Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RTL le 19 septembre 2002, sur la libération de Maurice Papon pour raison de santé, l'éventualité d'un pourvoi en cassation, l'application de la loi sur la protection des malades à d'autres détenus et sur les fuites concernant un rapport de l'Inspection générale des services judiciaires sur le tribunal de Nice.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - L'émotion reste très grande après la libération, hier, de M. Papon : est-ce que le Parquet général compte former un pourvoi en cassation ?
- "J'ai demandé à mes services, à la Chancellerie, d'étudier cette affaire, pour voir comment nous pouvons construire un pourvoi en cassation. L'émotion est très grande, vous avez raison de le dire. L'émotion bien sûr des familles des victimes, mais aussi l'émotion des responsables. Je peux vous dire que le président de la République a ressenti très fortement, hier, l'émotion de ceux qui sont directement concernés par cette affaire. C'est dans cet état d'esprit qu'est le Président et qu'est le Gouvernement."
Comment a-t-il réagi ? Il avait refusé par trois fois la grâce ?
- "Il a refusé la grâce et je savais qu'il était hostile à cette libération. Cela a été la position du Parquet sur instruction de mon ministère et nous étions sur cette ligne. J'ai eu l'occasion de le rappeler toute la journée d'hier. Nous avons toujours été hostiles à cette libération."
Il peut donc y avoir un pourvoir en cassation ?
- "Nous sommes en train de l'étudier. Vous savez qu'un pourvoi en cassation doit être fondé en droit et non pas seulement en faits. La ligne sur laquelle nous travaillons est de partir du fait qu'il s'agit d'un crime contre l'humanité et que la notion de trouble à l'ordre public permet peut-être une certaine ouverture en terme de pourvoi en cassation. Il serait sans doute utile que la Cour de cassation ait l'occasion justement de se prononcer sur les conséquences du fait qu'il s'agit d'un crime contre l'humanité."
On a vu une image de M. Papon à la sortie de la prison de la Santé hier. Il a été libéré en vertu d'une loi sur la protection des malades...
- "C'est une loi qui a été votée en mars 2002."
C'est ce que l'on appelle la "loi Kouchner". Néanmoins, un certain nombre de personnes ont remarqué qu'il tenait bien sur ses jambes et d'autres, ce matin, font remarquer qu'il a toute sa tête et qu'il était obsédé par sa réhabilitation. Est-ce que vous ne craignez pas que cette libération humanitaire ne prenne un tour plus politique ?
- "Ce qui serait absolument inacceptable, c'est qu'on passe d'un dossier justement humanitaire, d'un débat sur un état de santé - il y a eu deux expertises médicales, je ne vais donc pas polémiquer - à un débat quasi politique sur l'idée d'une réhabilitation."

C'est ce qu'ont déclaré ses avocats dès sa sortie hier...
- "Je l'ai observé. Je crois qu'il faut redire ce matin que nous sommes, là, devant quelque chose de très exceptionnel. Je voudrais rappeler que les faits remontrent à 1942 1944, que les premières plaintes sont de 1981, que cette procédure a duré des années et des années et que les gens concernés ont eu le sentiment qu'il y avait une espèce de réticence à juger, une réticence à voir les choses en face, qu'il y a eu finalement condamnation. Maintenant, on en ait à une espèce de suspension de la condamnation. Tout cela provoque une accumulation de choses et je comprends vraiment très profondément la réaction des gens qui se sentent concernés."
Beaucoup d'associations, beaucoup d'avocats, ce matin, disent évidemment espérer que cette loi sera appliquée à toutes sortes d'autres malades, de personnes âgées qui sont, aujourd'hui, détenues. Est-ce que cela va faire jurisprudence et est-ce que désormais, un détenu malade et peut-être en fin de vie sera libéré automatiquement ?
- "Il y a eu au cours de l'année passée sept libérations de personnes très âgées en vertu de leur état de santé, pour partie en application de cette loi. Je voudrais rappeler simplement qu'il y a une trentaine de personnes de plus de 80 ans en prison et trois personnes, aujourd'hui, de plus de 90 ans. Ce sont des phénomènes qui ne sont pas exceptionnels. Sept personnes ont été libérées au cours de l'année dernière, pour des raisons liées à leur état de santé, lorsque les hôpitaux en prison n'ont plus la possibilité de les prendre en charge."
