Conférence de presse de M. Christian Sautter, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur le projet d'harmonisation des politiques fiscales au sein de l'Union européenne, l'annulation de la dette des pays les plus pauvres, l'efficacité du Conseil de l'euro et sur le budget européen, Bruxelles, le 8 novembre 1999.

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Circonstance : Conseil des ministres de l'économie et des finances de l'Union européenne, à Bruxelles, le 8 novembre 1999

Texte intégral


Je suis un Européen convaincu et je pense l'avoir montré à deux moments. D'abord en 1983, alors que je travaillais auprès du président Mitterrand. A cette époque, il y a eu une crise et un débat très aigu en France pour savoir si nous allions accepter les disciplines mais aussi les chances européennes ou si nous allions nous lancer dans une aventure solitaire. J'ai fait partie de ceux qui ont conseillé de rester dans le cadre européen et de poursuivre et d'approfondir la construction européenne. Le deuxième moment, c'était pendant l'été 1997, dans le nouveau gouvernement dirigé par
M. Lionel Jospin. J'ai travaillé de toutes mes forces avec Dominique Strauss-Kahn pour que la France puisse se qualifier pour l'euro.
Je vais vous dire très simplement que je suis partisan d'une Europe de la croissance et d'une Europe de l'emploi. Je prends le relais aujourd'hui, mais ayant travaillé en tandem avec Dominique Strauss-Kahn, et ayant plus particulièrement suivi les dossiers fiscaux européens ainsi que les dossiers budgétaires, j'étais un peu préparé à cela.
A propos de l'euro 11, j'ai constaté ce que vous savez, c'est-à-dire que l'euro 11 marche bien. Nous avons essentiellement parlé de la décision que la Banque centrale européenne de relever ses taux d'intérêt et tous les participants ont relevé que cette décision qui allait, si je puis dire, en sens inverse de celle qui avait été prise le 8 avril, à un moment où la croissance européenne était en difficulté, cette décision intervenait dans le contexte d'une croissance à présent robuste de la zone euro. Les participants ont souligné que, tandis que les taux courts ont augmenté, les taux longs, qui sont ceux qui comptent du point de vue de la croissance, ont continué à baisser.
Nous avons parlé des finances publiques belge et finlandaise. Je n'ai pu que saluer l'aurore boréale qui illumine l'économie finlandaise. C'est une performance assez extraordinaire.
Nous avons parlé aussi des divergences au sein de la zone euro. Notre sentiment collectif a été que ces divergences étaient faibles et qu'elles étaient en voie de réduction. Nous avons encouragé la Commission à poursuivre sur ce thème.
Pour ce premier euro 11 en tant que représentant de la France, j'ai été frappé par la qualité et la franchise des échanges et par la capacité collective de l'euro 11 - qui est une institution nouvelle - à aborder tous les sujets, des plus généraux aux plus précis.
En ce qui concerne le Conseil ECOFIN, nous avons parlé principalement de fiscalité, mais je vous dirai aussi un mot des pays méditerranéens.
En ce qui concerne le paquet fiscal, j'ai eu le sentiment que nous étions pour l'instant dans une Europe à deux vitesses, qu'il y avait une sorte de clivage. La très grande majorité des Etats se préoccupe de la très grande majorité de la population, celle qui paie des impôts, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises petites et moyennes qui paient des impôts souvent considérés comme très lourds. Quatorze des quinze Etats membres ont exprimé la conviction que l'engagement qui avait été pris il y a deux ans, en décembre 1997, de parvenir à un accord avant la fin 1999 sur un paquet fiscal présentant trois volets :
- le code de bonne conduite,
- la fiscalité de l'épargne
- la directive sur les intérêts et redevances.
Cet accord devrait effectivement aboutir à un résultat d'ici à la fin de cette année. Un Etat, que je ne citerai pas, ne partage pas cette analyse et d'autres ont exprimé quelques ambiguïtés, probablement temporaires. Nous sommes donc face à une question essentielle : quelle Europe voulons-nous ? Pouvons-nous penser avoir une Europe de la croissance et de l'emploi qui constitue un ensemble économique et monétaire intégré, si nous ne disposons pas d'un minimum de règles fiscales communes. Nous étions très nombreux à penser qu'en matière de fiscalité, il doit y avoir un équilibre entre la taxation de ce que l'on pourrait appeler les facteurs immobiles - disons grosso modo les revenus du travail - et les facteurs qui sont mobiles, les revenus du capital. Je pense d'ailleurs que l'on peut observer un clivage analogue entre les petites et moyennes entreprises qui créent l'essentiel de l'emploi et qui sont en général des contribuables locaux et de très grandes entreprises qui ont peut-être plus de facilités pour optimiser leurs fiscalités. Quelle a été la conclusion de cette confrontation ? Le président du Conseil, mon collègue Niinistö, va se rendre à Londres pour voir, je cite, "si nos amis britanniques montrent des signes de flexibilité". Personnellement, je crois que nos amis britanniques sont des pragmatiques et j'espère que nous pourrons déboucher d'ici à la fin du mois. Mais c'est un sujet difficile.
