Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, sur la nécessité de maintenir les commerces en centre ville, Paris, le 5 octobre 1999.

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Circonstance : Colloque de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris "Le rôle et la place des entreprises dans le développement local : quelles politiques publiques et/ou stratégies concurrentielles pour le commerce en centre ville ?" à Paris le 5 octobre 1999

Texte intégral

Tout d'abord je tiens à remercier la Chambre de commerce et d'industrie de Paris pour m'avoir invitée à clôturer ces tables rondes.
Une journée comme celle-ci est l'occasion pour nous de faire le point sur un sujet que l'on connaît tous et qui évolue vite : le commerce en centre ville.
Je souhaite exprimer devant vous quelques unes de mes convictions. Je devine qu'elles rejoindront des propos qui auront été tenus ici par les uns ou les autres.
Je souhaiterais retenir votre attention sur quelques thèmes qui me semblent essentiels : l'urbanisme commercial, le périmètre d'intervention des actions en faveur des commerces, le commerce électronique enfin.
L'urbanisme commercial est la question majeure pour l'activité en centre ville.
Il nous faut absolument nous garder d'une vision sectorielle. Au risque de choquer je vous dirais que la question de l'urbanisme commercial n'est peut-être pas d'abord la question des commerces.
En effet le tissu commercial est conditionné par des facteurs très puissants. Je pense au niveau de vie des riverains.
Sait-on qu'il y a un écart de 40 % entre le revenu moyen par unité de consommation des habitants d'un quartier ouvrier et le revenu des habitants d'un quartier huppé ? Sait-on que cet écart est de 20 %, seulement entre le même quartier défavorisé et une commune rurale ?
L'opposition rural/urbain perd de sa pertinence, le volume et la qualité de la demande conditionnent l'offre de l'appareil commercial.
Les projets de localisation de magasins d'usine en sont la parfaite illustration, ils peuvent être dans des zones de très faible équipement commercial dès lors qu'ils sont accessibles de façon commode aux consommateurs.
En centre ville, il y a un mouvement rapide de l'adaptation de l'offre commerciale à la nature de la demande.
C'est aussi pour cela que les politiques urbaines portent la première responsabilité sur la qualité des commerces.
Je ne peut pas admettre que notre pays mette en application un modèle de " ségrégation sociale " de fait, qui, au travers de l'habitat, fait une sélection désastreuse dans l'offre commerciale.
Quels sont les effets sur les commerces du défaut de mixité sociale ? prenons garde de mener une politique en faveur de l'habitat qui ignore ses conséquences en termes d'équipement commercial.
Certains centres urbains de villes " riches " perdent, avec leurs habitants modestes, la diversité des commerces qui garantit pourtant une certaine qualité de vie.
Je dis cela, à Paris, au moment où la croissance crée de nouveau des tensions sur l'immobilier de bureau. Je souhaiterais que l'on oublie pas les leçons des deux dernières décennies.
C'est la raison pour laquelle j'ai quelque peine à comprendre que 10 % des fonds de commerce soient déclarés vacants.
Si on excepte les vacances " frictionnelles " liées à l'évolution normale de l'appareil commercial, force est de constater que les fonds de commerce ne trouvent pas toujours facilement preneurs.
J'examinerai avec la plus grande attention les propositions qui seront faites pour rendre plus actif le marché des baux commerciaux.
Les réflexions sur la sécurité comme celles sur l'environnement doivent désormais faire partie intégrante des projets de renouveau du commerce de centre ville.
Les principaux acteurs, je pense aux associations de commerçants, doivent s'ouvrir plus encore aux sujets d'intérêt général. Je sais que ce n'est pas facile, mais les commerçants doivent mieux s'impliquer dans la ville.
Je ne peux pas apporter mon aide à des projets qui n'impliquent pas réellement les commerçants. Je crois que là aussi l'union fait la force. Les Pouvoirs publics ont besoin d'interlocuteurs solides et représentatifs.
A cette condition nous pouvons avancer sur des projets structurants pour les centre villes. Cela veut dire que les commerçants doivent aussi se prendre en charge.
Un animateur de centre ville n'a pas uniquement une fonction commerciale, il remplit une mission plus générale d'animation dans la ville, cela doit être compris par chacun. Il y a là des projets pour des emplois-jeunes qui sont encore trop rarement concrétisés.
Pour résumer je dirais que le commerce est aussi un enjeu urbain et que les commerçants ne doivent pas s'exclure du débat sur la ville.
