Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à Montluçon le 18 novembre 2002, et interview à "La Montagne" du 18, sur les projets gouvernementaux concernant la gendarmerie, la coopération avec la police, l'amélioration de la journée de préparation à la défense et la réserve.

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Circonstance : 14èmes rencontres de la Gendarmerie nationale, à Montluçon le 18 novembre 2002

Média : La Montagne

Texte intégral

Monsieur le Directeur Général,
Messieurs les Officiers Généraux,
Mesdames et Messieurs les Officiers,
Mesdames et messieurs.
Je voudrais commencer par vous dire tout le plaisir que j'ai à être parmi vous ce soir pour la première fois. Cette journée me donne en effet l'occasion de vous rencontrer, de faire mieux connaissance et également, ce qui est important pour moi, d'être à votre écoute.
Je sais combien les évènements de la fin de l'année 2001, ainsi que la mise à disposition pour emploi du ministre de l'Intérieur de la gendarmerie ont été porteurs de questionnements et d'incertitudes pour vous, mais aussi pour ceux qui servent sous vos ordres.
Je suis aujourd'hui devant vous pour lever ces incertitudes. Je tiens à vous dire que pour le gouvernement comme pour moi, l'identité de la gendarmerie est enracinée dans l'état militaire. Vos compétences, vos qualités professionnelles et humaines sont connues et reconnues. C'est cette excellence qui vous rend aujourd'hui indispensables à la nation et permet de répondre aux exigences de sécurité exprimées par nos concitoyens. C'est cette excellence qui justifie les ambitions que je nourris et que je suis venue exprimer aujourd'hui devant vous pour la gendarmerie. C'est cette excellence aussi qui justifie la vision de son avenir et que j'entends assurer.
L'excellence de la gendarmerie est connue, reconnue et attendue pour les situations de crise. Vous êtes au premier rang de ceux qui garantissent la liberté et la sécurité de la France. La continuité de vos missions au service de l'Etat et des Français, dans la montée en puissance des crises et dans la durée, fait de la gendarmerie bien plus qu'une police. La gendarmerie représente un instrument incomparable pour permettre une gradation de la réplique face aux menaces susceptibles d'affecter le territoire national de l'état de paix à l'état de guerre. Dans les circonstances actuelles, je tiens à réaffirmer que ce trait représente pour la France un atout décisif face à la menace terroriste. Ce caractère spécifique de la gendarmerie rend aussi possible sa projection. Elle en fait un modèle sur les théâtres extérieurs, comme j'ai pu le constater notamment en Bosnie et au Kosovo. Les armées ne peuvent se passer ni des services que représentent les gendarmeries spécialisées, maritime, de l'air, ou désarmement, nucléaire, ni de la prévauté.
Les Français font confiance à la gendarmerie et aux gendarmes. Je sais qu'ils ont raison, au quotidien comme en période de crise. Les Français connaissent également le rôle déterminant rempli par la gendarmerie au profit des autres ministères, et en particulier au profit du ministère de l'Intérieur et de celui de la Justice. Les résultats récemment obtenus ne font que souligner cet aspect.
Votre mise à disposition du ministre de l'Intérieur pour emploi en matière de sécurité intérieure ne bouleverse pas votre l'ordre juridique préexistant, mais elle traduit une volonté politique forte. Nous avons déjà eu l'occasion de le dire, M. Nicolas Sarkozy et moi-même.
Il faut rétablir la sécurité intérieure dans notre pays, restaurer l'autorité de l'Etat, éradiquer la peur. Pour l'ensemble de ces missions, l'Etat a besoin de vous. Nous avons besoin de vous. J'ai besoin de vous.
Pour apporter aujourd'hui une contribution efficace à l'exercice des missions de police, nous savons que vous êtes les meilleurs et j'entends que vous le restiez. Vos atouts sont irremplaçables. Votre présence sur l'ensemble du territoire national comme votre proximité avec nos concitoyens - et ils l'apprécient tellement - vous permettent de ressentir mieux que quiconque l'intensité de cette aspiration des Français à en finir avec une délinquance et une criminalité quotidiennes et banalisées.
