Déclarations de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur la loi d'orientation agricole, notamment sur la multifonctionnalité de l'agriculture, le contrat territorial d'exploitation, l'organisation économique de la production agricole, les prix agricoles dans la cadre de la PAC, et la nécessité d'ouverture avec les autres acteurs du monde rural (Natura 2000), Clermont-Ferrand les 7 et 9 avril 1998.

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Circonstance : 52ème congrès de la FNSEA à Clermont-Ferrand du 7 au 9 avril 1998

Texte intégral

Discours d'ouverture de Luc Guyau Luc
Président de la FNSEA
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Mes Chers Amis,
En ouvrant ce 52ème Congrès de la FNSEA, je vous souhaite à tous la bienvenue, et un excellent travail au cours de ces deux jours de réflexion et de débat sur nos activités et sur nos orientations, qui s'ouvrent ce matin.
Je voudrais tout d'abord féliciter en votre nom l'Union départementale du Puy de Dôme, et tout particulièrement son président, Jacques Chazalet. Jacques, avec ton équipe de l'UDSEA tu as préparé ce Congrès avec beaucoup d'enthousiasme et de soin.
Je suis sûr que tous ceux ici qui ont déjà eu en charge l'organisation du Congrès de la FNSEA mesurent tout à fait l'ampleur du travail que cela représente.
Merci, à toi et à toute ton équipe départementale, pour tous les efforts que vous avez accomplis, au long de ces derniers mois. Des efforts que vous poursuivrez d'ailleurs au cours de ces deux journées, pour que notre Congrès soit pleinement réussi.
Après un tel investissement de ta part et de ta fédération, je ne doute pas que ce 52ème congrès marque à la fois un progrès pour l'orientation de notre syndicat et une étape importante dans le développement de l'UDSEA du Puy de Dôme.
Donc bravo et merci, Jacques !
Nous nous trouvons ici, à Clermont-Ferrand, dans le chef-lieu d'un département de l'Auvergne où l'agriculture remplit une fonction économique et sociale majeure, puisque près de 10 000 agriculteurs exploitent plus de 50 % de sa surface totale.
Cela fait 15 000 emplois directs permanents, soit autant que l'entreprise clermontoise mondialement connue Michelin ! D'ailleurs, comme l'agriculture départementale, Michelin a perdu la moitié de ses emplois locaux en 30 ans.
La différence entre les deux, c'est qu'une grande entreprise sait communiquer sur ses performances commerciales et financières, même lorsqu'elle perd des emplois, alors que nous oublions de communiquer sur ce que nous représentons en activités économiques et en emplois, parce que nous sommes trop souvent complexés d'être simplement nous-mêmes !
La multifonctionnalité de l'agriculture est ici une réalité tangible, qui est à la base du projet agricole départemental.
L'agriculture, c'est bien entendu, d'abord et surtout, l'élevage bovin lait et viande, puisque l'herbe occupe ici les 2/3 des surfaces agricoles. Ses herbages et ses productions de produits laitiers et carnés, génèrent une activité économique importante : citons des fromages célèbres comme le Saint Nectaire ou la Fourme d'Ambert ; et l'élevage bovin viande, jusqu'ici très orienté vers le maigre, que les professionnels du département essaient de tirer vers l'engraissement et des démarches de qualité.
Le Puy de Dôme, c'est bien sûr aussi des grandes cultures, des activités semencières, l'élevage ovin qui se développe aussi par des filières qualité, l'élevage porcin qui n'arrive pas à satisfaire la demande industrielle locale, et enfin une importante forêt, qui s'étend d'ailleurs parfois au détriment de l'agriculture.
L'agriculture de ce département, classée en zone de montagne à 80 %, fut pionnière en matière de politique de la montagne. Depuis une trentaine d'années, elle symbolise la réussite d'une mesure de soutien public somme toute modeste, mais qui a toujours lié aide publique et activité économique effective.
L'agriculteur de montagne n'est pas un planton, c'est un chef d'entreprise. Souhaitons que les orientations publiques à venir en matière d'agriculture, d'aménagement du territoire ou d'environnement non seulement n'oublient pas la politique de la montagne, mais s'en inspirent !
Sans l'élevage et ses paysages herbagers, sans économie agricole dynamique, la montagne et la campagne seraient bien inhospitalières, et gageons que la vie sociale dans son ensemble en serait affectée.
Car les agriculteurs contribuent à l'entretien de ces paysages magnifiques qui sont la base du tourisme vert et une voie intéressante de diversification des exploitations (l'agri-tourisme génère ici 500 emplois permanents, et 10 emplois de plus chaque année !). Ces paysages sont d'ailleurs habilement utilisés par les marques de fromage et d'eau minérale.
Comme partout en France, le Puy de Dôme est un département diversifié, contrasté même par ses productions, ses résultats économiques et ses ressources humaines. Différences d'orientation bien sûr, mais aussi de concentration des productions : entre le Nord et le Sud, entre l'Ouest et l'Est.
Voilà en somme un modèle réduit de notre agriculture française actuelle, avec la nécessaire gestion de sa diversité, avec les tensions qui s'en suivent pour le syndicalisme tel que nous le concevons, qui recherche la cohérence entre les filières, les personnes et les régions !
Nous nous trouvons aussi en Puy de Dôme dans un département dont plusieurs responsables agricoles ont joué, depuis les années 1950, un rôle ô combien important pour notre histoire professionnelle ! Et à cet instant, je pense bien sûr tout particulièrement à Michel Debatisse, décédé le 11 juin dernier.
L'homme qui incarna la " révolution silencieuse " était, en effet, un agriculteur de Palladuc.
Michel Debatisse participa à ce qui allait constituer une véritable révolution pour notre milieu. A la JAC d'abord, dès le début des années 1950, avec d'autres hommes du Massif Central, comme André Vial. Il fut le secrétaire général d'une formidable école de culture générale et de responsabilité personnelle et collective.
Ensuite, avec Hubert Buchou et bien d'autres, il fonda le CNJA et il en fut également le secrétaire général de 1958 à 1964. C'est dire qu'il se trouva constamment au cur des propositions, des débats et des choix qui allaient déboucher sur la loi d'orientation de 1960. Un investissement militant qui influença fortement une période de croissance économique et de progrès sans précédent dans nos campagnes.
Puis, à partir du milieu des années 1960 jusqu'à la fin des années 1970, Michel Debatisse engagea la FNSEA - non sans mal au départ, disons-le - dans une mutation indispensable pour que la modernisation technique engagée soit maîtrisée par le plus grand nombre des agriculteurs.
