Déclaration de M.François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur le fait que la mondialisation des échanges ne doit pas compromettre la sécurité alimentaire et sur la position de la France en faveur du principe de précaution et de la protection maximale des consommateurs, Paris, le 10 avril 2000.

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Circonstance : 15ème session du Comité du Codex alimentaire, à Paris, le 10 avril 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui à Bercy, en mon nom bien sûr, mais aussi au nom de Monsieur Laurent Fabius, Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et de Madame Marilyse Lebranchu, secrétaire d'Etat aux PME au Commerce et à la Consommation, pour cette 15ème Session du Comité du Codex sur les Principes généraux.
Cette session est marquée par le très fort intérêt voire, parfois, la mobilisation de l'opinion publique pour les questions concernant la sécurité sanitaire et la qualité des aliments. Cet intérêt est évidemment légitime. Il est aussi tout à fait positif pour les gouvernements et pour les experts car il améliore la qualité de leurs réflexions et de leurs décisions. Seules l'ouverture démocratique et la transparence peuvent garantir que tous les enjeux de l'alimentation sont abordés.
Ce mouvement est, je l'ai dit, largement entamé, et la tradition des différents Comités du Codex, dont les débats sont ouverts aux associations de consommateurs, à la presse, à l'ensemble du public, est à cet égard exemplaire.
C'est le seul moyen de passer, en ce domaine comme en d'autres, de la règle bureaucratique à la règle issue du dialogue, et du droit imposé au droit négocié.
Cet intérêt de l'opinion publique, aujourd'hui, est relayé par l'activité de la communauté internationale, qui marque sur ces sujets des progrès significatifs dans les négociations multilatérales.
J'en veux pour preuve la Conférence de Melbourne qui a réuni, à l'automne dernier, la FAO, l'OMS et l'OMC, sur le thème du commerce international des denrées alimentaires, ou encore la nouvelle résolution qu'a adoptée en janvier dernier le Conseil exécutif de l'OMS sur la salubrité des aliments.
Car si l'alimentation prend de mieux en mieux en compte la protection des consommateurs, la perception des risques sanitaires liées au denrées alimentaires est devenue plus complexe et plus aiguë.
Les raisons en sont multiples : l'industrialisation de l'alimentation, l'innovation technologique, les nouveaux modes de consommation, ont étendu la chaîne alimentaire, qui était autrefois limitée à la périphérie immédiate du producteur, et pouvait se satisfaire des méthodes de préparation et de conservation traditionnelles.
En 2025, plus de 60 % de la population mondiale vivra dans les villes : le nombre de citadins des pays du Sud aura quasiment triplé. La confiance des consommateurs reposera davantage encore sur la légitimité des autorités nationales, régionales, mais surtout internationales, pour contrôler l'innocuité, et la qualité des aliments . Et ces autorités se verront soumises à des exigences de transparence accrues.
L'importance du rôle et des méthodes du Codex ne peuvent que grandir et ses responsabilités augmenter.
I Le Codex Alimentarius dans la régulation des échanges internationaux
La protection de la santé des consommateurs et le commerce international des denrées alimentaires ne sont pas, en effet, spontanément compatibles, mais réclament un souci permanent de régulation, comme l'a rappelé à plusieurs reprises le Premier Ministre, Monsieur Lionel Jospin.
Les bénéfices qu'offre aux consommateurs un marché mondial en constant élargissement sont réels mais ces avantages seraient de faible poids, si, comme le craignent certains, cette mondialisation avait pour effet de contraindre tous les pays à se plier au moins disant sanitaire, bref à la dictature économique de l'offre.
Aujourd'hui, pour répondre à des problèmes à la fois complexes et globaux, pour assurer la régulation des échanges internationaux en prenant en considération des éléments politiques, économiques et scientifiques, pour équilibrer le court et le long terme, pour tenir compte des différences de développement entre les pays, il nous faut de nouvelles méthodes.
La transparence, dont j'ai déjà parlé, mais aussi une meilleure coopération des institutions internationales, et une plus grande cohérence dans leur action.
C'est ce que vous me permettrez d'appeler la régulation partagée.
De ce point de vue, la position du Codex est exemplaire. Il est le résultat de la collaboration de deux grandes institutions spécialisées des Nations-Unies, la FAO et l'OMS, et ses normes servent de référence dans les acords de l'OMC.
En tant que responsable du Commerce Extérieur, je signalerai au passage, à l'encontre de certaines critiques, que sur ce sujet essentiel, comme sur d'autres, l'OMC apparaît, non pas comme régie par une logique commerciale autonome, mais pleinement intégrée à l'ensemble du système des institutions internationales.