Pour y répondre, nous savons que nous pouvons nous appuyer sur les spécificités de la gendarmerie, sur votre sens de l'initiative, du dialogue, de l'écoute qui ajoute aux exigences traditionnelles du métier des armes. A cet égard, le rôle des commandants de groupements revêt pour moi une dimension essentielle. Les commandants sont en effet la cheville ouvrière de votre institution. Ceci me permet d'avoir une véritable ambition pour la gendarmerie. L'excellence qui est la vôtre et que je viens de rappeler, je veux la garantir par la réforme du statut militaire, par la qualité du recrutement et par une amélioration des conditions de travail et de vie de la gendarmerie.
Concernant la réforme du statut de la gendarmerie, il a été réaffirmé à plusieurs reprises, et cela ne saurait être remis en cause, que la gendarmerie conserverait son statut militaire. Aux fondements de ce statut, se trouve votre vocation pour le service de la patrie et de nos concitoyens. Le statut militaire des gendarmes rend seul possible cette neutralité, cette discipline, cette exemplarité, ce patriotisme et cet esprit de sacrifice qui sont l'apanage des militaires.
Comme l'a annoncé le Premier ministre, la révision de certaines dispositions du statut sera engagée en 2003. Elle permettra d'identifier le socle des valeurs militaires dans lequel vous vous reconnaissez et que vous incarnez. Il sera ensuite possible d'envisager la reconnaissance de la spécificité de la gendarmerie au sein du statut militaire. Vous le savez et nous le savons tous, la condition de gendarme implique la limitation de certains droits et l'extrême disponibilité de ses membres. Cette exigence permanente et contraignante justifie l'obligation des gendarmes de vivre en caserne. Le statut doit compenser les suggestions et les responsabilités particulières par des rémunérations, des primes ainsi qu'un système particulier de retraites.
Le deuxième élément de mon ambition, c'est de repenser le recrutement. Je veux en effet garantir l'excellence du recrutement. Depuis la fin des années soixante, la gendarmerie recrute de jeunes officiers à la sortie des grandes écoles militaires, majoritairement issus de l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Le précédent gouvernement avait décidé de remettre en cause cette voie d'accès appelée à disparaître à partir de 2005.
Cette décision ne m'apparaît conforme ni à la vocation fondamentalement militaire de votre institution, ni à la nécessité de préserver des liens privilégiés entre la gendarmerie et les armées. Elle n'est pas non plus en accord avec le caractère prestigieux de votre arme, caractère qui est une nouvelle fois exprimé cette année par le choix du major de Saint-Cyr d'intégrer l'EOGN.
J'ai donc décidé que le recrutement direct sera rétabli au sein des grandes écoles militaires. Les modalités de cette réforme seront précisées par voie réglementaire. Le recrutement des officiers à la sortie des facultés notamment de droit, mais pas uniquement, sera bien sûr maintenu. Il s'agit là d'une nécessaire diversification des voies d'accès à l'EOGN et d'une source d'enrichissement de l'âme. Le statut de grande école militaire de l'EOGN sera ainsi conforté. Le renom de cette école est le garant de l'attractivité de cette arme.
Je souhaite également que le caractère militaire de la gendarmerie s'exprime davantage dans les modes de recrutement des sous-officiers. A cet effet, le recrutement d'anciens militaires sous contrat des armées dans les écoles de sous-officiers de gendarmerie sera amélioré.
Mon ambition pour la gendarmerie s'exprime aussi et se concrétise dans les efforts faits dans la loi de programmation militaire. Il faut donner à la gendarmerie les moyens de ses missions. Dans le cadre de l'effort fait en faveur de la sécurité des Français, la gendarmerie bénéficie et bénéficiera d'une véritable remise à niveau. Les effectifs seront augmentés pour faire face encore plus efficacement aux missions nouvelles, par leur nombre et leur statut.
Le nouveau budget d'équipement, auquel je sais que vous attachez une grande importance, permettra un saut qualitatif important dans le domaine des moyens à la disposition des gendarmes.