Les associations, comme Act Up ou d'autres qui défendent des prisonniers, disent qu'il y a près de mille malades du Sida, qui pourraient être considérés comme des personnes libérables en vertu de cette même loi ?
- "S'ils sont libérables en vertu de cette loi, ils seront libérés, bien entendu. Je ne crois pas qu'il faudrait qu'on fasse un mauvais sort à la loi de mars dernier du fait de l'affaire Papon. Je crois que ce serait la pire des choses. Je crois que l'idée de cette loi reste valable : le fait d'avoir une attitude humanitaire à l'égard de vieillards malades encore incarcérés, vraiment dans un état qui les approche de l'issue fatale. C'est l'application au cas de Papon qui pose questions et pas à mon avis l'idée même de cette loi et l'idée qu'il peut y avoir à un moment donné, vis-à-vis de vieillards malades, une attitude de compréhension et de compassion de la part de la société."
Vous parliez tout à l'heure de possibilité de troubles à l'ordre public ou en tout cas d'examen de ce motif pour une cassation possible. Vous craignez qu'il y ait des incidents dans le village où M. Papon est maintenant rentré ?
- "On ne va pas faire de si bonne heure un cours de droit, mais le trouble à l'ordre public, ce n'est pas uniquement une manifestation. Le trouble à l'ordre public c'est au fond un peu ce qui se passe depuis hier, c'est-à-dire un trouble dans l'esprit public. Je crois que c'est aussi cela. Le moins que l'on puisse dire c'est que ce trouble-là existe."
Précisément, un trouble plus matériel : est-ce que vous craignez des incidents, des tensions, des manifestations autour de la maison de M. Papon ?
- "J'espère que non. Je crois que dans cette affaire, restons tous digne. Je crois que c'est la meilleure des réponses."
Il y a effectivement des réactions d'associations, comme l'Union des étudiants juifs de France, qui voudraient donner la liste des victimes devant la maison. Est-ce qu'il bénéficiera d'une protection particulière ?
- "De toute façon, il y a protection bien entendu."
Longtemps ?
- "Autant que cela sera nécessaire."
Je voudrais revenir sur la réaction de J. Chirac : est-ce que vous pouvez nous donner sa réaction et ses premiers mots, quand il a appris cette décision ?
- "De l'émotion. Il se trouve que nous avons eu l'information juste avant le Conseil des ministres et je lui ai fait part de mes premières réactions. Il m'a dit : "Tu as eu raison de dire les choses de cette façon-là.". Il était effectivement ému. Vous savez qu'il a toujours été très sensible à la façon dont un certain nombre d'événements se sont déroulés pendant la guerre."
On parle de Nice aussi, parce qu'il y a un rapport qui a été commandé par votre prédécesseur, M.-L. Lebranchu. Elle l'avait commandé à l'inspection générale des services judiciaires. On a eu quelques fuites sur ce rapport sur l'état du tribunal de Nice et il établirait que ce tribunal, je cite, "est miné par des luttes intestines entre les pro et les anti E. de Montgolfier, qui en est le procureur et qu'il ne dispose plus du socle indispensable à une justice sereine ". Vous pourrez prendre des mesures ?
- "Mon prédécesseur avait souhaité effectivement qu'une inspection soit réalisée sur le tribunal de Nice qui, à l'évidence, connaît des difficultés de fonctionnement interne. Ce travail a été fait. Le premier rapport a été rédigé. Il a été envoyé aux personnes concernées pour qu'elles puissent répondre. Lorsque ces réponses seront parvenues à l'inspection générale des services, le rapport définitif sera rédigé et me sera remis."
Vous le rendrez public ?
- "Je dis premièrement que je le rendrai public, sous réserve des points qui peuvent concernés telles ou telles personnes privées, qui ont bien sûr droit à la protection et sur laquelle on ne dira rien. Deuxièmement, je regrette qu'à ce moment de la procédure d'inspection, il y ait des fuites. Parce que, qu'est-ce que cela veut dire ? Ce sont des éléments partiels qui amènent tel ou tel à se défendre sans connaître éventuellement l'ensemble du dossier. Je le regrette et bien entendu je prendrai les décisions qui s'avéreraient nécessaires à l'égard de tous ceux qui seraient concernés, soit sous forme disciplinaire soit sous forme de mutation."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2002)