Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui et vous remercie de votre invitation à ces 12es Entretiens de la COB - qui seront sans doute les derniers... sous cette appellation, avant les 1ers Entretiens de l'AMF ! En associant le Conseil des marchés financiers à l'organisation de ces entretiens, la COB a d'ailleurs anticipé cette évolution.
Le thème de vos réflexions, " régulation et maîtrise des risques des marchés financiers ", ne pouvait être mieux choisi.
Il est tout d'abord à la mesure de la carrière professionnelle et des sujets d'intérêt voire de passion du nouveau président de la COB, Jean-François LEPETIT, " homme de marché " devenu régulateur. Je le remercie d'avoir accepté cette nouvelle mission avec enthousiasme.
Il est aussi et surtout au coeur des préoccupations actuelles des autorités françaises. Comme vous le savez, le Président de la République a souhaité faire de la stabilité et de la gouvernance des marchés un axe majeur de la présidence française du G7, qui débute en janvier. C'est d'ailleurs afin de préparer cette présidence que j'ai demandé à Michel PRADA, que je suis heureux de saluer, de dresser un état des lieux et de réfléchir aux propositions que la France pourrait avancer auprès de ses partenaires. Comme vous le savez également, je présenterai prochainement un projet de loi de sécurité financière. Il s'inscrit dans un cadre de réflexion global qui est au coeur de vos échanges aujourd'hui.
Les risques des marchés financiers et, partant, l'importance de la régulation tendant à les prévenir et, si nécessaire, à les corriger ou à les sanctionner, avaient été quelque peu perdus de vue au cours de la période d'inflation des valeurs que nous avons connue entre 1998 et 2000. Depuis, ces risques n'ont cessé de se manifester, de manière de plus en plus violente. C'est tout d'abord le retournement à la baisse des marchés d'actions, qui n'est pas un phénomène nouveau en tant que tel, mais qui est exceptionnel, dans l'histoire récente, par son ampleur et sa durée. C'est ensuite un certain nombre de faillites retentissantes, qui ont révélé l'inadaptation de certaines règles (par exemple en matière de normes comptables) et le dévoiement de certains comportements en matière de gouvernement d'entreprise, d'audit des comptes, d'analyse financière. C'est enfin, traduction ultime de ces phénomènes, une augmentation marquée de la volatilité, qui a pu, à certaines dates ou pour certaines valeurs, atteindre des niveaux historiquement élevés dénotant la perte de tout repère de comportement.
Comme leurs homologues étrangers, la COB et le CMF ont entrepris d'apprécier les évolutions récentes de la volatilité et d'en rechercher les causes. Je suis évidemment impatient de connaître les résultats de ce travail, dont je mesure la difficulté. Je précise tout de suite qu'il ne s'agit pas de lutter à tout prix contre la volatilité : elle est une constante des marchés financiers, elle reflète l'incertitude fondamentale dans laquelle ils évoluent, elle n'est donc pas critiquable ni nocive en soi. Mais l'expérience récente montre que ses excès peuvent grandement déstabiliser les acteurs des marchés financiers : émetteurs, investisseurs et épargnants, mais aussi intermédiaires et gestionnaires, et ce faisant ébranler le système économique qu'ils ont la responsabilité de faire fonctionner.
Dans ce contexte de risques accrus, la régulation prend toute sa place pour restaurer la confiance dans les marchés financiers. Cet objectif est fondamental, car il ne faut jamais oublier que l'enjeu final en est le financement de notre économie. Il n'y a pas d'un coté une sphère financière, et de l'autre une sphère réelle, qui seraient totalement déconnectées et pourraient s'ignorer. Nos entreprises et notre économie ont besoin de marchés financiers solides pour respirer, pour s'adapter, pour asseoir leur croissance, et c'est pour cela aussi que je suis déterminé à agir avec le concours des acteurs du marché.
Il nous faut retrouver des repères. J'en vois essentiellement quatre : des autorités de régulation fortes, une organisation des marchés efficiente, des acteurs responsabilisés, et des règles comptables claires.