Je sais aussi que se pose une question particulière : la gestion de la fin de l'année. Elle risque d'être difficile en attendant le nouveau budget 2003. Il n'est pas question pour moi de reporter une charge trop importante sur le budget 2003. Des dispositions seront prises pour permettre une fin de gestion correcte.
Une réforme permettant de tirer une meilleure partie de la loi de programmation militaire et de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure est nécessaire. Elle aura donc lieu.
Dans le cadre de la loi de programmation militaire, j'entends également prendre en compte la nécessité d'améliorer les conditions de vie et de travail de la gendarmerie. La qualité des conditions de vie et de travail des gendarmes est en effet nécessaire à une bonne application de la loi et à la hauteur des ambitions que j'ai évoquées. Je sais à quel point ces conditions de vie et de travail sont parfois difficiles. Elles sont d'ailleurs extrêmement différentes d'un endroit à l'autre comme j'ai pu le constater en allant en visite dans les unités.
Un véritable plan pour l'immobilier garantira les conditions nécessaires à un travail efficace et assurera aussi des conditions de vie optimales pour les familles. C'est à cette condition que l'on peut bien travailler. La vie en caserne estompe la frontière si nette pour la plupart des métiers entre la vie privée et la vie professionnelle. D'où ma conviction profonde que l'attention portée au cadre de vie est une exigence plus déterminante encore pour la gendarmerie que pour n'importe quelle autre institution. La somme de 475 millions d'euros a été programmée sur cinq ans pour la remise à niveau du parc immobilier et aussi pour son entretien.
Je souhaite aussi que l'on puisse simplifier et accélérer les procédures juridiques. Il n'est pas pour moi question que l'on continue à mettre cinq ans pour réaliser une opération immobilière. La loi autorise désormais le recours éventuel à des maîtrises d'ouvrages privées ou au crédit-bail. Il ne faut rien exclure. C'est en effet la réalisation qui prime sur le suivi des procédures. De nouvelles procédures seront donc mises en uvre en association avec les collectivités territoriales, y compris dans le cadre de formules d'externalisation.
Toujours dans le cadre de l'amélioration des conditions de vie, j'entends veiller également à l'augmentation du taux de l'indemnité spéciale de suggestion de police et à la revalorisation de la prime d'officier de police judiciaire.
Pour conclure, je voudrais vous redire, et c'est peut-être le plus important, à quel point l'Etat a besoin de vous. L'Etat a besoin de disposer d'une force armée capable d'affronter de manière quasi-instantanée et efficace les situations pouvant revêtir un caractère extrême. Cette exigence justifie que la gendarmerie demeure soumise au statut militaire et soit indissolublement liée au ministère de la Défense.
Compte tenu de vos fonctions de commandement, et avec ce que cela suppose de caractère, d'engagement personnel, d'exemplarité, de compétences, vous êtes l'ossature de cette force.
Ce que je voulais vous dire ce soir, c'est que cette grande réforme destinée à faire connaître à tous ce que vous êtes, ce que vous représentez comme socle de la nation, je souhaite que nous le fassions ensemble. Je pense que nous aurons quelques instants pour dialoguer, je souhaite que nous le fassions le plus librement possible car c'est sur la base de la confiance que l'on peut être efficace. Et être efficace, c'est servir notre pays.
Je vous remercie.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 novembre 2002)
- La Montagne :
L'insécurité gagne les zones rurales. Comment adapter l'action de la gendarmerie à ce phénomène ?
