Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à France 2 le 3 septembre 2002, sur les projets gouvernementaux d'assouplissement des 35 heures, sur l'éventualité de suppression de postes dans l'éducation nationale, sur les propositions de Jacques Chirac au "Sommet de la Terre" de Johannesburg et sur les débats à l'intérieur du Parti socialiste.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard.- On va parler à l'instant de La Rochelle, mais je voudrais qu'on revienne d'abord sur l'annonce par F. Fillon de la publication d'un décret pour l'assouplissement des 35 heures, en attendant le vote d'un projet de loi plus global concernant les questions sociales. Pourtant, le président du Medef, qui était à votre place hier, disait que le Gouvernement ne les écoutait pas. Pensez-vous qu'il a été entendu ?
- "Le Gouvernement se veut le chantre du dialogue social et passe par un décret pour remettre en cause les 35 heures. Alors, il n'entend finalement que ceux qui veulent remettre en cause et toucher à ces 35 heures. Il s'agit bien de passer en force, sinon ce serait la négociation. D'ailleurs, il y a un grand paradoxe de la part y compris de monsieur Medef - de Monsieur Seillière, vous voyez jusqu'où je vais ! - qui disait, quand nous étions nous-mêmes aux responsabilités : "négocions, engageons la refondation sociale". Aujourd'hui, il veut la loi, le décret. Monsieur Fillon, au-delà même des éclats verbaux des uns et des autres, passe en force avec ce décret, pour remettre en cause ce qui est une avancée sociale, qui peut être discutée branche par branche. Mais en l'occurrence, il s'agit d'augmenter le contingent des heures supplémentaires. C'est à la fois grave par rapport à ce qui risque d'être mis en cause, c'est-à-dire un droit pour les salariés. Grave aussi en tant qu'exemple du dialogue social."
Croyez-vous qu'on va remettre en cause les 35 heures ?
- "Cela dépendra des branches. Là, il y a une arme qui est donnée pendant je ne sais combien de mois, peut-être des années - le terme n'est pas fixé - pour utiliser un contingent d'heures supplémentaires, ce qui reviendra finalement à faire travailler davantage, sans forcément gagner plus."
En combien ? En 39 heures ?
- "On verra. Ce ne sera sans doute pas vrai dans toutes les branches. Et puis, beaucoup d'entreprises qui ont déjà négocié les 35 heures il y a maintenant plusieurs mois, n'ont pas forcément envie d'avoir des conflits en leur sein. Mais c'est vrai qu'il y a là un risque de déstabilisation d'une certaine situation sociale dans beaucoup d'entreprises."
Aujourd'hui, c'est la rentrée scolaire. Hier, votre ami J. Lang disait qu'il craignait de voir l'Education nationale mise au pain sec, après l'annonce par le ministre délégué de la suppression de postes, non pas d'enseignants, mais de surveillants et de personnels administratifs, en 2003. Cela veut dire qu'aucune adaptation n'est possible ?
- "D'abord, ce qui m'a frappé, c'est que les ministres en charge de l'Education, quand ils disent la même chose - ce qui n'est pas toujours fréquent - ont au moins reconnu que la rentrée, celle qui va s'opérer cette année, va être bonne, parce qu'elle a été préparée par le précédent gouvernement ..."
Dont le ministre était un des conseillers quand même...
- "Mais en revanche, qu'il y avait de grosses inquiétudes pour la prochaine, parce que, même si on n'était pas sûr d'avoir préservé tous les postes d'enseignants, on était déjà sûr qu'il y n'aurait pas les postes de surveillants - 3.000 qui étaient attendus -, parce qu'il y a bien un problème de lutte contre la violence à l'école, il y a bien un problème d'encadrement des jeunes, il y a bien un problème de suivi de ceux qui sont le plus en difficulté. Alors, quand il y a moins d'élèves, ce qui reste à prouver, y compris dans le secondaire, est-ce qu'on ne peut pas utiliser mieux les moyens ? Il y a suffisamment de problèmes à l'école qui ont été relevés ces derniers mois pour qu'on fasse en sorte justement qu'il y ait plus de surveillants, plus d'infirmières scolaires, plus d'auxiliaires pour assurer le suivi des travaux après l'école. Donc, je crois qu'il y a là un risque - les syndicats l'ont bien compris - non pas de remise en cause des acquis, mais un risque d'affaiblissement d'un grand nombre de réformes qui avaient été lancées."
Dès qu'on dit "adaptation", vous dites "affaiblissement" ?
- "Non, je dis qu'on peut s'adapter. Il y a des problèmes qui surgissent à l'école, qui appellent de nouveaux métiers. C'est pour cela qu'on avait aussi créé des emplois-jeunes dans l'école : développer de nouvelles technologies, faire en sorte qu'on apprenne les langues étrangères plus tôt dans le cursus scolaire. Ce sont ces réformes qui vont être remises en cause."
