Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à Europe 1 le 27 août 2002, sur la responsabilisation des jeunes conducteurs, la modernisation des missions, le regroupement des services dans la fonction publique et la réduction des effectifs.

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Média : Europe 1

Texte intégral

E. Martichoux.- D'abord un petit mot, puisque vous êtes un élu local de longue date et que vous êtes membre d'un gouvernement qui a déclaré la guerre à l'insécurité : est-ce que vous n'êtes pas frappé par cette série absolument effroyable d'accidents de la route, de chauffards, de voitures folles qui ont percuté des passants : un jeune adolescent de 19 ans tué hier matin, trois morts à Talange, un petit bébé, avenue de Wagram en plein Paris, vendredi, qui a été éjecté de sa poussette et qui est dans le coma ? Pas une voix officielle ne s'est indignée ! Est-ce que vous ne croyez pas que tout cela renforce le sentiment d'impunité ?
- "Effectivement, en tant qu'élu local, nous connaissons tous ces enfants qui, sans permis, à 14 ans, conduisent au vu et au su de tout le monde et semblent à chaque fois revenir. Et tout le monde se dit "mais comment se fait-il que ces gens-là conduisent généralement d'une façon très provocatrice et risquent la vie de tout le monde ?". Aujourd'hui, il faut que nous soyons extrêmement sévères sur celles et ceux qui s'amusent avec la vie des autres en se faisant plaisir eux-mêmes. Nous avons quelques fois deux, trois voire quatre personnes seulement dans une petite ville qui sèment la zizanie. On a cela aussi avec les mobylettes qui traversent et qui s'amusent, aujourd'hui, à provoquer les voitures. Nous avons à être extrêmement sévères. Ce que semble vouloir être le ministre de Robien, par un certain nombre de textes qu'il va nous présenter. Mais on devrait aller très loin, jusqu'à confisquer la voiture si les parents laissent les enfants les prendre comme cela ; on devrait faire en sorte que ces enfants soient responsabilisés. On a des tas de problèmes avec des gens qui n'ont aucune conscience du risque qu'ils font courir aux autres, qui prennent des voitures sans permis, sans assurance et qui s'amusent, au contraire, à provoquer les autres par une espèce de jeu de la mort ou jeu de la vie. C'est assez dramatique. Il y a ensuite le problème de l'alcool et de la drogue, sur lequel il faut que nous soyons d'une sévérité absolue."
On attend G. de Robien qui préparera des textes, promis pour la mi-septembre. Vous êtes ministre de la Réforme de l'Etat, de la Fonction publique et de l'Aménagement du territoire. Vous êtes, à ce titre, un des "démineurs", on va dire, de J.-P. Raffarin, parce que lorsque vous étiez dans l'opposition, la droite montrait du doigt les effectifs de fonctionnaires jugés trop importants. Comment allez-vous vous y prendre pour tenir cet engagement - cela en était un - sans faire descendre les syndicats dans la rue ?
- "D'abord, on voit bien que les décisions politiques sont faites en fonction d'objectifs politiques. Le sommet de Johannesburg montre qu'il faut aujourd'hui avoir une puissance politique pour peser sur des décisions mondiales, qui concernent notre environnement, les mafias etc.."
Je ne sais pas si le Sommet de Johannesburg est le bon exemple ? On verra cela plus tard !
- "Non, mais on voit bien qu'il peut être aussi un contre-exemple qui justifie l'argument qu'il faut être puissant pour peser sur les décisions du monde. Car qu'il soit un échec ou une réussite, on verra bien que c'est la détermination d'un certain nombre de dirigeants et leur capacité à être écoutés. Pour être puissant, il faut être puissant sur le plan économique, militaire, sur le plan culturel et sur le plan technologique. Pour contrebalancer la puissance américaine, dont l'absence est tout à fait préoccupante au sommet de Johannesburg, il faut que nous arrivions à être plus riches en croissance, plus forts en emploi et donc ne pas diaboliser en permanence la dépense publique, mais ne pas non plus en être prisonnier. Il est évident que nous avons à rationaliser les dépenses publiques, à faire en sorte qu'en redéfinissant les fonctions de l'Etat, nous rationalisons les moyens par rapport à ces objectifs. L'effectif de la fonction publique n'est pas un a priori ni un préalable. C'est une conséquence de décisions politiques qu'on doit adapter les moyens aux missions que l'on s'assigne."
