Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Dès mon arrivée à la Chancellerie, j'ai pris conscience de la situation pénitentiaire. La solution de ce problème est devenue tout de suite l'une des priorités de mon action, et j'ai posé très vite la question dans toute son ampleur devant l'opinion publique.
Au début, j'ai eu le sentiment de prêcher dans le désert puis, peu à peu, les esprits se sont éveillés, parfois enflammés. Un grand débat était ouvert, axé sur plusieurs thèmes :
- Fallait-il construire des prisons
- Quel type de prisons ?
- Pouvait-on faire appel à l'initiative privée ?
Le résultat acquis est que nous sommes aujourd'hui grâce à un mûrissement finalement rapide, capables de régler en 2 ou 3 ans une affaire lancinante qui pèse depuis des décennies sur notre justice et notre société.
La seule pierre qui manque pour démarrer la construction de ce nouvel édifice est le texte de loi que le gouvernement vous présente aujourd'hui.
En affirmant qu'il fallait développer massivement notre appareil pénitentiaire, j'ai soulevé une grave question qui ne date pas d'aujourd'hui : la prison est-elle la réponse appropriée à la délinquance ? Autrement dit, est-il nécessaire de construire des prisons ?
Certains répondent par la négative. Ils soutiennent qu'il faut mettre le moins possible de gens en prison et que, dès que celles-ci sont pleines, il convient de les vider par des libérations massives. La délinquance, à leurs yeux, est un problème qui doit être traité par la prévention, non par la répression.
Je me garderai bien d'entrer dans ce débat théorique, qui peut se dérouler sans fin sur un tel sujet, et qui dérive inévitablement sur une fausse alternative : répression ou prévention. Ainsi que j'ai eu bien des fois l'occasion de le dire devant vous, ce sont là les deux bras de la justice : elle a besoin de l'un comme de l'autre. Je répondrai simplement en me référant aux faits, et notamment à l'expérience à la fois tentée et subie par mon prédécesseur.
Soutenu par une conception anti-carcérale que le cur me ferait volontiers partager, il a à la fois incité la justice à être moins répressive, et cherché par des libérations à maintenir la population pénale à un niveau relativement bas.
Ni cette philosophie, ni l'action qu'elle a inspirée, n'ont réussi à empêcher la montée du nombre des délinquants - les chiffres sont tout à fait clairs à cet égard - le 1er janvier 1981, le nombre des détenus était de 40 365. Les dix mille libérations consenties par l'amnistie votée par le parlement au cours de cette année faisaient retomber ce chiffre à 31 547 au 1er janvier suivant. Or, malgré une politique anti-carcérale clairement préconisée, ce chiffre remontait de plus de 4 000 en 1982, de plus de 4 000 encore en 1983 et, à nouveau en 1984, de plus de 4 000. L'année 1985 commençait avec un effectif de 44 498 détenus, soit 13 000 détenus de plus qu'au 1er janvier 82. Une nouvelle vague de libérations massives faisait, pendant l'été 1985, sortir de prison environ 6 000 personnes. Cela n'empêchait pas la population carcérale de se retrouver, au 1er avril 1986, au chiffre de 43 344 détenus.
Malgré une volonté d'incarcérer le moins possible, la population pénale n'a donc cessé d'augmenter. Malgré les libérations intervenues, il y avait davantage de détenus en mars 1986 qu 'en avril 1981.
Face à cette évolution, le lancement pendant cette période de 2 500 places, intervenu seulement à partir de 1984, était une réponse manifestement insuffisante.
L'échec d'une telle politique doit être loyalement constaté par l'analyse des conséquences qu'elle entraîne.
Libérer des détenus est certes une pratique nécessaire, à condition qu'elle se fasse cas par cas, c'est-à-dire de façon sélective et mesurée. Lui donner en revanche un caractère systématique et massif ne peut fonder sainement une politique pénitentiaire, ni, à plus forte raison, une politique pénale.
