Déclarations de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur les enjeux et les principales dispositions du projet de loi sur la nationalité française, à Paris, à l'Assemblée nationale les 26 novembre et 1er décembre 1997.

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Circonstance : Débat en première lecture sur le projet de loi sur la nationalité française à l'Assemblée nationale du 26 au 28 novembre et adoption le 1er décembre 1997

Texte intégral

26/11/1997
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Qu'est-ce que la nationalité?
A cette question, tous, quelles que soient nos préférences politiques, nous répondons par le même mot : appartenance.
L'appartenance à une histoire.
L'appartenance à un destin.
Nous appartenons à la France.
C'est l'honneur de la France de ne pas avoir adopté une conception frileuse, propriétaire, patrimoniale de cette appartenance.
Jamais la France n'a choisi de se replier sur elle-même pour protéger on ne sait quelle identité originaire.
Jamais elle n'a refusé ceux qui désiraient rejoindre sa communauté.
Au fil des siècles, chacun le sait, la France s'est construite sur d'innombrables apports étrangers. Comme le rappelait le Premier Ministre, devant vous, dans son discours de politique générale, la France est un vieux pays d'intégration, construit par sédimentations, et d'autant plus fort que ses composants étaient divers et nombreux.
Et voilà qu'en 1993, on a voulu bouleverser cette tradition de la République en exigeant des jeunes étrangers nés en France qui voulaient devenir français, une obligation de déclaration.
Le principe de cette exigence est louable et peut paraître de bon sens.
En parlant de Nation, Renan n'évoque-t-il pas un plébiscite ?
Sur ce mot encore nous tomberons d'accord, entre nous tous, et tous avec Renan, il faut un plébiscite. Pas d'appartenance sans décision.
Mais quel est le plus efficace des plébiscites, le plus authentique, celui qui engage le plus ? Est-ce une démarche ponctuelle dans les locaux de l'administration, est-ce la signature d'un papier ou bien est-ce la pratique d'une langue, le partage d'une culture, le réseau des amitiés, l'engagement dans le travail ? La loi de 1993 prévoit une obligation de déclaration. Nous voulons rendre la parole aux faits. Nous voulons faire prévaloir la réalité de la vie de tous les jours. C'est ainsi et non par des formulaires que s'exprime jour après jour le choix d'un pays.
Tel est l'esprit du projet que j'ai l'honneur de présenter devant vous :
- Ce projet réaffirme le principe d'appartenance, qui est l'un des piliers de notre République.
- Ce projet est aussi animé du souci de traiter au mieux, sans dérobades ni faux-semblants, les situations concrètes.
La Démocratie a besoin de clarté. La loi doit pouvoir trancher. Quand, au maquis des textes, s'ajoute la multiplication des cas inextricables, une mauvaise incertitude s'installe, porte ouverte à des surenchères nauséabondes.
C'est pourquoi je considère que le droit du sol est consubstantiel à la Nation française. Loin de s'opposer au droit du sang, les deux systèmes se complètent. Est français celui qui est né en France et qui y est intégré. Comme est français celui qui est né d'un français lui-même intégré.
Cette conception fondamentale de la nationalité n'a jamais été remise en cause dans notre histoire.
Sans remonter trop loin dans notre passé il est bien connu que sous l'empire de la loi du 26 juin 1889 l'assimilation de droit constatait l'assimilation de fait. Pour la République en 1889, un siècle après notre Révolution, naître en France et y résider à sa majorité suffisait pour constater que l'on était français. Bien entendu l'Etat avait à répondre aux besoins de la conscription. Mais comme le rappelle Patrick Weil dans son rapport, l'incorporation des enfants d'étrangers intervient d'abord et avant tout au nom de l'égalité et de l'universalisme. Ces enfants sont des français de fait et ils doivent avoir les mêmes droits et surtout les mêmes devoirs que les autres. C'est donc bien pour rétablir l'égalité entre tous les français, quel que soit leur statut, et pour mettre un terme à des privilèges que le jus soli fut réinstitué.
La loi de 1927, elle aussi, sous la pression des nécessités démographiques aggravées par la guerre consentait à un élargissement de l'accès à la nationalité française.
En 1945, c'est le souci d'une remise en ordre de la législation après les débordements inacceptables du régime de Vichy qui avait conduit à la rédaction du code de la nationalité.
Plus près de nous, la réforme du droit de la nationalité en 1973 a eu pour but principal de mettre en harmonie le droit de la nationalité avec les grandes réformes du droit civil qui avaient consacré l'égalité des sexes et l'égalité des filiations légitime et naturelle.
Au cours de cette histoire, et quels que soient les motifs qui ont conduit à ces réformes, jamais je dis bien jamais n'a été remis en cause l'article 8 de la loi de 1889 qui proclame "qu'est français tout individu né en France d'un étranger et qui, à l'époque de sa majorité est domicilié en France", à moins bien entendu qu'il n'ait décliné la qualité de français dans l'année qui suit sa majorité.
En revanche, et en rupture avec toutes nos lois précédentes, la caractéristique de la loi du 22 juillet 1993 est de n'avoir eu, pour l'essentiel, d'autre motivation qu'idéologique ou politique. Au cours des années 80, la crise économique et le chômage ont assuré une audience à des thèses simplificatrices attribuant tous les maux à l'immigration. Et c'est pendant ces années que l'idée d'une réforme du code de la nationalité est apparue qui ne laisserait subsister comme modes d'accès à la nationalité française que la filiation et la naturalisation. Après les élections de mars 1986, les premières propositions de loi ont été déposées respectivement par le Front National (Doc. AN n° 82, 21 avril 1986) et le Rassemblement pour la République (Doc. AN n° 183, 4 juin 1986).