On sent bien toute la prudence quand même avec laquelle le Gouvernement prend ce sujet à bras le corps. Je repose ma question : comment est-ce que vous rationalisez ?
- "Je crois qu'il ne faut pas du tout aborder ce débat comme une agression à l'égard des fonctionnaires. Je rencontre des fonctionnaires. Hier, je voyais encore un fonctionnaire des services des impôts qui me disait : "Ne soyez pas méchant avec le service des Impôts..."."
A Bercy, on est très inquiet : les syndicats parlent d'une réduction de 3.000 postes...
- "La question n'est pas le nombre..."
Pour eux, si !
- "'La question est de savoir : est-ce que ces postes sont justifiés par rapport aux missions ? Pour le fonctionnaire, il y a le problème de l'effectif, le problème du salaire, des retraites et des conditions de travail. Ce que souhaitent aujourd'hui les fonctionnaires, c'est être reconnus dans leurs missions de service public et que les décisions politiques qui sont prises ne soient pas une fragilisation du service public. Nous avons donc la détermination, les uns et les autres, au sein de ce Gouvernement, de faire en sorte de renforcer la qualité du service public, en faisant en sorte qu'il soit efficace, qu'il soit performant et qu'il favorise l'épanouissement du fonctionnaire. Cela ne passe pas par un aspect quantitatif. Cela passe par un aspect qualitatif. S'il y a trop de fonctionnaires dans certaines administrations, il faudra en diminuer le nombre pour pouvoir apporter, là où la priorité gouvernementale est affichée, les effectifs nécessaires pour remplir ces missions."
Il y aura des augmentation d'effectifs, on l'a compris dès le mois de juillet, dans la police. Il y aura des baisses ?
- "Bien sûr."
C'est là que l'on se pose des questions et là où se nourrissent les inquiétudes : comment allez-vous négocier cela ?
- "La négociation se fera par rapport à des objectifs et une vision globale. On ne peut pas dépenser plus que ce que l'on a. Il faudra bien, aujourd'hui, au moment où le débat sur la croissance est ouvert, que les dépenses publiques soient adaptées aux recettes publiques. La seconde chose est que l'on ne peut pas non plus avoir la reconduction permanente des dépenses publiques, à partir du moment où les missions changent. Si nous sommes dans un monde de plus en plus réactif, de plus en plus mobile, où les missions de l'Etat sont en train de changer, comment imaginer un seul instant que les structures restent mobiles ? On doit demander aux structures de s'adapter aux problèmes et non pas aux problèmes de s'adapter aux structures."
Les "structures", ce sont les fonctionnaires ? Vous leur demandez plus de mobilité ?
- "La structure, c'est l'organisation administrative. A partir du moment où vous demandez plus d'efficacité dans la sécurité et dans la justice, vous y mettez plus de moyens. A partir du moment où vous avez un problème de diminution d'élèves dans l'Education nationale, forcément, les diminutions d'élèves doivent engendrer une adaptation des effectifs des enseignants. A partir du moment où vous avez des missions qui seraient confiées aux collectivités territoriales par la décentralisation, cela engendrera forcément une adaptation des structures. A partir du moment où il y a des doublons - ce qu'on appelle les "doublons", c'est lorsque des fonctions d'Etat assurent les mêmes fonctions que les collectivités locales -, il faudra bien à un moment donné qu'on les rationalise."