Mettre prématurément des détenus en liberté au gré de la capacité pénitentiaire, est contraire à l'égalité d'un traitement qu'impose notre constitution. C'est, en tout cas, renforcer l'insécurité dans la rue, développer l'inquiétude, la peur, chez nos concitoyens et, fait non moins grave, faire perdre à la justice sa crédibilité, en affaiblissant le caractère dissuasif des sanctions qu'elle prononce.
La pratique des libérations massives ne peut être qu'un mal nécessaire auquel on recourt tant que le problème n'a pas été résolu.
Y a-t-il d'autre palliatif ?
L'espoir d'alléger la population pénale par le développement des peines de substitution trouve, hélas, vite sa limite. La justice, certes, doit faire appel à des peines de substitution et j'entends poursuivre l'effort engagé par mon prédécesseur avec la création des "Travaux d'Intérêt Général".
Mais n'oublions pas que : le développement des "T.I.G" dépend des décisions des juges qui sont indépendants, et des collectivités locales qui coopèrent plus ou moins.
J'y ai ajouté les "chantiers de jeunes", qui se révèlent être une expérience positive dont je souhaite l'extension.
La justice fera peut-être appel, après-demain, aux technologies nouvelles, à l'électronique notamment, pour sanctionner davantage hors de la prison. En attendant, dans un délai prévisible, compte tenu des exigences de la sécurité, rien ne permet de désencombrer les prisons. Or, cet encombrement a des conséquences dramatiques sur le plan humain et social. Il crée des conditions de vie pour les détenus qui sont indignes : la promiscuité, le caractère vétuste, les conditions d'hygiène parfois difficiles à maintenir au niveau souhaitable, notamment en raison de l'apparition de ce fléau qu'est le sida, constituent, je ne crains pas de le réaffirmer devant vous, dans certains cas, une atteinte aux droits de l'homme qu'une nation comme la nôtre ne peut admettre.
Les surveillants eux-mêmes en pâtissent et il faut tout leur zèle et leur dévouement pour exercer leur fonction dans les conditions qui leur sont imposées. C'est grâce à eux que le système pénitentiaire tient aujourd'hui, et je leur rends hommage et les remercie.
Mais il y a pire : les prisons encombrées ne permettent plus d'assurer la fonction pénitentiaire dans sa plénitude, j'ajouterai dans son aspect le plus noble : La réhabilitation et la réinsertion. Pour les petits délinquants, une peine de prison courte peut permettre à l'intéressé, par le choc qu'elle implique, de le conduire à une prise de conscience salutaire. Mais à une condition, que nos prisons ne soient pas des "pourrissoirs", véritables pépinières de récidivistes, aboutissement néfaste et pour l'intéressé, et pour la société. Lorsque la sanction est une peine de prison plus longue, la fonction de réinsertion, à laquelle, je le sais, vous êtes, sur tous les bancs de cette assemblée, très attachés, prend une importance essentielle. Il faut, par les possibilités de travail, de formation, d'étude, de réflexion, préparer les voies d'un amendement et d'un retour possible au sein de la société.
A ceux qui seraient sourds à cet aspect humanitaire, je souligne l'intérêt égoïste qui commande de tout faire pour que nos prisons ne fabriquent pas des récidivistes. Quant aux autres, qu'ils comprennent bien que la justice condamne doublement ceux qu'elle frappe, si elle leur refuse de retrouver un jour une place dans la société.
Le sur-encombrement, parvenu à la limite, non pas du tolérable car elle est vite atteinte, mais de la capacité matérielle a des conséquences directes particulièrement néfastes sur la justice elle-même. Son fonctionnement est obéré. Les parquets classent sans suite une proportion croissante d'affaires, certaines peines ne sont pas exécutées ou, ce qui est peut-être encore plus pernicieux, certains condamnés ne vont en prison que plusieurs années après leur condamnation. Dans certaines régions, reconnaissons-le pour le déplorer, la justice se règle sur le nombre de places dans les prisons : il est impossible d'incarcérer quelqu'un si, parallèlement, on ne libère pas un détenu.