La proposition de loi de juin 1986 prévoyait de maintenir la seule acquisition de la nationalité par filiation et pour les autres cas d'acquisition, -par mariage, par naissance et résidence, par déclaration, par décision de l'autorité publique,- de les subordonner à une demande de l'étranger qui devra s'en montrer digne. En définitive, la proposition ne laissait subsister que la naturalisation.
Le projet déposé par le Gouvernement de M. Chirac était plus modéré mais supprimait l'acquisition de la nationalité par mariage sur simple déclaration et surtout revenait sur la solution acquise en 1889 en imposant aux enfants nés en France de parents étrangers une obligation de déclaration pour acquérir la nationalité. Le vaste mouvement d'indignation qui a accueilli ce projet et l'avis négatif du Conseil d'Etat, ont contraint le Gouvernement à retirer son texte et à confier à la commission Marceau LONG le soin de donner son sentiment sur la "nécessité d'une déclaration par laquelle l'étranger manifeste sa volonté d'acquérir la nationalité française".
Face à une question ainsi orientée, la Commission Marceau LONG, à la majorité, et non pas à l'unanimité, comme on veut le faire croire aujourd'hui, se rangea à la conception élective de la nationalité dont j'ai dit qu'elle n'a jamais été celle du droit français.
Pour l'essentiel, le législateur de 1993 a adopté les conclusions de cette commission, non sans y ajouter des dispositions qui durcissaient encore les propositions de la Commission Marceau LONG.
Deux exemples seulement:
- Le Parlement a prolongé de six mois à deux ans le délai nécessaire pour qu'un étranger puisse acquérir la nationalité après son mariage avec un français ou une française .
- Il a également subordonné au séjour régulier des parents, l'effet du double droit du sol pour les enfants nés en France de parents algériens nés dans des départements français.
Ces restrictions introduisaient ainsi une confusion entre le droit de la nationalité et le droit au séjour.
Et ce faisant, la loi de 1993 a transformé le droit de la nationalité en enjeu idéologique alors que pendant plus de cent ans il en avait été préservé.
Sur ce point, je partage entièrement l'affirmation de Pierre Mazeaud présentant la proposition de loi devenue la loi de 1993 : "S'il est vrai de dire qu'il a une influence sur certains éléments de notre organisation juridique, -immigration, condition des étrangers en France, obligations militaires, accès à la fonction publique, protection sociale, exercice des droits civils et politiques-, on ne saurait toutefois confondre le droit de la nationalité d'essence fondamentalement juridique avec les conséquences que je viens d'énumérer".
On ne peut pas confondre le droit de la nationalité et le droit du séjour des étrangers en France. Le premier traite de l'état civil des personnes. Le second relève de la police administrative.
Difficilement justifiable au regard de notre histoire républicaine, le choix du législateur de 1993 ne peut également que susciter la critique dans ses conséquences.
Il est clair qu'en subordonnant l'acquisition de la nationalité française à l'obligation d'accomplir une démarche formelle, la loi de 1993 a restreint l'accès à la nationalité.
Désormais domine en droit français "une nationalité rétrécie", pour reprendre l'expression du Professeur Lagarde.
Cette restriction résulte, en premier lieu et avant tout, du fait que la démarche nouvelle est enserrée dans un laps de temps délimité (16 à 21 ans) délai au-delà duquel, celui qui n'a pas agi -même s'il remplissait les conditions pour manifester sa volonté- ne peut plus le faire. Seule lui reste la voie longue et soumise au bon vouloir de l'administration, de la naturalisation.
Ainsi, un jeune de 21 ans et un mois, né en France de parents étrangers, n'ayant jamais quitté le territoire, ayant effectué toute sa scolarité dans nos établissements, parlant notre langue, ce jeune pourrait rester étranger s'il n'a pas accompli la formalité en temps voulu ?
Cela est inacceptable.
Je vous le demande. Ce jeune né chez nous qui ne parlerait que notre langue, qui aurait été formé par nos écoles et notre culture, qui ne saurait imaginer sa vie ailleurs que dans le pays où il a toujours vécu, dans notre pays, ce jeune faudrait-il qu'il soit muni d'un titre de séjour pour être admis sur un sol qu'il n'a jamais cessé de considérer comme le sien ?
Cela serait non seulement inacceptable mais profondément injuste.
Imagine-t-on que ce jeune puisse se voir reconduit à la frontière de "son" pays vers un autre pays dont il ne possède la nationalité que sur le papier et dont il ne parle pas la langue ?
Ce serait alors de l'ostracisme.
Que nul ne s'y trompe : l'obligation de déclaration, formalité, imposée par la loi de 1993, est un couperet, qui subordonne l'acquisition de la nationalité pour des enfants qui sont nés en France et qui y ont toujours vécu à une démarche paperassière. Cette obligation de déclaration en même temps qu'elle prétend inclure à la communauté française désigne en vérité celui qui y recourt comme un étranger qui quémande une admission. La nationalité, Mesdames et Messieurs les députés, ne peut être ni un examen universitaire, ni une liste de reçus ou de collés selon la date de déclaration, ni un guichet d'enregistrement où l'on fait la queue pour prendre un ticket d'embarquement.
Comment pourrait-on rester étranger par hasard alors que dans toutes ses fibres on croit déjà être français tant et si bien qu'on ne pense pas à demander à devenir ce que l'on est déjà ? Oui, si on est né chez nous, si on a été élevé dans nos écoles, on ne doit pas rester étranger ni sans le vouloir ni sans le savoir.
Or, les faits sont là pour prouver que l'information passe mal et les conditions dans lesquelles les démarches sont accomplies aboutissent à de véritables ruptures d'égalité.