1- Il s'agit tout d'abord d'avoir des autorités de régulation fortes.
- Avec l'Autorité des marchés financiers, qui résultera de la fusion de la COB, du CMF et du CDGF, la France se dotera d'un régulateur à la mesure des enjeux nouveaux des marchés financiers et à même de tenir son rang face à ses homologues étrangers. Je profite de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous remercier des réponses documentées que vous avez apportées à la consultation lancée à ma demande par le directeur du Trésor, et dont je retire le sentiment que ce projet fait l'objet d'un grand consensus sur la place de Paris. La fusion des différentes institutions actuelles permettra de rendre notre système de régulation plus efficace, grâce notamment à une capacité de contrôle que je souhaite accrue et à un mécanisme de sanctions rapide et sûr. Dans cet esprit, je veillerai à ce que l'Autorité des marchés financiers dispose, sur les plans juridique et financier, de tous les moyens dont elle aura besoin pour remplir sa mission.
La fusion rendra également notre système plus lisible et moins coûteux pour les émetteurs - je pense par exemple aux offres publiques. Je vous confirme que ce projet de loi sera examiné au Parlement début 2003. Je sais par ailleurs que, grâce aux efforts conjugués de Jean-François LEPETIT, que j'ai chargé de coordonner le rapprochement, et de Monique BOURVEN, présidente du CMF, le chantier de la fusion avance bien au plan opérationnel.
- Du côté prudentiel, essentiel dans un contexte où la stabilité financière repose largement sur la solidité des institutions financières, le projet de loi permettra de rationaliser la surveillance prudentielle du secteur de l'assurance, en fusionnant les deux autorités de contrôle du secteur, la CCA et la CCMIP. Il permettra également de développer les coopérations entre le superviseur du secteur bancaire, la Commission bancaire, et le nouveau superviseur du secteur de l'assurance, la Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance. Il permettra enfin de rationaliser le paysage de nos instances consultatives dans le secteur financier, en le rendant plus cohérent.
2- Mais la régulation doit s'appliquer également aux acteurs de marché eux-mêmes.
Notre droit offre aujourd'hui un haut niveau de régulation des différents intermédiaires de marché, et donc de protection pour les émetteurs et les investisseurs et épargnants qui y recourent.
Je souhaite que ces exigences, ainsi que celles, souvent comparables, qui peuvent exister chez nos voisins, soient reprises au niveau européen. C'est pourquoi la France soutient la démarche engagée par la Commission à travers son Plan d'action sur les services financiers. Il en va de même de la simplification et de l'accélération de la procédure de production des normes à travers ce qu'on appelle le processus Lamfalussy, que nous souhaitons voir étendu, dans des conditions comparables, à la banque et à l'assurance. Je salue à cette occasion la contribution constructive du Comité européen des valeurs mobilières (CESR), dans l'animation duquel la COB joue un grand rôle. Dans cet esprit, la France a soutenu l'adoption de la directive sur les abus de marché ; elle a joué un rôle moteur dans l'élaboration d'un compromis sur le projet de directive sur les prospectus. Elle a plaidé à cette occasion pour que la construction du marché unique des services financiers ne se traduise pas par une dégradation du contrôle de l'information des marchés ; elle soutiendra enfin l'adoption de la directive sur les OPA.
Un mot maintenant des enjeux autour de la révision de la directive sur les services d'investissement, dont la Commission européenne vient d'adopter le projet.
