Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Madame la Ministre déléguée,
Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Dans le droit fil des orientations tracées par le ministre des Affaires étrangères, je vais développer celles qui concernent notre politique de coopération et de la francophonie.
Vous savez que le président de la République, en plusieurs occasions solennelles, notamment lors de la Conférence internationale réunie à Monterrey en mars dernier, et également devant les Français, au cours du débat national qui a précédé l'élection présidentielle, a plaidé avec insistance en faveur d'un fort accroissement de l'aide aux pays pauvres, et en particulier de l'aide publique au développement.
S'agissant de la France, il a fixé comme objectif une augmentation de 50 % de cette aide en 5 ans.
Cet engagement a été repris par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale devant le Parlement, approuvée par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
Il figure encore au nombre des cinq priorités énoncées par le Premier ministre dans sa lettre de cadrage pour la préparation du budget 2003.
Le ministre des Affaires étrangères, M. Dominique de Villepin, et moi-même avons maintes fois réaffirmé cette orientation au cours des dernières semaines.
C'est dire qu'il s'agit d'un axe majeur de la politique gouvernementale pour la durée de la législature.
En dépit des difficultés conjoncturelles qui peuvent apparaître à tel ou tel moment de cette période cet objectif ne devra pas être perdu de vue.
Pour nous, l'aide au développement est un grand enjeu national. Un enjeu de caractère à la fois moral et politique. La France a toujours affirmé sa solidarité à l'égard des pays en proie au sous-développement, à la misère, à la malnutrition, à la maladie, à l'analphabétisme, aux violences de toutes sortes.
Cela fait partie des valeurs de civilisation qu'elle veut promouvoir dans le monde.
Elle y est sans doute plus sensible que d'autres pays en raison des liens historiques, humains, sentimentaux et aussi économiques et sociaux qu'elle entretient avec les Etats issus de son ancien Empire colonial, principalement en Afrique.
Il est donc essentiel que notre politique traduise dans les réalités concrètes et visibles les principes de solidarité et d'entraide auxquels nous nous référons.
N'oublions pas que ce message compte pour beaucoup dans l'image que conserve notre pays dans le monde et il est pour nous un élément important de notre influence sur la scène internationale. Nous avons le devoir d'y rester fidèles.
Or, au cours des dernières années, notre aide publique au développement a subi une érosion régulière, tombant de 0,50 % de notre Produit Intérieur Brut en 1996 à 0,32 % aujourd'hui.
Il s'agit donc de stopper immédiatement cette régression et d'inverser la tendance. C'est la politique voulue par le président de la République et mise en uvre par le gouvernement.
Mais au-delà des raisons d'ordre national qui justifient ce choix, il en est d'autres, qui d'ailleurs les renforcent, et qui tiennent à l'état du monde. Un monde caractérisé par un fossé immense entre les pays développés et les pays pauvres, et, pire encore, par un fossé qui s'accroît régulièrement. Des riches qui s'enrichissent et des pauvres qui s'appauvrissent.
En ce qui concerne l'Afrique, depuis 1980 le produit intérieur brut moyen par habitant décline d'1 % chaque année. 32 pays africains sont plus pauvres aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 1980.
Cette situation est scandaleuse moralement. Elle est aussi dangereuse, non seulement pour les populations qui en sont victimes, mais pour l'équilibre et la sécurité du monde. C'est bien d'une véritable "fracture mondiale" qu'il s'agit, d'une "fracture mondiale" qu'il convient de réduire.
Pour y parvenir, il faut susciter une mobilisation internationale en faveur du développement des pays pauvres, qui représentent près de la moitié de la population mondiale.
Si la prise de conscience de ce problème majeur est en cours, il faut accélérer la mise en uvre des moyens à la dimension des besoins. La France doit y contribuer et se porter aux avant-postes de cette grande bataille du XXIème siècle.
C'est la volonté affirmée par M. Jacques Chirac dans les instances internationales et tout récemment encore lors du Sommet du G8 à Kananaskis. Mais pour être entendue, la France doit montrer l'exemple. C'est la seconde raison qui justifie la nouvelle orientation de notre politique de coopération et de développement.
L'objectif étant fixé, il convient de décliner les moyens de l'atteindre.
Je vous propose de les passer en revue sous la forme d'un programme en dix points, qui constitue notre "feuille de route".
1 - Le premier point s'impose de lui-même : c'est l'augmentation en volume de notre aide publique au développement, de façon à la porter à nouveau à 0,50 % de notre produit intérieur brut au terme des cinq prochaines années. Je ne reviens pas sur ce point, véritablement capital, de notre programme, que j'ai abordé il y a quelques instants.