Comment accepter que selon le lieu où ces jeunes s'adressent, le taux de refus d'enregistrement des déclarations varient pour l'année 1996 de 1% dans les tribunaux, à 4% en mairie pour atteindre 6% en préfecture ?
Comment accepter que dans l'ouest de la France on connaisse un taux de refus trois fois supérieur à celui de la moyenne nationale ?
Comment accepter que l'acquisition de la nationalité française dépende en dernier ressort du comportement de telle ou telle administration ou même de telle ou telle juridiction ?
Il en va de la responsabilité politique du Gouvernement et de celle du législateur de ne pas permettre que dans un domaine aussi fondamental que celui de la nationalité, les réponses puissent ne pas être uniformes sur tout le territoire et puissent ne pas assurer une parfaite égalité de tous au regard de l'application de la loi.
J'ajoute que les difficultés pour accomplir l'obligation de déclaration de la nationalité sont d'autant plus réelles que la population concernée est jeune. Du fait même de sa jeunesse, cette population qui a entre 16 et 18 ans est propre à subir les pressions de la famille : on a pu citer le cas de certaines jeunes filles exclues de fait du bénéfice de la loi alors que leurs frères y sont admis. Si en Alsace, les filles manifestent leur volonté selon le même taux que les garçons, ce n'est pas le cas dans la région lyonnaise où elles ne représentent que 45% des demandes.
En outre force est de constater que cette population est, par son âge, et bien souvent par son manque d'expérience de la vie active, peu préparée à une telle confrontation administrative. Car sur ce point aussi, les faits ont parlé d'eux-mêmes : d'une véritable entrée dans la citoyenneté, l'on est passé à une démarche bureaucratique qui conduit les jeunes à réunir d'innombrables papiers pour établir leur résidence habituelle au cours des 5 dernières années.
Pour les trois premières années d'application de la loi, la moyenne des acquisitions de nationalité par déclaration est d'environ 43 % de la population concernée.
Certes, une partie de ce faible taux s'explique par le fait que l'obligation de la déclaration est offerte à plusieurs tranches d'âge avec un étalement dans le temps : ainsi, un jeune né en 1978 peut exprimer sa volonté depuis 1994 et jusqu'en 1999.
Pour les jeunes de 18 à 21 ans qui ont vécu sous l'empire de la législation de 1993, 75% seulement ont acquis la nationalité française. C'est donc 25% d'une population éligible qui est restée au bord du chemin. Peut-on dire que le quart des 25 000 jeunes qui naissent chaque année en France de parents étrangers veulent demeurer étrangers ?
Je ne le crois pas. Je suis même persuadée du contraire.
La conclusion s'impose : le système conçu en 1993 comporte en lui-même des germes d'inégalité et d'exclusion.
Mesdames et Messieurs les députés, cela n'est pas acceptable. Nous ne l'acceptons pas. Et c'est pourquoi je suis devant vous cet après-midi.
Lorsqu'un enfant né de parents étrangers accomplit sa scolarité sur le sol français où il est né et côtoie quotidiennement ses camarades de classe, partage avec eux ses devoirs et ses loisirs, n'est-il pas français dans sa tête comme dans les faits ? Ne manifeste-t-il pas quotidiennement sa volonté d'intégration dans notre République ?
Le projet que j'ai l'honneur de vous présenter prend en compte cette volonté que les jeunes manifestent tous les jours d'être français, tant et si bien qu'il ne leur vient même pas à l'idée de demander à devenir ce qu'ils sont déjà.
C'est la reconnaissance de cette volonté là que veut consacrer le projet de loi dont je souhaite maintenant vous présenter les grandes lignes.
Le dispositif que j'ai l'honneur de proposer à la représentation nationale est fondé sur la restauration du régime de l'acquisition de plein droit de la nationalité française à la majorité en cas de naissance et de résidence en France.
Désormais, et comme cela a été le cas pendant 104 ans, de 1889 à 1993, l'enfant qui naît sur le territoire français et qui y réside pendant une certaine durée, devient français à sa majorité sans avoir à accomplir une quelconque démarche.
Ainsi aucun de ceux qui se veulent et se sentent français ne peut être exclu de la nationalité.
Pour autant, personne ne peut devenir français sans le vouloir. Tout jeune pourra refuser la nationalité française entre 17 ans et demi et 19 ans. Le mécanisme proposé par le Gouvernement est simple. Il y a une condition de résidence. Celle-ci est de 5 ans comme cela est traditionnel mais sa constatation se fait sur une durée plus longue et pas nécessairement juste avant la majorité. En effet il a paru nécessaire au Gouvernement de tenir compte de la réalité de la vie. Souvent, l'enfant est amené à effectuer des séjours plus ou moins longs à l'étranger, de quelques semaines à quelques mois, par exemple pour retrouver une partie de sa famille dans son pays d'origine ou accomplir un stage.
Il est même arrivé que des jeunes soient renvoyés de force dans le pays d'origine de leurs parents. Il ne serait pas juste que de ce seul fait, ils perdent le droit à acquérir la nationalité française.
Les cinq années de résidence devront s'écouler entre 11 et 18 ans. La période de stage ne sera obligatoirement ni continue ni contiguë à l'âge de la majorité. Ainsi, l' enfant qui repart dans son pays d'origine entre 16 et 17 ans conservera demain son droit à devenir français à 18 ans.
Si le jeune ne veut pas attendre et accéder à la nationalité française avant sa majorité, il n'est pas illégitime qu'il puisse exprimer de manière anticipée sa volonté personnelle d'acquérir la nationalité française.
C'est pourquoi, le gouvernement propose que le jeune étranger né en France et qui y réside de façon habituelle, pourra acquérir la nationalité française dès l'âge de 16 ans par un acte volontaire qu'il accomplira seul sans autorisation parentale. Le choix de 16 ans ne procède d'aucun arbitraire : D'une part, il tire les conséquences de la règle de la pleine capacité de l'enfant à partir de cet âge en matière de nationalité. D'autre part, c'est à 16 ans que prend fin la scolarité obligatoire et que les jeunes peuvent accéder à la vie active.