Je le dis très clairement : je suis favorable à la concurrence, tant entre les marchés réglementés eux-mêmes qu'entre les marchés réglementés et d'autres formes de systèmes de transactions ; c'est en effet la concurrence qui pousse les différentes plates-formes à se moderniser et à rendre un service toujours moins coûteux aux émetteurs comme aux investisseurs et épargnants. Pour autant, les différents systèmes doivent être placés, au plan réglementaire, sur un pied d'égalité. L'encouragement légitime à la concurrence ne doit pas déboucher sur une excessive fragmentation des marchés, où les informations et les prix ne seraient plus aussi bien partagés, où les investisseurs, et notamment les plus petits d'entre eux, perdraient les garanties de bonne exécution des ordres dont ils disposent aujourd'hui, où les régulateurs verraient leur tâche compliquée. J'observe d'ailleurs que les régulateurs américains, après avoir encouragé la fragmentation des marchés, sont aujourd'hui déterminés à revenir sur ce qu'ils considèrent comme des effets pervers excessifs. Nous aurions donc tort de reproduire en Europe avec quelques années de retard un modèle dont on constate aujourd'hui qu'il n'est pas sans défauts. Je m'arrête là, car je sais que ce sujet doit encore faire l'objet de longs débats, cet après-midi et dans les mois qui viennent ! Mais sachez que la France fera entendre sa voix.
Au delà du champ de la régulation, il demeure encore des " entités non régulées ", dont l'activité notamment d'arbitrage et le pouvoir de levier sont régulièrement considérés comme un facteur de déstabilisation des marchés financiers ou, au moins, d'amplification de leurs évolutions. Il faut bien évidemment laisser l'innovation financière et les talents individuels de gestion s'exprimer librement. Néanmoins, une réflexion doit s'engager, au niveau international, sur les obligations de transparence de ces entités, et sur les techniques qui leur permettent de prendre des positions parfois massives. Je sais que, comme le régulateur britannique, la COB, le CMF et la Banque de France réfléchissent à des questions comme les ventes à découvert et les prêts de titres. L'AMF devra jouer tout son rôle, pour que notre cadre juridique soit adapté sans cesse à des métiers en constante mutation. J'attends des recommandations d'action des régulateurs sur ces questions importantes.
Les règles du marché doivent être claires, il faut des régulateurs forts, il faut aussi des acteurs solides sur tous les maillons de la chaîne de la transparence financière.
3- Certains acteurs produisent sur les entreprises de l'information "indépendante", qui prend aux yeux du marché une valeur particulière, presque d'intérêt général. Ils jouent un rôle "d'auxiliaires de la transparence" qui mérite une attention particulière. Il s'agit des commissaires aux comptes, des analystes financiers et des agences de notation.
a) S'agissant des commissaires aux comptes, notre cadre juridique et nos pratiques sont d'ores et déjà bien souvent en avance par rapport à ce que l'on trouve ailleurs en Europe et Outre Atlantique. Nous devons maintenir cette exemplarité dans un contexte difficile. La transparence des rémunérations des commissaires aux comptes, qui a fait l'objet de travaux de place sous l'égide de la COB, va dans ce sens, et j'ai homologué son règlement du 15 octobre dernier. Nous devons encore progresser dans trois directions. D'abord, les conditions de sélection et de désignation des commissaires aux comptes. Nous devons veiller à ce que l'indépendance des commissaires aux comptes vis à vis du management soit strictement assurée. Les moyens d'y parvenir varient selon les pays ; en France la réflexion est bien engagée ; le comité d'audit a un rôle majeur à jouer sur ce point mais il faudra peut-être poser quelques règles simples sans bouleverser le cadre juridique existant. Il s'agit ensuite de l'interdiction d'exercer au profit d'un même client des fonctions d'audit et de conseil. Celle-ci existe déjà en principe mais devra être élargie aux réseaux, sans pour autant condamner la pluridisciplinarité, gage d'efficacité du contrôle. Cette clarification aura sans aucun doute un coût, mais il est dans l'intérêt de la collectivité des entreprises et donc de chacune d'entre elles. Il s'agit enfin de la création d'une autorité de contrôle externe à la profession. Tout le monde en convient désormais, l'autorégulation a fait son temps. C'est le sens du message délivré il y a quelques jours par René Ricol, nouveau président de l'IFAC. Le Conseil supérieur du commissariat aux comptes sur lequel nous travaillons avec mon collègue Dominique Perben sera chargé de garantir l'indépendance et l'autorité des commissaires aux comptes. Il devra bien sûr disposer des moyens, des compétences et des pouvoirs lui permettant d'exercer pleinement ce rôle. Je souhaite que cette nouvelle autorité puisse bénéficier de l'expérience acquise par la COB dans les années récentes en matière de contrôle des comptes des sociétés cotées. Je souhaite également qu'elle noue des liens forts avec la future Autorités des marchés financiers, car les entreprises qui font appel public à l'épargne nécessitent une vigilance particulière.