Voilà tous les maux qu'engendre le refus de voir la réalité en face, soit en s'imaginant que l'on peut se passer d'un système carcéral à la mesure des besoins, soit en refusant, purement et simplement, de voir le problème, comme l'a fait l'opinion publique française depuis tant d'années.
Pour avoir refusé de procéder, comme les gouvernements précédents, à des libérations massives, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation critique. Au 1er avril dernier, le chiffre des détenus atteignait 51 188 dans la seule métropole. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Il fallait agir, et agir avec d'autant moins de complexes que le taux d'incarcération en France est en général plus faible que celui des autres pays occidentaux. C'est ainsi que pour 100 000 habitants, le taux de détention est de 215 aux Etats-Unis, 109 en Autriche, 96 au Portugal, 95 en Grande-Bretagne, 92 en RFA. En France, nous sommes aux environs de 80.
Il fallait construire et, qui plus est, construire des prisons d'un type nouveau, intégrant toutes nos préoccupations de réinsertion sociale.
Construire combien de places ?
Compte tenu des chiffres de détenus que je viens de vous indiquer, de leur accroissement (environ 7 000 par an actuellement), mais aussi de leur stabilisation probable en raison de l'effet dissuasif de la prison ; compte tenu aussi de la vétusté d'un certain nombre de nos établissements, les études prospectives indiquent que pour faire face à une population optimale de 60 000 à 65 000 détenus, le nombre de places à construire s'élève à un chiffre compris entre 30 et 40 000.
En décidant de construire immédiatement un peu plus de 20 000 places, le gouvernement est sûr de ne pas se tromper. Et pourtant, je le rappelle, c'est plus que ce qui a été construit entre 1900 et 1957. C'est là un chiffre que la majorité doit retenir dans son bilan.
Lors de la préparation du budget 1987, j'obtenais un effort considérable me permettant de lancer 5 000 places dans le cadre d'un programme d'urgence. Pour les 15 000 restantes, il fallait attendre.
L'addition, il est vrai, compte tenu des ratios habituels des prix de construction et de gestion, était lourde, trop lourde pour le budget (8 milliards pour la construction). Il fallait donc trouver une autre voie.
J'ai alors proposé le système des prisons habilitées, qui prévoyait le recours au financement privé pour la construction, auquel s'ajoutait une gestion également privée sous un contrôle étroit de l'Etat.
L'arbitrage du Premier ministre m'autorisait à construire 15 000 places.
Le système imaginé était logique et cohérent. Il pouvait fonctionner sans difficultés.
Mais, par son caractère nouveau, cette démarche a ouvert un formidable débat typiquement franco-français, de nature essentiellement idéologique.
- On mettait en avant le caractère régalien, prétendument traditionnel, de la prison ;
- C'était historiquement faux
- On rappelait que le droit de punir est de la responsabilité de l'Etat, en oubliant de préciser que l'exécution des peines, elle, est une fonction administrative, longtemps rattachée, d'ailleurs, au ministère de l'intérieur.
Un colloque d'Aix-En-Provence, avec d'éminents juristes constitutionnels, montrait le caractère relatif de ces critiques : le projet qui avait été proposé était certes novateur, très novateur, mais respectait à leurs yeux les exigences du service public.
Le Sénat, auquel le projet de loi était soumis à la fin de la session parlementaire précédente, apportait alors une contribution originale en faisant évoluer le projet sur deux points :
- Outre le greffe, l'ensemble de la direction et de l'encadrement de la surveillance seraient assurés par des fonctionnaires ;
- La forme juridique des établissements pouvait être diverse et pouvait prendre notamment celle de l'établissement public.
Cette solution de compromis permettait au projet d'être plus facilement accepté par l'opinion et par la majorité parlementaire. Cependant, la juxtaposition de deux types de personnels, l'un fonctionnaire, l'autre salarié d'une entreprise, au sein du gardiennage risquait de poser, dans l'application, de délicats problèmes de fonctionnement.