Et il poursuivit ensuite sa route en devenant le premier des responsables de l'Etat à se consacrer à fond au développement des industries agro-alimentaires, puis comme responsable d'un grand groupe coopératif. Et enfin, ne l'oublions pas, il fut constamment engagé dans la formation continue des cadres paysans, en tant que co-fondateur et président de l'IFOCAP.
Dès après la guerre, des jeunes paysans militants du Massif Central furent donc de ceux qui symbolisèrent le mieux la participation d'une génération d'agriculteurs à la tête d'exploitations de taille modeste, et qui s'efforcèrent de démocratiser l'organisation professionnelle agricole.
Issus de toutes les régions, ces pionniers furent les artisans de la plus formidable modernisation technique et économique que l'agriculture ait jamais connue. A cette modernisation, les militants paysans ont voulu donner un sens " humaniste " comme ils disaient à l'époque.
Oui, Michel Debatisse a non seulement marqué l'orientation de la politique agricole française et européenne de ces quarante dernières années, mais il s'est efforcé de poser des bases concrètes et morales de l'action professionnelle, dont nous pourrons longtemps nous inspirer. Alors, cela se comprend, ce ne fut pas facile, loin de là, ni au plan national, ni au plan départemental.
Au plan national, du milieu des années 1950 au milieu des années 1960, il dût batailler ferme, y compris au sein de la FNSEA, pour que les agriculteurs puissent être reconnus pleinement comme les acteurs clé de la modernisation de l'agriculture.
Avec toute une génération de responsables, il dissipa l'illusion de l'époque, qui considérait que l'industrialisation était la voie unique du développement, en recherchant une troisième voie. Les agriculteurs se sont ainsi rassemblés, ils se sont arbitrés, ils se sont engagés pour cogérer les outils de politique agricole : je veux parler notamment de la politique des structures.
Au plan départemental, le combat professionnel fut aussi très rude, car l'UDSEA fut longtemps minoritaire en Puy de Dôme. Au bout de 20 ans, elle est devenue la principale force professionnelle départementale, mais la concurrence reste rude !
Aujourd'hui, on oublie d'ailleurs trop vite que notre milieu fut de tout temps divers, et parfois même très divisé syndicalement. C'est au prix de débats permanents et authentiques à l'intérieur même de nos fédérations que nous resterons ou que nous deviendrons capables de transcender nos différences, de résoudre nos contradictions.
Alors mobilisons-nous, n'ayons pas peur d'exprimer nos différences, mais à la condition de préférer le travail de fond au jeu des divisions, d'avoir le souci à l'intérieur même de notre maison de la cohérence et de la solidarité et non de stratégies de lobbies par région ou par production.
N'oublions donc pas l'uvre de Michel Debatisse, qui a su aller continuellement de l'avant, malgré les conservatismes de tous poils qu'il a dû affronter, que ce soit en tant que syndicaliste, en tant qu'homme engagé dans la vie civique ou en tant que responsable économique.
A son époque, la FNSEA est souvent parvenue à dégager des synthèses majoritaires : non pas des compromis tactiques, c'est-à-dire factices, mais des choix collectifs qui participent à l'efficacité économique de l'agriculture, au bien-être des agriculteurs et au bien commun de la société.
Et ceci me ramène à notre dernier Congrès de Toulouse, et m'amène à celui qui s'ouvre ce matin ici, à Clermont-Ferrand.
Entre temps, deux événements importants de politique agricole sont intervenus : l'un était attendu, l'autre moins. Bien sûr, nous nous attendions à l'annonce d'une nouvelle réforme de la PAC. Nous savions la volonté de la Commission de nous refaire le coup de la réforme de 1992.
En " l'approfondissant " comme ils disent : c'est-à-dire en enfonçant un peu plus le clou de la baisse des prix et du démantèlement de la préférence communautaire, ceci dans tous les secteurs de production.
Bien sûr, par ailleurs, nous nous attendions moins à la remise en chantier de la loi d'orientation agricole, consécutive au changement parlementaire du printemps dernier. Nous continuions à penser que malgré la réforme de la PAC en discussion, il fallait que notre pays aille de l'avant dans la rénovation des outils publics d'orientation de son agriculture.
D'autant qu'on serait bien en mal de repérer dans les propositions de la Commission une véritable stratégie européenne, en dehors de sa préoccupation d'économies budgétaires et de son alignement sur la pensée agricole nord-américaine.
Mais au fond, nous savons à la FNSEA que, quelque soit la conjoncture politique, en France ou en Europe, le défi reste identique : refuser de considérer que le marché et la politique agricole soient des choses inéluctables, alors que l'une et l'autre sont le résultat de l'action des hommes et des femmes, de leur volonté et de leurs capacités d'organisation.
A commencer par notre volonté et notre organisation.
C'est pour cela que nous refusons la logique du dit " Paquet Santer ", qui postule que la baisse systématique des prix agricoles européens est inéluctable, et qu'en conséquence il faudrait se résigner à faire de l'agriculture un secteur d'entreprises de plus en plus grandes et concurrentes, mais qui ne vivraient que par la compensation, que grâce à des soutiens publics croissants.
Quel serait l'avenir d'entreprises agricoles dont le montant des soutiens dépasserait systématiquement le revenu lié au marché ? Comment, dans ce cas, les agriculteurs pourraient-ils demeurer motivés pour produire et entreprendre ? Et comment l'opinion publique pourrait-elle comprendre cette absurdité économique ?
En somme, si on suit cette logique de la Commission, tout combat professionnel horizontal serait désormais " ringard ". Nous au contraire, nous pensons qu'il faut sortir de cette " pensée agricole unique " !
Comment ?
Un : en traçant notre cap à partir des multiples attentes de la société.
Deux : en parvenant à nous organiser en conséquence sur des marchés qui sont à la fois de plus en plus segmentés et mondialisés.
Nous croyons donc que nous avons à nous battre sur deux plans :
D'abord pour une orientation de l'agriculture européenne dans laquelle les agriculteurs pourront répondre aux demandes changeantes, diverses, parfois contradictoires des consommateurs européens, qui forment le plus grand et le plus sûr marché alimentaire mondial en produits de qualité. C'est pour cela que les Américains insistent tant pour annihiler toute préférence communautaire européenne.
Mais nous voulons aussi nous battre pour une identité agricole renouvelée, qui participe pleinement à la construction d'une Europe politique et citoyenne. Car si l'Union s'approfondit et s'élargit, elle oublie souvent les Européens.
Alors, notre secteur, qui représente non seulement la politique économique commune la plus ancienne, mais la plus importante, doit dire qu'il veut une Europe capable de s'affirmer économiquement bien sûr, mais aussi culturellement et politiquement.
