Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le défi du chômage et les progrès de l'Europe sociale et sur la préparation du conseil européen extraordinaire consacré à l'emploi, Nantes le 30 octobre 1997.

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Circonstance : Déplacement à Nantes de M. Pierre Moscovici dans le cadre de la campagne d'information sur l'Europe le 30 octobre 1997- rencontre sur le thème "Emploi et politique sociale"

Texte intégral

Monsieur le Député-Maire,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Représentant du Président du Conseil Régional,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames,
Messieurs,
Je suis très heureux d'être aujourd'hui à Nantes et vous remercie, Monsieur le Député-Maire, cher Jean-Marc Ayrault, pour la qualité et la chaleur devotre accueil, pour cette première rencontre consacrée à l'Europe économique et sociale.
Nantes m'a semblé particulièrement désignée pour recevoir aujourd'hui cette première rencontre consacrée à l'Europe économique et sociale. Outre l'excellence de ses infrastructures, cette grande capitale régionale a un double regard européen, à la fois tourné vers les horizons atlantiques, et versnotre continent tout entier et le TGV y aura contribué. On y voit la logique des grands travaux. Permettez-moi aussi d'ajouter, Monsieur leDéputé-Maire, que le ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères chargé des Affaires européennes s'y sent un peu chez lui, puisque le ministère des Affaires étrangères a choisi bien avant qu'il y ait une politique de délocalisation, de déconcentrer à Nantes une partie importante de ses services, représentant près de 900 emplois. M. Hubert Védrine était d'ailleurs ici, il y a peu de temps, pour visiter ses services.
Je souhaite à mon tour la bienvenue à tous ceux qui ont fait le déplacement, en particulier à nos amis d'autres Etats membres de l'Union européenne sans lesquels nous ne pourrions avoir un dialogue complet.
J'ai pris l'initiative d'organiser cette rencontre, en plein accord avec le Premier ministre, qui aurait souhaité être parmi nous, mais est à Moscou, et avec le soutien de la Commission européenne, pour que nous réfléchissions ensemble, en réunissant une pluralité de points de vue et de sensibilités - chefs d'entreprises, syndicalistes, responsables politiques, français et européens - aux questions lancinantes qui, tous ici, nous préoccupent et nous rassemblent : quelle Europe pour lutter contre le chômage ? Quelle Europe pour concilier cohésion sociale et compétitivité ?
Le titre de cette rencontre porte en lui-même un constat : Nous sommes à un moment où l'Europe traverse une période cruciale, après la réalisation du grand marché sans frontières intérieures, à la veille de la réalisation de l'Union économique et monétaire et du lancement du processus d'élargissement, qui se fera dans quelques mois. Tout cela ce sont des réussites inachevées, alors que l'Europe sociale reste en devenir. Comment pourrait-elle, comment pourrions-nous, devrais-je dire, ne pas répondre aux préoccupations premières de nos populations ? Sauf, bien sûr, à se résigner à l'inacceptable, une construction européenne qui serait distante, abstraite, vaporeuse et serait condamnée à plus ou moins brève échéance car elle ne manquerait pas d'être rejetée.
En effet, le chômage frappe près de 19 millions de personnes dans l'Union européenne, auxquelles il convient d'ajouter tous ceux qui sont en situation de précarité professionnelle ou d'exclusion. On a pu voir récemment à travers des rapports officiels que leur nombre est important.
Je suis persuadé que c'est sur notre capacité à traiter ce fléau du chômage, en France comme dans chaque membre de l'Union, que nous serons jugés. C'est grâce à notre détermination et au succès, j'y crois, de notre action que nous pourrons réconcilier les peuples d'Europe avec l'entreprise européenne, elle-même. Elle en a besoin.
Telle est la conviction profonde qui guide la politique européenne du gouvernement français.
Dès son arrivée aux responsabilités, le gouvernement de Lionel Jospin n'a pas ménagé ses efforts, dans le contexte particulier du Conseil européen d'Amsterdam, pour promouvoir un rééquilibrage de l'Europe économique et monétaire dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. Permettez-moi de revenir sur ce Conseil européen d'Amsterdam, qui, à mes yeux, a traduit un premier infléchissement significatif. Vous vous en souvenez, le gouvernement, en pleine harmonie avec le président de la République, a obtenu ou soutenu diverses avancées qui reflètent la priorité renouvelée accordée à ces enjeux : intégration dans le Traité, grâce notamment au changement d'attitude du gouvernement britannique, ici représenté aujourd'hui, du chapitre social signé à Onze à Maastricht, insertion dans le nouveau traité d'un chapitre emploi, adoption d'une résolution sur la croissance et l'emploi, celle-là à l'initiative de la France, qui place sur le même plan politique ces objectifs et la stabilité budgétaire.