Mme Alliot-Marie :
" Depuis plusieurs années nous constatons la montée de l'insécurité en zones de campagne, la pénétration de la toxicomanie et la multiplication des atteintes aux biens et aux personnes. Au cours des dernières années, la gendarmerie, comme les armées, a été victime d'une stagnation, voire d'une baisse de crédits, en particulier sur le matériel. Ce qui a notablement affecté le moral des gendarmes. Ils se sentaient désemparés, voire méprisés en constatant, par exemple, que pour poursuivre des délinquants équipés de véhicules rapides, ils avaient des voitures ayant jusqu'à 200 000 kilomètres au compteur. C'était vrai aussi pour les motos ou l'installation informatique ; il n'y a pas aujourd'hui encore dans les gendarmeries un ordinateur par gendarme. J'en vois apporter sur place leur ordinateur personnel. Le plus urgent était donc de leur donner les moyens matériels de leurs missions. C'est ce qui a été fait dans le collectif budgétaire, dans la loi de programmation militaire 3,2 milliards d'euros pour la gendarmerie et dans le budget de 2003, en conformité avec les finalités inscrites dans la loi d'orientation sur la sécurité intérieure.
Mais l'efficacité ne passe-t-elle pas aussi par une meilleure coordination avec la police ?
" Depuis plus de vingt ans, la gendarmerie était restée sur les mêmes schémas. Or, des zones rurales sont devenues urbaines ce qui impose une remise en ordre pour des missions mieux équilibrées entre la gendarmerie et la police. Cela impose aussi de supprimer des anomalies. Par exemple, les fichiers de délinquants de la police et de la gendarmerie n'étaient pas interconnectables. Bref, il fallait mettre en place une structure plus rationnelle de la répartition entre la police et la gendarmerie et une meilleure coordination de leurs actions. C'est ce que nous avons fait avec Nicolas Sarkozy.
La fin du service national a créé un vide. Envisagez-vous de la combler par un service civique ?
" Grâce à la professionnalisation voulue par Jacques Chirac en 1996 nous avons une armée moderne. Il est vrai cependant que le service national permettait aux jeunes gens d'avoir un contact avec les armées. C'était également un creuset de la République. La " journée citoyenne " ne remplit pas ce rôle de sensibilisation aux problèmes de défense. Je souhaite apporter des modifications pour la rendre plus attractive et plus formatrice, peut-être en allonger la durée de manière, par exemple, à permettre à chaque jeune de passer un brevet de secourisme.
Mais je suis aussi favorable à un lieu permettant aux jeunes d'exprimer leur solidarité avec toutes les couches de la Nation. Ce pourrait être un service civil de trois ou quatre mois, sur une base volontaire. Avec un préalable à régler : l'encadrement.
N'y a-t-il pas également un problème pour la réserve ?
" Je souhaite en effet apporter des améliorations, ce serait-ce que pour atteindre les objectifs qui ont été fixés. A la fin de la programmation militaire 2003-2008, la réserve devrait être de 80.000 hommes. Aujourd'hui nous en sommes très loin. Nous avons à peu près l'effectif souhaité pour les officiers, mais nous sommes en dessous de la moitié de ce qui serait nécessaire pour les sous-officiers et, pour les hommes de troupe, nous n'en sommes qu'à 16%.
Les causes de cette situation sont multiples. Parfois les entreprises freinent pour libérer les réservistes. La réserve est une contrainte souvent mal compensée. Les activités proposées ne sont pas toujours intéressantes : dans certains cas les réservistes sont utilisés pour remplacer les appelés qui ne sont plus là. Il faut aussi valoriser le rôle des réserves à l'intérieur de l'armée. Il faut aussi mieux les connaître sur le plan social. J'ai l'intention de me consacrer à ce dossier dès que sera votée la loi de programmation militaire, à la mi-janvier.
Le second porte-avions dont la construction a été décidée ne pourrait-il devenir un symbole d'une défense européenne ?
" Ce qu'il faut savoir, c'est qu'existent déjà énormément de programmes d'armements européens. S'agissant du second porte-avions, le choix européen n'est pas lié à son coût : contrairement à ce qu'on dit, sa construction n'est pas le plus gros investissement financier. Pour le symbole, je souhaiterais bien sûr qu'il puisse y avoir une coopération européenne. Dès lors que la loi de programmation militaire aura validé cet équipement, je mettrai sur pied un groupe de travail pour étudier les différentes solutions : communes avec les Britanniques ou bien le modèle purement national, à propulsion nucléaire ou à propulsion classique. La décision sera prise vers juin prochain. ().
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 21 novembre 2002)