C'est à cette période que des choix impliquant la qualité de français peuvent être faits. Je pense aux concours d'entrée dans la fonction publique mais également à l'autorisation de travail exigée des étrangers à partir de l'âge de 16 ans et à la nécessité de posséder un titre de séjour.
Ainsi, il est arrivé que des jeunes gens se heurtent à l'impossibilité d'effectuer des stages dans le cadre d'un enseignement professionnel, comme leurs camarades français, parce qu'ils devaient être soumis à une telle autorisation.
Il est de l'intérêt du mineur que sa situation puisse être alors réglée au regard de la nationalité française.
Bien évidemment, le jeune qui anticipe l'acquisition de la nationalité devra justifier d'une condition de résidence continue à 16 ans ou discontinue s'il formule sa demande à 17 ans, de cinq ans à partir de l'âge de 11 ans . Il devra également avoir sa résidence en France au moment où il déclare vouloir acquérir la nationalité française.
La Commission des Lois propose d'abaisser le seuil d'âge de 16 ans, retenu par le Gouvernement, à 13 ans, substituant ainsi au choix de l'entrée dans la vie active, celui de l'aptitude de l'enfant à exprimer un consentement éclairé et réfléchi.
A dire vrai, ces deux propositions procèdent d'une même logique. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit bien de lier la faculté d'anticiper l'acquisition de la nationalité à un choix personnel et d'éviter que le mineur ne se voit imposer une nationalité dont il ne veut pas. Bien sûr, il ne saurait être question, au regard de notre droit, que le mineur de 13 ans révolu agisse seul : ses parents devront l'accompagner dans son acte acquisitif de nationalité.
Mais l'engagement personnel, gage d'intégration, est bien présent dans cette procédure. Le texte proposé par la Commission des lois se fonde sur l'exigence du consentement personnel du mineur à la démarche de ses parents. C'est dire qu'une adhésion expresse à celle-ci est nécessaire.
Un tel mécanisme existe en droit français pour d'autres actes graves tel que l'adoption. L'enfant n'est pas seulement une personne à protéger, mais participe de plus en plus jeune à la vie de la cité et, à ce titre, sa volonté ne saurait être ignorée. D'ailleurs, en ratifiant la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant du 26 août 1990, la France s'est engagée à prendre en compte l'opinion du mineur dans toute procédure le concernant.
C'est pourquoi, le Gouvernement se rallie à l'amendement de la Commission des Lois.
Doit-on aller plus loin et supprimer tout seuil d'âge comme le proposent certains ?
Je ne le crois pas pour deux motifs.
D'abord -et c'est la raison essentielle- parce qu'une telle solution conduirait à méconnaître totalement la volonté personnelle de l'enfant et par là même, à rendre plus qu'aléatoire son intégration.
Certes le code de la nationalité de 1973 prévoyait à son article 54 que les parents, qui résidaient depuis plus de cinq ans en France, pouvaient demander la nationalité française pour leurs enfants dès la naissance.
Mais si l'on affirme d'un côté que la scolarisation dans les écoles françaises , le fait de parler le français et de partager la vie en commun est une adhésion à la Nation française, il me paraît contradictoire de permettre aux parents d'effectuer le choix de la nationalité française en lieu et place de leurs enfants. Les jeunes aujourd'hui, et je les ai beaucoup rencontrés dans mes déplacements, ne veulent pas être pris en charge et qu'on décide à leur place.
En outre et surtout, une telle procédure ne permettait pas à l'enfant de récuser la nationalité française à sa majorité si il le souhaite.
Je ne crois pas possible de revenir à un mécanisme qui par la seule volonté des parents créait des Français sans que ceux-ci puissent refuser la nationalité française. C'est donc parce que le gouvernement souhaite privilégier la volonté de l'enfant que ce choix a été fait.
La seconde raison de ce choix est que l'on ne peut exclure que des parents se prononcent pour d'autres raisons que celles qui tiennent à l'intérêt de leur enfant. Est-il tolérable par exemple que certains parents puissent faire acquérir la nationalité française à leur fils mais non à leurs filles pour mieux les renvoyer dans le pays d'origine et les marier ?
Il ne m'apparaît pas davantage possible de souscrire au mécanisme qui permettrait, par déclaration entre 18 et 21 ans, une sorte d'acquisition de "rattrapage" de la nationalité.
Certes, une telle mesure aurait l'intérêt de permettre d'apprécier la condition de résidence sur une durée plus longue. Mais elle ferait passer au second plan l'acquisition de plein droit à la majorité. On ne peut pérenniser deux systèmes d'acquisition de la nationalité aussi opposé, celui de l'acquisition de plein droit et celui de la déclaration sans introduire de la confusion. Ce n'est qu'à titre de disposition transitoire et pour préserver les droits acquis, qu'un tel mécanisme est concevable.
Le projet de loi comporte d'ailleurs des dispositions en ce sens.
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Je terminerai la présentation du nouveau dispositif en soulignant que sa mise en oeuvre devra s'accompagner de la plus large information auprès du public.
C'est un point sur lequel le Gouvernement sera particulièrement vigilant. Je m'y engage personnellement.
Des leçons doivent être tirées de la mise en oeuvre de la réforme de 1993 qui, malgré des efforts initiaux, s'est révélée insuffisante. Le désarroi face à la complexité du droit et la méconnaissance par les intéressés de leur propre identité nationale qu'ont révélés les enquêtes diligentées, ne doivent en aucun cas se renouveler. Il n'est pas tolérable, je l'ai dit, qu'un jeune se croyant français alors qu'il ne l'est pas passe à côté de l'acquisition de la nationalité.