2 - Le deuxième point concerne les canaux empruntés par notre aide. Au fil du temps, une part croissante de celle-ci a été orientée vers nos contributions aux divers fonds d'aide multilatérale. Il faut dire qu'historiquement, notre aide était principalement bilatérale et qu'il convenait certainement de renforcer notre participation aux programmes multilatéraux, aussi bien dans le cadre européen qu'au niveau des institutions internationales, notamment à travers les fonds mis en place sous l'égide de l'Organisation des Nations unies.
Aujourd'hui, il apparaît nécessaire de rééquilibrer nos efforts en faveur de l'aide bilatérale, qui a souffert de cette évolution. Cette forme d'aide est instamment demandée par nos partenaires membres de la Zone de solidarité prioritaire.
Elle permet des interventions plus rapides, plus ciblées, moins complexes dans les procédures de mise en uvre.
J'ajoute qu'elle permet aussi une meilleure visibilité de notre politique de coopération et qu'elle est un élément non négligeable du renforcement de notre rôle politique.
Dans les fonctions qui sont les vôtres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vous savez par expérience que notre influence, notamment pour dénouer des tensions ou des conflits, dépend en partie de notre capacité d'apporter concrètement et rapidement des concours, aussi bien en matière d'assistance technique ou en formation qu'en matière économique et financière, à des Etats en situation de grande fragilité.
L'aide bilatérale est le moyen le plus efficace qui permet de répondre à ces situations.
Renforcer notre aide bilatérale ne signifie pas, évidemment, que nous allons nous désengager de nos participations aux actions multilatérales.
Nous respecterons nos engagements internationaux mais nous veillerons attentivement à ce que nos contributions soient réellement employées, dans des délais raisonnables, et qu'elles ne soient pas stockées dans des fonds qui peinent à les dépenser. Il y a des progrès à faire dans ce domaine, en particulier du côté du Fonds européen de développement, auquel nous contribuons pour près de 25 % de son montant total, alors que notre part normale dans les financements européens est de 17 %.
3 - Troisième point du programme : accroître notre coopération avec l'Afrique.
L'Afrique est le continent le plus proche de nous. Nos liens avec les pays africains, qu'ils soient situés au nord ou au sud du Sahara, sont anciens, multiples et étroits. De nombreux ressortissants de ces pays vivent sur notre sol. Une très forte pression de l'immigration en provenance de ces pays se manifeste en permanence. Et l'Afrique est aussi le continent qui concentre tous les maux de la pauvreté et du sous-développement.
J'ajoute que, sur le plan politique, diplomatique et culturel, l'Afrique constitue pour la France un enjeu majeur. C'est largement en Afrique que se jouera le sort de la Francophonie.
Toutes ces raisons, que je n'ai pas besoin de développer devant vous, parce que vous les connaissez, nous incitent à renforcer notre coopération avec nos partenaires africains.
Là aussi, la période écoulée a vu nos moyens, et donc notre rôle et notre influence, décliner.
Nos amis africains s'en désolent. D'autres s'en réjouissent. Notre devoir et notre intérêt nous commandent de redresser la barre.
Par rapport à l'ancien "champ de la coopération française" la Zone de solidarité prioritaire a pris une ampleur considérable puisqu'elle s'applique aujourd'hui à 54 pays, à la suite de l'entrée successive d'une série de nouveaux membres. Mais avoir une action efficace et visible dans un nombre croissant de pays avec une enveloppe financière qui se réduisait d'année en année tenait du paradoxe. Il conviendra, même si l'enveloppe est appelée à se renforcer progressivement, de cibler notre aide de telle sorte qu'elle atteigne le seuil de crédibilité nécessaire. Ce n'est d'ailleurs pas toujours uniquement une question d'argent : nous devrons améliorer nos performances dans le montage des projets, l'animation des hommes, la mobilisation des partenariats et des contreparties.
Mais, je le répète, en toute hypothèse notre effort devra être rééquilibré en faveur de l'Afrique.
4 - Quatrième point : la substitution du partenariat à l'assistance.
Vous savez que c'est une orientation à laquelle le président de la République est très attaché. Il s'est maintes fois exprimé à ce sujet, qu'il s'agisse de l'aide bilatérale ou de l'aide multilatérale, et il le fera sans nul doute à nouveau à Johannesburg à propos du nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, le NEPAD.
Cette orientation a commencé à se traduire dans les faits. Il convient de poursuivre activement sur cette voie. Cela implique des changements dans l'élaboration des projets de développement, dans leur montage financier, dans leur mise en application et dans leur suivi. Mais il est clair que plus les pays bénéficiaires se seront appropriés les opérations de développement réalisées chez eux, plus ils se sentiront impliqués dans leur réalisation, plus grandes seront les chances d'obtenir des résultats adaptés aux besoins et durables.
