Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à France 2 le 17 octobre 2002, sur la grève dans les lycées en protestation notamment contre la suppression des emplois-jeunes, sur le projet de loi constitutionnelle sur la décentralisation et sur les positions de la Commission européenne concernant EDF.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde. Nous allons parler ce matin contestation, décentralisation, emploi. D'abord, contestation, avec ce mouvement de grève dans les lycées, un mouvement de grève que vous trouvez plutôt justifié, j'imagine ?
- "Tout à fait justifié. Il s'agit d'agir contre une réduction des moyens pour l'école, pour l'Education nationale, avec la suppression des emplois-jeunes, la suppression de très nombreux surveillants. Cela veut dire que c'est l'équipe pédagogique qui est quelque part remise en cause. Nous avons besoin, aujourd'hui, de faire beaucoup d'éducatif, d'aider beaucoup les enfants à trouver leur place dans la société, à s'épanouir. C'est dommageable que l'Education nationale ne soit plus un budget prioritaire. Donc, je suis de tout coeur avec les enseignants et les surveillants, aujourd'hui."
On a entendu beaucoup de témoignages de ces jeunes, ceux qu'on appelle les "pions" dans les écoles. Près de 6.000 postes vont être supprimés. En même temps, selon une enquête qui avait été conduite par C. Allègre, à peine 7 % d'entre eux réussissaient le concours d'entrée pour être professeurs de second degré. Ce qui prouve bien qu'au fond, la fonction de "pion" n'était pas totalement adaptée.
- "Si elle n'était pas totalement adaptée, il fallait travailler sur cette fonction, il fallait créer plus de postes. Aujourd'hui, les études demandent beaucoup d'investissements, le métier de surveillant également, parce que les enfants réclament beaucoup plus d'attention peut-être aujourd'hui qu'il y a quelques années. Donc, il fallait, je crois, multiplier les postes de surveillants et non pas les supprimer."
Le ministère envisagerait peut-être de faire appel à des jeunes retraités de l'Education nationale ou à des mères de famille issues du milieu associatif...
- "Je ne comprends pas cette attitude de ce Gouvernement qui vire des personnes en place, et puis, à chaque fois, nous annonce qu'il va créer quelque chose de nouveau, dont on ne voit pas très bien ce que c'est. Ces retraités qui iront travailler dans les écoles, comment ils seraient payés ? Est-ce que ce sont les collectivités locales qui vont payer ces retraités ? C'est un peu comme on annonce la suppression des emplois-jeunes dans le monde associatif, et puis j'entends parler d'un nouveau contrat. Mais là aussi, ce n'est pas très clair sur qui va payer, les collectivités territoriales ou Etat ?"
F. Fillon, ce matin, chez nos confrères du Parisien, rentre un petit peu dans le détail. Il explique qu'il y aura effectivement des contrats d'insertion pour la vie civique. Ils seraient peut-être pris en charge par les collectivités et pourraient remplacer peut-être une partie des emplois-jeunes ?
- "Pourquoi ne pas conserver ces emplois-jeunes qui ont fait preuve de leurs compétences, qui ont vraiment répondu à des besoins, qui sont en train d'accomplir un véritable métier dans le monde associatif ? Pourquoi ne pas les garder et bénéficier de leur expérience ?"
De toute façon, certains de ces emplois-jeunes arrivent à échéance...
- "Mais renouvelons les contrats, faisons en sorte que les associations aient les moyens de faire face à ces présences très utiles de salariés dans le monde associatif. Les associations, c'est la démocratie, c'est le lien social. Il faut leur donner les moyens de fonctionner."
Vous voulez dire que les contrats-jeunes, il faut absolument les renouveler en l'état ? Après tout, ce Gouvernement peut peut-être prévoir des améliorations ?
- "Je pense qu'il faut trouver les moyens de leur pérennisation, c'est-à-dire que ceux qui sont rattachés aux collectivités locales, il faut faire en sorte qu'on puisse leur permettre de rentrer dans le statut de la fonction publique territoriale, ceux qui sont dans le monde associatif, il faut créer véritablement des métiers du monde associatif, en donnant aux associations des moyens de fonctionner."
Autre projet de F. Fillon : le RMI, Revenu minimum d'insertion, serait remplacée par un RMA, Revenu minimum d'activité. C'est vrai que la moitié des personnes qui sont au RMI, sont au "RM" tout court, c'est-à-dire qu'ils ont un revenu minimum, mais n'ont pas d'activité d'insertion. Pourquoi en effet ne pas proposer à d'autres une activité réelle ?
