Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l'avenir de la Martinique, Fort-de-France le 28 octobre 1999.

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Circonstance : Déplacement du Premier ministre en Martinique et en Guadeloupe du 27 au 30 octobre 1999-rencontre des élus à la résidence départementale, Fort-de-France le 28 octobre 1999

Texte intégral

Monsieur le Sénateur, Président du conseil général,
Madame et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais d'abord remercier M. Claude LISE, président du conseil général, de son hospitalité, qui me permet, ainsi qu'aux ministres qui m'accompagnent, de rencontrer dans cette superbe résidence départementale les élus de la Martinique.
J'ai souhaité que cette rencontre permette un échange aussi direct que possible avec les parlementaires, les conseillers régionaux, les conseillers généraux et les maires du département. Après mon intervention, les ministres, Jean-Jack QUEYRANNE, Claude BARTOLONE, Marylise LEBRANCHU et moi-même répondrons volontiers à vos questions. Cet échange avec vous est un moment essentiel de ma visite dans votre département. J'ai vu, dans leur ville, les maires de Fort-de-France et du Vauclin. Mon emploi du temps ne me permettait pas d'aller à la rencontre de chacun d'entre-vous, au conseil général, au conseil régional, dans vos communes. C'est pourquoi je suis très heureux de vous rencontrer ici aujourd'hui.
Je voudrais aborder d'entrée de jeu deux questions pour lancer le débat. Qu'attend la Martinique de la République ? Comment préparer pour sa jeunesse un avenir meilleur ?
Qu'attend la Martinique de la République ?
Parlons de l'essentiel. Pourquoi sommes-nous ensemble ?
La Martinique est française par son histoire. Elle l'est parce que, scrutin après scrutin, elle confirme cette volonté de l'être.
Aimé CESAIRE, rapporteur du projet de loi sur la départementalisation, l'affirmait, le 12 mars 1946 à la tribune de l'Assemblée nationale : " La Martinique et la Guadeloupe qui sont françaises (...) depuis trois siècles participent au destin de la métropole et,(...) n'ont cessé de s'inscrire davantage dans la civilisation de la Mère-patrie ". Cette appartenance de la Martinique à la Nation est pleinement visible. Les Martiniquais ont apporté, dans tous les domaines, de la littérature au sport, une contribution forte et riche aux succès de notre pays. Et la Nation a témoigné à la Martinique la solidarité qu'elle lui devait, pour que soit pleinement reconnue aux citoyens des départements d'outre-mer leur égale dignité.
Un siècle après l'abolition de l'esclavage, l'apport incontestable de la départementalisation fut de mettre fin aux discriminations en permettant l'intégration. " L'assimilation ", comme on disait alors, visait à assurer aux habitants des D.O.M. les droits sociaux dont ils étaient privés.
Mesurons aujourd'hui le chemin parcouru, la couverture sociale étendue, l'égalité sociale presque atteinte, les progrès considérables en matière d'équipements, scolaires, sanitaires, routiers. Nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli ensemble.
Un demi-siècle plus tard, faut-il choisir une autre voie ? Les Martiniquais ne veulent certainement pas d'une régression économique et sociale. Je doute qu'ils veuillent choisir un chemin qui conduirait à une telle régression. Pour autant, nous ne pouvons nous dérober à la question de savoir si les solutions définies, il y a plus de 50 ans, sont toujours pertinentes, dans un contexte social, économique et international profondément modifié.
Avons-nous su mettre en uvre la départementalisation avec souplesse, intelligence et réalisme ? N'avons-nous pas parfois trop cédé à l'esprit de géométrie ?
Dans l'excellent rapport qu'il a élaboré avec M. Michel Tamaya, député de la Réunion, à la demande du Gouvernement, M. Claude LISE propose des pistes, que je crois prometteuses pour renouer avec les principes fondateurs de la départementalisation et tenir compte des besoins et des aspirations d'aujourd'hui. Je suis convaincu que le statut constitutionnel de département d'outre-mer, maintenant consacré par le traité d'Amsterdam, offre des garanties, des financements et une souplesse de fonctionnement tels que les aspirations et les besoins nouveaux des D.O.M. peuvent être satisfaits.
J'ajoute que la décentralisation, mise en uvre il y a près de vingt ans, par le gouvernement de M. Pierre Mauroy a été un puissant levier d'adaptation des politiques aux réalités locales. Comme vous le savez, M. Mauroy a bien voulu accepter la proposition que je lui ai faite de présider une commission sur l'avenir de la décentralisation en général. Les décisions qui résulteraient des propositions de cette commission bénéficieront naturellement aussi aux département d'outre-mer.
Mais sans attendre cette réforme nationale de la décentralisation, il est possible de faire évoluer l'organisation institutionnelle des D.O.M. Les propositions que vous recevrez au titre de l'avant-projet de loi d'orientation sur l'outre-mer porteront d'abord sur des transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités. Il semble également nécessaire d'apporter une solution aux problèmes nés de la coexistence, sur un même territoire, du conseil régional et du conseil général. Plutôt que d'envisager une fusion des deux assemblées, qui paraît - selon le Conseil constitutionnel - juridiquement difficile, à supposer qu'elle soit souhaitée, le Gouvernement proposera, suivant en cela la suggestion de M. LISE, que ces deux assemblées puissent se réunir périodiquement, pour examiner ensemble les questions d'intérêt commun et adresser des vux au Gouvernement, y compris sur l'évolution de l'organisation institutionnelle.