b) S'agissant des analystes financiers, des réformes ont été menées en France en 2002. Après l'adoption de la directive sur les abus de marché, le comité européen des régulateurs doit produire ses recommandations pour harmoniser les dispositions relatives à l'indépendance des analystes. C'est un sujet majeur, sur lequel des évolutions radicales semblent se dessiner aux Etats-Unis. L'Europe et les institutions financières européennes doivent être irréprochables sur ce terrain.
c) S'agissant des agences de notation, je note que la loi Sarbanes Oxley a demandé à la SEC une réflexion sur ces acteurs majeurs de notre système économique. Cette réflexion est légitime, compte tenu de leur influence sur les mouvements de marché. Mais nous ne devons pas nous résigner à une situation où la SEC, seul régulateur mondial de fait en la matière, édicterait des règles s'appliquant au reste du monde. Nous devons engager le dialogue au niveau international sur ce sujet. J'y veillerai dans le cadre de la présidence française du G7 en 2003.
Bien entendu, tous ces éléments externes de contrôle ne remplaceront jamais une bonne gouvernance des entreprises qui est à la source d'une bonne maîtrise des risques. Vous savez quelle est ma conception du rôle de l'Etat dans ce domaine : les entreprises doivent s'engager résolument à mettre en uvre les meilleures pratiques, et notamment les recommandations du groupe de place conduit par Daniel Bouton ; l'Etat poursuivra quant à lui la modernisation du cadre législatif pour garantir mieux encore l'exercice des contrepouvoirs, notamment par l'assemblée générale des actionnaires. Je suis sûr que l'autorité des marchés financiers aura sa part dans la mise en uvre de ces principes de bonne gouvernance.
Tout ceci nous amène bien sûr aux normes comptables car comment se pencher sur les risques du marché sans s'interroger sur leur pertinence ?
4- Une meilleure maîtrise des risques suppose en effet des normes comptables qui permettent de les mesurer de manière lisible et sans effets pervers. C'est une question austère mais vitale, qui doit donc mobiliser toutes nos énergies.
Je le répète, la France soutient le choix européen des normes IAS pour les comptes consolidés des sociétés cotées. Mais celui-ci n'implique pas pour autant une adoption aveugle, et le débat est vif sur certaines normes dont l'état de maturation est contestable. Les normes retenues ne doivent notamment pas accroître l'instabilité financière ; ces préoccupations me semblent partagées dans d'autres Etats. Nous devons aussi mieux anticiper les questions qui se poseront demain, et accélérer nos réflexions sur la manière dont cette évolution inter-agit sur les comptes sociaux et les comptes des petites et moyennes entreprises. Vous le savez sans doute, plusieurs de nos partenaires européens ont d'ores et déjà décidé de passer au tout IAS dès 2005.
Sans attendre le passage aux normes internationales, nos propres règles doivent permettre de toujours mieux appréhender et rendre compte des risques. Le projet de loi de sécurité financière reprendra donc la proposition qui m'a été faite par le président de la COB et le gouverneur de la Banque de France pour mieux encadrer les montages dits " déconsolidants ". Les règles de consolidation seront renforcées de façon à ne plus conditionner la consolidation à l'actionnariat, mais à des critères de risque conformes aux normes IAS. Ceci permettra d'éviter que ne puissent subsister des risques qui ne seraient consolidés par aucune entité. Sur ce point important, nous avons intérêt à anticiper la modernisation en cours des directives comptables.
Monsieur le Président, vous avez décrit dans votre livre récent " la marche des régulateurs ", qui nous aidera à une meilleure maîtrise des risques des marchés financiers. Soyez sûr que je vous accompagnerai avec résolution sur ce chemin difficile mais indispensable à une saine performance de nos entreprises et donc de notre pays.