Nous pensons que cela passe aujourd'hui par trois orientations stratégiques :
promouvoir une culture alimentaire variée et sûre,
investir pour que nous disposions demain de produits non alimentaires plus respectueux de la nature,
maintenir partout sur les territoires des activités économiques pour que nos paysages ruraux restent une richesse accessible à tous.
C'est ainsi que nos combats syndicaux pour des entreprises agricoles dynamiques, pour des revenus issus de la valeur de nos produits sur les marchés, pourront être entendus par la société.
Quoique qu'il advienne des soutiens publics, la bataille pour les prix de nos produits restera au cur de nos actions syndicales et de nos relations avec les industries et les distributeurs alimentaires.
Regardons ailleurs en Europe. Des débats comparables sont en cours dans les domaines de la culture, de la communication, de la recherche. Oui, non seulement la volonté des agriculteurs d'être " partout présents et responsables sur les territoires ruraux " a encore un sens aujourd'hui en Europe, mais notre secteur reste au cur de la construction d'un ensemble qui puisse mériter au XXIème siècle une autre expression que celle de " vieux continent ".
Notre volonté de promouvoir un "modèle européen d'agriculture " n'est - elle pas d'ailleurs de plus en plus reprise par les responsables politiques européens ?
C'est pour cela que nous ne voulons pas réduire notre rôle d'agriculteur à la fourniture de matière première à l'industrie ou ce qui est son corollaire, à l'entretien de la nature. Assumer la multifonctionnalité de l'agriculture oui, mais vouloir nous réduire à des mineurs ou des fonctionnaires de la nature, non merci ! Jamais !
Comment pouvons-nous tenir cette ambition ? D'abord en refusant l'alternative, qui serait mortelle pour notre profession, entre les aides publiques et les revenus par les marchés. C'est de là que part notre rapport d'orientation que le secrétaire général nous présentera tout à l'heure.
Ni le syndicat de la compensation qui laisserait tomber la dimension économique de nos exploitations, ni un conglomérat de lobbies à la recherche de compromis douteux. Ce qui implique que nous recherchions les véritables leviers d'un pouvoir économique des agriculteurs dans toutes les filières.
Ce n'est tout de même pas au moment où tout le monde souligne l'importance cruciale de la gestion des marchés que les agriculteurs se laisseront déconnecter de la maîtrise de leurs propres débouchés !
Nous devons ensuite dire que nous voulons être des professionnels :
1 - qui aspirent à vivre dignement de leur travail,
2 - qui veulent être des acteurs économiques,
3 - et qui, dans le souci de territoires vivants, entendent prendre des orientations cohérentes entre les productions et entre les régions
Je vous invite donc tous à travailler pendant ces deux jours :
Un : pour choisir une orientation qui soit cohérente entre nos entreprises, entre nos métiers et pour l'ensemble de notre profession,
Deux : pour définir les moyens économiques et politiques qu'il nous faut promouvoir à travers la nouvelle PAC et la loi d'orientation agricole qui s'annoncent.
Je voudrais citer cette réflexion que Michel Debatisse faisait, en 1962, dans son rapport général au Congrès de la FNSEA : " Il vaut mieux regarder en face les vérités déplaisantes. Elles ne font courir aucun danger à notre unité syndicale qui a beaucoup plus à craindre des silences riches d'équivoques. L'unicité de l'agriculture est un mythe, mais son unité est une réalité. ".
Si nous avons l'ambition de fédérer les agriculteurs autour d'un projet mobilisateur pour eux et vis-à-vis de la société, et si nous voulons les représenter dans la gestion de la protection sociale agricole, dans l'orientation des CDOA, dans nos chambres d'agriculture et nos coopératives, nous devons aussi proposer des perspectives à nos syndicats locaux, à nos fédérations départementales et régionales et à notre organisation nationale :
Que privilégier dans nos réflexions pour l'année qui vient ? Quelles méthodes de travail développer ? Comment mieux communiquer à l'extérieur ?
Enfin, nous devons examiner nos insuffisances en matière de formation syndicale, car notre pouvoir économique et professionnel dépend de nos capacités à voir et à juger aussi bien qu'à agir.
Alors, Chers Amis, n'ayons pas peur de débattre et de proposer. Sachons seulement nous écouter, avoir le souci d'une synthèse, et enfin "faire ce que nous avons dit".
Bonne participation à tous, bonne réflexion, bon travail !
Discours de Clôture
du Président Luc GUYAU
Clermont-Ferrand, le Jeudi 9 Avril 1998
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mes Chers Amis,
Nous arrivons au terme des travaux de notre 52ème Congrès, et j'aimerais remercier l'UDSEA du Puy de Dôme pour nous avoir aussi bien reçus.
Pour trois jours, nous étions chez nous à Clermont-Ferrand.
Non pas sur un volcan, comme j'ai pu le lire ici ou là, mais entre amis, entre militants. Entre hommes et femmes responsables et solidaires pour préparer l'avenir de leur profession.
Comment aurait-il pu en être autrement alors que le souvenir de notre ancien président, Michel Debatisse, nous a rassemblés ?
Hier, en présence de son épouse et de sa fille, nous avons salué le travail qu'il a accompli dans ce département, en France et sur le plan européen.
Nous avons célébré l'homme de conviction, l'humaniste qui a su nous transmettre sa foi dans la responsabilité individuelle, dans l'organisation collective et dans le développement humain.
Les temps ont changé, mais son action et son uvre demeurent une source d'inspiration durable pour notre engagement professionnel et citoyen.
Une nouvelle fois, vous avez été nombreux à le dire, nous lui exprimons notre reconnaissance.
Monsieur le Président de l'UDSEA,
cher Jacques,
Le Puy de Dôme est un beau département d'Auvergne où les agriculteurs et les agricultrices de montagne font preuve d'imagination et de ténacité pour mettre en valeur leurs produits et leurs territoires.
Malgré les handicaps et les difficultés que vous subissez, dont j'ai encore eu l'occasion de mesurer l'étendue lors du dernier Salon de l'élevage, votre dynamisme force l'admiration.
Le pouvoir économique des agriculteurs a été au centre de nos débats.
Comment ne serions-nous pas impressionnés par la puissance des groupes coopératifs que vous avez développés dans ce département ?
Votre rôle est essentiel pour le développement rural des zones de montagne. Les spécificités de vos produits sont autant de promesses pour demain. Tout comme vos handicaps, ils méritent une meilleure reconnaissance.
Vous pouvez compter sur la FNSEA pour que la politique de la montagne ne soit pas banalisée. Ni à Paris, ni à Bruxelles.
C'est tous ensemble que nous y arriverons. Ici, à Clermont-Ferrand, nous en prenons l'engagement !
Monsieur le Ministre,
Je vous propose de commencer immédiatement les travaux pratiques.
