saint-Pierre et Miquelon.

Partout, les fonds marins regorgent de nodules polymétalliques ainsi que de minéraux aussi divers que le cuivre, le nickel, le cobalt, la manganèse ou l'uranium !

II- Tout cela est bel et beau, mais hélas, ne sert à rien.

Toutes ces ressources sont quasiment inexploitées, en raison de l'absence de navires battant pavillon français, de l'absence de politique, de l'absence d'intérêt des uns et des autres

Prenons d'abord l'exemple de la marine marchande.

Elle comptait 450 bâtiments en 1980, plaçant la France au 4ème rang mondial.

Il n'en reste que 150 aujourd'hui, et la France se retrouve au 27ème rang.

A la vérité, notre marine marchande a été sacrifiée au libre-échangisme mondial, qui a amené la concurrence des marines coréennes et japonaises, dont les tarifs de fret étaient considérablement inférieurs aux nôtres, pour des raisons de sous-évaluation monétaire et d'absence de charges sociales sur les salaires.

Le résultat en est la disparition à échéance prochaine d'une capacité de fret proprement indépendante.

C'est déjà grave, mais pas aussi grave que la situation de notre marine de guerre.

Rogné d'années en années, le budget d'équipement de la Défense nationale ne nous permet plus d'avoir une Marine digne de ce nom.

Depuis 1992, nous avons du désarmer 36 bâtiments, dont 2 porte avions et 7 sous-marins.

Nous n'avons qu'un seul porte avion, le Charles de Gaulle.

Il n'a pas d'hélice hélas. C'est là qu'est l'os.

Faute d'un second porte-avion, la France sera privée de tout groupe aéronaval en 2004/2005 et 2010/2011.

A l'exception des frégates Lafayette, il faut encore noter que les bâtiments de la flotte sont vétustes. C'est le cas de certains sous-marins nucléaires lanceurs d'engins.

De plus, le transport et la mobilité des troupes, au cur des " nouvelles missions" assignées à l'armée, sont notoirement insuffisants : la France ne dispose par exemple que de 4 Transports de Chalands de Débarquement, et, comme en matière de moyens aéronavals d'observation, dépend une nouvelle fois totalement de ses alliés de l'OTAN.

Dès lors, la souveraineté militaire et la puissance géopolitique de notre pays ont vécu.

Comme d'ailleurs notre indépendance alimentaire, puisque désormais, il est acquis, notamment à Bruxelles, que la pêche française doit disparaître au profit de l'Espagne dans un premier temps, puis des pays de l'hémisphère sud.

Ainsi, de 11.700 navires en activité en 1983, on tombe à moins de 6.000 aujourd'hui.

Voilà les conséquences de la politique des quotas, de la limitation des prises, du chantage aux aides à la modernisation !

L'Europe bleue a plombé le bilan de nombreux bateaux, acculés à la faillite.

Le résultat est simple : 850.000 tonnes de poissons sont importées chaque année et la France accuse un déficit commercial de 11 milliards de FF par an dans ce secteur !

Aux Kerguelen, les flottes russes et japonaises pêchent de façon intensive, en l'absence de tout navire français, et en 2002, les quotas nationaux seront encore diminués d'environ un tiers par rapport à la compagne 2001 !

Lorsque dans le Golfe de Gascogne, les quotas de langoustines (moins 20%), de soles (moins 30%), de cabillauds (moins 18%) seront atteints, que feront les pêcheurs ?

Accepteront-ils de voir leurs revenus sérieusement amputés ?

De rester à terre sans ressources ?

Ou alors, de se reconvertir provisoirement sur d'autres espèces dans d'autres zones, ce qui signifie se mettre en concurrence avec des collègues qui pratiquent le même métier.

A juste titre, les professionnels bretons n'hésitent pas à parler de " torpillage des pêches françaises par la Communauté ".

Dans ce triste bilan, seul le redressement de la construction navale fait naître quelques espoirs.

Bien sûr, les crises successives des arsenaux ont durement affecté les entreprises de la construction navale et leurs sous-traitants. Depuis 1993, l'emploi salarié industriel a reculé de 1, 4%.

