Interview de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, à Europe 1 le 22 novembre 2002, sur le conflit des transporteurs routiers, la sécurité maritime et l'échec d'une tentative de détournement d'un avion Air France.

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Média : Europe 1

Texte intégral

A. Chabot-. Nous allons parler, bien sûr, des conflits en cours, mais d'abord je voudrais que vous nous confirmiez peut-être les informations qui nous sont parvenues à Europe 1, il y aurait eu cette nuit des tentatives de détournement d'un avion d'Air France entre le Canada et Paris ; est-ce vrai ?
- "Oui, c'est, hélas, vrai. Un vol Air France qui a quitté Montréal hier soir a été victime d'une tentative, alors soit de détournement, soit de chantage au détournement de la part d'un individu, apparemment de nationalité marocaine, qui menaçait de faire sauter l'avion. Il y a eu une très bonne maîtrise de l'équipage et du commandant d'appareil en particulier. Les gouvernements français et canadiens ont déclenché un plan qui s'appelle le plan Intruder qui s'applique lorsqu'il y a des détournements. Il a été un moment envisagé que l'avion soit détourné sur un autre aéroport que son aéroport d'arrivée, qui était l'aéroport Charles-de-Gaulle. Le commandant a choisi finalement d'aller jusqu'au bout de sa destination. Je crois qu'il a fait preuve de beaucoup de sang froid et les passagers ont été tout à l'heure - donc les nouvelles sont très rassurantes - ont été débarqués en bout de piste, l'individu a été arrêté et maintenant les vérifications sont faites par les services de police afin de savoir s'il y avait véritablement une bombe ou s'il s'agissait d'une fausse menace. Le Gouvernement a été tenu au courant - le Premier ministre naturellement - de cette opération et les forces de police sont en train de vérifier ce qui s'est réellement passé."
Ce que vous nous dites aussi ce matin, c'est deux choses. C'est d'abord que le système d'alerte en cas de tentative de détournement d'avion fonctionne bien: coopération entre les gouvernements, réflexe immédiat.
- "Les autorités canadiennes et françaises ont été immédiatement tenues au courant ; les décisions ont été prises en commun, donc les systèmes d'alerte ont parfaitement fonctionné ; le sang froid - d'après les informations que nous avons - de l'équipage et du commandant de bord, ont été parfaits. Je ne sais pas quelle a été l'information des passagers, c'est-à-dire s'ils ont été informés ou pas durant le vol de ce qui se passait ou si l'équipage a pu préserver leur quiétude. Naturellement, au moment de l'arrivée en bout de piste à Roissy, s'ils n'avaient pas été mis au courant ils ont du comprendre ce qui se passait. En tout cas c'est une affaire qui se termine bien mais cela veut dire"
Surtout, les passagers sont sains et saufs, ont pu descendre à Roissy tout à l'heure, Charles-de-Gaulle.
- "Tous les passagers sont sains et saufs, il n'y a aucun souci à se faire pour les familles ou les amis de celles et ceux qui étaient dans ce vol Montréal-Paris, tout s'est bien passé mais cela veut dire que, plus que jamais, nous devons être particulièrement vigilants."
Et l'enquête continue donc sur...
- "L'enquête est en cours, afin de savoir si c'était quelqu'un qui a eu un coup de folie, une véritable tentative de détournement, un acte enfin complètement absurde, une mauvaise plaisanterie. Pour l'instant, la seule et la bonne information c'est que tout va bien et que les passagers du vol Air France Montréal-Paris sont en bonne santé."
Alors revenons à vos dossiers, d'abord le naufrage du "Prestige" : la marée noire a l'air effectivement non seulement de toucher l'Espagne mais de s'étendre. Est-ce que la France peut être épargnée ?
- "Ça dépend beaucoup des courants. Pour l'instant, le pétrolier avait été emmené au large de la Galice, d'ailleurs dans les eaux territoriales du Portugal, et si les courants sont ce qu'ils sont actuellement - il y a eu une tempête hier - c'est plutôt, malheureusement, nos voisins espagnols et portugais qui vont prendre le choc. Mais il y a dans cette période de l'année ce qu'on appelle le courant du Portugal, qui est un courant qui vient du sud, qui remonte jusqu'au cap Finisterre et qui va vers la France. Et ce courant pourrait, à terme, apporter des galettes de pétrole sur le territoire français. Donc nous sommes en pré-alerte Polmar pour faire en sorte qu'il n'y ait pas de retombées sur nos côtes. Tous les moyens sont en pré-alerte sur les côtes françaises."
Et selon les informations que nous donnait ce matin un spécialiste, en tout cas les cuves ont l'air de se vider.