- "S'il s'agit de renforcer l'effort de l'Etat pour permettre à ces hommes et ces femmes en grande difficulté de retrouver le chemin soit de la formation, soit de l'emploi, tant mieux. Mais faisons-le avec le système qui existe. Je ne vois pas encore très bien ce que c'est que ce RMA, mais j'attends des précisions."
La décentralisation, on est déjà dans le coeur du sujet : il s'agit d'un transfert de compétences dans les régions, avec des transferts de charges et de l'expérimentation. Est-ce qu'au fond, avec le dispositif sur la Corse, la gauche n'avait pas commencé à expérimenter à sa façon le dispositif de décentralisation ?
- "Je rappelle que dans le dispositif pour la Corse, l'Assemblée nationale avait a priori le contrôle de la décentralisation et des compétences qui étaient prises par la collectivité territoriale corse. Je voudrais m'arrêter un peu sur cette question de la décentralisation. J'entends dans les médias un raccourci qui résume la décentralisation en disant qu'on va transférer des compétences et puis qu'il y aura des référendums d'initiative au niveau des communes, des collectivités. Ce n'est pas que cela. Le projet de loi dont j'ai pris connaissance vise à modifier l'article 1 de la Constitution qui fonde "la République indivisible, laïque, démocratique", en ajoutant que cette République sera décentralisée. Elle modifie l'article 2, en précisant que la loi et le règlement pourront comporter des clauses expérimentales. Donc, franchement, ce sont des décisions extrêmement graves par rapport à l'avenir du rôle de l'Etat. Moi, je suis pour la décentralisation, si c'est plus de pouvoirs pour les citoyens, plus de moyens pour les collectivités territoriales pour assumer une proximité réelle de la population. Mais s'il s'agit d'avoir un éparpillement des compétences, une diminution des missions de l'Etat qui doivent assurer quand même le droit de chaque citoyen à l'égalité devant la santé, devant l'école, devant l'emploi, etc., je pense qu'il faut consulter notre peuple."
Cela veut dire quoi ? Vous voulez un référendum ? Vous dites qu'on ne peut pas toucher à la Constitution sans référendum ?
- "Il faut un référendum, mais un référendum préparé par un très grand débat public. On fait cela à la sauvette, alors qu'on est en train de toucher aux fondements mêmes de la Constitution."
Le Gouvernement dit qu'il y a le dispositif du Congrès, où on réunit l'Assemblée nationale et le Sénat, tout ce monde va à Versailles. Débat et vote, éventuellement s'il le faut, de la réforme constitutionnelle...
- "Lorsqu'il s'agit quand même de toucher aux articles essentiels de la Constitution qui fondent la République, lorsqu'il s'agit de travailler à une nouvelle conception de la décentralisation - et moi je suis intéressée à travailler sur la décentralisation -, je pense que cela vaut le coup que nos concitoyens et nos concitoyennes soient associés à ce débat et aux décisions."
On sait, aujourd'hui, en France, que les notions d'égalité et de fraternité, parfois, sont un peu théoriques. On sait qu'il y a des zones où on vit avec des modes de vie et des conforts plus agréables que d'autres, on sait qu'il y a des régions riches et pauvres, des bons et des mauvais lycées...
- "Est-ce que la décentralisation va permettre de corriger ces dérives que vous notez ou est-ce que ça va les accentuer ? Est-ce qu'on va avoir des régions riches qui vont expérimenter sur beaucoup de domaines, avec des moyens nécessaires, et puis des régions pauvres où le citoyen, la citoyenne n'auront pas les mêmes droits ? Il faut que l'Etat, dans son organisation, joue son rôle de régulateur et permette à chaque citoyen d'avoir les mêmes droits."
Un tout dernier mot : la Commission européenne vient de taper sur les doigts de la France en ce qui concerne EDF. On va sans doute demander de rendre l'argent, en tout cas des comptes, sur les aides nationales que la France a pu apporter à EDF. Cela vous choque ?
- "C'est de l'acharnement contre l'entreprise publique ! On veut la forcer à ouvrir son capital. Maintenant, on refuse que l'Etat joue son rôle par rapport à cette entreprise publique, on lui demande de rembourser. Je pense que c'est une attaque en règle contre ce qui fait l'intérêt général, c'est-à-dire le service public, l'entreprise publique, qui permet à chacun d'avoir accès à un certain nombre de droits, comme le droit à l'énergie. Donc, encore une fois, on voit que l'Europe se construit sur un mode libéral et j'ai envie de dire qu'il faut absolument que nous menions une grande campagne pour qu'en 2004, à l'occasion du nouveau traité, on brasse les cartes et que l'Europe se construite sur une base sociale et l'intérêt général."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 octobre 2002)