J'ai évoqué la question de la Méditerranée. Nous avons pu déboucher, à propos du mandat donné à la Banque européenne d'Investissement, sur un montant de 6,4 milliards d'euros qui sont définis avec la garantie du budget communautaire. Le président de la Banque européenne d'Investissement, avec le soutien de tous, a décider de consacrer, en sus, 500 millions d'euros pris sur les ressources propres de la BEI à des projets qui touchent à l'énergie et aux transports. C'est un sujet sur lequel la France insistait beaucoup parce qu'il y a un processus de paix au Moyen-Orient, il y a des évolutions politiques intéressantes en Algérie et au Maroc et je crois donc que nous sommes arrivés à un paquet satisfaisant.
Je passe plus rapidement sur les autres sujets :
Sur la coordination des politiques économiques, le principe est évidemment passé dans les moeurs. Il existe des enceintes reconnues pour ce faire - l'ECOFIN et l'euro 11 - et un instrument dont le rôle va croître, c'est ce que l'on appelle les grandes orientations de politique économique. J'ai insisté, comme beaucoup d'autres, pour que les parlements nationaux soient davantage associés à l'élaboration et à l'examen de ces grandes orientations de politique économique.
Sur la dette des pays pauvres, nous nous sommes mis d'accord sur deux points : d'abord le montant, c'est-à-dire que l'Europe prendra bien à sa charge, comme elle l'avait promis, l'équivalent d'un milliard d'euros et nous nous sommes également mis d'accord sur la répartition de ce milliard en deux volets - et deux volets seulement : un volet d'annulation des dettes communautaires entre 320 et 380 millions d'euros et le reste serait versé au "trustfund" qui permet d'annuler les dettes des pays pauvres très endettés.
Un point rapide sur la question des pièces en euro. Nous avons obtenu, c'est un point important, qu'elles puissent être mises en circulation 15 jours avant la date prévue de façon à ce que des personnes qui ont des difficultés, comme des personnes âgées ou des aveugles, puissent se familiariser avec ces pièces avec une période de double circulation limitée à deux mois.
Deux autres points :
J'ai fait part des inquiétudes de la France en ce qui concerne le budget européen tel qu'il sort de la première lecture du Parlement européen. Nous étions convenus d'un budget européen croissant de 2,8 % - c'était au mois de juillet - et le Parlement européen est passé, en rajoutant un certain nombre de dépenses, à une progression de 7 %. Cela paraît beaucoup trop.
Enfin, sur le paquet emploi, nous acceptons sans aucune restriction les recommandations de la Commission.
Q - Qu'est ce qui vous fait croire que l'on va trouver une solution au problème fiscal ?
R - Cela sera certainement très difficile, mais il y aura deux arguments qui peuvent donner une pointe d'optimisme en la matière. Premièrement, la France, l'Italie et l'Allemagne, dans un document commun, ont démontré que l'impact de ce prélèvement sur l'épargne serait très marginal pour le marché financier de la City. Le document britannique parle lui-même d'un chiffre - 10 % d'achat d'euro-obligations par les particuliers, mais parmi ces particuliers, il y a des citoyens britanniques et il y a des citoyens non européens. Il s'agit donc de 3 à 4 % de l'activité des banques de détail - si je puis dire - qui est en cause, autant dire que ce n'est pas un sujet qui touche au coeur du fonctionnement de la place de Londres, dont on sait qu'elle est une place très importante dans la compétition mondiale. Le deuxième argument est de nature plus politique. Je crois que tout le monde devrait partager l'idée qu'il ne peut pas y avoir une fiscalité à deux vitesses : c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir, comme je l'ai esquissé tout à l'heure, un système fiscal pour les salariés, pour les petites et moyennes entreprises, et puis un système fiscal différent pour une minorité de personnes physiques ou morales qui bénéficient de possibilités d'évasion fiscale dont les autres ne disposent pas. Je pense qu'au Royaume-Uni aussi, l'on doit avoir le sens de la justice fiscale. Je pense d'ailleurs que nous avons avancé en direction de la position britannique, nous avons accepté ce que l'on appelle la "clause du grand-père", c'est-à-dire que les euro-obligations existantes ne seront pas concernées. Ce ne sont que les nouvelles émissions qui seraient touchées. Nous avons ainsi cherché à ce que, le principe étant posé, la mise ne oeuvre soit progressive et ne perturbe pas la place financière de Londres. Mais je ne veux pas afficher un optimisme excessif. Je dis qu'il y a quelques raisons d'espérer une solution d'ici la fin novembre.