Je voudrais dire à ce sujet que la réussite du partenariat suppose également de notre côté une modification de nos procédures et avant toute chose, une décentralisation accentuée des pouvoirs au profit des Ambassadeurs, dans leur fonction d'animateurs et de coordonnateurs des agents des diverses administrations affectés dans leur pays de résidence, et dans leur position d'interlocuteurs des Autorités du pays partenaire et bénéficiaire.
5 - Cinquième point : le développement de la coopération décentralisée.
Un réel mouvement en faveur de la coopération s'est manifesté parmi les collectivités locales françaises, de toutes tailles, qu'il s'agisse des régions, des départements ou des communes. Beaucoup d'entre vous l'observent sur le terrain.
Ces collectivités sont souvent affiliées à des Associations qui, au niveau national, leur apportent conseils et assistance et les aident à bénéficier de subventions de l'Etat.
Ce mouvement doit être encouragé et amplifié. Ce type de coopération est souvent efficace quand il porte sur des opérations concrètes, bien délimitées et correspondant aux capacités réelles des collectivités maîtres d'uvre.
Dans ce cas il contribue à tisser tout un réseau de relations humaines qui popularise et renforce dans l'opinion publique française la grande cause qu'est la coopération avec les pays du sud.
On connaît en revanche des expériences malheureuses, parce que mal préparées par des collectivités qui n'ont pas l'expérience ou les moyens indispensables pour assurer le suivi des projets, élément essentiel de la réussite de ce genre d'opérations.
Il y a aussi des doubles-emplois ou des initiatives en ordre dispersé qui accroissent les coûts pour les collectivités concernées.
Il serait contraire à l'esprit de la coopération décentralisée, qui repose précisément sur la liberté des initiatives, de vouloir corriger ces défauts par une centralisation bureaucratique.
La méthode la plus adaptée consiste à favoriser l'accès à l'information sur tout ce qui se fait ou se projette ainsi que sur les besoins identifiés. Les nouveaux moyens de traitement électronique de l'information, notamment la mise en place de banques de données et de sites interactifs, offrent à cet égard des solutions.
Nous y travaillons en liaison avec les associations regroupant les collectivités engagées dans des coopérations.
6 - Sixième point : un partenariat accentué avec la société civile : organisations non-gouvernementales, entreprises ou groupements d'entreprises, fondations, associations.
L'esprit dans lequel il convient d'aborder ce type de coopération est le même que celui qui inspire la coopération décentralisée, même si, évidemment la nature des acteurs n'est pas la même.
Là aussi, il ne s'agit pas d'inventer, car il existe déjà nombre d'opérations intéressantes et efficaces. Mais il faut amplifier le mouvement, diversifier les modalités, et sans doute rechercher, en concertation avec les acteurs de cette coopération, les moyens de faciliter leur intervention.
Je n'entrerai pas ici dans le détail des pistes à explorer, pour ne pas allonger mon propos.
Mais chacun voit bien combien il est important, dans les nouveaux partenariats à construire de bénéficier de l'apport des acteurs de la société civile et du monde de l'entreprise, dans toute leur diversité.
7 - Septième point : la promotion du volontariat associatif.
Le Service National a été supprimé et, avec lui, les ressources humaines souvent fort utiles qu'il fournissait dans le domaine de la coopération.
Il faut développer d'autres systèmes permettant d'utiliser intelligemment les compétences et les bonnes volontés mais aussi de répondre à une aspiration de la jeunesse et de susciter des vocations.
J'insiste sur ce second point : notre société manque, plus ou moins consciemment, de "projet mobilisateur" pour les jeunes. Or, la solidarité avec les peuples qui sont aux prises avec toutes les misères du monde mais qui, en même temps, témoignent souvent d'une vraie richesse humaine est une belle et grande cause qui incite à s'engager pour elle.
Il nous faut répondre à cette attente potentielle. Aujourd'hui, seuls les plus motivés et les plus persévérants concrétisent leur engagement, grâce à plusieurs associations nationales qui organisent le volontariat dans divers domaines.
Il est nécessaire de tirer, avec elles, les conclusions des expériences acquises et d'examiner les moyens d'accroître le plus possible le nombre de volontaires et l'efficacité de leur action sur le terrain.
8 - Huitième point : renforcer l'expertise française en matière de coopération, qu'il s'agisse de la recherche, des sciences humaines, de la culture, de la gestion ou d'autres secteurs.
