Texte intégral
L'hospitalité de nos amis des Pyrénées orientales nous a permis de réussir ce rassemblement qui, à la fin de l'été, marque les grands traits de l'action que nous voulons conduire durant l'année. Je voudrais remercier Paul Loridant, Catalan d'honneur, qui a beaucoup contribué à ce succès, l'équipe du MDC, rue du Faubourg Poissonnière, et le Comité MDC des Pyrénées orientales, grâce à qui nous avons organisé nos travaux. A Christian Bourquin, Président du Conseil Général, je veux dire aussi mon amicale reconnaissance pour l'accueil qu'il a su nous réserver, de même qu'au Président de l'Université qui a bien voulu prêter à nouveau ses locaux.
I Prenons la mesure des réussites
Voilà deux ans que la victoire électorale a amené une nouvelle majorité à la conduite des affaires de la France et Lionel Jospin à la tête du gouvernement. Ce changement est survenu dans une période marquée par deux événements majeurs qui ne sont d'ailleurs pas indépendants l'un de l'autre : la dislocation du bloc communiste, ses effets depuis dix ans, et la mondialisation financière. C'est à cette lumière qu'il faut faire le bilan des deux années écoulées, marquées par deux victoires électorales successives, le retour de la croissance, l'amélioration de l'emploi, des réformes positives, le travail d'un gouvernement sérieux et responsable.
Pour que la France ne se défasse pas dans la mondialisation, il faut maintenir l'idée de l'intérêt national et savoir prendre en tous domaines des décisions conformes à celui-ci.
1) C'est ce que je me suis efforcé de faire au ministère de l'Intérieur.
Il est normal que je vous rende compte de mon action à ce titre même si je souhaite que le MDC s'exprime pleinement par ailleurs.
La loi sur l'intercommunalité, produit d'une riche discussion parlementaire, nous dote d'outils qui vont permettre de moderniser en profondeur les cadres de notre organisation territoriale, tant en milieu urbain que dans l'espace rural. L'objectif est de créer dans l'année qui vient des dizaines de communautés d'agglomérations et de communes pour lutter aussi bien contre la ségrégation urbaine que contre la désertification de nos campagnes.
S'agit-il des enjeux de la sécurité publique ? La profonde réorganisation qu'implique le concept de "police de proximité", lancé au Colloque de Villepinte, en octobre 1997, est testée dans de premiers sites-pilotes, qui seront plus de 60 à la rentrée d'automne. La généralisation suivra de 2000 à 2002. Les contrats locaux de sécurité, dont le coup d'envoi a été donné dès 1997, sont au nombre de plus de 250 d'ores et déjà signés, 450 encore en cours d'élaboration et, donc, 700 au total. Les Assises de la formation et de la recherche dans la police nationale, en février 1998, ont déterminé les moyens d'une réponse toujours mieux adaptée de l'institution aux attentes des citoyens. 12.000 adjoints de sécurité ont été recrutés, formés et déployés dans les départements les plus sensibles. La fidélisation de 3000 CRS et militaires de la gendarmerie mobile permettra d'accélérer les redéploiements prévus à hauteur de 7.000 d'ici 2002 au profit d'une police à la fois territorialisée, responsabilisée, polyvalente et capable d'agir en partenariat. Si la citoyenneté est le socle de la sécurité, celle-ci est la condition de l'exercice des libertés et d'abord par ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin.
Le renforcement des moyens nationaux de la sécurité civile, la réforme désormais bien engagée des services d'incendie et de secours, la promotion du volontariat enfin, sont aussi la marque du souci que nous avons de la sécurité des Français aussi bien pour prévenir des catastrophes naturelles et des risques technologiques que pour faire face aux sinistres et aux accidents quotidiens.
S'agit-il du contrôle des flux migratoires, du droit de séjour des étrangers et du droit d'asile, sujets passionnels s'il en est ? Depuis que les mesures équilibrées de la loi RESEDA du 11 mai 1998 sont appliquées, le "débat sur l'immigration", centré sur les soi-disant "sans papiers", a quitté le devant de la scène. En revanche, la question de l'intégration des deux millions de jeunes Français issus de l'immigration a commencé à trouver la place centrale qu'elle doit occuper. La mise en place, début 1999, des Commissions départementales d'accès à la citoyenneté (CODAC), nous dote d'un outil opérationnel pour peu que la volonté politique soit au rendez-vous-, pour lutter contre les discriminations et favoriser l'embauche et la mise en valeur des talents de chacun. La xénophobie a perdu du terrain. L'extrême-droite qui se nourrissait de débats malsains a reculé pour la première fois depuis quinze ans, tombant à moins de 10 % des voix.
Enfin, la réforme de l'Etat The last, but not the least- veille à accompagner le mouvement de déconcentration par une modernisation de la gestion du Corps préfectoral et du cadre national des préfectures qui sont la colonne vertébrale de l'Etat.
Au vrai, on ne définira pas mieux le ministère de l'Intérieur que comme le ministère, par excellence de la citoyenneté.
2) Pour le MDC et le gouvernement de Lionel Jospin.
De ces deux années, le MDC peut tirer un bilan de sérieux et d'efficacité.
Sur le plan politique, sur le plan économique, sur le plan social le gouvernement de Lionel Jospin a remporté des succès marquants. La confiance du pays est au rendez-vous.
La majorité plurielle n'est certes pas à l'abri des tentations de la démagogie. Le M.D.C. s'efforce de l'aider de son mieux à y résister, qu'il s'agisse des problèmes de la vie quotidienne sécurité immigration- ou des grands choix qui engagent l'avenir du pays nucléaire ou politique étrangère-. Plus important encore est de donner sens à l'action de la gauche.
Pour le M.D.C. la résolution de notre Congrès de février 1999 a tracé les voies d'une action conséquente dans la durée.
Pour l'élection européenne, deux possibilités étaient ouvertes : la première celle d'une liste autonome du M.D.C., la seconde celle d'une liste d'union avec le P.S. sur une base politique. C'est cette voie que nous avons choisie parce que nous avons considéré que l'élection européenne n'était pas pour nous une échéance décisive, dès lors qu'une plate-forme acceptable avait été négociée avec le P.S. Après une campagne de huit jours qui s'est faite entièrement sur des thèmes circonstanciels, et largement éclipsée par l'affaire du Kosovo, j'incline à penser que, seuls, nous nous serions retrouvés chargés de plus de dettes que d'élus.
Au contraire, l'élection européenne a permis le très beau succès avec 23 % des voix du môle sérieux et responsable de la majorité plurielle. Le succès de la liste conduite par F. Hollande et S. Naïr a été d'autant plus marquant que le scrutin a vu la division de la droite et l'affaissement de l'extrême-droite. Bien évidemment ce succès serait remis en question si les tentations de la démagogie venaient à infléchir l'action du Gouvernement mais nous faisons confiance à L. Jospin pour maintenir le cap de l'intérêt public, celui de la res publica qui donne sens à notre engagement.
Le M.D.C. s'est mis en situation de peser à l'intérieur de la majorité autant que le permettent non seulement son poids, mais surtout son positionnement républicain qui trouve un large écho dans de nombreuses couches de la population.
II La mondialisation n'a pas périmé les nations.
1) La France est emportée dans le mouvement de la mondialisation libérale avec toutes les conséquences que cela implique : délocalisations, mise en compétition des systèmes sociaux, etc.
Elle peine à réorienter la construction européenne dans un sens plus social et plus indépendant des Etats-Unis.
Alors que l'idée d'universalité impliquait la volonté de rendre le monde meilleur qu'il n'était, rien de tel ne se retrouve dans le concept de "mondialisation". Ce dernier renvoie à l'idée d'interdépendances subies et d'effets globaux involontaires et imprévus plutôt qu'à celle d'initiatives et d'entreprises globales. La mondialisation pèse sur nous du dehors : "Les marchés financiers mondiaux imposent leurs lois et leurs règles à la planète. La mondialisation n'est rien d'autre que l'extension totalitaire de leur logique appliquée à tous les aspects de l'existence".
Ainsi, bien loin d'apporter un progrès à l'humanité dans son ensemble, la mondialisation divise-t-elle celle-ci en deux camps : l'élite mondialisée qui voyage et qui tire à elle tous les bénéfices, et la masse de plus en plus nombreuse des exclus, une majorité échouée de laissés pour compte, assignés, sinon à la glèbe, du moins au "local", abandonnée à ses fantasmes et à ses replis. La mondialisation offre certes des opportunités aux forts mais les entreprises françaises sont-elles parmi les plus fortes ? et surtout est-ce la vocation de la France que de confondre son destin avec le triomphe des plus forts ?
Z. Bauman a montré comment les Etats-nations se trouvent de plus en plus exposés à être instrumentés de l'extérieur par des forces qu'ils ne contrôlent plus politiquement. Davantage, la nouvelle extraterritorialité du Capital non seulement ne s'oppose pas, mais s'accommode fort bien de la fragmentation politique du monde en entités territoriales toujours plus faibles.
La mondialisation qui remet tous les pouvoirs aux marchés, c'est-à-dire à la finance mondiale, n'est pas évidemment un progrès en soi. Le nouvel Evangile : déréglementation, libéralisation des mouvements de capitaux, flexibilité, réduction des coûts du travail et du montant des impôts, interdit à ceux qui le professent, même s'ils s'appellent Tony Blair ou Gerhard Schröder, de maintenir la question sociale comme horizon de l'action politique.