A la demande de la France, un Conseil extraordinaire sur l'emploi a été convoqué. Ce sommet se tiendra, les 20 et 21 novembre, à Luxembourg. Il s'agit d'une première dans l'histoire européenne.
C'est dans ce contexte, pour participer à la préparation de cette importante échéance, que nous nous retrouvons aujourd'hui. Comment ce sommet a-t-il été préparé ?
La France a transmis, en août dernier, ses propositions à la présidence luxembourgeoise, autour de trois séries d'orientations. Première orientation, nous souhaitons mettre en oeuvre une stratégie coordonnée des politiques nationales de l'emploi afin d'en améliorer l'efficacité. Il est clair que les politiques de l'emploi sont d'abord des politiques nationales. Tel est l'objet des lignes directrices, assorties d'objectifs quantifiés et précis, qui seront proposées à Luxembourg, par exemple pour réduire en Europe le chômage des jeunes ou le chômage de longue durée. Je veux le dire avec force : comme nous avons eu les critères monétaires et financiers de Maastricht, il serait bon, il serait même indispensable, que nous ayons, en matière d'emploi, les objectifs de Luxembourg, que nous remplacions la mobilisation par la contrainte ou que nous ajoutions la mobilisation à la contrainte.
Deuxième orientation, il s'agit ensuite de relancer les actions communautaires en faveur de l'emploi, de tirer pleinement profit de la valeur ajoutée des mécanismes communautaires. Je pense tout particulièrement aux politiques en faveur des PME et des grandes infrastructures de transport, de la recherche, de la valorisation du capital humain à travers la formation. J'espère que l'on pourra ajouter un plus, à travers la BEI. Il faut pour cela, mobiliser tous les instruments financiers disponibles. On sait, hélas, qu'il y a encore des réticences fortes.
Enfin, la troisième orientation vise à affermir le dialogue social européen, qui doit trouver la place qui lui revient dans le fonctionnement communautaire et s'employer aussi à la lutte contre le chômage.
Je constate qu'au-delà des différences d'expériences et d'approche propres à chaque partenaire, ces lignes d'actions recueillent un consensus ce qui,comme le disait Jean-Marc Ayrault tout à l'heure, est la marque d'une prise de conscience. De même, le scepticisme, voire l'hostilité, qui avaient accueilli certaines de nos premières propositions ont fait place à une réelle prise de conscience, même si les contraintes, voire les réticences, des uns et des autres, en particulier budgétaires, restent fortes. J'ai la conviction que Luxembourg peut être un succès, en tout cas sera un tremplin.
La préparation de ce Sommet bat son plein et la présidence luxembourgeoise, exercée par M. Jean-Claude Juncker, n'a pas ménagé ses efforts, que je salue, pour en faire un succès. Nous commençons à voir l'esquisse des résultats possibles.
La question est désormais de les traduire en décisions concrètes à un horizon rapproché, en cherchant également à utiliser au mieux les acquis européens en ce domaine, qu'il s'agisse des résultats du Conseil européen d'Essen en 1994 avec un programme de grands travaux, de celui de Cannes en 1995, ou de Dublin en 1996, autant de conclusions qui sont trop souvent restées lettre morte, faute, notamment, de volonté politique et d'engagements financiers.
Tel est donc aujourd'hui le cadre de nos travaux, organisés en deux tables rondes. La première sur le dialogue social au service de l'emploi, la seconde sur le modèle social européen à l'épreuve du chômage.
Je conçois que cette division pourra apparaître à certains, qui vivent le social, quelque peu artificielle. Mais le dialogue social européen ne se justifie après tout que par l'existence d'un modèle social, qui mérite lui même d'être préservé et enrichi. Et en même temps, ce dialogue social a vocation à améliorer en permanence ses acquis.
Avant de vous écouter, permettez-moi de vous livrer en introduction quelques brèves réflexions personnelles, qui ne visent en aucune manière à préempter un débat que je souhaite libre, qui sera libre de toutes façons, mais à stimuler nos échanges.
a) Il me semble que la discussion à propos du dialogue social européen doit partir d'un constat simple : d'un côté, l'espace de la concurrence ne cesse de s'approfondir : le marché unique sera bientôt couronné par l'euro et l'Europe économique prendra enfin sa dimension véritable. Face à ces évolutions, de l'autre côté, force est de constater que l'espace du dialogue social reste encore trop étroitement national, en tout cas pas à l'échelle requise par le jeu concurrentiel des entreprises. Il y a là une dissymétrie. Nous en mesurons fréquemment les conséquences négatives, en particulier à l'occasion des restructurations industrielles des entreprises qu'elles soient grandes, moyennes ou petites.