La France a longtemps bénéficié d'un avantage considérable dans ce domaine, notamment concernant le continent africain, en raison du nombre d'administrateurs, de médecins, de savants, d'entrepreneurs, de spécialistes de toutes disciplines, qui avaient une expérience personnelle et vécue des pays et des sociétés sur lesquels ils travaillaient. Cette expertise française est aujourd'hui menacée parce que ce vivier se raréfie.
Il nous faut redonner une priorité à cette spécialité française, notamment en Afrique au moment où le monde tourne enfin ses regards vers ce continent.
9 - Neuvième point : assurer une coordination plus efficace de nos instruments administratifs, techniques et financiers autour de nos objectifs prioritaires en matière de coopération.
Je ne détaille pas ce point aujourd'hui mais vous savez qu'il conditionne notre efficacité. Il y a beaucoup d'intervenants dans le domaine de la coopération : ministères, grands opérateurs nationaux, établissements publics, missions, comités, j'en passe
Il est incontestable que ce dispositif très complexe gagnerait à être resserré et surtout recentré sur un certain nombre d'objectifs clairs, fixés par le gouvernement, afin d'éviter la dispersion des efforts et la dilution des moyens.
10 - Dixième point : accentuer notre présence politique et diplomatique dans les pays avec lesquels nous coopérons. Inutile d'en dire plus car cela englobe tous les thèmes et tous les objectifs que j'ai évoqués depuis le début.
Avec une ligne gouvernementale bien affichée, des moyens renforcés, des partenariats clairement définis, notre présence et notre influence devraient logiquement se trouver confortées. Tout est ensuite affaire de talent, de la part de ceux qui, dans les postes comme à l'administration centrale, exercent les responsabilités opérationnelles. En ce qui me concerne, je n'ai aucune inquiétude à cet égard !
Voilà donc, décomposée en 10 points, notre "feuille de route", pour la période qui vient, dans le domaine de la coopération et du développement. Même si l'énumération peut paraître longue, elle n'est pas exhaustive. Mais il s'agit, je le pense, des principaux axes qui doivent guider notre action sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères.
Je ne voudrais pas clore cette intervention sans évoquer notre politique en matière de francophonie. Ce sujet important mérite d'être traité de façon approfondie. Le temps me manque aujourd'hui mais je compte bien le faire en d'autres circonstances.
Pour m'en tenir à l'essentiel, je vous dirai ceci :
1 - L'avenir de la francophonie se jouera principalement en Afrique. Tout ce que nous venons d'évoquer à propos de notre nouvelle politique de coopération contribuera par conséquent à renforcer les chances de la Francophonie.
2 - Nous devons sortir du schéma traditionnel de la lutte entre le français et l'anglo-américain. La défense et la promotion du français doivent s'inscrire dans le cadre de la préservation de la diversité culturelle, comme contrepoids à la mondialisation. Cela concerne le français, mais aussi l'espagnol, le portugais, l'allemand, l'arabe, l'italien, etc
Il ne s'agit pas d'un combat de retardement mené par un pays tourné vers son passé prestigieux dans l'Europe des siècles derniers. Il s'agit d'un combat moderne, pour lequel nous devons trouver des alliés.
Nous en avons dans l'Organisation internationale de la Francophonie. Et vous savez que le thème du Sommet francophone de Beyrouth, en octobre prochain, est justement la diversité culturelle.
Mais nous devons aussi chercher des alliés en Europe, car c'est là que le français est en danger.
Pour cela il nous faut prendre l'initiative et faire des propositions précises à nos partenaires, pour que l'Europe unie garantisse réellement la diversité culturelle et linguistique en son sein et que la seule logique économique et technicienne ne continue pas de s'imposer sournoisement à travers directives, règlements ou décisions des juridictions européennes.
Telles sont, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, les principales orientations de notre politique dans les domaines dont j'ai été chargé, sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères.
Je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée aujourd'hui, et, plus généralement, je remercie toutes celles et tous ceux qui, au ministère, dans nos ambassades ou au sein des organismes avec lesquels nous travaillons, m'ont apporté leur concours depuis ma prise de fonction.
En guise de conclusion, m'étant rendu tout récemment à Brazzaville, je voudrais vous citer un bref extrait de la déclaration prononcée dans cette ville en 1944 par le général de Gaulle. Il illustre et éclaire notre sujet :
"Il n'y a pas d'Etat si grand, si puissant qu'il soit, qui puisse se passer des autres. Dès lors, il n'y a pas de politique possible sans coopération. Il n'y aurait pas de progrès si les hommes sur leur terre natale n'en profitaient pas. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi".