L'idée, bien sûr, est de libérer les forces productives mais par la destruction du modèle et des conquêtes sociales réalisés par les générations antérieures. Rien ne permet de démontrer qu'un éventuel surplus de richesses sera redistribué, sinon peut-être un raisonnement sur la réduction du chômage induite par la croissance. Mais on voit bien davantage le creusement des inégalités y compris celles de statuts à quoi une telle libéralisation conduit.
Un raisonnement plus sophistiqué serait celui d'une nouvelle répartition des activités à la surface du globe au profit des pays du Sud, mais outre que rares sont les dragons pouvant servir de modèles, on voit bien que la médecine, jadis conseillée par Ricardo au Portugal assoyant la croissance des jeunes nations sur leur spécialisation (dans le vin de Porto par exemple) et sur le seul commerce extérieur, est pire que le mal : les besoins intérieurs inassouvis créeront dans le système des tensions que les grands pays du Sud ne pourront supporter éternellement.
La social démocratie, si elle ne s'arc-boute pas aux Etats, aussi bien au centre du système qu'à sa périphérie, comme seuls môles légitimes d'une volonté de construction d'un monde viable pour tous, ne fera que cautionner ce nouveau partage du monde entre élites mondialisées inscrites dans les circuits de création de la richesse et masses paupérisées, abandonnées à leur sort.
S'agit-il d'une évolution irréversible ? J'incline à penser que non. D'abord par intuition personnelle : Ma déjà longue expérience m'a enseigné que l'Histoire est sinusoïdale. Non seulement elle découvre sans cesse de nouvelles perspectives, mais l'observation économique aussi bien que politique la montre obéissant à des cycles longs. La fin de la bipolarité -réelle ou supposée- du monde en 1989-91, a mis les Etats-Unis face à eux-mêmes et à l'infinie diversité des pays et des civilisations. Suffit-il d'appliquer aux canards boîteux les normes du FMI ? Apparemment pas. A deux reprises déjà les Etats-Unis ont cédé à la pulsion du cow-boy pour entreprendre des guerres disproportionnées, et dont la nécessité était rien moins qu'évidente : dans le Golfe, où elle se poursuit, et dans les Balkans où elle couvera longtemps. Ces moments d'"ubris" laissent des traces profondes : désordres, intégrismes, terrorismes, rébellions se nourrissent de la démesure et de l'humiliation. Rien de tout cela ne débouche sur un ordre stable.
La deuxième cause du doute que j'éprouve quant à la pérennité de cette assomption du Capital me vient d'un raisonnement plus ancien : Depuis cinq siècles que le système capitaliste a pris naissance, ce qui est un bail déjà impressionnant à l'échelle de l'Histoire, il n'a pas cessé de connaître d'importantes fluctuations. Il n'est pas à l'abri d'une crise touchant non plus seulement sa périphérie mais son centre même.
La nécessité de maîtriser la mondialisation est évoquée de plusieurs côtés : Laurent Fabius dans un récent article du Monde ; Jacques Chirac même dans son discours aux Ambassadeurs il y a trois jours.
2) Il est loin d'être évident que la mondialisation ait périmé les nations. Le Japon, la Suisse, Israël, Singapour ont montré ce que valaient, même et surtout pour de petits pays, la matière grise et la ténacité.
Pour toute nation, il y a des marges de liberté. La France a su développer des industries de haute technologie mais aussi des activités de services qui la mettent au premier rang mondial. Saura-t-elle s'y maintenir ?
Le nucléaire : il est évidemment conforme à l'intérêt national de remplacer le moment venu les centrales qui seront venues à obsolescence. La France en a besoin pour sa sécurité énergétique (nous ne sommes pas à l'abri de nouveaux chocs pétroliers). C'est une énergie peu chère. Elle sera nécessaire pour couvrir les besoins énergétiques d'une humanité de 10 Milliards d'hommes et aussi pour des raisons écologiques : maîtriser l'effet de serre. Il est souhaitable de maintenir le haut niveau de compétence technologique acquis par la France dans ce domaine stratégique.
La construction de l'EPR s'impose mais pas forcément avec Siemens, les choix allemands en matière nucléaire étant ce qu'ils sont. Mieux vaudrait une coopération avec les Etats-Unis ou avec le Japon ou même avec la Chine. Ce n'est pas seulement l'intérêt national qui est en cause, c'est aussi le bon sens. Nous devons résister à l'obscurantisme qui par exemple utilise le problème des déchets nucléaires pour essayer de naufrager une industrie qui est un pôle d'excellence de la France. L'uranium existe dans la nature : on l'extrait, donc on peut l'enfouir; La radioactivité existe à l'état naturel : le soleil est une gigantesque réaction de fusion nucléaire. Le seul problème du nucléaire est celui du maintien de la compétence technique nécessaire à sa maîtrise. On ne peut spéculer sur la régression de l'Humanité pour nourrir des peurs millénaristes.
La France, en Europe, demeure avec l'Allemagne l'un des deux premiers pays.
Peut-elle donner à cet espace une cohérence qui lui permettrait de s'autonomiser vis-à-vis des Etats-Unis? Le fédéralisme est un pari pascalien sur l'au-delà des nations. Tout montre que la volonté politique manque et manquera encore longtemps.
L'erreur serait de jeter le bébé c'est-à-dire le patriotisme français- avec l'eau du bain, à supposer que cette lente maturation produise un jour ses effets. Même dans cette hypothèse, l'Europe se faisant, comme Lionel Jospin l'a heureusement formulé, "dans le prolongement des nations", le patriotisme français n'aurait d'ailleurs pas à être mis en congé pour autant.
Dans la mondialisation, il y a place pour les nations. Encore faut-il qu'elles le veuillent. La mondialisation comme l'Europe servent souvent d'alibi au renoncement chez des gouvernants pressés d'abdiquer leurs responsabilités pour trouver le confort d'une sorte de "pilotage automatique". Or la volonté politique d'autonomie quand elle est partagée par tout un peuple cela s'appelle alors patriotisme- peut encore modeler le cours de l'Histoire.
III Affirmer la souveraineté populaire.
La souveraineté populaire reste à la base de nos institutions et de la légitimité démocratique mais elle n'a plus bonne presse aujourd'hui à l'ère de la mondialisation libérale et des "réseaux", bref à l'ère des oligarchies. Les classes dirigeantes considèrent la souveraineté populaire comme démodée, voire dangereuse, source potentielle de totalitarisme selon les idéologues, en fait menace pour les privilèges des nantis.
1) La souveraineté n'est pas soluble dans l'Union européenne.
Le fin du fin pour nos libéraux qui se veulent des "démocrates modernes" est de diviser la souveraineté en tranches :
Certes, ils sont obligés de concéder que la nation a quelque chose à voir avec la démocratie. Ils doivent reconnaître qu'il existe encore un peuple français, un peuple britannique, un peuple allemand, etc. Mais l'idée d'une souveraineté partagée entre les nations et "l'Union européenne" est aujourd'hui "dans le vent" encore qu'on ne voie pas très bien de quoi procéderait une telle souveraineté de l'Union en l'absence d'un "peuple européen".
S'enracinerait-elle dans les traités ? Dans les organes qu'ils créent, Commission, Conseil, Parlement, Cour de Justice ?
Par quel tour de passe-passe magique la souveraineté aurait-elle été transférée des peuples à un éther supérieur ?
On peut soutenir que les décisions du Conseil, représentatif des Etats, ont la légitimité que confère à ces derniers la volonté exprimée par chaque peuple pris séparément. Du Parlement européen on ne peut rien dire sinon qu'en l'absence d'un peuple européen, il juxtapose quinze photographies de l'opinion publique dans les Etats membres, à un moment donné qui signifie des choses différentes dans la vie de chacun d'eux.
Quant à la Commission ou à la Cour de Justice ce sont des organes délégués dans des fonctions prévues par les traités. Quelle que soit leur propension à excéder leurs compétences, au nom d'une subsidiarité dont ils sont seuls juges, ou de théories qu'ils ont eux-mêmes élaborées et imposées : application directe aux citoyens de la législation européenne, supériorité de la norme européenne sur la loi nationale, ils ne peuvent reculer les bornes de celles-ci que dans la mesure où les nations sont consentantes. Bref, le système de la division de la souveraineté (qui n'a rien à voir avec la division des pouvoirs ou avec la répartition des compétences que tout Etat de droit prévoit et respecte) ne peut marcher que par beau temps ou au prix d'un effacement toujours plus complet des nations au sein de l'Empire.
Mais dans l'hypothèse de la fin du beau temps et de la survenance de tempêtes ou de crises graves, on voit mal comment la nécessité de trancher en dernier ressort n'entraînerait pas un conflit de pouvoir majeur. Prenons l'exemple du conflit des Balkans : La cohésion de l'Union n'a résisté que parce que les opérations ont été limitées à la dimension aérienne et à une durée de soixante-quatorze jours.
Il n'est d'ailleurs pas dit que l'Union européenne s'étant enlisée dans le bourbier balkanique, sa cohésion n'en sortira pas ébranlée. En effet la logique de l'intervention au Kosovo pour l'Union européenne signifie son investissement prolongé dans la zone et potentiellement son élargissement vers le Sud-Est européen à une bonne dizaine de nouveaux pays. A vrai dire dans la crise du Kosovo, il n'est rien dans les résultats d'aujourd'hui qui ne figurât déjà dans l'énoncé initial. Croyez-moi : le texte d'Hans Magnus Enzensberger supporte aujourd'hui la relecture !