Je vous remercie.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 25 novembre 2002)
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui et vous remercie de votre invitation à ces 12es Entretiens de la COB - qui seront sans doute les derniers... sous cette appellation, avant les 1ers Entretiens de l'AMF ! En associant le Conseil des marchés financiers à l'organisation de ces entretiens, la COB a d'ailleurs anticipé cette évolution.
Le thème de vos réflexions, " régulation et maîtrise des risques des marchés financiers ", ne pouvait être mieux choisi.
Il est tout d'abord à la mesure de la carrière professionnelle et des sujets d'intérêt voire de passion du nouveau président de la COB, Jean-François LEPETIT, " homme de marché " devenu régulateur. Je le remercie d'avoir accepté cette nouvelle mission avec enthousiasme.
Il est aussi et surtout au coeur des préoccupations actuelles des autorités françaises. Comme vous le savez, le Président de la République a souhaité faire de la stabilité et de la gouvernance des marchés un axe majeur de la présidence française du G7, qui débute en janvier. C'est d'ailleurs afin de préparer cette présidence que j'ai demandé à Michel PRADA, que je suis heureux de saluer, de dresser un état des lieux et de réfléchir aux propositions que la France pourrait avancer auprès de ses partenaires. Comme vous le savez également, je présenterai prochainement un projet de loi de sécurité financière. Il s'inscrit dans un cadre de réflexion global qui est au coeur de vos échanges aujourd'hui.
Les risques des marchés financiers et, partant, l'importance de la régulation tendant à les prévenir et, si nécessaire, à les corriger ou à les sanctionner, avaient été quelque peu perdus de vue au cours de la période d'inflation des valeurs que nous avons connue entre 1998 et 2000. Depuis, ces risques n'ont cessé de se manifester, de manière de plus en plus violente. C'est tout d'abord le retournement à la baisse des marchés d'actions, qui n'est pas un phénomène nouveau en tant que tel, mais qui est exceptionnel, dans l'histoire récente, par son ampleur et sa durée. C'est ensuite un certain nombre de faillites retentissantes, qui ont révélé l'inadaptation de certaines règles (par exemple en matière de normes comptables) et le dévoiement de certains comportements en matière de gouvernement d'entreprise, d'audit des comptes, d'analyse financière. C'est enfin, traduction ultime de ces phénomènes, une augmentation marquée de la volatilité, qui a pu, à certaines dates ou pour certaines valeurs, atteindre des niveaux historiquement élevés dénotant la perte de tout repère de comportement.
Comme leurs homologues étrangers, la COB et le CMF ont entrepris d'apprécier les évolutions récentes de la volatilité et d'en rechercher les causes. Je suis évidemment impatient de connaître les résultats de ce travail, dont je mesure la difficulté. Je précise tout de suite qu'il ne s'agit pas de lutter à tout prix contre la volatilité : elle est une constante des marchés financiers, elle reflète l'incertitude fondamentale dans laquelle ils évoluent, elle n'est donc pas critiquable ni nocive en soi. Mais l'expérience récente montre que ses excès peuvent grandement déstabiliser les acteurs des marchés financiers : émetteurs, investisseurs et épargnants, mais aussi intermédiaires et gestionnaires, et ce faisant ébranler le système économique qu'ils ont la responsabilité de faire fonctionner.
Dans ce contexte de risques accrus, la régulation prend toute sa place pour restaurer la confiance dans les marchés financiers. Cet objectif est fondamental, car il ne faut jamais oublier que l'enjeu final en est le financement de notre économie. Il n'y a pas d'un coté une sphère financière, et de l'autre une sphère réelle, qui seraient totalement déconnectées et pourraient s'ignorer. Nos entreprises et notre économie ont besoin de marchés financiers solides pour respirer, pour s'adapter, pour asseoir leur croissance, et c'est pour cela aussi que je suis déterminé à agir avec le concours des acteurs du marché.
Il nous faut retrouver des repères. J'en vois essentiellement quatre : des autorités de régulation fortes, une organisation des marchés efficiente, des acteurs responsabilisés, et des règles comptables claires.