Q - Ce que vous avez dit à propos de la décision de la BCE d'augmenter ses taux signifie-t-il que l'euro 11 estime unanimement et approuve sans réserve cette décision ?
R - Nous avons eu une discussion avec M. Issing, qui était présent au nom de la Banque centrale européenne, et nous sommes tous tombés d'accord sur le fait que cette décision apportait bien la preuve que le contexte de croissance européen avait, en 6 mois - entre le 8 avril et le 4 novembre -, complètement changé. Et nous avons tous été sensibles au fait que les taux longs n'ont pas augmenté, mais au contraire plutôt baissé. Or, du point de vue de la dynamique de croissance de l'ensemble de nos pays, ce sont les taux longs qui sont évidemment les plus importants.
Q - Pour revenir aux affaires fiscales, la dernière fois, votre collègue luxembourgeois avait à la fois déposé un papier sur le problème des OPCVM et en même temps proposé que l'on ait un système 10% de taxation générale avec un régime libéral. Ce sujet a-t-il été évoqué et quelle a été, d'une manière générale, la position du Luxembourg parmi les 14 pays dont vous parliez tout à l'heure ?
R - M. Juncker est fréquemment intervenu dans le débat et vous avez raison de dire que le Luxembourg a aussi fourni une contribution. Ce que je voulais dire, c'est que 14 pays ont exprimé la volonté de trouver une solution. Dans ce cadre, le Luxembourg a apporté sa contribution. J'ai senti, parmi ces 15 pays moins 1, la volonté de trouver une solution et nous avons encore quelques jours pour y parvenir. De ce point de vue, M. Juncker s'est rangé dans le groupe de ceux qui cherchent une solution. Il a souligné un certain nombre de difficultés de nature technique ou autre, mais n'a pas contesté le principe selon lequel il fallait déboucher sur un paquet fiscal d'ici à la fin du mois de novembre.
Q - Concernant le budget, vous avez parlé du vote en première lecture du Parlement, mais pas de la position de la Commission qui propose notamment une révision partielle des perspectives financières.
R - Il y a effectivement deux sujets : le budget 2000 et les perspectives financières qui ont été adoptées à Berlin. Je n'ai parlé tout à l'heure que du budget 2000, en disant que le Parlement européen, qui a rajouté 800 millions d'euros sur les dépenses agricoles - la rubrique 1 - et plus de 2 milliards d'euros sur les fonds structurels, faisait passer la croissance du budget de 2,8 % - qui est déjà une progression significative, par rapport aux 2 % de hausse des prix qui sont prévus - à 7 %. Je vais donc plaider, le 26 novembre, car c'est un Conseil important auquel j'espère pouvoir participer, pour que l'on revienne aux 2,8 % de juillet.
En ce qui concerne les perspectives financières, le Parlement européen a proposé à la Commission, qui semble-t-il n'y a pas été indifférente, de réviser au nom des opérations des actions extérieures.
Ce que j'ai dit à mes collègues, prenant une image néerlandaise, c'est que si l'on fait un petit trou dans la digue des perspectives financières, au début il coulera très peu d'eau, mais ensuite cela pourra vraiment s'amplifier. Personnellement, je suis donc partisan de mettre le doigt dans ce petit trou et d'en rester strictement aux perspectives financières adoptées à Berlin, d'autant que l'on peut se débrouiller pour financer les besoins identifiés pour le Kosovo à l'intérieur de cette enveloppe financière qui est confortable. Je m'opposerai ainsi à une réouverture, même minime, des perspectives financières adoptées à Berlin.
Q - Concernant le paquet fiscal, s'il n'y a pas d'accord au mois de novembre, peut-on imaginer un vrai débat sur ce thème au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement à Helsinki et d'autre part vous attendez-vous à une sorte de dramatisation, parce qu'on a l'impression que ce dossier est traité avec beaucoup de mesure, comme un sujet important mais presque technique ?
R - Ce dossier n'est à l'évidence pas un dossier de caractère technique, parce qu'il engage une certaine philosophie de la construction européenne. On ne peut pas avoir une Europe intégrée du point de vue économique, commercial et monétaire avec des disparités fiscales qui soient trop importantes. Je ne vais pas spéculer sur ce qui pourrait se passer après le Conseil ECOFIN du 29 novembre. Le pire n'est jamais sûr. Moi, je fais confiance au pragmatisme britannique.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 1999)