Ce n'est pas de Bruxelles que dépendent les aides aux bâtiments d'élevage en zones de montagne, mais bien de vous.
Vous savez, la montagne est accueillante. Alors, elle vous attend !
Vous avez devant vous des femmes et des hommes qui veulent être économiquement efficaces, socialement utiles et politiquement compris.
Notre rapport d'orientation l'affirme sans ambages. Pourquoi ?
Parce que nous savons que, dans une économie et une société de plus en plus tournée vers les services, l'agriculture du XXIème siècle sera multifonctionnelle ou ne sera pas.
Chaque exploitation, bien qu'à des degrés différents, devra remplir de façon équilibrée sa triple mission : économique, territoriale et sociale.
Et nous sommes prêts à explorer toutes les voies de la multifonctionnalité :
- pour assurer l'équilibre auquel nous aspirons entre les hommes, les produits et les territoires ;
- pour que l'agriculture française et l'agriculture européenne demeurent le socle d'exploitations nombreuses, réparties sur l'ensemble des territoires,
- donc pour des exploitations à taille humaine, plus facilement transmissibles.
C'est ainsi que nous pourrons le mieux affirmer le modèle d'agriculture pratiqué sur notre continent, cette troisième voie entre le "tout marché" et le "tout Etat". Ce que nous appelons le modèle européen d'agriculture.
Monsieur le Ministre, vous avez pu constater combien nous, les agriculteurs, réagissions rapidement aux attentes des consommateurs et de nos concitoyens.
Nous travaillons à améliorer leur vie quotidienne. Pour assurer notre revenu et par goût du travail bien fait. En leur fournissant des aliments variés, sains, mieux identifiés. En leur proposant un accueil de qualité. En investissant dans les débouchés non alimentaires et dans les biocarburants qui rendront notre monde plus propre.
La crise de la vache folle nous a fait redoubler d'efforts en matière de traçabilité et d'identification de nos produits.
Nous avons renforcé le dialogue avec les consommateurs et leurs associations, sur l'étiquetage des viandes par exemple.
Nous partageons avec les consommateurs le même souci de prudence et de transparence dans l'utilisation des nouvelles biotechnologies.
Les progrès de la recherche ne nous font pas peur.
Mais confrontés à certains OGM, à Dolly ou à feue Marguerite, nous nous interrogeons sur leur utilisation, tout comme nos concitoyens.
Même si tout est encore loin d'être parfait, les producteurs se montrent beaucoup plus soucieux de l'environnement.
Fertimieux, Irrimieux, FARRE et, le dernier-né, Phytomieux, tous ces programmes de développement de l'agriculture raisonnée restent encore le fait de pionniers. Grâce à une amélioration des techniques, ils deviendront progressivement accessibles au plus grand nombre. Si nous savons faire, dès aujourd'hui, le travail de communication nécessaire.
Mais ce n'est pas au ministre de la Pêche que je l'apprendrai : à trop charger la barque, on risque de la faire chavirer !
Halte à la suradministration, Monsieur le Ministre ! Halte à la paperasserie ! Halte à l'inflation réglementaire !
L'agriculture doit, avant tout, demeurer un métier de chefs d'entreprise où l'initiative et la responsabilité personnelle sont encouragées. Et non pas étouffées sous des réglementations ésotériques et des contrôles inutilement tatillons !
Monsieur le Ministre,
Ne laissez plus chacun de vos chefs de service décupler d'énergie dans ce domaine.
Calmez en particulier le zèle de vos DDA concernant la prime à l'herbe renouvelée. La multiplicité des contrôles prévus est disproportionnée au regard de la mesure.
300 francs par hectare, quand il en faudrait plus du double, cela ne justifie pas un tel acharnement ! Bientôt, son coût dépassera la prime.
Reconnaissez que le train d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement est sur les rails, mais que tout cela a un coût.
Alors laissons aux agriculteurs le temps de s'adapter. Ne prétendons pas faire rouler un train de marchandises à la vitesse d'un TGV On risquerait de faire dérailler tout le convoi.
En matière d'environnement, il ne s'agit pas de mourir guéri.
La bonne gestion des ressources naturelles doit être compatible avec la pérennité des entreprises et des emplois.
Avant d'inventer de nouvelles réglementations, commençons déjà par appliquer celles qui existent.
Evitons le chevauchement des prescriptions communautaires et nationales, l'accumulation illisible de zonages. Soyons vigilants face aux cultivateurs de racines carrées de toutes les administrations.
Monsieur le Ministre,
Je ne voudrais pas un jour vous entendre vous écrier "l'agriculture, ça eut payé, mais ça paie plus!", pour parodier Fernand Raynaud, un enfant du pays.
Votre ministère occupe une place centrale dans les affaires de notre pays : l'alimentation et la santé, l'aménagement du territoire et, bien entendu, l'économie et les finances.
Ne vous laissez pas dépouiller de vos prérogatives par vos collègues du Gouvernement.
Conservez précieusement la tutelle de l'enseignement et de la formation professionnelle agricoles. Des agriculteurs bien formés, c'est indispensable pour garantir l'avenir de notre métier.
Ne faites pas de complexes devant Madame Voynet. Demandez-lui plutôt de se préoccuper des boues, des dioxines, de toutes les pollutions urbaines dont pâtit l'agriculture.
Et de prendre les mesures nécessaires pour éviter la prolifération de sangliers, de plus en plus envahissants. Sans quoi, je lui promets l'organisation par la FNSEA, sur tout le territoire, d'une battue dont on se souviendra dans les campagnes !
Et puis, sauvez le Fonds d'Allégement des Charges des griffes de Bercy, Monsieur le Ministre.
En matière de prêts bonifiés, revoyez les taux en fonction des marchés car à ce au, dessus des taux d'intérêts courants. Mettez-vous rapidement d'accord avec Monsieur Strauss-Kahn sur les modalités financières valables pour 1998.
Et dites-moi s'il vous empêche d'appliquer les mesures que vous avez annoncées pour les fruits et les légumes en crise. Je pense en particulier à la salade et à la pomme. Lors de la signature de la charte sur l'euro, il m'a dit que j'étais chez moi à Bercy. A nous deux, nous saurons bien le lui rappeler
Les producteurs ne peuvent plus attendre ! Mettez complètement en uvre le plan annoncé le 25 novembre et soutenez leurs efforts pour une véritable organisation économique. Faut-il donc plus de temps pour appliquer ce plan que pour faire pousser les salades ?
N'ignorez pas la détresse des producteurs de lapins, confrontés à une maladie dont on ne connaît pas l'origine. Il faut accélérer la recherche et leur permettre de franchir cette passe difficile.
Dans votre travail interministériel, nous vous demandons enfin d'être notre interprète auprès de Madame Aubry concernant les 35 heures. L'agriculture a ses spécificités.