Le temps laissé entre les deux sessions, puisque le débat avait été interrompu par la clôture de la session précédente, allait permettre de réfléchir encore, et dans un contexte qui, lui aussi, évoluait.
Le débat que j'ai évoqué, les propositions du Sénat, le temps qui passait, avaient le grand mérite de faire bouger les esprits et les choses. D'une part, une large prise de conscience de la gravité du problème pénitentiaire pénétrait les diverses couches de l'opinion publique. D'autre part, des études plus poussées, tenant compte de l'effet de masse des constructions à entreprendre, de la grande liberté qui serait laissée aux concepteurs, de la simplification des procédures administratives de passation des marchés montraient que les prix calculés initialement sur la base des ratios habituels pouvaient être fortement abaissés.
L'ensemble de ces éléments a conduit le Gouvernement, à la veille de la reprise du débat parlementaire devant le Sénat, à décider que le financement de la construction des 15 000 places et le gardiennage serait assuré directement par le budget de l'Etat, et cela pouvant être engagé en 1987 et en 1988.
Nous aboutissons ainsi à une solution pragmatique vers laquelle chacun fait un pas qui présente un grand nombre d'avantages et le minimum d'inconvénients. Elle gomme tout risque de contentieux, supprime les difficultés d'application.
Mon seul objectif, celui sur lequel, je m'étais engagé, construire ces 15 000 places, allait pouvoir être atteint. Un problème majeur, dont l'opinion attendait la solution avec de plus en plus d'impatience allait pouvoir être réglé. Et cela dans un temps record.
La nécessité d'une loi subsistait cependant pour deux raisons essentielles : permettre aux capacités d'innovation de nos entreprises privées de jouer à plein, leur permettre d'assurer l'ensemble des fonctions autres que celles de direction, de greffe et de gardiennage d'une part, et, d'autre part, permettre la création d'une nouvelle catégorie d'établissements publics, celle des établissements publics pénitentiaires.
Pour atteindre le premier objectif, il est nécessaire de simplifier les procédures de construction dans un but de plus grande rapidité et d'économie. C'est pourquoi, je vous propose de confier à une seule personne morale ou à un groupement de personnes morales, l'ensemble des opérations de conception, de construction et d'aménagement des nouveaux établissements pénitentiaires. Ceci permettrait de mettre au concours non pas des établissements individualisés, mais plusieurs lots d'établissements et de ne pas passer qu'un marché par lot. L'effet de masse ajouté à une incitation à l'innovation ne peut qu'aboutir à une réduction des coûts ainsi qu'à un "plus" dans la conception des détentions modernes.
La possibilité donnée d'ériger les établissements pénitentiaires en établissements publics permettra de réaliser une plus grande souplesse et une plus grande efficacité de gestion de nos établissements. Conformément aux exigences de la constitution, le projet énonce les règles constitutives de ces établissements publics qui seront créés par décret.
L'opinion, dont j'évoquais tout à l'heure les réticences, a compris, me semble-t-il, à travers le vaste débat ouvert devant elle depuis plusieurs mois, l'enjeu essentiel que constitue la solution du problème pénitentiaire au regard d'une politique efficace d'amélioration de la sécurité - de sa sécurité.
Désencombrer les prisons existantes, doter la France du système pénitentiaire dont elle a besoin, rétablir la dignité humaine et les droits individuels élémentaires dans les prisons, permettre à celles-ci d'assurer, enfin, sans entraves, la fonction de réinsertion qui constitue l'une de leurs missions essentielles. Tout cela, Mesdames et Messieurs, devient désormais possible, si vous voulez bien voter le projet de loi que je vous présente.
Je crois qu'il réalise, dans un domaine aussi complexe, touchant à la morale, au droit, et à la constitution, un équilibre satisfaisant, en le votant avec la majorité la plus large possible, pour ne pas dire l'unanimité, vous montrerez aux Français que certains problèmes qui touchent à la profondeur de l'être humain, peuvent être réglés en dehors des clivages politiques, et que leur solution peut être l'affaire de tous.