Il faut aussi que pour la bonne application de la nouvelle loi que je vous propose d'adopter que les jeunes sachent qu'ils peuvent demander la nationalité avant leur majorité et qu'ils sachent qu'ils peuvent la refuser.
C'est pourquoi, j'ai voulu que le principe d'une obligation à l'information soit rappelé dans le cadre même du projet de loi. Les jeunes doivent savoir comment on peut refuser d'être français pour ne pas l'être sans le vouloir et savoir ce qu'il faut faire pour ne pas rester étranger sans le savoir.
Les modalités de cette information seront précisées par décret. Je veillerai au respect d'un calendrier rigoureux. Je demanderai aux organismes et services publics, en concertation avec mes collègues du Gouvernement, de faire un effort supplémentaire.
L'éducation nationale sera bien évidemment sollicitée au premier chef de même que les services municipaux et les organismes sociaux pour les personnes qui ne sont pas en milieu scolaire. Je pense également à la journée d'appel de préparation à la défense.
Par ailleurs une meilleure coordination des services intervenant au niveau local sera assurée en même temps qu'un relais sera établi avec le milieu associatif dont chacun s'accorde à reconnaître l'importance.
Mais il est clair que l'information la plus complète relèvera des tribunaux d'instance qui concentrent le traitement de la plupart des questions de nationalité. L'accueil du public devra y être renforcé de même que la formation des personnels.
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Cet effort d'information sera également étendu aux nouvelles dispositions introduites par le projet de loi afin de rendre plus facile à tous les citoyens la preuve de leur nationalité.
Je n'ignore pas à quel point ceux-ci sont excédés par les demandes qui leur sont faites souvent abusivement, de produire un certificat de nationalité française, ce qui peut retarder de plusieurs mois la simple délivrance d'une carte d'identité. Je sais que les délais d'attente ne sont pas objectivement supportables.
Il doit être mis fin à ces errements.
Désormais, seront portés d'office à l'état civil, non seulement l'ensemble des actes conférant à une personne la nationalité française, mais encore la mention du premier certificat de nationalité qui lui sera délivré.
Il suffira à l'intéressé de produire une copie de son acte de naissance ou même, s'il a demandé à ce que ces mentions soient reproduites sur son livret de famille, de présenter celui-ci pour justifier de sa nationalité.
Un tel dispositif qui peut apparaître comme purement technique est en réalité propre à répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens et à éviter ce qu'ils ressentent comme des brimades et une suspicion injustifiée à l'égard de leur identité.
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La Commission des lois a voulu également enrichir le projet de loi initial du Gouvernement d'un certain nombre de dispositions qui recueillent pour la plupart mon adhésion.
Je saisis cette occasion pour remercier votre rapporteur, M. Louis MERMAZ, et la Commission des lois ainsi que sa présidente, Mme Catherine TASCA . Ils ont effectué un travail remarquable auquel je tiens à rendre hommage. L'ensemble des auditions auquel ils se sont livrés et le travail de fond dont témoigne le rapport contribue excellemment à éclairer et à justifier le projet de loi que je défends devant vous.
Parmi les modifications proposées par la Commission des lois, je souhaiterais évoquer deux catégories de mesures : la première touche directement à la vie quotidienne et s'inscrit dans une politique d'intégration ouverte ; la seconde a trait aux principes fondamentaux du droit issu de la décolonisation.
Je retiendrai tout d'abord le souci exprimé par la Commission des lois de faciliter aux enfants qui ont vocation à devenir français parce que nés en France de parents étrangers et y résidant, la preuve de leur identité.
Le gouvernement approuve l'idée de créer un titre facilitant les démarches de la vie quotidienne et la circulation au-delà des frontières. Bien sûr, aucune confusion ne peut être opérée avec la carte nationale d'identité et une terminologie appropriée devra être retenue. Nous y reviendrons dans la discussion.
Il n'est en effet pas admissible que certains élèves d'une même école se voient privés, parce qu'ils ne sont pas français, d'une sortie de groupe à l'étranger, par exemple, faute de pouvoir justifier de leur identité.
En accord avec mes collèges des affaires étrangères et du secrétariat d'Etat à la coopération, je m'engage à ce que toutes les mesures réglementaires soient prises pour que la vie quotidienne de ces jeunes qui ont vocation à devenir français soit facilitée.
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La Commission des lois a également entendu faciliter la vie des conjoints en raccourcissant le délai au terme duquel l'étranger qui a contracté mariage avec un Français ou une française peut acquérir la nationalité française.
Je lui sais gré d'avoir trouvé sur ce point si passionnel, où la crainte des fraudes prend si souvent et abusivement le pas sur le respect de la vie familiale, une solution qui préserve l'intérêt des couples de bonne foi, c'est à dire l'immense majorité.
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J'en viens maintenant aux aménagements proposés par la Commission concernant le droit applicable aux personnes originaires des anciens territoires d'outre-mer de la République Française.
Le double droit du sol attribuant la nationalité française à l'enfant né en France d'un parent né sur un de ces territoires, avait été maintenu sans aucune restriction jusqu'à la loi de 1993.
Cette loi a supprimé ce régime pour les anciens territoires d'Afrique et de Madagascar mais l'a maintenu pour l'Algérie tout en l'assortissant d'une condition de résidence régulière des parents .
J'adhère sur ce point pleinement à la proposition de la Commission de supprimer cette condition de preuve, quasiment impossible à établir.