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 août 2002)
Madame la Ministre déléguée,
Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Dans le droit fil des orientations tracées par le ministre des Affaires étrangères, je vais développer celles qui concernent notre politique de coopération et de la francophonie.
Vous savez que le président de la République, en plusieurs occasions solennelles, notamment lors de la Conférence internationale réunie à Monterrey en mars dernier, et également devant les Français, au cours du débat national qui a précédé l'élection présidentielle, a plaidé avec insistance en faveur d'un fort accroissement de l'aide aux pays pauvres, et en particulier de l'aide publique au développement.
S'agissant de la France, il a fixé comme objectif une augmentation de 50 % de cette aide en 5 ans.
Cet engagement a été repris par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale devant le Parlement, approuvée par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
Il figure encore au nombre des cinq priorités énoncées par le Premier ministre dans sa lettre de cadrage pour la préparation du budget 2003.
Le ministre des Affaires étrangères, M. Dominique de Villepin, et moi-même avons maintes fois réaffirmé cette orientation au cours des dernières semaines.
C'est dire qu'il s'agit d'un axe majeur de la politique gouvernementale pour la durée de la législature.
En dépit des difficultés conjoncturelles qui peuvent apparaître à tel ou tel moment de cette période cet objectif ne devra pas être perdu de vue.
Pour nous, l'aide au développement est un grand enjeu national. Un enjeu de caractère à la fois moral et politique. La France a toujours affirmé sa solidarité à l'égard des pays en proie au sous-développement, à la misère, à la malnutrition, à la maladie, à l'analphabétisme, aux violences de toutes sortes.
Cela fait partie des valeurs de civilisation qu'elle veut promouvoir dans le monde.
Elle y est sans doute plus sensible que d'autres pays en raison des liens historiques, humains, sentimentaux et aussi économiques et sociaux qu'elle entretient avec les Etats issus de son ancien Empire colonial, principalement en Afrique.
Il est donc essentiel que notre politique traduise dans les réalités concrètes et visibles les principes de solidarité et d'entraide auxquels nous nous référons.
N'oublions pas que ce message compte pour beaucoup dans l'image que conserve notre pays dans le monde et il est pour nous un élément important de notre influence sur la scène internationale. Nous avons le devoir d'y rester fidèles.
Or, au cours des dernières années, notre aide publique au développement a subi une érosion régulière, tombant de 0,50 % de notre Produit Intérieur Brut en 1996 à 0,32 % aujourd'hui.
Il s'agit donc de stopper immédiatement cette régression et d'inverser la tendance. C'est la politique voulue par le président de la République et mise en uvre par le gouvernement.
Mais au-delà des raisons d'ordre national qui justifient ce choix, il en est d'autres, qui d'ailleurs les renforcent, et qui tiennent à l'état du monde. Un monde caractérisé par un fossé immense entre les pays développés et les pays pauvres, et, pire encore, par un fossé qui s'accroît régulièrement. Des riches qui s'enrichissent et des pauvres qui s'appauvrissent.
En ce qui concerne l'Afrique, depuis 1980 le produit intérieur brut moyen par habitant décline d'1 % chaque année. 32 pays africains sont plus pauvres aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 1980.
Cette situation est scandaleuse moralement. Elle est aussi dangereuse, non seulement pour les populations qui en sont victimes, mais pour l'équilibre et la sécurité du monde. C'est bien d'une véritable "fracture mondiale" qu'il s'agit, d'une "fracture mondiale" qu'il convient de réduire.
Pour y parvenir, il faut susciter une mobilisation internationale en faveur du développement des pays pauvres, qui représentent près de la moitié de la population mondiale.
Si la prise de conscience de ce problème majeur est en cours, il faut accélérer la mise en uvre des moyens à la dimension des besoins. La France doit y contribuer et se porter aux avant-postes de cette grande bataille du XXIème siècle.
C'est la volonté affirmée par M. Jacques Chirac dans les instances internationales et tout récemment encore lors du Sommet du G8 à Kananaskis. Mais pour être entendue, la France doit montrer l'exemple. C'est la seconde raison qui justifie la nouvelle orientation de notre politique de coopération et de développement.
L'objectif étant fixé, il convient de décliner les moyens de l'atteindre.
Je vous propose de les passer en revue sous la forme d'un programme en dix points, qui constitue notre "feuille de route".
1 - Le premier point s'impose de lui-même : c'est l'augmentation en volume de notre aide publique au développement, de façon à la porter à nouveau à 0,50 % de notre produit intérieur brut au terme des cinq prochaines années. Je ne reviens pas sur ce point, véritablement capital, de notre programme, que j'ai abordé il y a quelques instants.