Mesdames et Messieurs les députés,
Dès mon arrivée à la Chancellerie, j'ai pris conscience de la situation pénitentiaire. La solution de ce problème est devenue tout de suite l'une des priorités de mon action, et j'ai posé très vite la question dans toute son ampleur devant l'opinion publique.
Au début, j'ai eu le sentiment de prêcher dans le désert puis, peu à peu, les esprits se sont éveillés, parfois enflammés. Un grand débat était ouvert, axé sur plusieurs thèmes :
- Fallait-il construire des prisons
- Quel type de prisons ?
- Pouvait-on faire appel à l'initiative privée ?
Le résultat acquis est que nous sommes aujourd'hui grâce à un mûrissement finalement rapide, capables de régler en 2 ou 3 ans une affaire lancinante qui pèse depuis des décennies sur notre justice et notre société.
La seule pierre qui manque pour démarrer la construction de ce nouvel édifice est le texte de loi que le gouvernement vous présente aujourd'hui.
En affirmant qu'il fallait développer massivement notre appareil pénitentiaire, j'ai soulevé une grave question qui ne date pas d'aujourd'hui : la prison est-elle la réponse appropriée à la délinquance ? Autrement dit, est-il nécessaire de construire des prisons ?
Certains répondent par la négative. Ils soutiennent qu'il faut mettre le moins possible de gens en prison et que, dès que celles-ci sont pleines, il convient de les vider par des libérations massives. La délinquance, à leurs yeux, est un problème qui doit être traité par la prévention, non par la répression.
Je me garderai bien d'entrer dans ce débat théorique, qui peut se dérouler sans fin sur un tel sujet, et qui dérive inévitablement sur une fausse alternative : répression ou prévention. Ainsi que j'ai eu bien des fois l'occasion de le dire devant vous, ce sont là les deux bras de la justice : elle a besoin de l'un comme de l'autre. Je répondrai simplement en me référant aux faits, et notamment à l'expérience à la fois tentée et subie par mon prédécesseur.
Soutenu par une conception anti-carcérale que le cur me ferait volontiers partager, il a à la fois incité la justice à être moins répressive, et cherché par des libérations à maintenir la population pénale à un niveau relativement bas.
Ni cette philosophie, ni l'action qu'elle a inspirée, n'ont réussi à empêcher la montée du nombre des délinquants - les chiffres sont tout à fait clairs à cet égard - le 1er janvier 1981, le nombre des détenus était de 40 365. Les dix mille libérations consenties par l'amnistie votée par le parlement au cours de cette année faisaient retomber ce chiffre à 31 547 au 1er janvier suivant. Or, malgré une politique anti-carcérale clairement préconisée, ce chiffre remontait de plus de 4 000 en 1982, de plus de 4 000 encore en 1983 et, à nouveau en 1984, de plus de 4 000. L'année 1985 commençait avec un effectif de 44 498 détenus, soit 13 000 détenus de plus qu'au 1er janvier 82. Une nouvelle vague de libérations massives faisait, pendant l'été 1985, sortir de prison environ 6 000 personnes. Cela n'empêchait pas la population carcérale de se retrouver, au 1er avril 1986, au chiffre de 43 344 détenus.
Malgré une volonté d'incarcérer le moins possible, la population pénale n'a donc cessé d'augmenter. Malgré les libérations intervenues, il y avait davantage de détenus en mars 1986 qu 'en avril 1981.
Face à cette évolution, le lancement pendant cette période de 2 500 places, intervenu seulement à partir de 1984, était une réponse manifestement insuffisante.
L'échec d'une telle politique doit être loyalement constaté par l'analyse des conséquences qu'elle entraîne.
Libérer des détenus est certes une pratique nécessaire, à condition qu'elle se fasse cas par cas, c'est-à-dire de façon sélective et mesurée. Lui donner en revanche un caractère systématique et massif ne peut fonder sainement une politique pénitentiaire, ni, à plus forte raison, une politique pénale.