On ne peut pas appliquer les même règles à l'exploitation agricole qui a un ou deux salariés, et qui est soumise aux caprices des saisons, et à l'entreprise industrielle qui en emploie plusieurs centaines. Les artisans, commerçants et les professions libérales vous diront la même chose.
Dans notre secteur, nous connaissons le dialogue social. Nous avons d'ailleurs négocié de nombreux accords. Car c'est le dialogue plus que la loi qui assure le progrès social. Comme par le passé, nous sommes prêts à négocier avec les partenaires sociaux sur l'emploi et les 35 heures. Mais à condition que nos spécificités soient prises en compte et qu'une loi couperet ne vienne pas remettre en cause les accords contractuels qui seraient passés. Pas de surcoûts pour nos exploitations et attention aux effets pervers pour l'emploi !rythme, ils risquent de passer au-effets pervers pour l'emploi !
Monsieur le Ministre,
Lors de ce congrès, nous avons affirmé notre volonté de détenir durablement un pouvoir économique fort. Pour assurer notre revenu et notre identité. Pour ne pas nous laisser remiser, par de plus puissants que nous, dans les arrières boutiques de l'économie. Pour que notre avenir collectif ne soit pas confisqué par une bande d'idéologues, tapis dans leurs bureaux de Bruxelles, de Genève ou de Washington. Nous ne nous laisserons pas enfermer dans des boîtes jaunes, vertes, rouges, bleues et pourquoi pas roses, Monsieur le Ministre !
Vous l'avez compris : nous voulons être des acteurs, et pas simplement des objets ou des assujettis de la politique agricole.
Pratiquant la cogestion depuis un demi-siècle, nous voulons débattre avec les Pouvoirs publics de nos orientations professionnelles, et du cadre réglementaire dans lequel nous exerçons nos activités. En France et en Europe.
Et puisque je parle d'orientation, Monsieur le Ministre, profitons-en pour lever tout malentendu concernant la loi en préparation.
Il n'y a pas :
- d'un côté les bons agriculteurs, ceux qui feraient des produits bien identifiés, liés à un terroir,
- et de l'autre, les mauvais, ceux qui ne feraient que des produits de masse, et seraient donc ennemis de la qualité.
L'enjeu central de la prochaine loi d'orientation, vous le connaissez aussi bien que nous : il est de favoriser la multifonctionnalité de l'agriculture.
Quelles que soient nos productions et nos régions, la loi doit donc nous encourager pour :
- innover,
- améliorer la qualité de nos produits,
- adapter et diversifier notre offre,
- être présents sur tous les marchés, qu'ils soient locaux, nationaux, européens ou internationaux.
Qu'il s'agisse d'aller vendre des céréales en Chine, de valoriser le lait de montagne ou de promouvoir les lentilles vertes du Puy ! De restructurer nos vignobles et nos vergers, ou d'identifier nos viandes ! Pour nous, les choses sont claires : la loi d'orientation doit inciter les agriculteurs à explorer toutes les potentialités de leurs régions et de leurs exploitations.
Elle doit donc leur donner les moyens de construire de véritables partenariats avec leur aval et avec les autres acteurs du monde rural.
Monsieur le Ministre, cette orientation est indivisible. Elle vaut tout autant pour la Limagne, à quelques kilomètres d'ici, que pour la Beauce, le Lubéron, ou votre chère Cornouaille. Elle concerne tous les agriculteurs. Car c'est l'ensemble de l'agriculture qu'il s'agit de tirer vers le haut. Vers plus de valeur ajoutée, vers une meilleure mise en valeur de territoires, vers une gestion plus durable des ressources naturelles.
C'est d'ailleurs ainsi que nous concevons la contractualisation que vous nous proposez. Nous sommes favorables au contrat s'il favorise une approche dynamique de l'agriculture ancrée au territoire. Et non une approche bucolique et régressive.
Le contrat devra valoriser les initiatives et les projets économiques individuels ou collectifs des agriculteurs. Car c'est à eux de déterminer la façon dont ils conçoivent l'évolution de leurs exploitations. A travers des cahiers des charges définis localement, le contrat devra contribuer à mettre ces projets d'entreprise en harmonie avec l'environnement économique, écologique et territorial des exploitations. Alors oui, dans ces conditions, nous dirions banco ! Le contrat pourrait ainsi devenir un des instruments de la rémunération de l'agriculture mutifonctionnelle dans notre pays.
Et pourquoi pas donner des idées à nos partenaires européens ? Il favoriserait le dialogue entre les agriculteurs et les autres acteurs du monde rural.
Le printemps est là, Monsieur le Ministre. Profitez-en pour marcotter votre projet et pour faire fleurir le CIDT, ce contrat d'initiatives et de développement territorial que nous vous proposons.
A plusieurs reprises, vous m'avez donné raison sur cette définition. Reprenez-la à votre compte, reprenez l'initiative. Nous serons avec vous. Tout reste à écrire avec la contractualisation. De nouvelles perspectives de cogestion de l'agriculture s'ouvrent. Il faudra toutefois être particulièrement responsable quant au financement du contrat. Personne ne souhaite que se reproduisent les ratés du PMPOA. Ici, dans cette salle, tout le monde sait ce que cela veut dire !
Pour nous aider à relever les défis de la multifonctionnalité, à promouvoir une nouvelle conception du métier d'agriculteur, la loi d'orientation doit avoir plus qu'une belle âme : elle doit avoir des muscles ! La contractualisation ne peut pas résumer la politique agricole française.
L'agriculture multifonctionnelle exige des entreprises performantes, viables et durables, ainsi que des marchés agricoles et alimentaires bien structurés.
Comme l'a dit Dominique Chardon, en présentant hier le rapport d'orientation de la FNSEA, l'agriculture multifonctionnelle a plus que jamais besoin de renouveler ses outils pour maîtriser les règles de l'économie de marché. Or, de ce point de vue, votre projet de loi est encore bien chétif sur six points au moins, Monsieur le Ministre.
1er point :
Comme nous faisons le pari, quasi pascalien, du développement équilibré de nos exploitations, il faut réglementer les structures, en traitant sur le même pied toutes les exploitations. Nous notons les avancées du projet de loi à ce sujet. Ne reculez pas !
2ème point :
Des mécanismes fiscaux adaptés, notamment pour la taxation des plus-values, doivent favoriser la transmission progressive de nos exploitations, et donc l'installation des jeunes.
3ème point :
L'amélioration des retraites agricoles contribuera également à libérer des exploitations dans de bonnes conditions. La loi doit prévoir un échéancier précis de revalorisation des pensions minimales à 75% du SMIC. 2 millions de retraités de l'agriculture s'impatientent, Monsieur le Président. Ne les décevez pas !