La Conférence mondiale de Melbourne a d'ailleurs insisté sur l'importance du Code de déontologie du Commerce international qui fait partie du Codex Alimentarius et qui fixe les principes éthiques devant gouverner le commerce mondial. Elle a fortement incité les gouvernements à y adhérer pour garantir que les produits exportés, en particulier vers les pays en développement, respectent les exigences internationales, notamment dans le domaine sanitaire.
Votre Comité traitera d'ailleurs , au cours de cette session, de la révision de ce Code. Il est en effet important qu'il puisse être remis à jour pour tenir compte des évolutions intervenues au plan mondial -notamment la création de l'OMC, les orientations nouvelles de la législation alimentaire et celles du sommet alimentaire mondial.
II Le Comité des principes généraux du Codex
Sans changer les missions du Codex, ces évolutions ont renforcé la portée des décisions prises par ses différents Comités, et en particulier, Mesdames et messieurs, par le Comité qui vous réunit, ici, à Paris, puisqu'il établit les principes généraux qui gouvernent le Codex.
En effet, les évolutions rapides des technologies, les difficultés qui existent pour obtenir des réponses scientifiques unanimes sur les dangers présents dans les aliments, les inquiétudes qui peuvent saisir les opinions publiques, rendront à l'avenir plus délicate l'acceptation sociale des seuils de risque et des normes opératoires qui les expriment.
Parce que ces normes seront, dans un environnement changeant, de plus en plus discutées et négociées, il est indispensable de s'accorder également sur les principes fondamentaux qui sont au dessus de ces normes, sur ces principes qui gouvernent les discussions au sein du Codex, et qui seuls permettent d'assurer la légitimité de ses décisions.
Ces principes sont de plusieurs espèces :
il y a d'abord les principes institutionnels, ceux qui fixent les règles du consensus, comme ceux qui organisent la transparence et les modalités de participation des associations de consommateurs aux différentes instances du Codex.
Il y a également les principes qui guident l'analyse des risques, j'entends par là le processus global qui comprend
- l'évaluation des risques,
- la gestion des risques
- et la communication sur les risques.
En poursuivant vos travaux sur ces principes vous discuterez de l'introduction du " principe de précaution " dans le corpus des principes de l'analyse des risques.
Vous aborderez aussi la question des différents facteurs qui peuvent être pris en compte dans les procédures de décision du Codex.
Sur ces deux sujets, je dirai quelques mots.
II. 1 Le principe de précaution
Le gouvernement français a clairement indiqué son souhait que le principe de précaution soit reconnu au niveau international pour permettre aux autorités en charge de la sécurité sanitaire d'exercer toutes leurs responsabilités.
Le Premier Ministre est également soucieux que la portée de ce principe puisse être mieux appréciée, et c'est pour cette raison que les professeurs Viney et Kourilsky lui ont remis, en novembre dernier, un rapport sur cette question.
La France considère en effet que le principe de précaution doit être intégré dans la gestion des risques, afin que des mesures puissent être prises pour protéger la population lorsqu'apparaît l'éventualité d'un risque inacceptable pour la santé, alors que les données scientifiques disponibles sont soit incomplètes, soit controversées.
On attend évidemment des experts qu'ils rendent des avis scientifiques sur la nature et l'étendue des risques, permettant aux gestionnaires des risques de prendre des décisions de façon rationnelle .
Pourtant, au-delà des risques scientifiquement avérés et reconnus par tous, que l'on maîtrise et prévient en fixant des méthodes de production, des seuils pour les substances dangereuses dans les aliments, selon des normes bien établies, il est des cas où des experts détectent des risques, sans pouvoir toutefois en mesurer précisément la nature ou l'étendue, parce qu'ils manquent des données scientifiques nécessaires.
Ces avis préliminaires eux-mêmes peuvent d'ailleurs faire l'objet de controverses. C'est dans l'ordre des choses : le doute et la controverse ont toujours été les moteurs de la recherche scientifique, et l'indépendance d'esprit est l'une des qualités que l'on attend des experts.
Il appartient toutefois aux gestionnaires des risques de prendre en compte ces risques dans un souci de protection de la santé des consommateurs, et dans l'attente de recherches complémentaires qui viendraient les confirmer ou les infirmer. C'est pour répondre à ce type de situation que nous souhaiterions que soit reconnu le principe de précaution.
Bien évidemment, les conditions d'utilisation de ce principe doivent être encadrées pour que les mesures prises soient proportionnées et ne soient ni arbitraires, ni discriminatoires dans le cadre du commerce mondial. Le principe de précaution ne saurait être invoqué de mauvaise foi, pour des motifs purement protectionnistes.