Mettre prématurément des détenus en liberté au gré de la capacité pénitentiaire, est contraire à l'égalité d'un traitement qu'impose notre constitution. C'est, en tout cas, renforcer l'insécurité dans la rue, développer l'inquiétude, la peur, chez nos concitoyens et, fait non moins grave, faire perdre à la justice sa crédibilité, en affaiblissant le caractère dissuasif des sanctions qu'elle prononce.
La pratique des libérations massives ne peut être qu'un mal nécessaire auquel on recourt tant que le problème n'a pas été résolu.
Y a-t-il d'autre palliatif ?
L'espoir d'alléger la population pénale par le développement des peines de substitution trouve, hélas, vite sa limite. La justice, certes, doit faire appel à des peines de substitution et j'entends poursuivre l'effort engagé par mon prédécesseur avec la création des "Travaux d'Intérêt Général".
Mais n'oublions pas que : le développement des "T.I.G" dépend des décisions des juges qui sont indépendants, et des collectivités locales qui coopèrent plus ou moins.
J'y ai ajouté les "chantiers de jeunes", qui se révèlent être une expérience positive dont je souhaite l'extension.
La justice fera peut-être appel, après-demain, aux technologies nouvelles, à l'électronique notamment, pour sanctionner davantage hors de la prison. En attendant, dans un délai prévisible, compte tenu des exigences de la sécurité, rien ne permet de désencombrer les prisons. Or, cet encombrement a des conséquences dramatiques sur le plan humain et social. Il crée des conditions de vie pour les détenus qui sont indignes : la promiscuité, le caractère vétuste, les conditions d'hygiène parfois difficiles à maintenir au niveau souhaitable, notamment en raison de l'apparition de ce fléau qu'est le sida, constituent, je ne crains pas de le réaffirmer devant vous, dans certains cas, une atteinte aux droits de l'homme qu'une nation comme la nôtre ne peut admettre.
Les surveillants eux-mêmes en pâtissent et il faut tout leur zèle et leur dévouement pour exercer leur fonction dans les conditions qui leur sont imposées. C'est grâce à eux que le système pénitentiaire tient aujourd'hui, et je leur rends hommage et les remercie.
Mais il y a pire : les prisons encombrées ne permettent plus d'assurer la fonction pénitentiaire dans sa plénitude, j'ajouterai dans son aspect le plus noble : La réhabilitation et la réinsertion. Pour les petits délinquants, une peine de prison courte peut permettre à l'intéressé, par le choc qu'elle implique, de le conduire à une prise de conscience salutaire. Mais à une condition, que nos prisons ne soient pas des "pourrissoirs", véritables pépinières de récidivistes, aboutissement néfaste et pour l'intéressé, et pour la société. Lorsque la sanction est une peine de prison plus longue, la fonction de réinsertion, à laquelle, je le sais, vous êtes, sur tous les bancs de cette assemblée, très attachés, prend une importance essentielle. Il faut, par les possibilités de travail, de formation, d'étude, de réflexion, préparer les voies d'un amendement et d'un retour possible au sein de la société.
A ceux qui seraient sourds à cet aspect humanitaire, je souligne l'intérêt égoïste qui commande de tout faire pour que nos prisons ne fabriquent pas des récidivistes. Quant aux autres, qu'ils comprennent bien que la justice condamne doublement ceux qu'elle frappe, si elle leur refuse de retrouver un jour une place dans la société.
Le sur-encombrement, parvenu à la limite, non pas du tolérable car elle est vite atteinte, mais de la capacité matérielle a des conséquences directes particulièrement néfastes sur la justice elle-même. Son fonctionnement est obéré. Les parquets classent sans suite une proportion croissante d'affaires, certaines peines ne sont pas exécutées ou, ce qui est peut-être encore plus pernicieux, certains condamnés ne vont en prison que plusieurs années après leur condamnation. Dans certaines régions, reconnaissons-le pour le déplorer, la justice se règle sur le nombre de places dans les prisons : il est impossible d'incarcérer quelqu'un si, parallèlement, on ne libère pas un détenu.