S'il est clair que, dans le domaine des grands navires, le tonnage construit en France a baissé au cours des 20 dernières années, l'industrie française a su se créer une spécialité dans la gamme des navires à forte valeur ajoutée (paquebots de croisière, méthaniers, ferries, etc.) qui lui assure encore un bon niveau d'activité.

Ainsi, les chantiers de Saint-Nazaire vont construire le Queen Mary II, long de plus de 350 mètres, et pouvant accueillir plus de 3.000 passagers.

Incontestablement, le chiffre d'affaires de la construction de navires civils est désormais en forte croissance et a atteint 12 milliards en l'an 2000, auxquels il faut ajouter environ 1,5 milliard dans la réparation navale, principalement à Brest, Le Havre, Dunkerque et Marseille.

A Brest, l'activité construction neuve de la DCN a sensiblement diminué en 1997 et 1998 avec la fin de la construction du porte-avion nucléaire " Charles de Gaulle ".

Elle n'est repartie qu'avec l'annonce fin 2001 de la réalisation de la tranche avant d'un sous-marin nucléaire par la DNC et ses sous-traitants.

III- Mesdames et messieurs, après le bilan, fut-il très lourd, vient le temps de la réflexion et de l'action.

La France doit renouer avec sa tradition de grande puissance maritime.

C'est là une question de puissance et de prospérité, mais aussi d'identité.

Ecoutons le bel hommage de Jacqueline Tabarly à Eric, qui est aussi un hommage à la France .

" La mer peut être source de vie et de puissance, de force et d'alliance entre les hommes. La France n'a jamais été aussi grande que lorsque ses bateaux, de guerre comme de commerce, allaient sur l'eau pour son plus grand rayonnement. Mais il y a de cela très longtemps. Et depuis trop longtemps, nos gouvernants, quels qu'ils soient, ont tourné le dos à la mer "


En effet, Mesdames et Messieurs, comment se fait-il que la France, qui est le pays le plus maritime d'Europe par son kilométrage de côtes, ne possède pas un véritable ministère de la Mer ?

Comment se fait-il que la mer française dépende directement ou indirectement d'une dizaine de ministère ?

Comment se fait-il que la France ait accepté que l'on brade, hier sa marine marchande et aujourd'hui ses pêches ?

Il n'est que temps de mettre un terme à ces gaspillages et à ces erreurs politiques.

La puissance maritime est une vieille réalité géopolitique, pointée par les auteurs du début du siècle, tels Mac Kinder, qui considérait que les puissances maritimes encerclaient les puissances continentales.

Cette vision doit être prise en compte dans le monde d'aujourd'hui, qui je le répète, reste évidemment un monde de rapport de forces.

Une grande politique de la mer suppose de préserver la souveraineté française sur notre zone économique exclusive, sur nos zones de pêches, sur nos territoires et départements d'outre-mer.

Pour cela, il faut construire des bateaux, pour redresser la situation de la marine marchande, et renforcer la capacité opérationnelle de notre marine de guerre.

Ainsi, la France sera plus présente sur les océans du globe, contribuant à limiter le risque de catastrophes écologiques maritimes, en raison du contrôle effectif du trafic dans telles et telles zones.

L'économie de la mer ne peut être oubliée :la pêche française ne pourra être sauvée que si nous sortons de l'Europe bleue.

Il nous sera ainsi possible de protéger notre marché national, et de préserver nos entreprises de pêche.

Enfin, un effort de recherche - développement public doit être consenti pour développer toutes les technologies relatives à l'exploitation du sous-sol marin.

C'est peut-être là que résident les sources d'énergie de demain.

Voilà à grands traits, mesdames et messieurs, l'objectif de la grande politique maritime que je compte mettre en oeuvre si je suis élu Président de la République.

Vous l'aurez compris, elle correspond à une certaine vision de la France, à une certaine conception de sa grandeur et de son rayonnement.

C'est l'objet de ma candidature, et depuis toujours, le sens de mon combat.


Je vous remercie

(Source http://www.front-national.com, le 30 janvier 2002)