2 - Le deuxième point concerne les canaux empruntés par notre aide. Au fil du temps, une part croissante de celle-ci a été orientée vers nos contributions aux divers fonds d'aide multilatérale. Il faut dire qu'historiquement, notre aide était principalement bilatérale et qu'il convenait certainement de renforcer notre participation aux programmes multilatéraux, aussi bien dans le cadre européen qu'au niveau des institutions internationales, notamment à travers les fonds mis en place sous l'égide de l'Organisation des Nations unies.
Aujourd'hui, il apparaît nécessaire de rééquilibrer nos efforts en faveur de l'aide bilatérale, qui a souffert de cette évolution. Cette forme d'aide est instamment demandée par nos partenaires membres de la Zone de solidarité prioritaire.
Elle permet des interventions plus rapides, plus ciblées, moins complexes dans les procédures de mise en uvre.
J'ajoute qu'elle permet aussi une meilleure visibilité de notre politique de coopération et qu'elle est un élément non négligeable du renforcement de notre rôle politique.
Dans les fonctions qui sont les vôtres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vous savez par expérience que notre influence, notamment pour dénouer des tensions ou des conflits, dépend en partie de notre capacité d'apporter concrètement et rapidement des concours, aussi bien en matière d'assistance technique ou en formation qu'en matière économique et financière, à des Etats en situation de grande fragilité.
L'aide bilatérale est le moyen le plus efficace qui permet de répondre à ces situations.
Renforcer notre aide bilatérale ne signifie pas, évidemment, que nous allons nous désengager de nos participations aux actions multilatérales.
Nous respecterons nos engagements internationaux mais nous veillerons attentivement à ce que nos contributions soient réellement employées, dans des délais raisonnables, et qu'elles ne soient pas stockées dans des fonds qui peinent à les dépenser. Il y a des progrès à faire dans ce domaine, en particulier du côté du Fonds européen de développement, auquel nous contribuons pour près de 25 % de son montant total, alors que notre part normale dans les financements européens est de 17 %.
3 - Troisième point du programme : accroître notre coopération avec l'Afrique.
L'Afrique est le continent le plus proche de nous. Nos liens avec les pays africains, qu'ils soient situés au nord ou au sud du Sahara, sont anciens, multiples et étroits. De nombreux ressortissants de ces pays vivent sur notre sol. Une très forte pression de l'immigration en provenance de ces pays se manifeste en permanence. Et l'Afrique est aussi le continent qui concentre tous les maux de la pauvreté et du sous-développement.
J'ajoute que, sur le plan politique, diplomatique et culturel, l'Afrique constitue pour la France un enjeu majeur. C'est largement en Afrique que se jouera le sort de la Francophonie.
Toutes ces raisons, que je n'ai pas besoin de développer devant vous, parce que vous les connaissez, nous incitent à renforcer notre coopération avec nos partenaires africains.
Là aussi, la période écoulée a vu nos moyens, et donc notre rôle et notre influence, décliner.
Nos amis africains s'en désolent. D'autres s'en réjouissent. Notre devoir et notre intérêt nous commandent de redresser la barre.
Par rapport à l'ancien "champ de la coopération française" la Zone de solidarité prioritaire a pris une ampleur considérable puisqu'elle s'applique aujourd'hui à 54 pays, à la suite de l'entrée successive d'une série de nouveaux membres. Mais avoir une action efficace et visible dans un nombre croissant de pays avec une enveloppe financière qui se réduisait d'année en année tenait du paradoxe. Il conviendra, même si l'enveloppe est appelée à se renforcer progressivement, de cibler notre aide de telle sorte qu'elle atteigne le seuil de crédibilité nécessaire. Ce n'est d'ailleurs pas toujours uniquement une question d'argent : nous devrons améliorer nos performances dans le montage des projets, l'animation des hommes, la mobilisation des partenariats et des contreparties.
Mais, je le répète, en toute hypothèse notre effort devra être rééquilibré en faveur de l'Afrique.
4 - Quatrième point : la substitution du partenariat à l'assistance.
Vous savez que c'est une orientation à laquelle le président de la République est très attaché. Il s'est maintes fois exprimé à ce sujet, qu'il s'agisse de l'aide bilatérale ou de l'aide multilatérale, et il le fera sans nul doute à nouveau à Johannesburg à propos du nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, le NEPAD.
Cette orientation a commencé à se traduire dans les faits. Il convient de poursuivre activement sur cette voie. Cela implique des changements dans l'élaboration des projets de développement, dans leur montage financier, dans leur mise en application et dans leur suivi. Mais il est clair que plus les pays bénéficiaires se seront appropriés les opérations de développement réalisées chez eux, plus ils se sentiront impliqués dans leur réalisation, plus grandes seront les chances d'obtenir des résultats adaptés aux besoins et durables.