Cet élargissement ou cette dilatation- pourrait bien sonner le glas des ambitions politiques de l'Union européenne.
Deux écueils menacent en effet celle-ci:
- la complexification croissante de son fonctionnement : majorité qualifiée ou non, règle de la codécision, etc. ;
- et par ailleurs son élargissement lui-même source d'inextricables difficultés (repondération des organes dirigeants, conflits d'intérêts croissant avec l'hétérogénéité de l'Union, limitation des transferts budgétaires vers les nouveaux adhérents, etc.).
Plus l'Union européenne s'élargira vers l'Est et moins elle sera capable de politiques communes. Elle sera tout au plus une zone de libre échange avec des normes juridiques on peut l'espérer- relativement convergentes.
Mais que se passera-t-il quand viendra l'orage ? Comment réagiront les nations, à commencer par les plus importantes d'entre elles en cas de conflit ou de crise majeurs ?
C'est alors qu'on verra où se situe la légitimité et donc la souveraineté : dans les peuples et nulle part ailleurs.
2) Instaurer le référendum d'initiative populaire.
L'Union européenne est un système qui fonctionne par beau temps. Elle pose cependant un problème de fond : sa tendance bureaucratique irrépressible. Pour mettre un frein à cette propension il n'y a qu'un moyen : c'est de redonner au souverain, c'est-à-dire au peuple le dernier mot.
C'est le sens de la proposition faite par M. Bernard Tricot au sein d'un groupe de travail de "République Moderne" présidé par Didier Motchane, proposition d'instituer un référendum d'initiative populaire qui, dans plusieurs domaines tendant aujourd'hui à échapper à la prise de décision démocratique (règlements ou normes européennes jurisprudence du Conseil Constitutionnel) permettrait de la rendre aux citoyens.
Bernard Tricot propose que les textes soumis à de tels référendum d'initiative populaire ne puissent être adoptés que s'ils réunissent une majorité d'électeurs inscrits.
Je n'ai pas toujours été partisan d'un tel référendum d'initiative populaire mais à cette condition, je m'y rallie comme au seul moyen de marquer une limite à un envahissement bureaucratique déconnecté de toute légitimité populaire. Ce sera aussi le moyen de refaire des citoyens, de saisir directement l'opinion publique des grands choix qui la concernent.
3) Pour le quinquennat et un régime présidentiel de fait.
A l'ère de la mondialisation il est nécessaire que la France puisse continuer à faire entendre sa voix. C'est pourquoi, et qu'Anicet Le Pors me le pardonne, il n'est pas à mes yeux souhaitable, à supposer que cela soit possible, de revenir sur l'élection du Président de la République au suffrage universel.
J'incline pour ma part vers le quinquennat. La logique de celui-ci conduit vers un régime présidentiel de fait. On peut en effet maintenir pour les cas de crises exceptionnelles la soupape de la dissolution. Quant à la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée, son caractère assez formel devrait conduire à renforcer plutôt les modalités du contrôle de l'action gouvernementale.
4) Sortir de Maastricht par le haut.
Le peuple français en corps, communauté de citoyens en mouvement, mais aussi puissant legs de souvenirs, histoire non pas révolue mais toujours devant nous, n'a pas disparu de la scène. Cela signifie la permanence de la République comme structure organisatrice de notre destin. Ce que l'Europe ne peut réaliser -l'intégration des immigrés dans la citoyenneté- la nation le peut, par cette croyance qui la définit, en l'égalité fondamentale des citoyens, en la capacité des hommes de mobiliser en eux des talents jusque là insoupçonnés. La République reste ce grand acte de confiance en l'homme que rien n'a remplacé. L'intuition de Jean Monnet a été de comprendre que pour les nations d'Europe le moment était venu de s'associer. Son erreur a été de croire qu'elles pouvaient se fondre dans un système qui ne prospérerait qu'en les vidant de leur substance politique, et en niant leur identité.
Le problème de l'Europe est aujourd'hui celui d'une volonté consciente et commune aux principales nations et d'abord à l'Allemagne et à la France, bref celui d'une refondation républicaine de l'Europe par des nations libres.
Le choix d'un partenariat étroit avec la Russie dans une configuration qui ne plairait pas forcément à Washington pourrait être un tel moment fondateur, comme aurait pu l'être le refus d'emboîter le pas aux Américains dans la guerre du Golfe qui entre parenthèses se poursuit en dehors de toute légalité internationale. On aimerait que le PS prenne une position claire sur ce sujet et n'attende pas la visite du Pape à Ur en décembre prochain ! Mais il faut un intérêt vital assez puissant pour dissoudre les liens de dépendance. Sortir de Maastricht par le haut, c'est-à-dire par une alliance politique de progrès liant explicitement plusieurs pays importants de l'Europe. Opérer un acte fondateur commun par rapport à la puissance tutélaire, cela ne peut s'envisager qu'au plus fort d'une crise dont évidemment on ne peut rien dire aujourd'hui parce que vous l'avez compris- je ne fais qu'avancer une hypothèse théorique.
Mais il y a aujourd'hui du pain sur la planche pour imposer un nouvel ordre économique mondial et en particulier taxer les mouvements de capitaux, réformer le FMI, lutter contre le blanchiment de l'argent sale, bref restaurer un contrôle politique à l'échelle du monde. Le problème n'est pas technique. Il est évidemment politique. Il passe par la volonté des Etats que seuls les peuples peuvent mettre en mouvement.
IV Dans l'immédiat, notre tâche est de donner à la gauche un nouveau souffle républicain.
Notre rôle, notre responsabilité c'est d'incarner un logiciel républicain en tous domaines et pas seulement, naturellement, en ce qui concerne les domaines du ministère de l'intérieur.
1) C'est vrai pour la maîtrise de l'évolution de nos structures productives.
L'avenir de notre secteur bancaire touche à l'intérêt général. L'Etat ne peut pas s'en désintéresser. Qui commande la banque commande l'économie. Il est évident que la constitution d'un très grand groupe bancaire français BNP SG Paribas était ce qui pouvait le mieux permettre la préservation à terme de nos intérêts nationaux. Mais ce débat n'a pas eu lieu. Le patriotisme économique manque complètement à nos élites dirigeantes. Jamais plus qu'aujourd'hui la politique de la France ne s'est faite à la Corbeille !
L'Etat ne peut pas se désintéresser de l'avenir de notre système bancaire. Je suggère le dépôt par le MDC d'une proposition de loi sur cette question. Et je demanderai au gouvernement de réfléchir aux moyens qu'il a d'empêcher le rachat par des groupes étrangers non seulement de la Société Générale, du CCF, mais aussi de Bull. Après les AGF, Rhône Poulenc, Péchiney, Alsthom, avalés respectivement par Allianz, Hoëchst, Alcan, General Electric et ABB, la liste est déjà trop longue ! Je suggère la création d'un observatoire de l'évolution de nos structures productives, si possible public, et à défaut privé.
2) Les marges de manoeuvre permises par le retour de la croissance et l'amélioration des rentrées fiscales sont un autre enjeu moins structurel mais également actuel.
a) La situation de beaucoup de banlieues est préoccupante. Nous ne savons plus, depuis des décennies, construire des villes autrement que ségrégatives. Le financement du logement social en est pour partie responsable, parce qu'il rend très difficile la construction de villes, de quartiers, d'immeubles où la mixité sociale est favorisée. On sait construire des PLA, des "PLA Très Sociaux", des logements intermédiaires, des logements de standing. Mais on ne sait plus construire ou plutôt financer des quartiers mixtes et équilibrés. La ségrégation entretient le ghetto, nourrit la désespérance, alimente la délinquance. La peur d'engendrer ces phénomènes dissuade les élus de construire des logements sociaux.