1- Il s'agit tout d'abord d'avoir des autorités de régulation fortes.
- Avec l'Autorité des marchés financiers, qui résultera de la fusion de la COB, du CMF et du CDGF, la France se dotera d'un régulateur à la mesure des enjeux nouveaux des marchés financiers et à même de tenir son rang face à ses homologues étrangers. Je profite de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous remercier des réponses documentées que vous avez apportées à la consultation lancée à ma demande par le directeur du Trésor, et dont je retire le sentiment que ce projet fait l'objet d'un grand consensus sur la place de Paris. La fusion des différentes institutions actuelles permettra de rendre notre système de régulation plus efficace, grâce notamment à une capacité de contrôle que je souhaite accrue et à un mécanisme de sanctions rapide et sûr. Dans cet esprit, je veillerai à ce que l'Autorité des marchés financiers dispose, sur les plans juridique et financier, de tous les moyens dont elle aura besoin pour remplir sa mission.
La fusion rendra également notre système plus lisible et moins coûteux pour les émetteurs - je pense par exemple aux offres publiques. Je vous confirme que ce projet de loi sera examiné au Parlement début 2003. Je sais par ailleurs que, grâce aux efforts conjugués de Jean-François LEPETIT, que j'ai chargé de coordonner le rapprochement, et de Monique BOURVEN, présidente du CMF, le chantier de la fusion avance bien au plan opérationnel.
- Du côté prudentiel, essentiel dans un contexte où la stabilité financière repose largement sur la solidité des institutions financières, le projet de loi permettra de rationaliser la surveillance prudentielle du secteur de l'assurance, en fusionnant les deux autorités de contrôle du secteur, la CCA et la CCMIP. Il permettra également de développer les coopérations entre le superviseur du secteur bancaire, la Commission bancaire, et le nouveau superviseur du secteur de l'assurance, la Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance. Il permettra enfin de rationaliser le paysage de nos instances consultatives dans le secteur financier, en le rendant plus cohérent.
2- Mais la régulation doit s'appliquer également aux acteurs de marché eux-mêmes.
Notre droit offre aujourd'hui un haut niveau de régulation des différents intermédiaires de marché, et donc de protection pour les émetteurs et les investisseurs et épargnants qui y recourent.
Je souhaite que ces exigences, ainsi que celles, souvent comparables, qui peuvent exister chez nos voisins, soient reprises au niveau européen. C'est pourquoi la France soutient la démarche engagée par la Commission à travers son Plan d'action sur les services financiers. Il en va de même de la simplification et de l'accélération de la procédure de production des normes à travers ce qu'on appelle le processus Lamfalussy, que nous souhaitons voir étendu, dans des conditions comparables, à la banque et à l'assurance. Je salue à cette occasion la contribution constructive du Comité européen des valeurs mobilières (CESR), dans l'animation duquel la COB joue un grand rôle. Dans cet esprit, la France a soutenu l'adoption de la directive sur les abus de marché ; elle a joué un rôle moteur dans l'élaboration d'un compromis sur le projet de directive sur les prospectus. Elle a plaidé à cette occasion pour que la construction du marché unique des services financiers ne se traduise pas par une dégradation du contrôle de l'information des marchés ; elle soutiendra enfin l'adoption de la directive sur les OPA.
Un mot maintenant des enjeux autour de la révision de la directive sur les services d'investissement, dont la Commission européenne vient d'adopter le projet.