La conférence de Melbourne a demandé, je cite, " à toutes les parties concernées de reconnaître que la précaution est et doit rester un élément essentiel de l'analyse des risques dans la formulation de normes nationales et internationales ".
Cette conférence a également considéré que votre Comité était l'enceinte la plus appropriée pour débattre de ce concept et pour en définir les conditions d'application. Tous les gouvernements espèrent que vous parviendrez à un consensus sur ce sujet.
II. 2 La prise en compte d'autres facteurs que la science dans l'analyse des risques
A côté de cet impératif de précaution, l'analyse des risques est soumise à une autre exigence, notamment vis-à-vis des citoyens: celle de rendre compte des paramètres qui interviennent dans l'ensemble des procédures d'évaluation et de décision.
De ce point de vue, au delà d'une expertise scientifique, les gestionnaires du risque doivent aussi pouvoir prendre en compte d'autres éléments, tels les facteurs économiques et techniques, les bonnes pratiques de fabrication, l'impact sur l'environnement ou encore l'information des consommateurs.
J'insisterai plus particulièrement sur les paramètres économiques et techniques et sur l'information des consommateurs.
a. Les facteurs économiques et la faisabilité technique d'abord.
Les seuils et les normes, en effet, ne sont pas toujours fixés sur la base de la seule expertise scientifique, mais aussi en fonction de ce qu'il est techniquement et économiquement possible de réaliser : la science " réelle " ne tombe pas du ciel des Idées. Elle est dépendante des capacités techniques et donc des moyens économiques. Par souci de transparence, ces facteurs devraient donc être ouvertement pris en compte.
Je crois, en effet, que les consommateurs sont tout à fait prêts à accepter des arbitrages entre les coûts et les bénéfices : ils en font tous les jours. En revanche, ils n'accepteront pas des critères scientifiques qu'ils soupçonnent porteurs de choix économiques, sociaux et politiques implicites.
b. L'information des consommateurs ensuite : au delà de l'innocuité qui peut être garantie par les experts, la reconnaissance du " droit de savoir " des consommateurs devrait aussi figurer parmi les facteurs susceptibles d'être pris en compte dans le processus décisionnel du Codex. Cette aspiration est légitime, notamment lorsqu'il s'agit d'aliments dérivés de technologies nouvelles.
Face à ces aspirations, des décisions basées sur les seuls éléments scientifiques risqueraient de ne pas susciter une confiance suffisante. Le commerce international pourrait en être perturbé, ce qu'au fond personne ne souhaite, ni les gouvernements, ni les consommateurs. Bien entendu, dans un souci d'équilibre, la prise en compte d'éléments autres que les données scientifiques doit se faire sur la base de données objectives et mesurables pour ne pas créer d'obstacles injustifiés au commerce. Il ne faut pas confondre une crainte rationnelle avec une émotion subite, voire suscitée.
La reconnaissance d'autres facteurs que les données de l'expertise scientifique apparaît donc incontournable. La commission du Codex l'a d'ailleurs inscrite dans le programme à moyen terme de ses travaux. C'est là le signe, à l'échelle internationale, des nouvelles responsabilités qui s'imposent aux experts et aux autorités réglementaires : à une mission de prévention des risques s'ajoute une demande de dialogue sur les choix de développement qui s'y trouvent impliqués.
Je voudrais conclure sur la dimension collective et sociale que revêtent les préoccupations relatives à la sécurité et à la qualité des aliments.
Les historiens relatent depuis la plus haute Antiquité ces révoltes et ces mobilisations populaires contre les fraudes alimentaires.
L'on se souvient peut-être du roman The Jungle, d'Upton Sinclair, alertant, au début du siècle, l'opinion américaine sur les pratiques sanitairement peu recommandables de certains abattoirs. A la même époque, la Société de la Croix blanche se réunissait à Genève pour répondre à des inquiétudes analogues qui grandissaient en Europe.
Les préoccupations relatives à la qualité et à la sécurité des aliments ont donc joué un rôle important dans la marche vers la démocratie.
Hier comme aujourd'hui, les questions qui vont faire l'objet de vos travaux apparaissent fondamentales. La protection de la santé publique et l'information des consommateurs, la transparence quant aux prises de décision et aux principes scientifiques, économiques mais aussi politiques, qui les inspirent me semblent porter des exigences fondatrices pour le monde de demain.
Je tiens donc à vous souhaiter Mesdames et Messieurs les délégués d'excellents travaux sous la conduite de monsieur Pierre Gabrié. Je vous renouvelle tous mes voeux de bienvenue, en espérant que vous profiterez pleinement de votre séjour à Paris.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 11 avril 2000)