4ème point :
Il faut faire aussi preuve de créativité et d'ambition pour les entreprises agricoles.
Votre projet comporte un engagement à travailler sur la question de l'assurance-récolte. C'est bien, mais vous devez aller plus loin. D'abord, en cernant mieux les actifs des entreprises agricoles. La loi va donner un statut aux conjoints d'exploitants. Bravo ! Les agricultrices auront enfin la reconnaissance pleine et définitive de leur statut professionnel. Femmes et hommes à parité sans même que la Constitution soit modifiée !
Mais il faut également donner une définition de l'exploitant. Et pourquoi pas un cadre clair à la pluriactivité en définissant le statut fiscal de l'entrepreneur rural ?
On lèverait ainsi les malentendus avec les artisans et les commerçants ; le principe "même droits même devoirs" deviendrait une réalité.
Il faut favoriser la création de richesses par nos entreprises en opérant la distinction entre le revenu disponible et le revenu réinvesti. Il suffirait pour cela d'améliorer la déduction pour investissement, en rendant sa déduction définitive et en étendant son utilisation à l'acquisition de part de coopératives. Vous feriez d'une pierre deux coups, Monsieur le Ministre, en nous aidant à muscler à la fois nos entreprises et nos coopératives.
5ème point :
La conquête de la valeur ajoutée passe par l'organisation économique des producteurs, face à des partenaires d'aval de plus en plus concentrés. Or, Monsieur le Ministre, votre projet de loi fait peu de propositions pour nous aider à structurer notre offre et nos filières. Certes, il veut favoriser les synergies interprofessionnelles, c'est important. Mais la loi devra avoir plus d'ambition pour l'organisation économique de notre secteur.
Elle doit encourager les investissements des agriculteurs dans leurs coopératives. Nous devons favoriser la rénovation de nos coopératives pour regagner du pouvoir économique face au rouleau compresseur de la distribution.
La loi doit aussi affirmer la prééminence des signes français officiels de qualité et éviter leur banalisation sur le plan européen. Ne soyez pas le ministre qui fera cadeau à la grande distribution des signes de qualité !
6ème point :
Nous exigeons la transparence dans la constitution des prix et des marges.
Comment peut-on voir une salade, achetée 80 centimes aux producteurs, revendue 4F50 au supermarché voisin ? C'est également vrai pour les fruits, pour les viandes de buf, de porc ou de volaille. Pour tous les produits alimentaires.
Cela ne peut plus durer. Que la distribution arrête de dire qu'augmenter le prix payé au producteur pénalise le consommateur. Seule sa marge est en cause. Le combat des prix demeure pour nous permanent. Nous serons vigilant et, au besoin, nous passerons à l'action.
Monsieur le Ministre, vous avez annoncé la création d'un observatoire pour la filière porcine. Parfait ! Mais il en faut un pour tous les secteurs agro-alimentaires. Alors passez aux actes. Vous ferez preuve de civisme car, tout comme nous, les consommateurs veulent comprendre ce qui se passe.
Récapitulons sur la loi d'orientation, Monsieur le Ministre :
- nous devons préciser le contenu et le financement du CIDT,
- il faut intégrer dans le projet tout ce qui y manque encore : définition de l'exploitant, fiscalité de l'entreprise, retraites et pouvoir économique des agriculteurs.
Sur ce dernier point, qui est à la fois fondamental et difficile, je vous propose que la loi d'orientation nous donne le cap et qu'une loi complémentaire vienne gonfler nos voiles. J'espère que vous n'allez pas nous annoncer un nouveau report des débats parlementaires.
Il y a maintenant plus de deux ans que le coup d'envoi a été donné par le Président de la République. Un an que la deuxième mi-temps a été engagée par le Premier ministre. Nous sommes déjà dans les prolongations et si les arrêts de jeu se multiplient, le public pourrait finir par se lasser. Nous prépareriez-vous une loi aussi virtuelle que les vaches de Monsieur Santer ?
Nous attendons d'être rassurés. Car il est indispensable que la France puisse aborder les négociations communautaires après avoir acté une loi qui constituera un contre-projet politique aux propositions de la Commission.
Si nous y parvenons, la loi aura bien plus qu'une vocation nationale : elle sera un signe clair de la France à ses partenaires, pour promouvoir, ensemble, une certaine idée de l'agriculture européenne.
Nous serons d'autant plus forts pour rejeter le Paquet Santer ! Vous connaissez notre position. Il est inacceptable en l'état. Oui, nous devons réorienter la réforme proposée !
Refusons d'abord la démarche suivie jusqu'ici par la Commission pour la préparer. Elle a fait ses propositions techniques, et elle voudrait faire croire que tout est bouclé. Il n'en est rien. Il suffirait de changer quelques paramètres pour modifier profondément l'épure. Avant que les techniciens ne dégainent leurs calculettes, c'est aux responsables politiques d'arrêter les orientations à suivre, et de donner du sens à la réforme.
Lors des Conseils d'octobre et de décembre derniers, les ministres de l'Agriculture et les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont posé les premiers jalons. Peine perdue. La Commission n'en fait qu'à sa tête. Curieuse conception de la démocratie !
Qu'est-ce que c'est que cette église, où c'est le bedeau qui commande ?
Il faut d'ailleurs que les politiques reprennent l'initiative. Vous et la plupart de vos collègues avez commencé à le faire, en ne ménageant pas vos critiques à la Commission le 31 mars dernier. Reprendre l'initiative politique, c'est d'abord s'entendre sur quelques principes fondamentaux.
En premier lieu, l'Europe doit affirmer son propre modèle d'agriculture. Une agriculture multifonctionnelle qui part de l'acte de production pour élargir ses missions. Et que la Commission ne nous dise pas que c'est incompatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce. On ne négocie pas son identité : on l'affirme !
Ne retombons pas dans le piège de 1992 : nous savons que nos réformes n'ont aucune valeur pour les Etats-Unis dans les négociations.
Ayons au contraire une position offensive à l'Organisation mondiale du commerce. Voire provocatrice !
Mettons tout à plat avec nos partenaires : leurs systèmes d'assurance-revenu, leurs "boards", leurs crédits à l'exportation ou encore leurs multiples prix du lait. S'ils ont droit à la flexibilité, pourquoi pas nous ?
En second lieu, les Européens doivent rejeter la baisse systématique, généralisée, des prix institutionnels qui contredit cette orientation. La baisse des prix à la production ne saurait être en soi un objectif de politique agricole pour l'Europe.
Imperceptible par les consommateurs, elle est profondément démobilisatrice pour les agriculteurs lorsque le montant des aides dépasse largement le revenu tiré du marché. La baisse des prix généralisée proposée par la Commission n'est pas parole d'évangile. Chaque grand secteur de production peut conserver une politique spécifique conforme à sa logique de marché et de territoire.