- "Oui, j'ai entendu sur votre antenne tout à l'heure le pilote de notre avion Polmar II. Vous savez que nous avons sur zone un bateau de la marine nationale, un avion des douanes qui surveillent l'entrée du golfe de Gascogne et un autre avion qui aide les autorités espagnoles. Si les cuves se vident, cela veut dire que les choses pourraient aller plus rapidement. Mais je vous dis quand même qu'avant que cela vienne sur les côtes françaises - si cela devait venir un jour - c'est quand même plusieurs semaines qui sont en cause."
Hier, le Premier ministre espagnol a demandé que l'Europe adopte de nouvelles mesures. Est-ce que la France va faire, elle aussi, des propositions pour accélérer la mise en place dece qui a déjà été décidé et, éventuellement, prendre d'autres décisions au niveau des Quinze ?
- "Tout à fait. Vous savez que le Président de la République s'est exprimé avec une très grande fermeté au cours d'une visite à Dammarie-lès-Lys cette semaine et au cours du conseil des ministres. G. de Robien et moi-même sommes en contact avec nos homologues espagnols pour que, au sommet franco-espagnol de Malaga la semaine prochaine, il y ait une position franco-espagnole commune pour accélérer la politique européenne de lutte contre les navires de mauvaise sécurité et que ces propositions soient portées conjointement par la France et l'Espagne, par le chef de l'Etat et M. Aznar, au prochain Sommet européen de Copenhague. "
Ça veut dire, par exemple, l'élimination beaucoup plus rapide des bateaux à coque unique. Est-ce possible ?
- "Cela veut dire, qu'après l'Erika ,on avait pris des mesures, qu'on appelle dans le jargon européen, paquet 1et paquet 2 ; cela veut dire que ces mesures seraient accélérées : pour les pétroliers à coque simple au lieu que la fin soit 2015, comme le prévoyait le paquet Erika 1. On essaierait de gagner dix ans, de faire en sorte que d'ici un ou deux ans, ces pétroliers ne circulent plus au large des côtes européennes."
On voit que la France se mobilise mais franchement est-ce qu'on n'est pas un peu gonflé, - passez-moi l'expression - alors qu'on n'est pas les premiers à appliquer déjà les mesures décidées ? S'agissant, notamment, du contrôle dans les port,s on est très très mauvais.
- "Oui, on a été mauvais. C'est vrai que l'objectif après Erika 1, c'est de contrôler 25 % des bateaux. De manière aléatoire, on va dans un port, on en prend un sur quatre, on le contrôle, surtout quand on a des doutes. Ce que je voudrais vous dire c'est qu'au mois de juillet lorsque nous sommes arrivés au Gouvernement, on était à 9 % - ce qui n'était pas bien - et qu'au mois de novembre, actuellement, nous sommes à 14%. Donc nous avons bien amélioré les choses. Des inspecteurs ont été recrutés et nous serons, l'année prochaine, à 25%. Pour une raison très simple : c'est que, pendant que les inspecteurs sont en formation, nous allons demander à des retraités de la marine marchande, à des capitaines, à des officiers mécaniciens de venir faire les vérifications. Et, dès l'année prochaine la France atteindra l'objectif d'un quart des bateaux, telle que le souhaite l'Europe."
Alors les routiers : les patrons et les syndicats se retrouvent tout à l'heure pour reprendre les discussions. Depuis quelques jours, vous n'arrêtez pas de dire que les positions ne sont pas aussi éloignées les unes des autres. Est-ce que cela veut dire que vous pratiquez la méthode Coué et que vous croisez les doigts tout le temps ?
- "Il faut toujours dans cette manière être optimiste. Mais ce que je voulais dire simplement, c'est que, quand on observe le fossé qui existait entre les positions des syndicats et des patrons en 92, en 96 ou 97 lors des derniers conflits, c'était vraiment un fossé profond. Là, quand je regarde les positions des uns et des autres, avec lesquels nous sommes en contact de manière étroite, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas loin du résultat. Donc je souhaite de tout cur, comme l'a indiqué hier à Roubaix G. de Robien et comme le Premier ministre l'a rappelé à l'Assemblée nationale, que dès ce matin on trouve un accord. Et même si, ce matin, on n'y arrivait pas, eh bien, tant pis, les syndicalistes et les patrons se passeront de week-end, qu'ils se revoient pendant le week-end..."
Tout faire pour éviter le blocage.
- "Il faut tout faire pour éviter le blocage. Et le Gouvernement, naturellement, prendra ses responsabilités. C'est-à-dire que si, malheureusement, nous arrivions à une situation de difficulté, il ferait en sorte que le fonctionnement normal de l'économie du pays ne soit pas remis en cause."
Oui, ça veut dire que vous feriez intervenir les forces de l'ordre pour dégager ?
- "Cela veut dire que le ministre de l'Intérieur, avec le talent et la capacité d'action qui est la sienne et que chacun connaît dans ce pays, ferait en sorte que les lieux importants, stratégiques, qui peuvent s'appeler dépôts d'essence ou autres soient préservés naturellement."