Le périmètre d'intervention en matière commerciale est une question difficile, elle est pourtant très importante.
C'est une question difficile parce que l'intervention publique peine à s'adapter aux réalités économiques, ce qu'on appelle en l'espèce " les zones de chalandise ".
Il est pourtant fondamental de bien déterminer le périmètre sur lequel nous travaillons. Cette expertise doit être menée en concertation avec les Plans de Déplacements Urbains (PDU), les regroupements de communes, les contrats d'agglomération.
J'attends beaucoup des CCI sur ce sujet, ne serait-ce qu'en raison de leurs circonscriptions qui sont bâties sur des réalités économiques.
Pour se faire les Observatoires Départementaux d'Equipement Commercial (ODEC) doivent apporter les données factuelles nécessaires au diagnostic.
Comment avancer sur le problème de la désertification commerciale de certains quartiers de Paris si nous n'en avons pas une image exact ?
Pour progresser sur ce sujet, j'apporterai mon soutien au projet de loi Urbanisme, Habitat et Transport de mes collègues Jean Claude GAYSSOT et Louis BESSON.
Je suis favorable à une disposition qui renforce le rôle des schémas d'équipement commercial, cela faciliterait les prises de décision en CDEC, en cas de non respect on pourrait imaginer un système d'appel élargi devant la CNEC.
Le commerce électronique est devenu en moins de deux ans un sujet majeur pour le commerce.
Nos efforts pour faire des centre villes des " galeries commerciales à ciel ouvert " risquent d'être battus en brèche si nous laissons le commerce électronique aux mains des ingénieurs de la communication ou de l'initiative nord-américaine.
Le commerce électronique crée une nouvelle proximité. Cet avantage est une grande chance pour le commerce de centre ville, à condition qu'il s'en saisisse.
C'est aussi une occasion unique de mettre en commun l'offre commerciale d'un territoire, sur le web le centre ville peut retrouver une unité qu'il a parfois perdu par ailleurs.
Le produit offert au consommateur inclut une part croissance de services associés (conseils d'emploi, dépannages, garanties étendues, mises à jour, révisions...). Ce sont ces services dont le commerçant doit s'emparer.
Je crois que nous sommes sortis du clivage classique entre centre ville et périphérie. D'abord parce que la périphérie souffre elle aussi, j'en ai pour preuve le nombre de dossiers déposés auprès de l'EPARECA.
Nous en sommes sortis parce que les modes de consommation évoluent très vite : le centre commercial est de moins en moins le prétexte à une " sortie familiale ", le rôle croissant du temps libre favorise aussi les activités de centre ville, qu'il s'agisse d'activités marchandes, culturelles ou sportives.
Ces phénomènes rassemblés et examiner de façon transversale, laissent entrevoir pour le commerce de centre ville une chance réelle dans la structuration de nos villes et de nos vies.
Pour conclure, permettez-moi de vous proposer ma réponse à la question du colloque : " quelles politiques publiques et/ ou stratégies concurrentielles pour le commerce en centre ville ? "
Les stratégies concurrentielles, aussi utiles soient-elles, ont montré leurs limites. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner le développement commercial américain dans les centres des villes.
Le commerce en centre ville, parce qu'il est au centre des questions de l'habitant : urbanisme, circulation, environnement, fiscalité locale, sécurité, habitat, ne peut pas se réguler de façon efficace par la seule concurrence.
C'est la raison pour laquelle une action publique est indispensable.
Il y a une autre raison, la civilisation urbaine existe parce qu'elle est organisée, elle est même organisée de façon très efficace, et cette organisation ne trouve pas toute sa raison d'être dans le marché.
Chacun d'entre nous porte en lui une " utopie de centre ville ". Construire la ville est la première action des hommes dans la Cité. Il n'y a pas, ici comme ailleurs, de main invisible. Ne dit-on pas d'ailleurs d'une ville " ratée " qu'elle n'a pas de centre ?
Il faut l'intervention des citoyens ou de leurs représentants pour donner un sens à la ville, cela est vrai aussi pour le commerce de centre ville.
Je réfute une vision prométhéenne de la ville, je suis persuadée que le travail collectif, la réflexion de tous les acteurs, peuvent, seuls, faire avancer une uvre commune aussi complexe.
C'est ma conviction depuis deux ans et demi, et je crois que je suis dans mon rôle si j'aide à la cohérence des actions des uns et des autres, si je peux apporter ainsi les outils d'une meilleure construction des territoires.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 8 octobre 1999)