Je voudrais dire à ce sujet que la réussite du partenariat suppose également de notre côté une modification de nos procédures et avant toute chose, une décentralisation accentuée des pouvoirs au profit des Ambassadeurs, dans leur fonction d'animateurs et de coordonnateurs des agents des diverses administrations affectés dans leur pays de résidence, et dans leur position d'interlocuteurs des Autorités du pays partenaire et bénéficiaire.
5 - Cinquième point : le développement de la coopération décentralisée.
Un réel mouvement en faveur de la coopération s'est manifesté parmi les collectivités locales françaises, de toutes tailles, qu'il s'agisse des régions, des départements ou des communes. Beaucoup d'entre vous l'observent sur le terrain.
Ces collectivités sont souvent affiliées à des Associations qui, au niveau national, leur apportent conseils et assistance et les aident à bénéficier de subventions de l'Etat.
Ce mouvement doit être encouragé et amplifié. Ce type de coopération est souvent efficace quand il porte sur des opérations concrètes, bien délimitées et correspondant aux capacités réelles des collectivités maîtres d'uvre.
Dans ce cas il contribue à tisser tout un réseau de relations humaines qui popularise et renforce dans l'opinion publique française la grande cause qu'est la coopération avec les pays du sud.
On connaît en revanche des expériences malheureuses, parce que mal préparées par des collectivités qui n'ont pas l'expérience ou les moyens indispensables pour assurer le suivi des projets, élément essentiel de la réussite de ce genre d'opérations.
Il y a aussi des doubles-emplois ou des initiatives en ordre dispersé qui accroissent les coûts pour les collectivités concernées.
Il serait contraire à l'esprit de la coopération décentralisée, qui repose précisément sur la liberté des initiatives, de vouloir corriger ces défauts par une centralisation bureaucratique.
La méthode la plus adaptée consiste à favoriser l'accès à l'information sur tout ce qui se fait ou se projette ainsi que sur les besoins identifiés. Les nouveaux moyens de traitement électronique de l'information, notamment la mise en place de banques de données et de sites interactifs, offrent à cet égard des solutions.
Nous y travaillons en liaison avec les associations regroupant les collectivités engagées dans des coopérations.
6 - Sixième point : un partenariat accentué avec la société civile : organisations non-gouvernementales, entreprises ou groupements d'entreprises, fondations, associations.
L'esprit dans lequel il convient d'aborder ce type de coopération est le même que celui qui inspire la coopération décentralisée, même si, évidemment la nature des acteurs n'est pas la même.
Là aussi, il ne s'agit pas d'inventer, car il existe déjà nombre d'opérations intéressantes et efficaces. Mais il faut amplifier le mouvement, diversifier les modalités, et sans doute rechercher, en concertation avec les acteurs de cette coopération, les moyens de faciliter leur intervention.
Je n'entrerai pas ici dans le détail des pistes à explorer, pour ne pas allonger mon propos.
Mais chacun voit bien combien il est important, dans les nouveaux partenariats à construire de bénéficier de l'apport des acteurs de la société civile et du monde de l'entreprise, dans toute leur diversité.
7 - Septième point : la promotion du volontariat associatif.
Le Service National a été supprimé et, avec lui, les ressources humaines souvent fort utiles qu'il fournissait dans le domaine de la coopération.
Il faut développer d'autres systèmes permettant d'utiliser intelligemment les compétences et les bonnes volontés mais aussi de répondre à une aspiration de la jeunesse et de susciter des vocations.
J'insiste sur ce second point : notre société manque, plus ou moins consciemment, de "projet mobilisateur" pour les jeunes. Or, la solidarité avec les peuples qui sont aux prises avec toutes les misères du monde mais qui, en même temps, témoignent souvent d'une vraie richesse humaine est une belle et grande cause qui incite à s'engager pour elle.
Il nous faut répondre à cette attente potentielle. Aujourd'hui, seuls les plus motivés et les plus persévérants concrétisent leur engagement, grâce à plusieurs associations nationales qui organisent le volontariat dans divers domaines.
Il est nécessaire de tirer, avec elles, les conclusions des expériences acquises et d'examiner les moyens d'accroître le plus possible le nombre de volontaires et l'efficacité de leur action sur le terrain.
8 - Huitième point : renforcer l'expertise française en matière de coopération, qu'il s'agisse de la recherche, des sciences humaines, de la culture, de la gestion ou d'autres secteurs.