La commission LONG n'avait pas songé à remettre en cause les modalités du double droit du sol s'agissant des enfants de parents algériens nés dans des départements français. En revanche, le Gouvernement de 1993, contre la volonté du rapporteur, M. MAZEAUD, a fait adopter un amendement en ce sens. Mais a-t-on pensé, à l'époque, aux difficultés que l'enfant né en France rencontrera, aux approches de sa majorité, pour établir que son auteur résidait 23 ans plus tôt régulièrement sur notre sol ?
Je suis en revanche plus réservée sur deux autres propositions de votre Commission.
Je m'en expliquerai plus avant lors de l'examen des articles, mais je puis d'ores et déjà préciser que l'opportunité de rétablir le principe du double droit du sol en faveur des personnes nées en France de parents eux-mêmes nés dans les anciennes colonies d'Afrique, ne m'apparaît pas nécessaire. A la différence des anciens territoires d'outre-mer, d'Afrique et de Madagascar, l'Algérie a, jusqu'à son indépendance, toujours bénéficié d'un statut particulier au sein de la République puisqu'elle était constituée de départements français sur lesquels le droit commun s'est toujours appliqué. Depuis, cette différence n'a jamais été remise en cause pas même par la loi de 1993.
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* *
Telles sont, Mesdames et Messieurs les députés, les questions que je voulais aborder à cette heure devant vous.
Mes développements ont été détaillés mais l'enjeu est fondamental.
Je souhaitais que ce débat soit éclairé dans toutes ses dimensions avec la conviction qui sied à un telle discussion mais aussi avec la responsabilité qui convient dès lors qu'on aborde les racines de notre identité nationale.
Les préoccupations du Gouvernement, je l'ai dit sont de renouer avec la tradition républicaine de la nationalité. Celle-ci n'est pas seulement la consécration d'une intégration achevée, elle est aussi un puissant instrument d'intégration. Les jeunes que l'on obligeait à déclarer leur intention de devenir français vivent déjà suffisamment un sentiment d'exclusion pour qu'il soit inutile de leur demander de faire une démarche pour devenir ce qu'ils sont déjà.
Avec ce projet de loi nous voulons rechercher ce qui renforce la cohésion nationale.
Notre Nation n'a jamais été plus elle-même que lorsqu'elle s'est ouverte à l'autre pour peu qu'il partage notre histoire et notre communauté de destin. Il faut faire de la France, pour reprendre les propos du Premier Ministre, une nation "forte et soudée" mais aussi "vivante et ouverte".
Je suis convaincue, Mesdames et Messieurs les députés, que c'est en assumant notre tradition, notre histoire républicaine de la nationalité, que nous consoliderons à l'avenir notre cohésion nationale. Le droit du sol dans ses modalités centenaires y contribuera. Ce n'est pas sur le terrain des idéologies et des passions qu'il faut se placer, mais sur celui de la vérité historique et de la réalité de la vie aujourd'hui sur notre territoire national.
Mesdames et Messieurs les députés, celui ou celle qui par sa naissance et par sa vie quotidienne manifeste tous les jours sa volonté d'être français est citoyen français.
Tel est le sens du projet de loi sur lequel il vous appartient maintenant de vous prononcer.
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01/12/1997
Monsieur le Président
Mesdames
Messieurs les Députés,
I.
Je voudrais, brièvement, revenir sur le fond car je crains que nos concitoyens n'aient retenu de notre débat que les gesticulations, les obstructions ou les incidents de procédure. Et que si c'était le cas, nous porterions évidemment une lourde responsabilité.
Nous sommes sur un sujet grave, à la racine même de notre identité et nous avons le devoir d'éclairer le pays sur les véritables enjeux.
Comment devient-on français, quand on est né étranger sur le sol de notre pays ?
De telles questions ne peuvent laisser aucun d'entre nous indifférents. Elles touchent à notre histoire, à ce que nous sommes et à ce que nous ambitionnons d'être à l'avenir. C'est dire que les réponses que nous y apportons sont empreintes de la passion qui a marqué les débats autour du projet de loi que je vous propose d'adopter.
Mais la passion obscurcit aussi les enjeux fondamentaux. Ce soir, devant vous, je voudrais les resituer simplement.
Le texte que je vous présente aborde essentiellement le statut des jeunes étrangers nés en France de parents étrangers et seulement de ceux qui sont nés chez nous.Vous savez qu'ils représentent une population d'environ 25 000 personnes par an.
L'immense majorité d'entre eux resteront sur notre sol et ne connaîtront pas d'autre patrie que la nôtre.
La question est donc celle de leur intégration à la société française. C'est à dire que c'est un débat qui à trait à la solidarité, à la place de chacun dans la société et à la paix publique. Et ce débat là est différent du débat sur l'immigration n'a rien à voir ni avec le contrôle des flux migratoires. Il s'agit de traiter un problème concret et non de jouer avec le fantasme d'invasion de notre pays.
Pour faciliter cet objectif d'intégration le projet revient à l'acquisition de plein droit de la nationalité à 18 ans tout en laissant la place à la manifestation de la volonté.
Avant 1993, ces jeunes nés en France devenaient français par deux procédures principales :
1) Loi 1973
* A leur majorité ils devenaient français de plein droit s'ils avaient résidé 5 ans en France et s'ils n'avaient pas refusé volontairement de le devenir dans l'année précédant leur majorité.
* Par une autre procédure, ils pouvaient devenir français si leurs parents le réclamaient en leur nom. Ils ne pouvaient plus alors récuser la nationalité française.
Cette dernière procédure a été critiquée parce qu'il arrivait qu'on puisse devenir français, sans le savoir et sans le vouloir.
2) Loi 1993
Aussi la loi de 1993 a créé une seule procédure pour devenir français : elle a supprimé la possibilité pour les parents de demander la nationalité au nom de leur enfant et a prévu de surcroit que :
* L'enfant né en France de parents étrangers ne devient français que si entre 16 et 21 ans il fait une déclaration formelle devant une autorité administrative ou un juge.
