Texte intégral
Mesdames, messieurs,
C'est avec plaisir que j'ouvre aujourd'hui ce colloque sur la création d'entreprises que vous réunissez à l'Assemblée nationale, sous le titre " L'épargne des particuliers pour vaincre le chômage ",.
Je salue les organisateurs de cette manifestation, en particulier Paul DUBRULE, président d'Entreprise et progrès.
La création d'entreprise est un des baromètres les plus importants du dynamisme d'un pays. Pour le faciliter, l'encourager, l'accompagner, il est nécessaire que les initiatives se multiplient. Accroître le rythme des créations d'entreprises est un des volets majeurs de la lutte contre le chômage.
Les réflexions dans ce domaine doivent se mener avec toute la détermination et l'imagination nécessaires, sans démagogie. Par exemple l'incantation trop facile sur une incurie systématique des fonctionnaires n'est pas mon approche. Pour autant, la baisse et la meilleure répartition souhaitable des impôts suppose un effort permanent, minutieux, maîtrisé d'amélioration de l'efficacité de la dépense publique. Il convient de mesurer lucidement ce qui est faisable sans masquer les difficultés et les problèmes posés.
Il y a quelques années le thème de votre colloque aurait surpris. Utiliser directement l'épargne des particuliers pour vaincre le chômage et créer des entreprises n'était alors pas en vogue. On considérait que c'était plutôt le métier des banquiers de mettre en adéquation la capacité d'épargne et donc d'investissement du pays avec les projets d'entreprises, mais il y a eu manifestement des carences.
La France a compris que la création d'entreprise avait besoin de dispositifs nouveaux, spécifiques, plus directs, plus rapides. Beaucoup a été réalisé ces dernières années. Par divers outils, le capital-risque a été encouragé. Les bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises, l'allégement de charges pesant sur les sociétés nouvelles ou encore l'aide aux chômeurs créateurs d'entreprise sont des mesures positives, de même que la réorientation de l'ANVAR et de l'Agence pour la Création d'Entreprise (APCE), l'essor de la BDPME ou la mise en place du statut de société par actions simplifiée.
Pourtant, malgré ces mesures, on constate que la création d'entreprise n'a pas progressé comme elle aurait dû. Alors que la croissance est repartie, le nombre d'entreprises créées a même plutôt tendance à stagner ou reculer si on compare à 1990. Les études d'opinion montrent pourtant que près de 2 millions de nos concitoyens voudraient créer leur propre activité. Trop rares sont ceux qui franchissent ce pas. Avec moins de 170 000 entreprises créées par an, nous parvenons à peine à remplacer les entreprises qui disparaissent. Il y a donc là un problème évident.
Pour inverser cette tendance, au-delà des actions utiles des pouvoirs publics et des organismes consulaires, ce sont d'abord les personnes qu'il convient d'encourager, et collectivement aussi de protéger contre certains aspects excessifs ou décourageants, qui freinent, par là même, indirectement le développement du pays.
C'est pourquoi il est essentiel de renforcer les réseaux d'entrepreneurs de proximité, qui constituent le thème principal de votre colloque. Les Américains ont développé cela depuis longtemps, en particulier dans la Silicon Valley et parlent de façon imagée de Business Angels.
Il manque encore assez largement en France cet échelon intermédiaire entre les créateurs et les marchés financiers. Dans notre pays, 60 % des créateurs d'entreprise doivent encore monter leurs projets en s'appuyant, financièrement, uniquement sur leur environnement immédiat, leur famille, leurs proches. Pourquoi ne pas essayer d'élargir ce premier cercle de solidarités pour réunir le financement initial, qui dans beaucoup de cas ne dépasse pas 30 000 F ?
Aux Etats-Unis, la palette des interventions des Business angels est large : ils conseillent et permettent d'éviter les erreurs ; ils crédibilisent le projet et secondent le créateur auprès des intermédiaires financiers, notamment les sociétés de capital-risque ; ils le font profiter de leurs réseaux et lui présentent leurs propres clients. Ils permettent à des petits projets d'éclore et réduisent la mortalité infantile des jeunes entreprises.
Je crois, comme vous, qu'il faut aujourd'hui encourager de tels comportements en France. Le Gouvernement en est bien conscient. Il faut encourager les " accompagnateurs de la création d'entreprise ".
Vous souhaitez pour eux un statut et des encouragements, notamment fiscaux. Je suis favorable à ce qui peut drainer davantage l'épargne vers les créations d'entreprise, donc vers l'emploi. Le report d'imposition des plus-values réinvesties dans des PME nouvelles va déjà dans ce sens. Sans doute faut-il aller plus loin, en accordant aux "investisseurs providentiels", comme disent nos amis québécois, une incitation fiscale qui permettrait, un peu à la manière des SOFICA que j'avais créés il y a quelques années pour l'industrie du cinéma et qui ont réussi, de déduire de leur revenu les sommes investies dans la création d'entreprise. Si on estime que la création d'entreprises est une priorité pour l'emploi - ce que je crois -, alors il faut, également par ce moyen, encourager la création. Concrètement, je pense utile de susciter, à l'exemple des SOFICA, des SOFICREA consacrées à la création d'entreprises ou, mieux, un crédit d'impôt pour la création d'entreprises. Ce nouvel outil, le CICREA (crédit d'impôt pour la création d'entreprises), serait ouvert à chacun.
L'important, Mesdames et Messieurs, est de trouver une bonne articulation entre le financement et l'accompagnement, pour faire en sorte que cesse le parcours d'obstacles du créateur d'entreprise. Soutenir plus activement les réseaux d'aide à la création d'entreprise, favoriser la création, dans toutes les régions, de fonds de garantie qui, avec la SOFARIS, faciliteront la mobilisation des prêts bancaires sans recourir aux cautions personnelles, créer par exemple à l'initiative des chambres consulaires des sites internet permettant aux porteurs de projets et aux apporteurs de capitaux de se rencontrer.
Nous devons aussi concevoir une formation personnalisée et adaptée à ce nouveau secteur, qui exige de multiples talents, pousser à fond la pratique du guichet unique pour faciliter et simplifier les démarches administratives, conserver, au moins provisoirement, aux salariés qui se lancent dans cette aventure la couverture sociale dont ils bénéficiaient antérieurement et même envisager l'hypothèse de l'échec - car l'échec ne doit pas valoir condamnation définitive -, en reconnaissant au créateur d'entreprise le droit à l'assurance chômage. Sans oublier et en insistant même d'abord sur l'éducation, car c'est évidemment dès la jeunesse (lycées, universités, grandes écoles, etc) que se développe ou se décourage l'esprit d'initiative et de création d'entreprises.
Mesdames et Messieurs, la gamme est donc large. Il faut jouer sur toutes les touches à la fois. N'oublions jamais que les petites ou les très petites entreprises d'hier sont souvent les moyennes et grandes entreprises d'aujourd'hui. Là est une des clés principales de l'emploi. Je serai très attentif à toutes les propositions que vous ferez dans ces différents domaines. Je vous souhaite de fructueux débats.
(Source : http://www.assemblee nationale.fr, le 6 décembre 1999)