C'est un enjeu majeur pour notre époque. Si un effort particulier est nécessaire, c'est d'abord en ce domaine. La reconstruction des banlieues, la mixité sociale, c'est la reconquête de la citoyenneté dans les villes.
b) Le Mouvement des Citoyens est naturellement favorable à ce qu'un effort soit engagé pour un relèvement des minima sociaux. C'est une affaire de justice : elle ne peut être conduite à bien que si les rapports entre le SMIC et les minima sociaux sont réalistes. C'est donc une entreprise plus complexe qu'il n'y paraît. N'oublions pas cependant l'effort en faveur des bas salaires. C'est le travail qu'il faut aussi et même d'abord encourager. La contribution la plus efficace à la justice sociale du gouvernement de Lionel Jospin aura été la création de plus de 600.000 postes de travail et le recul de plus de 5 % du chômage que cela a permis.
c) Dans cet esprit, l'abaissement voire la suppression des charges sociales sur les bas salaires incitera à l'embauche de personnes peu qualifiées actuellement frappées par le chômage. C'est cela la dimension sociale de la citoyenneté.
d) Faisons confiance aussi aux collectivités locales, premiers investisseurs de France. Le niveau de leurs recettes, qu'elles soient issues de la fiscalité locale directe ou des reversements de l'Etat, détermine le montant de l'investissement public civil (75 % du total), un investissement adapté aux réalités, conforme aux besoins des citoyens, et contrôlé démocratiquement. L'utilité sociale est ici sérieusement garantie. Permettons la prise en compte rapide des effets du recensement, veillons à accroître la péréquation par la DSU et la DSR. Sachons enfin utiliser les fruits de la croissance pour traiter pendant qu'il en est temps le problème du déficit menaçant de la CNRACL.
e) Permettez aussi au ministre de l'intérieur d'attirer votre attention sur l'effort consenti par le pays pour sa sûreté. Chacun convient que la question de l'insécurité a changé de nature en trente ans, tant elle a pris des proportions alarmantes dans les villes. C'est une déferlante. Est ce que le dispositif de sûreté a pour autant changé d'échelle ? Je suis assailli de demandes des élus de tous bords pour obtenir des effectifs, des postes de police, des moyens. J'ai engagé au plan qualitatif un effort, jamais entrepris à ce jour, pour passer d'une police d'ordre à une police de proximité, fidéliser les unités mobiles, moderniser, développer ce qu'on appelle l'îlotage. Mais je suis sûr que le pays est prêt à un effort pour que le dispositif de sécurité au service des citoyens, et d'abord des plus modestes, change d'échelle et soit mis au niveau de la délinquance actuelle. Un programme pluriannuel de modernisation de la police contribuerait au principe d'égalité des citoyens devant la sûreté.
f) S'il est un domaine privilégié où notre logiciel républicain sera utile, c'est bien celui de l'Ecole. Le calendrier politique du printemps nous a fait retarder la tenue de notre colloque sur l'Ecole de la République, mais l'investissement intellectuel a été fait. Nous sommes prêts à tenir nos travaux très bientôt. J'ai le sentiment que les propositions que nous ferons à cette occasion seront entendues. Elles seront utiles pour éclairer le chemin. Car le but ultime : éduquer l'esprit critique, former le citoyen, ne peut pas être perdu de vue. C'est lui seul qui doit inspirer les réformes.
g) La recherche est en France un atout maître. L'innovation est un moteur de la nouvelle guerre économique mondiale et il nous faut une nouvelle ambition pour renouveler notre politique de recherche et de valorisation de la recherche. Un grand projet national est seul capable de dynamiser le secteur public et le secteur privé.
h) Enfin une politique globale, engageant tous les secteurs et tout le gouvernement , doit être menée en faveur de l'accès à la citoyenneté.
C'est l'enjeu d'une génération. Des millions de jeunes s'estiment marginalisés. Bien que l'immense majorité aspire à trouver leur place dans la société, ils sont injustement amalgamés avec une poignée d'entre eux qui ont fui vers la délinquance. Il faut les aider à trouver un travail. S'il y a des parrainages républicains utiles, ce sont bien ceux là ! Au ministère de l'intérieur, j'ai créé les CODAC, j'ai donné des orientations claires pour faciliter l'intégration de cette génération et notamment des jeunes issus de l'immigration dans les emplois de la police nationale ou encore pour les aider à combattre les discriminations. Mais pour que cette politique soit menée partout il faut une forte volonté politique. Le Mouvement des Citoyens doit en être l'âme, sur le terrain. La campagne que nous avons décidée lors de notre Congrès doit être lancée maintenant; adressez-vous aux autres partis de la gauche, aux syndicats, au monde associatif ; initiez des actions communes. L'accès de tous à la citoyenneté, dans le travail, le logement, les loisirs, la vie civique, c'est le socle d'une citoyenneté retrouvée, d'une souveraineté populaire vivante.
Citoyennes et Citoyens, l'affaissement des idéologies d'hier laisse le paradigme républicain seul en scène face à la mondialisation financière. Là sont nos références, nos repères, la grille de lecture du présent et la clé de l'avenir.
Et l'idée républicaine se retrouve infiniment plus féconde que les idéologies qui ont cru pouvoir lui succéder. Elle est capable de répondre à des défis d'avenir : faire vivre ensemble des gens de plus en plus différents, en respectant la liberté et le sentiment d'appartenance, faire prévaloir l'intérêt général sur celui de l'argent et des marchés, et par dessus tout s'en remettre au seul citoyen du choix de son destin.
Le Mouvement des Citoyens doit s'identifier à un puissant courant de la gauche républicaine qui vient des tréfonds de notre histoire.
Beaucoup d'enjeux sont encore biaisés : l'Empire avance sous couvert des droits de l'homme, l'abandon du politique est présenté comme une avancée des libertés
V Notre stratégie : faire fond sur les républicains qui s'assument ou qui s'ignorent encore.
Les Républicains ne sont pas seuls. Ils ont un avantage stratégique : la disparition lente des idéologies défaites. Le moment arrive où le choix entre le ralliement à la mondialisation financière ou l'alternative républicaine sera limpide. Beaucoup d'enjeux sont encore biaisés : l'Empire avance sous couvert des droits de l'homme, l'abandon du politique est présenté comme une avancée des libertés. Mais ce brouillard se dissipera. Déjà, dans l'opinion, les thèses républicaines ont pris l'avantage. La gauche, toute la gauche, en a pris conscience.
C'est vrai au sein du parti socialiste, qui compte, à tous les niveaux, de robustes républicains. Notre campagne commune lors des élections européennes l'a montré. Et Sami Naïr, qui n'a jamais mis notre drapeau dans sa poche, l'a bien perçu : nos vues sont aujourd'hui mieux comprises.
Mais évidemment, je sais bien que de vieilles lunes y sont encore révérées, qu'un européisme béat et hors d'âge y subsiste parfois. Il n'empêche : saisissons le mouvement; mesurons que sous l'impulsion de Lionel Jospin le P.S. évolue sérieusement à propos de la question de la nation, de la citoyenneté, de l'Europe comme prolongement des nations. Il y a des isolements qui n'ont rien de splendide. Notre tâche est d'encourager ce mouvement, de fournir des propositions argumentées, et surtout, de s'adresser directement au peuple. Car c'est lui qui pèse par dessus tout, et bien plus fort que les anathèmes de certains éditoriaux.
Le parti communiste français doit faire face à une crise prévisible. Je l'exhorte à être fidèle à lui-même; la France a besoin d'un parti communiste, capable de mobiliser les espoirs populaires de transformation sociale. Il peut sortir de sa crise en se situant face au défi principal, celui de la mondialisation financière. Et redécouvrir alors que la nation n'est pas un ennemi mais un point d'appui pour résister. Le P.C.F. doit reconquérir son "F" car, plus que d'autres, il peut en être fier. Etre fidèle au peuple, plutôt que suivre les modes portées par la petite bourgeoisie néo-libérale, expose naturellement aux sarcasmes médiatiques; mais c'est la clé de l'avenir pour un parti communiste français qui doit repenser son rôle et son destin après la fin du communisme.
La gauche républicaine doit mobiliser ses soutiens naturels, à commencer par le mouvement ouvrier première victime d'une mondialisation sans règle : on ne peut plus nourrir aujourd'hui une ambition sociale sans poser la question de la souveraineté. Ce lien vital, nous devons en être les instituteurs. J'observe d'ailleurs que les grands mouvements récents posaient cette question : les grèves de novembre et décembre 1995, les conflits dans les transports, et aujourd'hui le mouvement paysan qui a parfaitement saisi que la mondialisation sans règle et le mépris de la souveraineté signifiait sa disparition.
Sachons mobiliser aussi tous ceux qui ont un intérêt objectif à promouvoir la République parce qu'elle est leur meilleure chance. Les jeunes qui vivent dans les quartiers difficiles, les jeunes issus de l'immigration savent bien que l'égalité républicaine est le mot de passe qui ouvre les barrières. Pour les repus et les nantis, l'égalité républicaine est bien-sûr une contrainte; mais pour ceux qui n'ont rien, elle est promesse de libération. Pas d'émancipation sans République et donc sans souveraineté ! Parmi ces jeunes Français, nés en France, issus de l'immigration, nous trouverons les nouveaux militants de la gauche républicaine.
Et puis, les ouvriers, les artisans, tous ceux qui vivent de leur travail n'ont pas disparu. L'intégration dans la mondialisation financière est pour eux un mirage : elle leur est vantée à longueur de publicité et plus tous les moyens de la communication, mais elle s'éloigne à mesure que la mondialisation progresse. L'alternative républicaine est la seule issue.
Tenez bon ! Je sais bien que certains d'entre vous sont irrités de voir que l'idée républicaine n'est pas unanimement partagée, et qu'elle est même parfois ignorée. Ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain, ne vous retirez pas sur l'Aventin, par ce qu'on ne pèse pas à 100% !
D'abord l'action politique est davantage qu'un simple témoignage : elle exige de voir l'horizon et de se colleter au réel. Et puis, l'Histoire est longue. Si nous travaillons bien -il suffit de le vouloir- notre action sera féconde dans la durée.
Pour qui veut combattre l'absolutisme d'une mondialisation financière non maîtrisée, il n'y a pas d'autre arme que l'idée républicaine, pas d'autre outil que la nation citoyenne.