Je le dis très clairement : je suis favorable à la concurrence, tant entre les marchés réglementés eux-mêmes qu'entre les marchés réglementés et d'autres formes de systèmes de transactions ; c'est en effet la concurrence qui pousse les différentes plates-formes à se moderniser et à rendre un service toujours moins coûteux aux émetteurs comme aux investisseurs et épargnants. Pour autant, les différents systèmes doivent être placés, au plan réglementaire, sur un pied d'égalité. L'encouragement légitime à la concurrence ne doit pas déboucher sur une excessive fragmentation des marchés, où les informations et les prix ne seraient plus aussi bien partagés, où les investisseurs, et notamment les plus petits d'entre eux, perdraient les garanties de bonne exécution des ordres dont ils disposent aujourd'hui, où les régulateurs verraient leur tâche compliquée. J'observe d'ailleurs que les régulateurs américains, après avoir encouragé la fragmentation des marchés, sont aujourd'hui déterminés à revenir sur ce qu'ils considèrent comme des effets pervers excessifs. Nous aurions donc tort de reproduire en Europe avec quelques années de retard un modèle dont on constate aujourd'hui qu'il n'est pas sans défauts. Je m'arrête là, car je sais que ce sujet doit encore faire l'objet de longs débats, cet après-midi et dans les mois qui viennent ! Mais sachez que la France fera entendre sa voix.
Au delà du champ de la régulation, il demeure encore des " entités non régulées ", dont l'activité notamment d'arbitrage et le pouvoir de levier sont régulièrement considérés comme un facteur de déstabilisation des marchés financiers ou, au moins, d'amplification de leurs évolutions. Il faut bien évidemment laisser l'innovation financière et les talents individuels de gestion s'exprimer librement. Néanmoins, une réflexion doit s'engager, au niveau international, sur les obligations de transparence de ces entités, et sur les techniques qui leur permettent de prendre des positions parfois massives. Je sais que, comme le régulateur britannique, la COB, le CMF et la Banque de France réfléchissent à des questions comme les ventes à découvert et les prêts de titres. L'AMF devra jouer tout son rôle, pour que notre cadre juridique soit adapté sans cesse à des métiers en constante mutation. J'attends des recommandations d'action des régulateurs sur ces questions importantes.
Les règles du marché doivent être claires, il faut des régulateurs forts, il faut aussi des acteurs solides sur tous les maillons de la chaîne de la transparence financière.
3- Certains acteurs produisent sur les entreprises de l'information "indépendante", qui prend aux yeux du marché une valeur particulière, presque d'intérêt général. Ils jouent un rôle "d'auxiliaires de la transparence" qui mérite une attention particulière. Il s'agit des commissaires aux comptes, des analystes financiers et des agences de notation.
a) S'agissant des commissaires aux comptes, notre cadre juridique et nos pratiques sont d'ores et déjà bien souvent en avance par rapport à ce que l'on trouve ailleurs en Europe et Outre Atlantique. Nous devons maintenir cette exemplarité dans un contexte difficile. La transparence des rémunérations des commissaires aux comptes, qui a fait l'objet de travaux de place sous l'égide de la COB, va dans ce sens, et j'ai homologué son règlement du 15 octobre dernier. Nous devons encore progresser dans trois directions. D'abord, les conditions de sélection et de désignation des commissaires aux comptes. Nous devons veiller à ce que l'indépendance des commissaires aux comptes vis à vis du management soit strictement assurée. Les moyens d'y parvenir varient selon les pays ; en France la réflexion est bien engagée ; le comité d'audit a un rôle majeur à jouer sur ce point mais il faudra peut-être poser quelques règles simples sans bouleverser le cadre juridique existant. Il s'agit ensuite de l'interdiction d'exercer au profit d'un même client des fonctions d'audit et de conseil. Celle-ci existe déjà en principe mais devra être élargie aux réseaux, sans pour autant condamner la pluridisciplinarité, gage d'efficacité du contrôle. Cette clarification aura sans aucun doute un coût, mais il est dans l'intérêt de la collectivité des entreprises et donc de chacune d'entre elles. Il s'agit enfin de la création d'une autorité de contrôle externe à la profession. Tout le monde en convient désormais, l'autorégulation a fait son temps. C'est le sens du message délivré il y a quelques jours par René Ricol, nouveau président de l'IFAC. Le Conseil supérieur du commissariat aux comptes sur lequel nous travaillons avec mon collègue Dominique Perben sera chargé de garantir l'indépendance et l'autorité des commissaires aux comptes. Il devra bien sûr disposer des moyens, des compétences et des pouvoirs lui permettant d'exercer pleinement ce rôle. Je souhaite que cette nouvelle autorité puisse bénéficier de l'expérience acquise par la COB dans les années récentes en matière de contrôle des comptes des sociétés cotées. Je souhaite également qu'elle noue des liens forts avec la future Autorités des marchés financiers, car les entreprises qui font appel public à l'épargne nécessitent une vigilance particulière.