C'est vrai qu'il y a déjà des plans qui sont mis en place dans des préfectures.
- "C'est tout à fait normal, parce que c'est l'économie du pays qui est en cause et l'économie européenne. Moi, je reçois des coups de fil, ainsi que G. de Robien, des autres ministres européens des Transports qui nous disent : "Attention, nous on traverse la France et on a besoin que nos économies continuent à vivre". Donc, il y a la France et il y a tous les pays européens qui nous entourent."
C'est vrai, qu'en coulisses, vous dites aux patrons cédez un peu là pour éviter le blocage ?
- "Honnêtement, ils ne sont pas loin les uns des autres. Sur les salaires, ça se joue à quelques points près. Donc, je crois que la négociation peut aboutir. Sur le treizième mois ou l'équivalent d'une ressource du treizième mois, ils ne sont également pas loin les uns des autres. Honnêtement, savoir la France bloquée ou essayer d'être bloqué à partir de dimanche alors que les positions sont si proches, ce serait vraiment du gâchis et notre économie, à un mois de Noël, ne peut pas se le permettre."
Alors vous êtes très ferme à l'égard des routiers. Mais on dit tiens les agriculteurs ils bloquent les centrales d'achat, les grands distributeurs depuis hier...
- "Le Gouvernement s'en occupe."
Et puis eux, ça ne se bouge pas.
- "Non, non ! D'abord, ils ne sont pas sur les routes, ils n'empêchent pas les gens d'aller travailler ; les choses se passent d'une manière habituelle, classique ; le contact est pris par H. Gaymard, le ministre de l'Agriculture, et par R. Dutreil, le ministre du Commerce. A la table ronde, hier tout le monde s'est rencontré ; le Gouvernement a annoncé des décisions très claires pour empêcher la concurrence abusive. Et aujourd'hui, à l'instigation du Gouvernement, tout le monde se retrouve autour d'une table. Je pense que ce conflit devrait se terminer, car le Gouvernement a pris des positions de nature à le faire se terminer. Mais je comprends que les agriculteurs..."
Il n'y a pas deux poids, deux mesures!
- "Si vous voulez, c'est vrai que les agriculteurs, quand ils produisent leurs produits, qu'ils voient à quel prix ils les retrouvent dans le rayon d'une grande surface, quelque part, ils se posent des questions. Le Gouvernement le comprend parfaitement."
Alors routiers, les agriculteurs, la grève dans l'audiovisuel public, une grande manifestation la semaine prochaine pour défendre justement l'ensemble du service public : c'est la première épreuve pour J.-P. Raffarin, dit-on. Est-ce qu'il est prêt ?
- "J.-P. Raffarin est un capitaine de navire, de beau temps comme de tempête. Je le connais depuis longtemps ; je connais son caractère : c'est quelqu'un qui ne cède jamais à l'affolement, qui ne prend jamais une décision sans l'avoir mûrement réfléchie. Donc, je pense que dans cette période un peu compliquée, il sera tout à fait en mesure de bien tenir les rênes de l'Etat et le Président de la République le sait et l'ensemble des membres du gouvernement sont derrière lui. Simplement, pour la grève pour la semaine prochaine, le 26, ce n'est pas une grève : il faut que nos concitoyens en soient conscients, c'est une grande manifestation. Les problèmes seront posés, le gouvernement privilégiera, comme il le fait depuis le mois de juin, le dialogue social et J.-P. Raffarin est le garant d'une méthode qui est à la fois une méthode de dialogue mais qui peut être le cas échéant une méthode de fermeté, si cela est nécessaire."
On a l'impression qu'il laisse les ministres monter au front et que lui il se protège un petit peu à Matignon ; c'est vrai ou c'est faux ?
- "Ce n'est pas la vérité. C'est le patron, nous sommes en contact permanent avec lui. Sur cette affaire de détournement que j'évoquais tout à l'heure, il était en première ligne et au courant des choses qui se passaient. Simplement, nous travaillons en équipe. C'est le patron de l'équipe, sous l'autorité du Président de la République et les choses vont bien. Chacun ressent bien que nous avons à la tête du Gouvernement un homme de grande qualité et, d'ailleurs, les sondages montrent que les Français en sont éminemment persuadés."
Alors c'est vrai que vous êtes un proche de J.-P. Raffarin. Mais quand même, il ne vous dit pas de temps en temps : " Je fais des cauchemars, je vois la France bloquée, les routiers, les agriculteurs et je me dis je vais être A . Juppé, ça va être terrible ! "
- "Si vous demandez si le métier de Premier ministre est un métier difficile, ma réponse est " oui ", mais J.-P. Raffarin le fait parce que c'est son devoir et parce que le Président de la République et sa majorité lui font confiance."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 novembre 2002)