Mais cette procédure a l'inconvénient inverse de la précédente. Si le jeune laisse passer l'âge de 21 ans sans faire de déclaration, soit qu'il croit déjà être français, soit qu'il ignore la nécessité de faire cette déclaration, il reste étranger sans le vouloir et sans le savoir.
Par ailleurs, cette procédure conduisait à une certaine disparité de décisions sur l'ensemble du territoire qui n'était pas admissible.
Le projet de loi que je vous propose d'adopter n'a d'autre ambition que de vouloir corriger ce défaut tout en tirant les leçons de l'application de la loi de 1973. Je ne veux pas qu'un enfant né en France de parents étrangers devienne français sans le vouloir ou sans le savoir - ce qui, parfois, se produisait sous l'empire de la législation de 1973 -, mais je ne veux pas non plus qu'il reste étranger sans le vouloir ou sans le savoir, ce qui s'est produit avec la loi de 1993.
C'est la raison du dispositif que je vous propose d'adopter :
* A 18 ans les enfants nés en France et qui y ont résidé deviennent français de plein droit à moins qu'ils le refusent. La période durant laquelle le jeune peut refuser est élargie par rapport à la loi de 1973 : six mois avant 18 ans, un an après. Dans un souci d'intégration, l'Etat prend ses responsabilités en leur disant, vous avez été assimilés de fait, vous êtes français de droit. Notre Nation a dit cela pendant plus de cent ans.
Ceci est le coeur de mon projet, mais nous prévoyons aussi que les jeunes puissent anticiper.
* A 16 ans, si vous remplissez les conditions de résidence, nous disons aux jeunes, vous pouvez demander à anticiper cette acquisition de plein droit sans le consentement de qui que ce soit. Ce n'est pas une innovation c'est la pure et simple reprise de l'article 17-3 du code civil tel que le législateur de 1993 l'a voulu.
* A partir de 13 ans, et à partir de cet âge seulement et non à la naissance, les parents peuvent réclamer la nationalité pour leurs enfants à condition d'avoir obtenu leur consentement personnel.
Ce dispositif est simple. Il a pour objectif d'offrir aux jeunes la garantie de la loi de 1973 tout en encourageant le libre choix du jeune. Il a pour ambition d'intégrer les jeunes nés en France en prenant en compte leur volonté :
* volonté de souscrire à la démarche de leurs parents à 13 ans.
* volonté de la demander à 16 ans personnellement,
* volonté le cas échéant de refuser la nationalité française à leur majorité,
A 18 ans, la République constate qu'ils sont intégrés, parce qu'ils n'ont pas choisi de quitter notre pays et qu'au contraire, en s'intégrant à notre école, à notre culture, en faisant leur vie chez nous, ils ont voulu être Français.
Je ne vois là aucune contradiction entre l'acquisition de plein droit à 18 ans et la capacité d'anticiper.D'ailleurs la loi de 1973 faisait déjà coexister ces deux possibilités. Pourquoi ce qui n'avait pas été jugé incohérent en 1973 le serait-il aujourd'hui ?
II.
Je suis certaine que nous partageons tous l'idée que la nationalité est un puissant élément d'intégration à la société française. Que dans notre immense majorité, nous rejetons avec la plus grande fermeté les thèses racistes et xénophobes qui diabolisent les étrangers.
Monsieur Mazeaud, je souscris entièrement aux propos que vous avez tenus en 1973: " Il serait contraire à la tradition de la France, comme à son rôle dans le monde, de restreindre les possibilités offertes aux étrangers de devenir des nôtres".
Vous dites que les temps ont changé. Mais qu'est-ce qui a changé au point que ce qui était vérité hier serait erreur aujourd'hui ?
C'est notre position sur l'immigration qui a changée. C'est vrai. Il faut aujourd'hui mieux maîtriser les fluxs migratoires. Ce n'était pas un souci en 1973. Ça l'est devenu avec la crise économique et le chômage. Dès 1974, le gouvernement assume cette position. Il veut maîtriser les fluxs migratoires. Mais cela relève de la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers en France.
Ce qui relève de la loi sur la nationalité, c'est l'intégration des jeunes dont les parents sont déjà sur notre sol, et y sont restés durablement. Les jeunes sont déjà ici et il faut savoir comment les intégrer.
Si l'immigration devient plus restrictive, il faut toujours penser qu'une certaine immigration subsistera et qu'il nous appartiendra d'intégrer ces nouvelles populations.
Le problème auquel la France doit faire face est celui de l'intégration de ceux qui naissent et vivent sur notre sol. Cela concerne, je le répète, 25 000 personnes par an. Est-ce si grave et si périlleux pour un pays de près de 60 millions d'habitants ?
Voilà la réalité !
J'ai entenu dire ici jeudi et vendredi que c'est la nature de l'immigration qui avait changé et que les immigrés d'aujourd'hui étaient plus difficiles à intégrer que ceux d'hier et ceux d'avant-hier.
J'ai dit ce que j'en pensais. Les Polonais, les Italiens, les Bretons nous a appris Patrick Braouzec, mêmes, lorsqu'ils venaient en région parisienne au début du siècle, faisaient l'objet des mêmes réflexes qu'aujourd'hui les maghrébins ou les Africains.
Ne mélangeons pas les débats. Ici, avec ce projet de loi, c'est de l'intégration des jeunes nés en France dont il est question et non d'immigration.
L'entrée et le séjour des étrangers en France est une autre question que vous aurez l'occasion d'aborder cette semaine en discutant le projet de loi de mon collègue Jean-Pierre Chevènement.