L'Uruguay Round n'empêche nullement l'application en Europe de politiques de prix différenciées selon les organisations communes de marché. Ne partons pas battu d'avance aux prochaines négociations internationales.
Rien n'est encore joué. Alors, Monsieur le Ministre, élargissez votre arrêté sur les animaux dangereux. Ne laissons pas les pit-bulls du libéralisme mettre en pièces la PAC.
L'Europe doit continuer à protéger ses agriculteurs contre les fluctuations des cours mondiaux. Elle ne peut pas accepter le démantèlement de ses organisations communes de marché, et en particulier des mécanismes d'intervention publique.
Ne nous y trompons pas : des OCM fortes sont essentielles pour conserver des petites et moyennes entreprises partout sur le territoire.
Souvenez-vous, Monsieur le Ministre ! Lors de nos rencontres, les syndicats argentins représentant les petites exploitations - celles entre 50 et 2500 hectares - se lamentaient de l'absence de pareils outils de régulation chez eux. Ne faisons pas de l'Europe une nouvelle pampa !
Et pourquoi ne pas défendre la préférence communautaire ?
Nous comprenons que le marché européen aiguise toutes les convoitises. Mais l'Europe a le droit et le devoir d'agir en faveur d'une moralisation des échanges internationaux, sur les plans monétaires, environnementaux et sociaux.
Les cultivateurs de bananes ACP savent ce qu'il en coûte d'une préférence communautaire affaiblie. Nous n'acceptons pas que la Commission aggrave leur situation en augmentant le contingent de bananes dollars.
Mon créole n'est pas fameux, mais tant pis, je me lance. Amis de la Martinique et de la Guadeloupe, "nous ka dizotes : vive banane antillais la" !
N'ayons pas honte de le dire : notre agriculture doit être protégée, tant que des règles équitables n'auront pas été négociées à l'échelle internationale !
L'Europe doit également ériger la protection de la santé des consommateurs - à commencer par les siens - comme un enjeu central pour les échanges au XXIème siècle. Testons d'ores et déjà notre force : ne cédons pas sur le dossier des hormones !
- Promouvoir l'agriculture multifonctionnelle,
- refuser la baisse généralisée des prix,
- conserver des politiques spécifiques par grand secteur de production,
- ne démanteler ni les OCM, ni la préférence communautaire,
voilà quelques orientations majeures sur lesquelles les Européens doivent politiquement s'entendre pour faire évoluer la PAC.
J'en rajouterai trois.
Premièrement, la réforme doit être globale.
Elle doit concerner les produits agricoles à finalité alimentaire, mais aussi les usages non alimentaires qu'il convient de développer.
Les producteurs méditerranéens ne doivent pas non plus être laissés sur le bord de la route. Le budget de leur OCM fera partie de la négociation. Alors commençons, dès maintenant, à discuter des besoins des producteurs concernés. Et négocions un véritable partenariat avec les pays tiers méditerranéens. Le développement, oui ! Mais, en s'appuyant sur des échanges bien maîtrisés.
Deuxièmement, les Européens doivent refuser l'éco-conditionnalité généralisée des soutiens, surtout si elle est laissée à la discrétion des Etats-membres. L'Europe doit préférer les mesures incitatives qui favorisent progressivement une agriculture respectueuse de l'environnement. Elle ne doit pas créer des droits à polluer, en demandant aux agriculteurs de choisir entre le respect de la réglementation, et le bénéfice des soutiens.
Troisièmement, la prochaine réforme de la PAC ne doit pas compliquer le maquis réglementaire existant. Non à la suradministration de l'agriculture ! La Commission déclare vouloir "simplifier" la PAC. Ses "vaches virtuelles", les vraies en meugleraient presque de rire ! Mais nous, nous ne rions pas car elles symbolisent le délire technocratique de la réforme proposée.
Si les vaches virtuelles n'y retrouvent pas leurs petits, comment vos services y parviendraient-ils ? Voulons-nous passer dans la cinquième dimension, Monsieur le Ministre ? Non ! Pas de ministres distribuant des subventions verbales, ni d'éleveurs virtuels !
Croit-on vraiment qu'une telle PAC pourrait être élargie aux pays d'Europe centrale et orientale ? Ils n'ont pas fui les délices de la planification pour vouloir y retourner demain.
La Commission agite beaucoup la perspective de l'élargissement pour justifier sa réforme. Mais ces pays seront-ils encore motivés pour partager notre conception de l'Europe lorsqu'ils découvriront qu'il n'y a plus de PAC ? A l'Est comme à l'Ouest, les agriculteurs européens veulent une politique agricole forte.
Nous savons que vous rejoignez ces orientations générales. Et nous approuvons la déclaration que vous avez faite au Conseil agricole du 31 mars. A deux exceptions près.
Un : vous commettez une erreur d'analyse fondamentale sur les exportations si vous pratiquez la discrimination entre produits bruts et produits transformés. Aussi bien lors de son congrès de Brest qu'à Epinal, la FNSEA a fait de la valeur ajoutée une priorité. La valeur ajoutée, nous y croyons. Elle est porteuse d'avenir pour l'agriculture, comme nous le démontrent nos amis viticulteurs qui battent des records à l'exportation. Ils prouvent que récuser l'alignement systématique sur les cours mondiaux ne signifie pas être absents des marchés internationaux.
La France est un grand pays exportateur; de produits de base, comme transformés. Elle doit faire feu de tout bois. Vous et nous devons avoir l'assurance que l'Europe favorise toutes les formes d'exportation possibles. Donc aussi les produits bruts qui ont leurs marchés et qui doivent contribuer à la sécurité alimentaire mondiale.
Ne désespérons pas Brie Comte Robert, Monsieur le Ministre !
Deux : la modulation. Donnons le même sens à ce mot lorsque nous négocions à Bruxelles.
D'abord, attention au piège des enveloppes nationales par OCM. A chaque fois que Bruxelles parle de ces enveloppes, la France est dans le collimateur, car première bénéficiaire de la PAC. Prise dans cet engrenage, elle sera pénalisée; elle recevra moins à terme.
Trouver un nouvel équilibre de la PAC entre les produits, les hommes et les territoires ? Oui, nous sommes d'accord, Monsieur le Ministre. Mais ce nouvel équilibre doit d'abord être trouvé au niveau européen. La subsidiarité, ne peut être appliquée qu'à la marge !