Vous avez un exemple de regroupement des services, là où on met de l'argent à droite et à gauche et où ce sont finalement les mêmes fonctions qui sont accomplies ?
- "Nous avons dans tous les ministères des structures qui se superposent et se chevauchent. Dans le domaine de la recherche, on voit bien qu'il y a des laboratoires publics qui travaillent sur les mêmes sujets. Est-ce qu'on ne peut pas leur demander d'avoir une rationalisation ? Y compris dans ma propre administration, sur l'aménagement du territoire, est-ce qu'on n'a pas à réfléchir à une régionalisation de nos structures d'aménagement du territoire, pour être mieux couplées avec les conseils régionaux ? Tout cela est un défi politique que nous nous livrons, qui consiste, avec les fonctionnaires, à dire que si l'on veut sécuriser l'avenir de la fonction publique, il faut sécuriser le service public. Et pour le sécuriser, il faut que nous réfléchissions à la modernisation de celui-ci."
Finalement, l'exemple qui, pour l'instant, a été accompli, concerne la police et la gendarmerie, qui ont été regroupées...
- "Absolument."
Vous parliez de la recherche. Il y a des organismes comme l'Inserm, le CNRS, qui peut-être vont devoir se regrouper ? C'est un peu l'esprit ?
- "La réforme de l'Etat est d'abord plus en marche qu'on ne le dit..."
Heureusement, parce que c'est en début de quinquennat qu'on le fait ! Après, on l'oublie, on n'a plus le temps et on n'a plus les moyens politiques !
- "Absolument. Aujourd'hui, il y a une capacité et une volonté forte de le réformer, pour faire en sorte que, premièrement, on réduise le délai entre la prise de décision politique et l'action, de faire en sorte que l'Etat et le service public soit plus un état de partenariat que de contraintes, de faire en sorte que l'immobilisme ne soit pas récompensé plus que la prise de risques et que le vice budgétaire ne soit pas plus récompensé que la vertu budgétaire."
Un tout petit mot : M. Dumas était sur notre antenne, hier, et elle affirmait qu'il n'y a plus aucun emploi à supprimer. C'est la position de la CGT. Que lui répondez-vous ?
- "Toute position intransigeante n'est pas responsable par rapport à un débat politique. Ce qui convient, c'est que nous avons à réfléchir avec les syndicats, et notamment la CGT, sur l'adaptation des moyens par rapport à la qualité du service public, qui est la seule garantie apportée aux fonctionnaires pour leur pérennité."
Sur l'UMP, dans la presse, se multiplient un petit peu les prises de positions. L'UMP est en pleine effervescence, avec un congrès le 17 novembre. Voilà ce qu'écrit E. Balladur dans Le Monde : "Je fais appel aux responsables de l'UMP, leur autorité ne souffrira pas de l'organisation de la diversité, tout au contraire". On pense que c'est A. Juppé qui est peut-être visé pour son possible autoritarisme. Il ne veut pas d'un parti, d'une machine électorale. C'est le risque de ce grand parti, non ?
- "La bipolarité politique est en marche. On voit bien d'ailleurs que lorsque les gouvernements se constituent, ils se constituent par un pôle de droite ou un pôle de gauche, en fonction de l'alternance. La diversité des partis disparaît donc pour la bipolarisation fonctionnelle sur le plan gouvernemental. La mise en place de l'UMP à droite est donc une excellente chose. A contrario, l'UMP serait très fragilisée si elle ne favorisait pas les débats et la diversité en son sein. Aujourd'hui, il est important de pouvoir représenter toutes les questions que se posent notre population et de faire en sorte qu'au sein de l'UMP, il puisse y avoir les débats les plus riches, de façon à arriver à une solution gouvernementale."
Pas d'élection du président à mains levées, comme cela s'est déjà vu ?
- "On peut, comme dans les collectivités locales, avoir plusieurs types de scrutin."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 août 2002)