Voilà tous les maux qu'engendre le refus de voir la réalité en face, soit en s'imaginant que l'on peut se passer d'un système carcéral à la mesure des besoins, soit en refusant, purement et simplement, de voir le problème, comme l'a fait l'opinion publique française depuis tant d'années.
Pour avoir refusé de procéder, comme les gouvernements précédents, à des libérations massives, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation critique. Au 1er avril dernier, le chiffre des détenus atteignait 51 188 dans la seule métropole. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Il fallait agir, et agir avec d'autant moins de complexes que le taux d'incarcération en France est en général plus faible que celui des autres pays occidentaux. C'est ainsi que pour 100 000 habitants, le taux de détention est de 215 aux Etats-Unis, 109 en Autriche, 96 au Portugal, 95 en Grande-Bretagne, 92 en RFA. En France, nous sommes aux environs de 80.
Il fallait construire et, qui plus est, construire des prisons d'un type nouveau, intégrant toutes nos préoccupations de réinsertion sociale.
Construire combien de places ?
Compte tenu des chiffres de détenus que je viens de vous indiquer, de leur accroissement (environ 7 000 par an actuellement), mais aussi de leur stabilisation probable en raison de l'effet dissuasif de la prison ; compte tenu aussi de la vétusté d'un certain nombre de nos établissements, les études prospectives indiquent que pour faire face à une population optimale de 60 000 à 65 000 détenus, le nombre de places à construire s'élève à un chiffre compris entre 30 et 40 000.
En décidant de construire immédiatement un peu plus de 20 000 places, le gouvernement est sûr de ne pas se tromper. Et pourtant, je le rappelle, c'est plus que ce qui a été construit entre 1900 et 1957. C'est là un chiffre que la majorité doit retenir dans son bilan.
Lors de la préparation du budget 1987, j'obtenais un effort considérable me permettant de lancer 5 000 places dans le cadre d'un programme d'urgence. Pour les 15 000 restantes, il fallait attendre.
L'addition, il est vrai, compte tenu des ratios habituels des prix de construction et de gestion, était lourde, trop lourde pour le budget (8 milliards pour la construction). Il fallait donc trouver une autre voie.
J'ai alors proposé le système des prisons habilitées, qui prévoyait le recours au financement privé pour la construction, auquel s'ajoutait une gestion également privée sous un contrôle étroit de l'Etat.
L'arbitrage du Premier ministre m'autorisait à construire 15 000 places.
Le système imaginé était logique et cohérent. Il pouvait fonctionner sans difficultés.
Mais, par son caractère nouveau, cette démarche a ouvert un formidable débat typiquement franco-français, de nature essentiellement idéologique.
- On mettait en avant le caractère régalien, prétendument traditionnel, de la prison ;
- C'était historiquement faux
- On rappelait que le droit de punir est de la responsabilité de l'Etat, en oubliant de préciser que l'exécution des peines, elle, est une fonction administrative, longtemps rattachée, d'ailleurs, au ministère de l'intérieur.
Un colloque d'Aix-En-Provence, avec d'éminents juristes constitutionnels, montrait le caractère relatif de ces critiques : le projet qui avait été proposé était certes novateur, très novateur, mais respectait à leurs yeux les exigences du service public.
Le Sénat, auquel le projet de loi était soumis à la fin de la session parlementaire précédente, apportait alors une contribution originale en faisant évoluer le projet sur deux points :
- Outre le greffe, l'ensemble de la direction et de l'encadrement de la surveillance seraient assurés par des fonctionnaires ;
- La forme juridique des établissements pouvait être diverse et pouvait prendre notamment celle de l'établissement public.