Enfin, le développement des relations de la Martinique et de la Guadeloupe avec leurs voisins, l'association des deux départements aux travaux des organisations régionales, affirmés dans leur principe depuis dix ans, doivent mieux entrer dans les faits. Pour favoriser la coopération régionale, il paraît aujourd'hui indispensable de la décentraliser en donnant aux présidents des conseils généraux et régionaux la capacité de nouer des relations avec les Etats voisins, dans le respect du droit international et des dispositions de la Constitution.
Ces modifications institutionnelles permettront, avec celles qui pourraient être retenues dans le futur, de donner à la Martinique davantage de responsabilités.
La Martinique attend aussi de la République qu'elle continue de lui témoigner la solidarité qui permet l'égalité et favorise le développement. Permettez-moi d'y insister en évoquant les attentes de la jeunesse martiniquaise.
Comment préparer pour la jeunesse martiniquaise un avenir meilleur ?
Votre jeunesse est nombreuse. Elle est exigeante. Elle nous jugera sur notre capacité à lui préparer ensemble un avenir digne des valeurs que nous lui enseignons.
Cet avenir, nous devons d'abord affirmer ce qu'il ne doit pas être. Il ne peut être un avenir de violence, où régneraient le racisme, la drogue et l'insécurité. Nous devons aider les jeunes de la Martinique à échapper à ces fléaux, déjà trop présents aujourd'hui dans l'île, comme souvent dans les autres pays de la région.
Cet avenir ne peut être davantage un avenir d'inégalités, d'exclusion ou d'assistance.
Nous devons veiller à la sécurité. Nous devons faire reculer la violence. Le recours de plus en plus fréquent à des drogues dures est inacceptable.
Nous devons réaffirmer les valeurs de notre société, la tolérance, le respect de l'autre, la liberté d'expression, la solidarité. Les comportements racistes, quels qu'en soit les auteurs et les cibles, sont une insulte pour la Martinique comme pour la France.
Nous devons offrir à la jeunesse martiniquaise la possibilité de s'intégrer socialement par le travail. Nous le savons tous, le chômage des jeunes atteint aux Antilles un niveau tel qu'il est devenu un problème majeur de société. La solution ne peut être trouvée dans des allocations de substitution. Ce sont de vrais emplois que les jeunes attendent. Nous travaillons, dans le cadre de la préparation du projet de loi qui sera présenté par M. Jean-Jack QUEYRANNE au Parlement, sur un ensemble de propositions inspirées, notamment, de M. FRAGONARD.
Nous devons aussi redonner à la jeunesse martiniquaise confiance en la démocratie. Un comportement exemplaire des élus est indispensable pour convaincre les jeunes que la vie politique, et d'abord l'élection, méritent leur attention, voire leur engagement.
Leur avenir se prépare d'abord à l'école. L'Etat et les collectivités devront poursuivre l'effort considérable qu'ils ont fourni depuis vingt ans pour répondre à la demande d'éducation. Après l'école, l'avenir de la jeunesse dépend aussi de la création d'emplois. Il ne faut pas exclure qu'une partie des jeunes souhaite trouver des emplois en métropole ou à l'étranger. Il faut d'ailleurs, me semble-t-il, mieux encourager ceux qui les y cherchent. La plupart cependant veulent trouver un emploi en Martinique. Nous devons donc conforter les secteurs traditionnels de l'économie martiniquaise comme l'agriculture. Il faut aussi compenser pour les secteurs exposés à la concurrence internationale et pour les entreprises les plus fragiles les handicaps liés à l'insularité. Un des moyens les plus appropriés dans les D.O.M. paraît être l'allégement des charges sociales. La loi d'orientation prévoira un dispositif nouveau dans cette direction. La loi sur les 35 heures, dans les D.O.M. comme en Métropole, peut être un outil précieux pour la création d'emplois.
A cet égard, je voudrais vous dire que l'Etat ne vous a pas fait défaut. Ce Gouvernement a accompli des efforts considérables pour attribuer aux départements d'outre-mer les postes d'enseignants nécessaires. Le plan de rattrapage pour la période 1998-2001 se traduira par 3.700 emplois supplémentaires pour les D.O.M., dont 415 pour la Martinique. L'Etat a également accompagné l'effort de construction scolaire des collectivités locales en augmentant sensiblement la dotation régionale d'équipements scolaires et en recourrant à la procédure contractuelle. La carte des zones d'éducation prioritaire a été revue.
En matière d'enseignement supérieur, je veux souligner que le volet " université du troisième millénaire " (U3M.), proposé aux départements d'outre-mer pour les prochains contrats de plan est très substantiel.
Mesdames et Messieurs,
Voici quelques pistes pour notre débat d'aujourd'hui et pour ceux qui auront lieu autour du projet de loi d'orientation sur l'outre-mer. Le gouvernement veut faire de ce texte, dont la discussion au Parlement débutera au premier semestre de l'année prochaine, une étape décisive pour l'accès des D.O.M. à de plus grandes responsabilités, pour redynamiser leurs économies, pour créer davantage d'emplois. M. Jean-Jack QUEYRANNE et moi-même attendons des assemblées de l'outre-mer qu'elles améliorent et complètent le projet qui vous sera soumis. Je compte sur vous dès maintenant pour me dire sans détours ce qui vous paraît essentiel pour que la Martinique soit mieux assurée d'elle-même et de son avenir.
Mais, quelle que soit l'urgence de cette discussion, prenons quelque temps pour faire honneur à la table du Président.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 3 novembre 1999)