Vous avez au cours de cette université d'été décliné concrètement cette perspective, à propos des enjeux d'aujourd'hui. Je vous invite à présent sur le terrain à être actifs, à faire connaître nos propositions, à militer, à préparer aussi les élections cantonales et municipales. Sans nous la gauche plurielle où d'autres apportent l'eau et la farine serait un pain sans sel et sans levure. C'est en faisant fond sur le combat d'idées que nous ferons du Mouvement des Citoyens le fer de lance de la reconquête républicaine et que nous assurerons le succès d'une gauche digne de ce nom.
(Source http://www.mdc-france.org, le 28 mars 2002)
I Prenons la mesure des réussites
Voilà deux ans que la victoire électorale a amené une nouvelle majorité à la conduite des affaires de la France et Lionel Jospin à la tête du gouvernement. Ce changement est survenu dans une période marquée par deux événements majeurs qui ne sont d'ailleurs pas indépendants l'un de l'autre : la dislocation du bloc communiste, ses effets depuis dix ans, et la mondialisation financière. C'est à cette lumière qu'il faut faire le bilan des deux années écoulées, marquées par deux victoires électorales successives, le retour de la croissance, l'amélioration de l'emploi, des réformes positives, le travail d'un gouvernement sérieux et responsable.
Pour que la France ne se défasse pas dans la mondialisation, il faut maintenir l'idée de l'intérêt national et savoir prendre en tous domaines des décisions conformes à celui-ci.
1) C'est ce que je me suis efforcé de faire au ministère de l'Intérieur.
Il est normal que je vous rende compte de mon action à ce titre même si je souhaite que le MDC s'exprime pleinement par ailleurs.
La loi sur l'intercommunalité, produit d'une riche discussion parlementaire, nous dote d'outils qui vont permettre de moderniser en profondeur les cadres de notre organisation territoriale, tant en milieu urbain que dans l'espace rural. L'objectif est de créer dans l'année qui vient des dizaines de communautés d'agglomérations et de communes pour lutter aussi bien contre la ségrégation urbaine que contre la désertification de nos campagnes.
S'agit-il des enjeux de la sécurité publique ? La profonde réorganisation qu'implique le concept de "police de proximité", lancé au Colloque de Villepinte, en octobre 1997, est testée dans de premiers sites-pilotes, qui seront plus de 60 à la rentrée d'automne. La généralisation suivra de 2000 à 2002. Les contrats locaux de sécurité, dont le coup d'envoi a été donné dès 1997, sont au nombre de plus de 250 d'ores et déjà signés, 450 encore en cours d'élaboration et, donc, 700 au total. Les Assises de la formation et de la recherche dans la police nationale, en février 1998, ont déterminé les moyens d'une réponse toujours mieux adaptée de l'institution aux attentes des citoyens. 12.000 adjoints de sécurité ont été recrutés, formés et déployés dans les départements les plus sensibles. La fidélisation de 3000 CRS et militaires de la gendarmerie mobile permettra d'accélérer les redéploiements prévus à hauteur de 7.000 d'ici 2002 au profit d'une police à la fois territorialisée, responsabilisée, polyvalente et capable d'agir en partenariat. Si la citoyenneté est le socle de la sécurité, celle-ci est la condition de l'exercice des libertés et d'abord par ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin.
Le renforcement des moyens nationaux de la sécurité civile, la réforme désormais bien engagée des services d'incendie et de secours, la promotion du volontariat enfin, sont aussi la marque du souci que nous avons de la sécurité des Français aussi bien pour prévenir des catastrophes naturelles et des risques technologiques que pour faire face aux sinistres et aux accidents quotidiens.
S'agit-il du contrôle des flux migratoires, du droit de séjour des étrangers et du droit d'asile, sujets passionnels s'il en est ? Depuis que les mesures équilibrées de la loi RESEDA du 11 mai 1998 sont appliquées, le "débat sur l'immigration", centré sur les soi-disant "sans papiers", a quitté le devant de la scène. En revanche, la question de l'intégration des deux millions de jeunes Français issus de l'immigration a commencé à trouver la place centrale qu'elle doit occuper. La mise en place, début 1999, des Commissions départementales d'accès à la citoyenneté (CODAC), nous dote d'un outil opérationnel pour peu que la volonté politique soit au rendez-vous-, pour lutter contre les discriminations et favoriser l'embauche et la mise en valeur des talents de chacun. La xénophobie a perdu du terrain. L'extrême-droite qui se nourrissait de débats malsains a reculé pour la première fois depuis quinze ans, tombant à moins de 10 % des voix.
Enfin, la réforme de l'Etat The last, but not the least- veille à accompagner le mouvement de déconcentration par une modernisation de la gestion du Corps préfectoral et du cadre national des préfectures qui sont la colonne vertébrale de l'Etat.
Au vrai, on ne définira pas mieux le ministère de l'Intérieur que comme le ministère, par excellence de la citoyenneté.
2) Pour le MDC et le gouvernement de Lionel Jospin.
De ces deux années, le MDC peut tirer un bilan de sérieux et d'efficacité.
Sur le plan politique, sur le plan économique, sur le plan social le gouvernement de Lionel Jospin a remporté des succès marquants. La confiance du pays est au rendez-vous.
La majorité plurielle n'est certes pas à l'abri des tentations de la démagogie. Le M.D.C. s'efforce de l'aider de son mieux à y résister, qu'il s'agisse des problèmes de la vie quotidienne sécurité immigration- ou des grands choix qui engagent l'avenir du pays nucléaire ou politique étrangère-. Plus important encore est de donner sens à l'action de la gauche.
Pour le M.D.C. la résolution de notre Congrès de février 1999 a tracé les voies d'une action conséquente dans la durée.
Pour l'élection européenne, deux possibilités étaient ouvertes : la première celle d'une liste autonome du M.D.C., la seconde celle d'une liste d'union avec le P.S. sur une base politique. C'est cette voie que nous avons choisie parce que nous avons considéré que l'élection européenne n'était pas pour nous une échéance décisive, dès lors qu'une plate-forme acceptable avait été négociée avec le P.S. Après une campagne de huit jours qui s'est faite entièrement sur des thèmes circonstanciels, et largement éclipsée par l'affaire du Kosovo, j'incline à penser que, seuls, nous nous serions retrouvés chargés de plus de dettes que d'élus.
Au contraire, l'élection européenne a permis le très beau succès avec 23 % des voix du môle sérieux et responsable de la majorité plurielle. Le succès de la liste conduite par F. Hollande et S. Naïr a été d'autant plus marquant que le scrutin a vu la division de la droite et l'affaissement de l'extrême-droite. Bien évidemment ce succès serait remis en question si les tentations de la démagogie venaient à infléchir l'action du Gouvernement mais nous faisons confiance à L. Jospin pour maintenir le cap de l'intérêt public, celui de la res publica qui donne sens à notre engagement.
Le M.D.C. s'est mis en situation de peser à l'intérieur de la majorité autant que le permettent non seulement son poids, mais surtout son positionnement républicain qui trouve un large écho dans de nombreuses couches de la population.
II La mondialisation n'a pas périmé les nations.
1) La France est emportée dans le mouvement de la mondialisation libérale avec toutes les conséquences que cela implique : délocalisations, mise en compétition des systèmes sociaux, etc.
Elle peine à réorienter la construction européenne dans un sens plus social et plus indépendant des Etats-Unis.
Alors que l'idée d'universalité impliquait la volonté de rendre le monde meilleur qu'il n'était, rien de tel ne se retrouve dans le concept de "mondialisation". Ce dernier renvoie à l'idée d'interdépendances subies et d'effets globaux involontaires et imprévus plutôt qu'à celle d'initiatives et d'entreprises globales. La mondialisation pèse sur nous du dehors : "Les marchés financiers mondiaux imposent leurs lois et leurs règles à la planète. La mondialisation n'est rien d'autre que l'extension totalitaire de leur logique appliquée à tous les aspects de l'existence".
Ainsi, bien loin d'apporter un progrès à l'humanité dans son ensemble, la mondialisation divise-t-elle celle-ci en deux camps : l'élite mondialisée qui voyage et qui tire à elle tous les bénéfices, et la masse de plus en plus nombreuse des exclus, une majorité échouée de laissés pour compte, assignés, sinon à la glèbe, du moins au "local", abandonnée à ses fantasmes et à ses replis. La mondialisation offre certes des opportunités aux forts mais les entreprises françaises sont-elles parmi les plus fortes ? et surtout est-ce la vocation de la France que de confondre son destin avec le triomphe des plus forts ?
Z. Bauman a montré comment les Etats-nations se trouvent de plus en plus exposés à être instrumentés de l'extérieur par des forces qu'ils ne contrôlent plus politiquement. Davantage, la nouvelle extraterritorialité du Capital non seulement ne s'oppose pas, mais s'accommode fort bien de la fragmentation politique du monde en entités territoriales toujours plus faibles.
La mondialisation qui remet tous les pouvoirs aux marchés, c'est-à-dire à la finance mondiale, n'est pas évidemment un progrès en soi. Le nouvel Evangile : déréglementation, libéralisation des mouvements de capitaux, flexibilité, réduction des coûts du travail et du montant des impôts, interdit à ceux qui le professent, même s'ils s'appellent Tony Blair ou Gerhard Schröder, de maintenir la question sociale comme horizon de l'action politique.
L'idée, bien sûr, est de libérer les forces productives mais par la destruction du modèle et des conquêtes sociales réalisés par les générations antérieures. Rien ne permet de démontrer qu'un éventuel surplus de richesses sera redistribué, sinon peut-être un raisonnement sur la réduction du chômage induite par la croissance. Mais on voit bien davantage le creusement des inégalités y compris celles de statuts à quoi une telle libéralisation conduit.