La subsidiarité étendue, à laquelle vous semblez croire, engendrerait trop de distorsions de concurrence entre les Etats membres. Nous nous souvenons des MCM. Nous savons qu'elle aboutirait à une renationalisation de la PAC. Sans pour autant la rééquilibrer et la pérenniser. A nouveau, pensons aux pays d'Europe centrale et orientale, Monsieur le Ministre.
Fidèle aux orientations de l'an dernier, notre Congrès propose un soutien forfaitaire de base à l'hectare pour trouver un nouvel équilibre durable de la PAC. Ce soutien de base correspond à la rémunération de la fonction territoriale remplie par l'agriculture.
Il présente l'avantage d'être découplé, donc inattaquable lors des futures négociations à l'Organisation mondiale du commerce.
La Commission peut-elle en dire autant des aides aux produits qu'elle propose d'augmenter ? Elle les expose ainsi davantage aux critiques de nos partenaires internationaux. Ne soyons pas naïfs : elle veut en fait réduire la PAC à un budget agricole commun, qui sera remis en cause à la première occasion !
Je dis "soutien de base", Monsieur le Ministre, car il doit être complété par des soutiens aux produits. Ce qui permet de réajuster les productions par rapport aux marchés, OCM par OCM.
Et même à l'intérieur de chaque grand secteur, pour prendre en compte une situation particulière : blé, blé dur, maïs, oléagineux, protéagineux, élevage allaitant, élevage d'engraissement, etc. Les soutiens de base, liés au territoire, et les soutiens complémentaires aux produits doivent être complétés par des soutiens aux hommes et à leurs projets d'entreprise.
Nous sommes donc intéressés par la proposition de la Commission concernant le développement rural, pour que certains fonds structurels complètent nos politiques de marché. A la condition que les mesures prévues pour l'agriculture ne soient pas diluées dans un développement rural aux contours flous. Quand il ne s'agit pas de développement urbain ! Nous voulons des programmes précis et des budgets bien identifiés.
Nous l'avons dit, lors du Congrès des agriculteurs européens de montagne : la politique des handicaps ne doit pas être banalisée, et réduite à la préservation de l'environnement. Elle doit d'abord soutenir l'acte de production, et par là-même la vie rurale. Les agriculteurs de montagne ne veulent pas devenir des plantons chargés de l'environnement, sans activité économique véritable !
La politique de la montagne est exemplaire. Elle contribue à un équilibre rural axé en premier sur l'activité économique. Il faut qu'elle soit mieux reconnue sur le plan européen. Et la réforme des fonds structurels peut en offrir l'occasion.
Voilà, Monsieur le Ministre, les bases sur lesquelles nous voulons construire la politique agricole européenne de demain.
Pour l'heure, n'oubliez pas la négociation du Paquet-Prix. Soyez particulièrement ferme sur la jachère et le chanvre.
J'en profite pour vous dire que je ne partage pas le point de vue du Commissaire Fischler qui souhaite la suppression du Paquet-Prix. Si les prix européens n'étaient plus réactualisés, ils perdraient 15 % de leur valeur en 6 ans, du seul fait de l'inflation.
Vous avez sans doute remarqué que je ne suis pas entré dans la critique du Paquet Santer, produit par produit. Je l'ai fait volontairement. Certes, il n'est pas question d'une politique unique pour les céréales, le lait ou les viandes.
Pas plus que d'une prime unique dans le secteur des grandes cultures. On ne traite pas le blé comme le maïs. Encore moins comme les oléagineux et les protéagineux.
Prime unique, prime inique : c'est évident !
Tout comme il est évident que l'Europe doit reconnaître ses spécificités régionales et territoriales : zones de montagne, zones défavorisées ou intermédiaires, régions méditerranéennes. Mais la politique agricole européenne de demain ne sera pas la somme d'arbitrages techniques. Aussi habiles soient-ils, ils peuvent être remis en cause du jour au lendemain ! Il est indispensable que les Européens s'entendent, d'abord, sur des orientations politiques fortes pour baliser durablement leur avenir.
La Commission a proposé. Aux Etats et à leurs ministres de rectifier le tir !
Et pour une fois, nous les Européens, imitons les Américains. Une même voix, une seule politique ! Avec une stratégie conduite en étroite concertation entre les pouvoirs publics et la profession. Je devrais dire : "des pouvoirs publics assistés par la profession".
Car en face de nous, les Américains ont une conception très pragmatique de la concertation. La cogestion vous savez, eux, ils ne balancent pas ! Imaginez : le principal conseiller du Ministre américain au GATT était mon collègue au Farm Bureau.
Eh bien, agissons de même, pouvoirs publics et profession agricole de concert. La FNSEA et le COPA sont prêts à relever le défi. Les pouvoirs publics doivent assumer leurs responsabilités. Nous prendrons les nôtres. Les agriculteurs jugeront.
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Amis,
Au terme de cette intervention, sans emphase mais avec conviction, je voudrais lancer un double appel.
D'abord, un appel à l'unité. Non pas pour célébrer un dogme, ou caresser je ne sais quel rêve d'uniformité. L'idée serait totalement mythique dans notre organisation qui sait depuis longtemps qu'elle est, elle aussi, plurielle.
Je crois profondément que l'unité n'est pas une idée dépassée. Ce n'est ni un dogme ni une théorie : c'est un état d'esprit et une méthode. A la FNSEA, les agriculteurs expriment leurs positions dans toute leur diversité, et ils en débattent parfois avec rudesse. Non pas pour rechercher des compromis de circonstance. Mais pour dégager de vraies majorités d'orientation, appuyées par une conviction partagée : celle d'appartenir au même corps social, d'avoir la même vision de l'économie et de l'Europe.
Mon second appel sera un appel à l'ouverture. Plus que jamais, nous devons résister à la tentation du repliement sur nous-mêmes. La société nous écoute, nous observe, nous critique ou nous envie. Sachons répondre à ses interrogations.
L'ouverture,
- c'est le partenariat avec les autres secteurs économiques, comme nous le faisons déjà sur l'emploi ;
- c'est la coopération avec les autres acteurs du monde rural, par exemple sur Natura 2000 ;
- c'est le dialogue avec les consommateurs, qui peut être rugueux, mais qui sera fructueux s'il est organisé.
Ne soyons pas frileux dans cette ouverture sur les autres. Pour garder du pouvoir, il faut souvent savoir le partager.
Mes Chers Amis, prenons tous ensemble, ici, à Clermont-Ferrand, cet engagement :
"Nous, agriculteurs, nous serons à la fois solidaires et partenaires. Solidaires entre nous. Partenaires avec la société."
C'est à ce prix :
- que nous aurons la force de refuser des perspectives économiques et politiques, soi-disant inéluctables,
- que nous retrouverons le sens de notre métier,
- et que nous serons entendus par la société et par l'Europe.
(source http://www.fnsea.fr, le 15 février 2002)