La France a longtemps bénéficié d'un avantage considérable dans ce domaine, notamment concernant le continent africain, en raison du nombre d'administrateurs, de médecins, de savants, d'entrepreneurs, de spécialistes de toutes disciplines, qui avaient une expérience personnelle et vécue des pays et des sociétés sur lesquels ils travaillaient. Cette expertise française est aujourd'hui menacée parce que ce vivier se raréfie.
Il nous faut redonner une priorité à cette spécialité française, notamment en Afrique au moment où le monde tourne enfin ses regards vers ce continent.
9 - Neuvième point : assurer une coordination plus efficace de nos instruments administratifs, techniques et financiers autour de nos objectifs prioritaires en matière de coopération.
Je ne détaille pas ce point aujourd'hui mais vous savez qu'il conditionne notre efficacité. Il y a beaucoup d'intervenants dans le domaine de la coopération : ministères, grands opérateurs nationaux, établissements publics, missions, comités, j'en passe
Il est incontestable que ce dispositif très complexe gagnerait à être resserré et surtout recentré sur un certain nombre d'objectifs clairs, fixés par le gouvernement, afin d'éviter la dispersion des efforts et la dilution des moyens.
10 - Dixième point : accentuer notre présence politique et diplomatique dans les pays avec lesquels nous coopérons. Inutile d'en dire plus car cela englobe tous les thèmes et tous les objectifs que j'ai évoqués depuis le début.
Avec une ligne gouvernementale bien affichée, des moyens renforcés, des partenariats clairement définis, notre présence et notre influence devraient logiquement se trouver confortées. Tout est ensuite affaire de talent, de la part de ceux qui, dans les postes comme à l'administration centrale, exercent les responsabilités opérationnelles. En ce qui me concerne, je n'ai aucune inquiétude à cet égard !
Voilà donc, décomposée en 10 points, notre "feuille de route", pour la période qui vient, dans le domaine de la coopération et du développement. Même si l'énumération peut paraître longue, elle n'est pas exhaustive. Mais il s'agit, je le pense, des principaux axes qui doivent guider notre action sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères.
Je ne voudrais pas clore cette intervention sans évoquer notre politique en matière de francophonie. Ce sujet important mérite d'être traité de façon approfondie. Le temps me manque aujourd'hui mais je compte bien le faire en d'autres circonstances.
Pour m'en tenir à l'essentiel, je vous dirai ceci :
1 - L'avenir de la francophonie se jouera principalement en Afrique. Tout ce que nous venons d'évoquer à propos de notre nouvelle politique de coopération contribuera par conséquent à renforcer les chances de la Francophonie.
2 - Nous devons sortir du schéma traditionnel de la lutte entre le français et l'anglo-américain. La défense et la promotion du français doivent s'inscrire dans le cadre de la préservation de la diversité culturelle, comme contrepoids à la mondialisation. Cela concerne le français, mais aussi l'espagnol, le portugais, l'allemand, l'arabe, l'italien, etc
Il ne s'agit pas d'un combat de retardement mené par un pays tourné vers son passé prestigieux dans l'Europe des siècles derniers. Il s'agit d'un combat moderne, pour lequel nous devons trouver des alliés.
Nous en avons dans l'Organisation internationale de la Francophonie. Et vous savez que le thème du Sommet francophone de Beyrouth, en octobre prochain, est justement la diversité culturelle.
Mais nous devons aussi chercher des alliés en Europe, car c'est là que le français est en danger.
Pour cela il nous faut prendre l'initiative et faire des propositions précises à nos partenaires, pour que l'Europe unie garantisse réellement la diversité culturelle et linguistique en son sein et que la seule logique économique et technicienne ne continue pas de s'imposer sournoisement à travers directives, règlements ou décisions des juridictions européennes.
Telles sont, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, les principales orientations de notre politique dans les domaines dont j'ai été chargé, sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères.
Je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée aujourd'hui, et, plus généralement, je remercie toutes celles et tous ceux qui, au ministère, dans nos ambassades ou au sein des organismes avec lesquels nous travaillons, m'ont apporté leur concours depuis ma prise de fonction.
En guise de conclusion, m'étant rendu tout récemment à Brazzaville, je voudrais vous citer un bref extrait de la déclaration prononcée dans cette ville en 1944 par le général de Gaulle. Il illustre et éclaire notre sujet :
"Il n'y a pas d'Etat si grand, si puissant qu'il soit, qui puisse se passer des autres. Dès lors, il n'y a pas de politique possible sans coopération. Il n'y aurait pas de progrès si les hommes sur leur terre natale n'en profitaient pas. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi".
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 août 2002)