Un raisonnement plus sophistiqué serait celui d'une nouvelle répartition des activités à la surface du globe au profit des pays du Sud, mais outre que rares sont les dragons pouvant servir de modèles, on voit bien que la médecine, jadis conseillée par Ricardo au Portugal assoyant la croissance des jeunes nations sur leur spécialisation (dans le vin de Porto par exemple) et sur le seul commerce extérieur, est pire que le mal : les besoins intérieurs inassouvis créeront dans le système des tensions que les grands pays du Sud ne pourront supporter éternellement.
La social démocratie, si elle ne s'arc-boute pas aux Etats, aussi bien au centre du système qu'à sa périphérie, comme seuls môles légitimes d'une volonté de construction d'un monde viable pour tous, ne fera que cautionner ce nouveau partage du monde entre élites mondialisées inscrites dans les circuits de création de la richesse et masses paupérisées, abandonnées à leur sort.
S'agit-il d'une évolution irréversible ? J'incline à penser que non. D'abord par intuition personnelle : Ma déjà longue expérience m'a enseigné que l'Histoire est sinusoïdale. Non seulement elle découvre sans cesse de nouvelles perspectives, mais l'observation économique aussi bien que politique la montre obéissant à des cycles longs. La fin de la bipolarité -réelle ou supposée- du monde en 1989-91, a mis les Etats-Unis face à eux-mêmes et à l'infinie diversité des pays et des civilisations. Suffit-il d'appliquer aux canards boîteux les normes du FMI ? Apparemment pas. A deux reprises déjà les Etats-Unis ont cédé à la pulsion du cow-boy pour entreprendre des guerres disproportionnées, et dont la nécessité était rien moins qu'évidente : dans le Golfe, où elle se poursuit, et dans les Balkans où elle couvera longtemps. Ces moments d'"ubris" laissent des traces profondes : désordres, intégrismes, terrorismes, rébellions se nourrissent de la démesure et de l'humiliation. Rien de tout cela ne débouche sur un ordre stable.
La deuxième cause du doute que j'éprouve quant à la pérennité de cette assomption du Capital me vient d'un raisonnement plus ancien : Depuis cinq siècles que le système capitaliste a pris naissance, ce qui est un bail déjà impressionnant à l'échelle de l'Histoire, il n'a pas cessé de connaître d'importantes fluctuations. Il n'est pas à l'abri d'une crise touchant non plus seulement sa périphérie mais son centre même.
La nécessité de maîtriser la mondialisation est évoquée de plusieurs côtés : Laurent Fabius dans un récent article du Monde ; Jacques Chirac même dans son discours aux Ambassadeurs il y a trois jours.
2) Il est loin d'être évident que la mondialisation ait périmé les nations. Le Japon, la Suisse, Israël, Singapour ont montré ce que valaient, même et surtout pour de petits pays, la matière grise et la ténacité.
Pour toute nation, il y a des marges de liberté. La France a su développer des industries de haute technologie mais aussi des activités de services qui la mettent au premier rang mondial. Saura-t-elle s'y maintenir ?
Le nucléaire : il est évidemment conforme à l'intérêt national de remplacer le moment venu les centrales qui seront venues à obsolescence. La France en a besoin pour sa sécurité énergétique (nous ne sommes pas à l'abri de nouveaux chocs pétroliers). C'est une énergie peu chère. Elle sera nécessaire pour couvrir les besoins énergétiques d'une humanité de 10 Milliards d'hommes et aussi pour des raisons écologiques : maîtriser l'effet de serre. Il est souhaitable de maintenir le haut niveau de compétence technologique acquis par la France dans ce domaine stratégique.
La construction de l'EPR s'impose mais pas forcément avec Siemens, les choix allemands en matière nucléaire étant ce qu'ils sont. Mieux vaudrait une coopération avec les Etats-Unis ou avec le Japon ou même avec la Chine. Ce n'est pas seulement l'intérêt national qui est en cause, c'est aussi le bon sens. Nous devons résister à l'obscurantisme qui par exemple utilise le problème des déchets nucléaires pour essayer de naufrager une industrie qui est un pôle d'excellence de la France. L'uranium existe dans la nature : on l'extrait, donc on peut l'enfouir; La radioactivité existe à l'état naturel : le soleil est une gigantesque réaction de fusion nucléaire. Le seul problème du nucléaire est celui du maintien de la compétence technique nécessaire à sa maîtrise. On ne peut spéculer sur la régression de l'Humanité pour nourrir des peurs millénaristes.
La France, en Europe, demeure avec l'Allemagne l'un des deux premiers pays.
Peut-elle donner à cet espace une cohérence qui lui permettrait de s'autonomiser vis-à-vis des Etats-Unis? Le fédéralisme est un pari pascalien sur l'au-delà des nations. Tout montre que la volonté politique manque et manquera encore longtemps.
L'erreur serait de jeter le bébé c'est-à-dire le patriotisme français- avec l'eau du bain, à supposer que cette lente maturation produise un jour ses effets. Même dans cette hypothèse, l'Europe se faisant, comme Lionel Jospin l'a heureusement formulé, "dans le prolongement des nations", le patriotisme français n'aurait d'ailleurs pas à être mis en congé pour autant.
Dans la mondialisation, il y a place pour les nations. Encore faut-il qu'elles le veuillent. La mondialisation comme l'Europe servent souvent d'alibi au renoncement chez des gouvernants pressés d'abdiquer leurs responsabilités pour trouver le confort d'une sorte de "pilotage automatique". Or la volonté politique d'autonomie quand elle est partagée par tout un peuple cela s'appelle alors patriotisme- peut encore modeler le cours de l'Histoire.
III Affirmer la souveraineté populaire.
La souveraineté populaire reste à la base de nos institutions et de la légitimité démocratique mais elle n'a plus bonne presse aujourd'hui à l'ère de la mondialisation libérale et des "réseaux", bref à l'ère des oligarchies. Les classes dirigeantes considèrent la souveraineté populaire comme démodée, voire dangereuse, source potentielle de totalitarisme selon les idéologues, en fait menace pour les privilèges des nantis.
1) La souveraineté n'est pas soluble dans l'Union européenne.
Le fin du fin pour nos libéraux qui se veulent des "démocrates modernes" est de diviser la souveraineté en tranches :
Certes, ils sont obligés de concéder que la nation a quelque chose à voir avec la démocratie. Ils doivent reconnaître qu'il existe encore un peuple français, un peuple britannique, un peuple allemand, etc. Mais l'idée d'une souveraineté partagée entre les nations et "l'Union européenne" est aujourd'hui "dans le vent" encore qu'on ne voie pas très bien de quoi procéderait une telle souveraineté de l'Union en l'absence d'un "peuple européen".
S'enracinerait-elle dans les traités ? Dans les organes qu'ils créent, Commission, Conseil, Parlement, Cour de Justice ?
Par quel tour de passe-passe magique la souveraineté aurait-elle été transférée des peuples à un éther supérieur ?
On peut soutenir que les décisions du Conseil, représentatif des Etats, ont la légitimité que confère à ces derniers la volonté exprimée par chaque peuple pris séparément. Du Parlement européen on ne peut rien dire sinon qu'en l'absence d'un peuple européen, il juxtapose quinze photographies de l'opinion publique dans les Etats membres, à un moment donné qui signifie des choses différentes dans la vie de chacun d'eux.
Quant à la Commission ou à la Cour de Justice ce sont des organes délégués dans des fonctions prévues par les traités. Quelle que soit leur propension à excéder leurs compétences, au nom d'une subsidiarité dont ils sont seuls juges, ou de théories qu'ils ont eux-mêmes élaborées et imposées : application directe aux citoyens de la législation européenne, supériorité de la norme européenne sur la loi nationale, ils ne peuvent reculer les bornes de celles-ci que dans la mesure où les nations sont consentantes. Bref, le système de la division de la souveraineté (qui n'a rien à voir avec la division des pouvoirs ou avec la répartition des compétences que tout Etat de droit prévoit et respecte) ne peut marcher que par beau temps ou au prix d'un effacement toujours plus complet des nations au sein de l'Empire.
Mais dans l'hypothèse de la fin du beau temps et de la survenance de tempêtes ou de crises graves, on voit mal comment la nécessité de trancher en dernier ressort n'entraînerait pas un conflit de pouvoir majeur. Prenons l'exemple du conflit des Balkans : La cohésion de l'Union n'a résisté que parce que les opérations ont été limitées à la dimension aérienne et à une durée de soixante-quatorze jours.
Il n'est d'ailleurs pas dit que l'Union européenne s'étant enlisée dans le bourbier balkanique, sa cohésion n'en sortira pas ébranlée. En effet la logique de l'intervention au Kosovo pour l'Union européenne signifie son investissement prolongé dans la zone et potentiellement son élargissement vers le Sud-Est européen à une bonne dizaine de nouveaux pays. A vrai dire dans la crise du Kosovo, il n'est rien dans les résultats d'aujourd'hui qui ne figurât déjà dans l'énoncé initial. Croyez-moi : le texte d'Hans Magnus Enzensberger supporte aujourd'hui la relecture !