Troisième grande question d'actualité : le Sommet de la Terre à Johannesburg. J. Chirac, hier, a proposé la création d'une taxe qui s'apparente beaucoup à la taxe Tobin, c'est-à-dire une taxe sur les richesses pour sauver la planète. C'était un appel assez vibrant. Cela vous a-t-il surpris ? Etes-vous d'accord ?
- "J'ai vibré, parce que J. Chirac a quand même une capacité inégalable, incomparable, d'utiliser tous les mots mais de n'en rien faire ! Car il est quand même président de la République, il a aujourd'hui tous les moyens pour agir."
Mais nous seuls sur la planète, cela fait peu quand même !
- "Donc, qu'il y ait un appel à la solidarité, je le partage, qu'il y ait une nécessité de mettre en place des organes de régulation, voire même d'introduire des taxes, nous militons dans cet esprit depuis longtemps. Mais on ne peut pas demander qu'il y ait une taxe contre la spéculation financière et ne rien faire dans son propre pays. On ne peut pas demander qu'il y ait une lutte contre la faim et pour l'agriculture et le développement en Afrique ou dans les pays en difficulté et, en même temps, ne rien changer à la PAC, dont on sait qu'elle peut avoir des effets tout à fait dommageables pour les agricultures des pays en développement. Enfin, sur la question de l'aide publique en développement, c'est bien de dire qu'il faut augmenter les crédits. Mais encore faut-il le démontrer, nous le verrons dans le prochain budget, parce qu'on est en capacité de le faire."
Vous serez attentifs là-dessus ?
- "Nous serons attentifs là-dessus, oui."
En particulier autant que sur l'Education ?
- "Sur l'ensemble de ce qui a été annoncé, parce que lorsque la France s'engage, lorsque le chef de l'Etat, dans un grand sommet international prend des paroles fortes, il faut ensuite que nous soyons capables de les traduire en actes. Sinon, c'est l'image même de la France qui se trouve froissée."
Le Parti socialiste a réuni son université d'été à La Rochelle. Il y avait beaucoup de monde. Vous ne voulez pas parler de "reconstruction", mais de "rénovation". Vous avez dénoncé les consensus factices, les divisions artificiels. Pourtant, il y a bel et bien une division idéologique au sein du Parti socialiste, sur la mondialisation précisément, et sur les rapports avec le capitalisme.
- "Heureusement qu'il y a des débats. Le Parti socialiste a toujours été une formation ..."
Ils se sont tus après la défaite...
- "C'est normal. En plus qu'après une défaite, nous recherchons collectivement les voies qui nous permettent de répondre aux problèmes de la planète, à la nécessité de maîtriser la construction européenne dans un sens plus social, de l'affirmer politiquement, puis en France, de voir ce que sont les aspirations réelles de notre société. Donc, il est normal qu'il y ait des discussions. Ce que je veux, c'est que le débat reste finalement sur ce qui doit être tranché par nous. Il ne s'agit pas d'inventer je ne sais quelle opposition entre nous, ou je ne sais quelle rupture dont on sait très bien qu'elle n'aurait finalement que peu d'effet lorsque nous serions aux responsabilités. Donc, il s'agit de faire en sorte que les socialistes, le moment venu, à l'occasion de leur congrès, tranchent souverainement les questions qui peuvent nous séparer, pour fixer une ligne claire pour le Parti socialiste. C'est de ma responsabilité et je le ferai. Je prendrai moi-même la responsabilité, après un grand débat, de faire en sorte que ce soit sur les questions essentielles que nous nous rassemblions."
Vous ne craignez pas d'être débordé sur votre gauche ?
- "On est débordé lorsqu'on ne tient pas bien son cap. Il s'agit de faire en sorte de s'affirmer à gauche, de proposer une politique qui soit utile au pays, c'est-à-dire qui réponde à la fois aux exigences de développement, mais aussi à celles de la lutte contre les inégalités. Puis enfin - et c'est une grande leçon que j'ai retenue de L. Jospin, c'est que ce que l'on va de nouveau proposer au pays comme projet -, que nous soyons capable de le tenir. Le respect de la parole donnée. Quand on regarde l'ensemble des questions que vous m'avez posées, celle qui revient c'est : est-ce qu'on est capable ou pas de tenir ces engagements, et à qui les a-t-on promis ? Et quand on a promis aux mêmes, en l'occurrence au Medef, et qu'en plus, on est tenté de pas tenir ses engagements aux autres, c'est-à-dire aux salariés, il se passe un problème qui resurgit chaque fois que la droite est au pouvoir."
Qui a resurgi chez vous aussi ?
- "Je pense que nous n'avons pas su faire entendre clairement notre message à l'occasion de l'élection présidentielle. Nous avons été aussi divisés. Cela a donné le résultat que l'on sait. A nous de faire en sorte que la prochaine fois, nous nous placions en bonne ordre et sur un bon axe."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 sept 2002)