b) S'agissant des analystes financiers, des réformes ont été menées en France en 2002. Après l'adoption de la directive sur les abus de marché, le comité européen des régulateurs doit produire ses recommandations pour harmoniser les dispositions relatives à l'indépendance des analystes. C'est un sujet majeur, sur lequel des évolutions radicales semblent se dessiner aux Etats-Unis. L'Europe et les institutions financières européennes doivent être irréprochables sur ce terrain.
c) S'agissant des agences de notation, je note que la loi Sarbanes Oxley a demandé à la SEC une réflexion sur ces acteurs majeurs de notre système économique. Cette réflexion est légitime, compte tenu de leur influence sur les mouvements de marché. Mais nous ne devons pas nous résigner à une situation où la SEC, seul régulateur mondial de fait en la matière, édicterait des règles s'appliquant au reste du monde. Nous devons engager le dialogue au niveau international sur ce sujet. J'y veillerai dans le cadre de la présidence française du G7 en 2003.
Bien entendu, tous ces éléments externes de contrôle ne remplaceront jamais une bonne gouvernance des entreprises qui est à la source d'une bonne maîtrise des risques. Vous savez quelle est ma conception du rôle de l'Etat dans ce domaine : les entreprises doivent s'engager résolument à mettre en uvre les meilleures pratiques, et notamment les recommandations du groupe de place conduit par Daniel Bouton ; l'Etat poursuivra quant à lui la modernisation du cadre législatif pour garantir mieux encore l'exercice des contrepouvoirs, notamment par l'assemblée générale des actionnaires. Je suis sûr que l'autorité des marchés financiers aura sa part dans la mise en uvre de ces principes de bonne gouvernance.
Tout ceci nous amène bien sûr aux normes comptables car comment se pencher sur les risques du marché sans s'interroger sur leur pertinence ?
4- Une meilleure maîtrise des risques suppose en effet des normes comptables qui permettent de les mesurer de manière lisible et sans effets pervers. C'est une question austère mais vitale, qui doit donc mobiliser toutes nos énergies.
Je le répète, la France soutient le choix européen des normes IAS pour les comptes consolidés des sociétés cotées. Mais celui-ci n'implique pas pour autant une adoption aveugle, et le débat est vif sur certaines normes dont l'état de maturation est contestable. Les normes retenues ne doivent notamment pas accroître l'instabilité financière ; ces préoccupations me semblent partagées dans d'autres Etats. Nous devons aussi mieux anticiper les questions qui se poseront demain, et accélérer nos réflexions sur la manière dont cette évolution inter-agit sur les comptes sociaux et les comptes des petites et moyennes entreprises. Vous le savez sans doute, plusieurs de nos partenaires européens ont d'ores et déjà décidé de passer au tout IAS dès 2005.
Sans attendre le passage aux normes internationales, nos propres règles doivent permettre de toujours mieux appréhender et rendre compte des risques. Le projet de loi de sécurité financière reprendra donc la proposition qui m'a été faite par le président de la COB et le gouverneur de la Banque de France pour mieux encadrer les montages dits " déconsolidants ". Les règles de consolidation seront renforcées de façon à ne plus conditionner la consolidation à l'actionnariat, mais à des critères de risque conformes aux normes IAS. Ceci permettra d'éviter que ne puissent subsister des risques qui ne seraient consolidés par aucune entité. Sur ce point important, nous avons intérêt à anticiper la modernisation en cours des directives comptables.
Monsieur le Président, vous avez décrit dans votre livre récent " la marche des régulateurs ", qui nous aidera à une meilleure maîtrise des risques des marchés financiers. Soyez sûr que je vous accompagnerai avec résolution sur ce chemin difficile mais indispensable à une saine performance de nos entreprises et donc de notre pays.
Je vous remercie.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 25 novembre 2002)