Cet élargissement ou cette dilatation- pourrait bien sonner le glas des ambitions politiques de l'Union européenne.
Deux écueils menacent en effet celle-ci:
- la complexification croissante de son fonctionnement : majorité qualifiée ou non, règle de la codécision, etc. ;
- et par ailleurs son élargissement lui-même source d'inextricables difficultés (repondération des organes dirigeants, conflits d'intérêts croissant avec l'hétérogénéité de l'Union, limitation des transferts budgétaires vers les nouveaux adhérents, etc.).
Plus l'Union européenne s'élargira vers l'Est et moins elle sera capable de politiques communes. Elle sera tout au plus une zone de libre échange avec des normes juridiques on peut l'espérer- relativement convergentes.
Mais que se passera-t-il quand viendra l'orage ? Comment réagiront les nations, à commencer par les plus importantes d'entre elles en cas de conflit ou de crise majeurs ?
C'est alors qu'on verra où se situe la légitimité et donc la souveraineté : dans les peuples et nulle part ailleurs.
2) Instaurer le référendum d'initiative populaire.
L'Union européenne est un système qui fonctionne par beau temps. Elle pose cependant un problème de fond : sa tendance bureaucratique irrépressible. Pour mettre un frein à cette propension il n'y a qu'un moyen : c'est de redonner au souverain, c'est-à-dire au peuple le dernier mot.
C'est le sens de la proposition faite par M. Bernard Tricot au sein d'un groupe de travail de "République Moderne" présidé par Didier Motchane, proposition d'instituer un référendum d'initiative populaire qui, dans plusieurs domaines tendant aujourd'hui à échapper à la prise de décision démocratique (règlements ou normes européennes jurisprudence du Conseil Constitutionnel) permettrait de la rendre aux citoyens.
Bernard Tricot propose que les textes soumis à de tels référendum d'initiative populaire ne puissent être adoptés que s'ils réunissent une majorité d'électeurs inscrits.
Je n'ai pas toujours été partisan d'un tel référendum d'initiative populaire mais à cette condition, je m'y rallie comme au seul moyen de marquer une limite à un envahissement bureaucratique déconnecté de toute légitimité populaire. Ce sera aussi le moyen de refaire des citoyens, de saisir directement l'opinion publique des grands choix qui la concernent.
3) Pour le quinquennat et un régime présidentiel de fait.
A l'ère de la mondialisation il est nécessaire que la France puisse continuer à faire entendre sa voix. C'est pourquoi, et qu'Anicet Le Pors me le pardonne, il n'est pas à mes yeux souhaitable, à supposer que cela soit possible, de revenir sur l'élection du Président de la République au suffrage universel.
J'incline pour ma part vers le quinquennat. La logique de celui-ci conduit vers un régime présidentiel de fait. On peut en effet maintenir pour les cas de crises exceptionnelles la soupape de la dissolution. Quant à la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée, son caractère assez formel devrait conduire à renforcer plutôt les modalités du contrôle de l'action gouvernementale.
4) Sortir de Maastricht par le haut.
Le peuple français en corps, communauté de citoyens en mouvement, mais aussi puissant legs de souvenirs, histoire non pas révolue mais toujours devant nous, n'a pas disparu de la scène. Cela signifie la permanence de la République comme structure organisatrice de notre destin. Ce que l'Europe ne peut réaliser -l'intégration des immigrés dans la citoyenneté- la nation le peut, par cette croyance qui la définit, en l'égalité fondamentale des citoyens, en la capacité des hommes de mobiliser en eux des talents jusque là insoupçonnés. La République reste ce grand acte de confiance en l'homme que rien n'a remplacé. L'intuition de Jean Monnet a été de comprendre que pour les nations d'Europe le moment était venu de s'associer. Son erreur a été de croire qu'elles pouvaient se fondre dans un système qui ne prospérerait qu'en les vidant de leur substance politique, et en niant leur identité.
Le problème de l'Europe est aujourd'hui celui d'une volonté consciente et commune aux principales nations et d'abord à l'Allemagne et à la France, bref celui d'une refondation républicaine de l'Europe par des nations libres.
Le choix d'un partenariat étroit avec la Russie dans une configuration qui ne plairait pas forcément à Washington pourrait être un tel moment fondateur, comme aurait pu l'être le refus d'emboîter le pas aux Américains dans la guerre du Golfe qui entre parenthèses se poursuit en dehors de toute légalité internationale. On aimerait que le PS prenne une position claire sur ce sujet et n'attende pas la visite du Pape à Ur en décembre prochain ! Mais il faut un intérêt vital assez puissant pour dissoudre les liens de dépendance. Sortir de Maastricht par le haut, c'est-à-dire par une alliance politique de progrès liant explicitement plusieurs pays importants de l'Europe. Opérer un acte fondateur commun par rapport à la puissance tutélaire, cela ne peut s'envisager qu'au plus fort d'une crise dont évidemment on ne peut rien dire aujourd'hui parce que vous l'avez compris- je ne fais qu'avancer une hypothèse théorique.
Mais il y a aujourd'hui du pain sur la planche pour imposer un nouvel ordre économique mondial et en particulier taxer les mouvements de capitaux, réformer le FMI, lutter contre le blanchiment de l'argent sale, bref restaurer un contrôle politique à l'échelle du monde. Le problème n'est pas technique. Il est évidemment politique. Il passe par la volonté des Etats que seuls les peuples peuvent mettre en mouvement.
IV Dans l'immédiat, notre tâche est de donner à la gauche un nouveau souffle républicain.
Notre rôle, notre responsabilité c'est d'incarner un logiciel républicain en tous domaines et pas seulement, naturellement, en ce qui concerne les domaines du ministère de l'intérieur.
1) C'est vrai pour la maîtrise de l'évolution de nos structures productives.
L'avenir de notre secteur bancaire touche à l'intérêt général. L'Etat ne peut pas s'en désintéresser. Qui commande la banque commande l'économie. Il est évident que la constitution d'un très grand groupe bancaire français BNP SG Paribas était ce qui pouvait le mieux permettre la préservation à terme de nos intérêts nationaux. Mais ce débat n'a pas eu lieu. Le patriotisme économique manque complètement à nos élites dirigeantes. Jamais plus qu'aujourd'hui la politique de la France ne s'est faite à la Corbeille !
L'Etat ne peut pas se désintéresser de l'avenir de notre système bancaire. Je suggère le dépôt par le MDC d'une proposition de loi sur cette question. Et je demanderai au gouvernement de réfléchir aux moyens qu'il a d'empêcher le rachat par des groupes étrangers non seulement de la Société Générale, du CCF, mais aussi de Bull. Après les AGF, Rhône Poulenc, Péchiney, Alsthom, avalés respectivement par Allianz, Hoëchst, Alcan, General Electric et ABB, la liste est déjà trop longue ! Je suggère la création d'un observatoire de l'évolution de nos structures productives, si possible public, et à défaut privé.
2) Les marges de manoeuvre permises par le retour de la croissance et l'amélioration des rentrées fiscales sont un autre enjeu moins structurel mais également actuel.
a) La situation de beaucoup de banlieues est préoccupante. Nous ne savons plus, depuis des décennies, construire des villes autrement que ségrégatives. Le financement du logement social en est pour partie responsable, parce qu'il rend très difficile la construction de villes, de quartiers, d'immeubles où la mixité sociale est favorisée. On sait construire des PLA, des "PLA Très Sociaux", des logements intermédiaires, des logements de standing. Mais on ne sait plus construire ou plutôt financer des quartiers mixtes et équilibrés. La ségrégation entretient le ghetto, nourrit la désespérance, alimente la délinquance. La peur d'engendrer ces phénomènes dissuade les élus de construire des logements sociaux.
C'est un enjeu majeur pour notre époque. Si un effort particulier est nécessaire, c'est d'abord en ce domaine. La reconstruction des banlieues, la mixité sociale, c'est la reconquête de la citoyenneté dans les villes.
b) Le Mouvement des Citoyens est naturellement favorable à ce qu'un effort soit engagé pour un relèvement des minima sociaux. C'est une affaire de justice : elle ne peut être conduite à bien que si les rapports entre le SMIC et les minima sociaux sont réalistes. C'est donc une entreprise plus complexe qu'il n'y paraît. N'oublions pas cependant l'effort en faveur des bas salaires. C'est le travail qu'il faut aussi et même d'abord encourager. La contribution la plus efficace à la justice sociale du gouvernement de Lionel Jospin aura été la création de plus de 600.000 postes de travail et le recul de plus de 5 % du chômage que cela a permis.
c) Dans cet esprit, l'abaissement voire la suppression des charges sociales sur les bas salaires incitera à l'embauche de personnes peu qualifiées actuellement frappées par le chômage. C'est cela la dimension sociale de la citoyenneté.
d) Faisons confiance aussi aux collectivités locales, premiers investisseurs de France. Le niveau de leurs recettes, qu'elles soient issues de la fiscalité locale directe ou des reversements de l'Etat, détermine le montant de l'investissement public civil (75 % du total), un investissement adapté aux réalités, conforme aux besoins des citoyens, et contrôlé démocratiquement. L'utilité sociale est ici sérieusement garantie. Permettons la prise en compte rapide des effets du recensement, veillons à accroître la péréquation par la DSU et la DSR. Sachons enfin utiliser les fruits de la croissance pour traiter pendant qu'il en est temps le problème du déficit menaçant de la CNRACL.