Certes, de premiers résultats ont déjà été enregistrés avec l'accord-cadre sur le congé parental et, plus récemment, avec l'accord-cadre sur le travail à temps partiel, qui donne lieu à un projet de directive soumis aux ministres européens du Travail.
Ces applications du protocole social sont particulièrement prometteuses. Après le ralliement de la Grande-Bretagne à ce texte, les conditions sont maintenant réunies pour en exploiter pleinement les dispositions. On avait coutume de dire que l'on ne pouvait rien faire à cause de la Grande-Bretagne. Maintenant qu'elle a un gouvernement progressiste, c'est un alibi que nous n'aurons plus. Encore faut-il réfléchir à l'amélioration du fonctionnement de ce dialogue social européen, à partir de ces expériences concrètes, préciser ses champs d'application, je pense en particulier, à l'aménagement du temps de travail et, il faut le dire, à la réduction du temps de travail, même s'il n'est pas question de prétendre imposer nos réponses.
J'ai évoqué les restructurations industrielles qui, au-delà des drames humains, mettent en lumière de manière éclatante l'impuissance, parfois même l'incohérence de nos réalisations. Le Comité de groupe européen doit pouvoir remplir son rôle et faciliter la prise en compte des conséquences, en termes d'emploi, des choix industriels, en amont de ces décisions, et non en aval. Nous nous devons d'en parler ici, aujourd'hui, et mon sentiment est que nous devons en parler à Luxembourg.
b) Quelques mots, maintenant, sur le modèle social européen. Je ne méconnais pas les objections que cette expression même peut susciter, ici ou là. Je ne veux pas entrer aujourd'hui dans un long débat sur la pertinence de cette notion. A mon sens, elle renvoie fondamentalement à une combinaison spécifique à nos économies européennes entre, d'une part, un niveau élevé de protection sociale que l'on ne trouve nulle part dans le monde, des mécanismes de solidarité également très puissants et, d'autre part, les forces du marché, la liberté d'entreprendre, combinaison qui renvoie à des équilibres et des modes de régulation différents selon les Etats membres. Ils ne s'opposent pas.
Ce qui est en jeu, c'est la capacité de notre modèle social à affronter le défi du chômage, à dépasser cette alternative fausse et dangereuse qui consiste à considérer que sauver l'emploi doit nécessairement entraîner une régression sociale. La question est d'autant plus cruciale que le risque est grand de faire du social ou du salaire d'ailleurs, la nouvelle variable d'ajustement en régime de monnaie unique. Là aussi, cela mérite débat.
Bien plus, je fais partie de ceux qui considèrent que cohésion et justice sociales sont des facteurs-clefs de compétitivité, indispensables à l'économie européenne pour maîtriser enfin le phénomène de la mondialisation et non le subir. On assimile trop souvent mondialisation et construction européenne. A mon sens, la construction européenne est un facteur de régulation dans la mondialisation.
Ainsi, le modèle social européen se retrouve au coeur des grands débats économiques. C'est pourquoi le dépassement de l'alternative que je viens d'évoquer passe par la mise au point d'une stratégie de croissance, riche en emplois.
Le rééquilibrage progressif de l'Union économique et monétaire dans un sens plus favorable à l'emploi participe de cette stratégie et je n'en dis qu'un mot. L'euro doit non seulement être l'instrument de puissance et de stabilité économique que nous appelons de nos voeux, mais il doit aussi être un levier pour affirmer l'identité de l'Europe dans le domaine social et la pertinence de son modèle. N'opposons pas artificiellement l'euro et l'emploi. Mettons au contraire l'euro au service de l'emploi.
Après avoir posé ces quelques réflexions, il me reste à vous souhaiter de fructueux travaux. Notre rencontre d'aujourd'hui témoigne de la volonté du gouvernement, en liaison avec les institutions européennes, de rendre l'Europe plus intelligible pour les citoyens, de la rendre populaire, expression que j'aime bien. Je suis sûr que nous tous ici, acteurs de la vie publique, chacun à notre place, Français et Européens, aurons à coeur aujourd'hui de contribuer à cet effort d'explication et plus encore à l'exigence du débat démocratique, pour éclairer l'avenir d'une grande idée: celui d'une Europe attentive aux préoccupations sociales, d'une Europe au service de l'emploi et de la croissance. C'est l'enjeu du Sommet de Luxembourg. C'est ce à quoi nous devons travailler.
Je vous souhaite un bon débat./.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 12 septembre 2001)