Certes, il existe des passerelles entre la question de la nationalité et les questions du séjour. Mais si l'on veut bien regarder la réalité en face, si l'on veut bien accepter de traiter des faits et non de slogans destinés à faire peur, on se rappellera :
* qu'un étranger majeur ne peut acquérir la nationalité française s'il a été condamné pour crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme ou s'il a été condamné pour une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement.
* qu'un étranger ne peut acquérir la nationalité française s'il a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou si son séjour est irrégulier au regard des lois et conventions relatives au séjour.
Ces dispositions sont celles de l'article 21-27 du code civil qui ne sont pas modifiées et elles ne m'apparaissent pas particulièrement laxistes.
* Est-il besoin de rappeler, s'il fallait dissiper encore les peurs et les contrevérités, que la polygamie est contraire à l'ordre public français et qu'elle est traitée et réprimée comme telle. En aucun cas, l'article 15 bis de l'ordonnance de 1945 n'autorise la délivrance d'un titre de séjour en France à un étranger polygame. L'article 30 bis n'autorise pas non plus le regroupement familial au profit d'un étranger polygame qui réside sur le territoire français avec un premier conjoint.
Le projet de loi du Ministre de l'intérieur qui a été délibéré en Conseil des ministres le 15 octobre dernier ne modifie ni l'article 15 bis de l'ordonnance de 1945, ni l'article 30.
* Enfin et pour être tout à fait clair, nous avons les moyens de lutter contre les mariages de complaisance qui n'ont d'autre but que d'acquérir la nationalité française et d'assurer le séjour. Vous savez que l'article 175 du code civil permet au procureur de s'opposer à un mariage blanc ; que le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat pour défaut d'assimilation à l'acquisition de la nationalité par le conjoint étranger. Que la difficulté bien sût est de détecter les mariages de complaisance. Mais je pose la question. Est-ce que c'est un problème qui peut être réglé par l'allongement de la durée au-delà d'un an après le mariage.
Voilà la réalité !
L'ensemble de ces incapacités touchent les majeurs.
Mais j'ai aussi entendu des propos inacceptables sur les mineurs délinquants. Oui, il y a des mineurs délinquants étrangers comme il y a des mineurs délinquants français. Mais jamais, pas même dans la loi de 1993, le législateur n'a opposé les condamnations dont ils avaient fait l'objet pour les empêcher de manifester leur volonté entre 16 et 18 ans.
Avec les mineurs, la délinquance se traite autrement que par la sanction de l'incapacité à acquérir la nationalité française. Vous l'avez pensé en 1993, je le pense en 1997.
Encore une fois la logique de la nationalité ne peut pas être celle de l'exclusion mais celle de l'intégration. Il en va de la cohésion sociale de notre pays comme de la paix civile.
Pour terminer, je voudrais qu'au delà de nos divergences, compréhensibles et nécessaires au jeu démocratique, nous puissions au moins nous accorder sur l'essentiel :
* seule une petite minorité de députés semble attirés par le droit du sang. Il n'est pas illégitime que l'on pose cette question puisque telle est la tradition dans certains pays voisins. Mais réduire l'acquisition de la nationalité française à la filiation et à la naturalisation est totalement contraire à notre tradition et au génie propre de la France.
* Une loi sur la nationalité doit être à l'abri des manipulations politiques de certains qui ne cessent d'agiter le chiffon rouge de la peur de l'étranger.
* Une loi sur la nationalité doit chercher à intégrer plutôt qu'à exclure. Sans doute pouvons nous, pour la plupart, partager l'appréciation de Michelet dans l'introduction à l'Histoire universelle qui se réjouissait " de cette fusion intime des races que constitue l'identité de notre Nation... Elle a su les absorber et les convertir toutes à sa substance".
Sur les modalités de cette fusion à la substance même de notre Nation nous pouvons diverger, encore que dans cet hémicycle une majorité soit également d'accord pour prendre en compte la volonté des jeunes.
Je dis que les jeunes étrangers nés en France de parents qui y sont installés ont manifesté par la culture, l'école et le travail, par les affinités et les amitiés, leur volonté de devenir français. Vous, subordonnez cette assimilation de fait à une déclaration formelle.
Je dis que cette déclaration formelle pose plus de problèmes qu'elle en résout. Aussi je vous propose de la supprimer pour les jeunes de 18 ans et de reconnaître à ceux-ci le droit de devenir Français bien sûr à condition qu'ils soient nés en France et qu'ils y aient résidé 5 ans. C'est là que nous nous séparons.
Les problèmes, je vous les ai exposés. Messieurs Mazeaud et Donnedieu de Vabres, je peux comprendre que vous ne partagiez pas mon appréciation et je respecte vos arguments.
Mais je vous demande d'écouter les miens. Mon [propos] est de ne pas ajouter l'exclusion à l'exclusion.
Je m'adresse à vous parce que vous avez su éviter les propos outranciers. Ce n'est pas vous qui avez parlé de braderie. Vous avez aussi su éviter de diaboliser les étrangers, de jouer comme certains l'ont fait, sur la peur en attisant les réactions de rejet. Mais tous les députés de l'opposition n'ont pas eu ces scrupules. Certains n'ont pas hésité, et c'est bien le comble, à se faire passer pour des champions de la lutte contre l'extrême-droite en développant exactement les thèses de l'extrême-droite : les étrangers criminels, la polygamie envahissante, la nature particulière de l'immigration actuelle.
Je fais suffisamment confiance à mon pays pour être certaine que ses valeurs et son message sont parmi les plus beaux qui soient, comme l'affirmaient avec émotion M. Paecht et Kofi Yamgnane.
Mesdames et messieurs les députés, je vous demande d'approuver le projet de loi relatif à la nationalité que j'ai eu l'honneur tout à la fois de présenter et de défendre.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 15 novembre 2001)