e) Permettez aussi au ministre de l'intérieur d'attirer votre attention sur l'effort consenti par le pays pour sa sûreté. Chacun convient que la question de l'insécurité a changé de nature en trente ans, tant elle a pris des proportions alarmantes dans les villes. C'est une déferlante. Est ce que le dispositif de sûreté a pour autant changé d'échelle ? Je suis assailli de demandes des élus de tous bords pour obtenir des effectifs, des postes de police, des moyens. J'ai engagé au plan qualitatif un effort, jamais entrepris à ce jour, pour passer d'une police d'ordre à une police de proximité, fidéliser les unités mobiles, moderniser, développer ce qu'on appelle l'îlotage. Mais je suis sûr que le pays est prêt à un effort pour que le dispositif de sécurité au service des citoyens, et d'abord des plus modestes, change d'échelle et soit mis au niveau de la délinquance actuelle. Un programme pluriannuel de modernisation de la police contribuerait au principe d'égalité des citoyens devant la sûreté.
f) S'il est un domaine privilégié où notre logiciel républicain sera utile, c'est bien celui de l'Ecole. Le calendrier politique du printemps nous a fait retarder la tenue de notre colloque sur l'Ecole de la République, mais l'investissement intellectuel a été fait. Nous sommes prêts à tenir nos travaux très bientôt. J'ai le sentiment que les propositions que nous ferons à cette occasion seront entendues. Elles seront utiles pour éclairer le chemin. Car le but ultime : éduquer l'esprit critique, former le citoyen, ne peut pas être perdu de vue. C'est lui seul qui doit inspirer les réformes.
g) La recherche est en France un atout maître. L'innovation est un moteur de la nouvelle guerre économique mondiale et il nous faut une nouvelle ambition pour renouveler notre politique de recherche et de valorisation de la recherche. Un grand projet national est seul capable de dynamiser le secteur public et le secteur privé.
h) Enfin une politique globale, engageant tous les secteurs et tout le gouvernement , doit être menée en faveur de l'accès à la citoyenneté.
C'est l'enjeu d'une génération. Des millions de jeunes s'estiment marginalisés. Bien que l'immense majorité aspire à trouver leur place dans la société, ils sont injustement amalgamés avec une poignée d'entre eux qui ont fui vers la délinquance. Il faut les aider à trouver un travail. S'il y a des parrainages républicains utiles, ce sont bien ceux là ! Au ministère de l'intérieur, j'ai créé les CODAC, j'ai donné des orientations claires pour faciliter l'intégration de cette génération et notamment des jeunes issus de l'immigration dans les emplois de la police nationale ou encore pour les aider à combattre les discriminations. Mais pour que cette politique soit menée partout il faut une forte volonté politique. Le Mouvement des Citoyens doit en être l'âme, sur le terrain. La campagne que nous avons décidée lors de notre Congrès doit être lancée maintenant; adressez-vous aux autres partis de la gauche, aux syndicats, au monde associatif ; initiez des actions communes. L'accès de tous à la citoyenneté, dans le travail, le logement, les loisirs, la vie civique, c'est le socle d'une citoyenneté retrouvée, d'une souveraineté populaire vivante.
Citoyennes et Citoyens, l'affaissement des idéologies d'hier laisse le paradigme républicain seul en scène face à la mondialisation financière. Là sont nos références, nos repères, la grille de lecture du présent et la clé de l'avenir.
Et l'idée républicaine se retrouve infiniment plus féconde que les idéologies qui ont cru pouvoir lui succéder. Elle est capable de répondre à des défis d'avenir : faire vivre ensemble des gens de plus en plus différents, en respectant la liberté et le sentiment d'appartenance, faire prévaloir l'intérêt général sur celui de l'argent et des marchés, et par dessus tout s'en remettre au seul citoyen du choix de son destin.
Le Mouvement des Citoyens doit s'identifier à un puissant courant de la gauche républicaine qui vient des tréfonds de notre histoire.
Beaucoup d'enjeux sont encore biaisés : l'Empire avance sous couvert des droits de l'homme, l'abandon du politique est présenté comme une avancée des libertés
V Notre stratégie : faire fond sur les républicains qui s'assument ou qui s'ignorent encore.
Les Républicains ne sont pas seuls. Ils ont un avantage stratégique : la disparition lente des idéologies défaites. Le moment arrive où le choix entre le ralliement à la mondialisation financière ou l'alternative républicaine sera limpide. Beaucoup d'enjeux sont encore biaisés : l'Empire avance sous couvert des droits de l'homme, l'abandon du politique est présenté comme une avancée des libertés. Mais ce brouillard se dissipera. Déjà, dans l'opinion, les thèses républicaines ont pris l'avantage. La gauche, toute la gauche, en a pris conscience.
C'est vrai au sein du parti socialiste, qui compte, à tous les niveaux, de robustes républicains. Notre campagne commune lors des élections européennes l'a montré. Et Sami Naïr, qui n'a jamais mis notre drapeau dans sa poche, l'a bien perçu : nos vues sont aujourd'hui mieux comprises.
Mais évidemment, je sais bien que de vieilles lunes y sont encore révérées, qu'un européisme béat et hors d'âge y subsiste parfois. Il n'empêche : saisissons le mouvement; mesurons que sous l'impulsion de Lionel Jospin le P.S. évolue sérieusement à propos de la question de la nation, de la citoyenneté, de l'Europe comme prolongement des nations. Il y a des isolements qui n'ont rien de splendide. Notre tâche est d'encourager ce mouvement, de fournir des propositions argumentées, et surtout, de s'adresser directement au peuple. Car c'est lui qui pèse par dessus tout, et bien plus fort que les anathèmes de certains éditoriaux.
Le parti communiste français doit faire face à une crise prévisible. Je l'exhorte à être fidèle à lui-même; la France a besoin d'un parti communiste, capable de mobiliser les espoirs populaires de transformation sociale. Il peut sortir de sa crise en se situant face au défi principal, celui de la mondialisation financière. Et redécouvrir alors que la nation n'est pas un ennemi mais un point d'appui pour résister. Le P.C.F. doit reconquérir son "F" car, plus que d'autres, il peut en être fier. Etre fidèle au peuple, plutôt que suivre les modes portées par la petite bourgeoisie néo-libérale, expose naturellement aux sarcasmes médiatiques; mais c'est la clé de l'avenir pour un parti communiste français qui doit repenser son rôle et son destin après la fin du communisme.
La gauche républicaine doit mobiliser ses soutiens naturels, à commencer par le mouvement ouvrier première victime d'une mondialisation sans règle : on ne peut plus nourrir aujourd'hui une ambition sociale sans poser la question de la souveraineté. Ce lien vital, nous devons en être les instituteurs. J'observe d'ailleurs que les grands mouvements récents posaient cette question : les grèves de novembre et décembre 1995, les conflits dans les transports, et aujourd'hui le mouvement paysan qui a parfaitement saisi que la mondialisation sans règle et le mépris de la souveraineté signifiait sa disparition.
Sachons mobiliser aussi tous ceux qui ont un intérêt objectif à promouvoir la République parce qu'elle est leur meilleure chance. Les jeunes qui vivent dans les quartiers difficiles, les jeunes issus de l'immigration savent bien que l'égalité républicaine est le mot de passe qui ouvre les barrières. Pour les repus et les nantis, l'égalité républicaine est bien-sûr une contrainte; mais pour ceux qui n'ont rien, elle est promesse de libération. Pas d'émancipation sans République et donc sans souveraineté ! Parmi ces jeunes Français, nés en France, issus de l'immigration, nous trouverons les nouveaux militants de la gauche républicaine.
Et puis, les ouvriers, les artisans, tous ceux qui vivent de leur travail n'ont pas disparu. L'intégration dans la mondialisation financière est pour eux un mirage : elle leur est vantée à longueur de publicité et plus tous les moyens de la communication, mais elle s'éloigne à mesure que la mondialisation progresse. L'alternative républicaine est la seule issue.
Tenez bon ! Je sais bien que certains d'entre vous sont irrités de voir que l'idée républicaine n'est pas unanimement partagée, et qu'elle est même parfois ignorée. Ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain, ne vous retirez pas sur l'Aventin, par ce qu'on ne pèse pas à 100% !
D'abord l'action politique est davantage qu'un simple témoignage : elle exige de voir l'horizon et de se colleter au réel. Et puis, l'Histoire est longue. Si nous travaillons bien -il suffit de le vouloir- notre action sera féconde dans la durée.
Pour qui veut combattre l'absolutisme d'une mondialisation financière non maîtrisée, il n'y a pas d'autre arme que l'idée républicaine, pas d'autre outil que la nation citoyenne.
Vous avez au cours de cette université d'été décliné concrètement cette perspective, à propos des enjeux d'aujourd'hui. Je vous invite à présent sur le terrain à être actifs, à faire connaître nos propositions, à militer, à préparer aussi les élections cantonales et municipales. Sans nous la gauche plurielle où d'autres apportent l'eau et la farine serait un pain sans sel et sans levure. C'est en faisant fond sur le combat d'idées que nous ferons du Mouvement des Citoyens le fer de lance de la reconquête républicaine et que nous assurerons le succès d'une gauche digne de ce nom.
(Source http://www.mdc-france.org, le 28 mars 2002)