Cette solution de compromis permettait au projet d'être plus facilement accepté par l'opinion et par la majorité parlementaire. Cependant, la juxtaposition de deux types de personnels, l'un fonctionnaire, l'autre salarié d'une entreprise, au sein du gardiennage risquait de poser, dans l'application, de délicats problèmes de fonctionnement.
Le temps laissé entre les deux sessions, puisque le débat avait été interrompu par la clôture de la session précédente, allait permettre de réfléchir encore, et dans un contexte qui, lui aussi, évoluait.
Le débat que j'ai évoqué, les propositions du Sénat, le temps qui passait, avaient le grand mérite de faire bouger les esprits et les choses. D'une part, une large prise de conscience de la gravité du problème pénitentiaire pénétrait les diverses couches de l'opinion publique. D'autre part, des études plus poussées, tenant compte de l'effet de masse des constructions à entreprendre, de la grande liberté qui serait laissée aux concepteurs, de la simplification des procédures administratives de passation des marchés montraient que les prix calculés initialement sur la base des ratios habituels pouvaient être fortement abaissés.
L'ensemble de ces éléments a conduit le Gouvernement, à la veille de la reprise du débat parlementaire devant le Sénat, à décider que le financement de la construction des 15 000 places et le gardiennage serait assuré directement par le budget de l'Etat, et cela pouvant être engagé en 1987 et en 1988.
Nous aboutissons ainsi à une solution pragmatique vers laquelle chacun fait un pas qui présente un grand nombre d'avantages et le minimum d'inconvénients. Elle gomme tout risque de contentieux, supprime les difficultés d'application.
Mon seul objectif, celui sur lequel, je m'étais engagé, construire ces 15 000 places, allait pouvoir être atteint. Un problème majeur, dont l'opinion attendait la solution avec de plus en plus d'impatience allait pouvoir être réglé. Et cela dans un temps record.
La nécessité d'une loi subsistait cependant pour deux raisons essentielles : permettre aux capacités d'innovation de nos entreprises privées de jouer à plein, leur permettre d'assurer l'ensemble des fonctions autres que celles de direction, de greffe et de gardiennage d'une part, et, d'autre part, permettre la création d'une nouvelle catégorie d'établissements publics, celle des établissements publics pénitentiaires.
Pour atteindre le premier objectif, il est nécessaire de simplifier les procédures de construction dans un but de plus grande rapidité et d'économie. C'est pourquoi, je vous propose de confier à une seule personne morale ou à un groupement de personnes morales, l'ensemble des opérations de conception, de construction et d'aménagement des nouveaux établissements pénitentiaires. Ceci permettrait de mettre au concours non pas des établissements individualisés, mais plusieurs lots d'établissements et de ne pas passer qu'un marché par lot. L'effet de masse ajouté à une incitation à l'innovation ne peut qu'aboutir à une réduction des coûts ainsi qu'à un "plus" dans la conception des détentions modernes.
La possibilité donnée d'ériger les établissements pénitentiaires en établissements publics permettra de réaliser une plus grande souplesse et une plus grande efficacité de gestion de nos établissements. Conformément aux exigences de la constitution, le projet énonce les règles constitutives de ces établissements publics qui seront créés par décret.
L'opinion, dont j'évoquais tout à l'heure les réticences, a compris, me semble-t-il, à travers le vaste débat ouvert devant elle depuis plusieurs mois, l'enjeu essentiel que constitue la solution du problème pénitentiaire au regard d'une politique efficace d'amélioration de la sécurité - de sa sécurité.
Désencombrer les prisons existantes, doter la France du système pénitentiaire dont elle a besoin, rétablir la dignité humaine et les droits individuels élémentaires dans les prisons, permettre à celles-ci d'assurer, enfin, sans entraves, la fonction de réinsertion qui constitue l'une de leurs missions essentielles. Tout cela, Mesdames et Messieurs, devient désormais possible, si vous voulez bien voter le projet de loi que je vous présente.
Je crois qu'il réalise, dans un domaine aussi complexe, touchant à la morale, au droit, et à la constitution, un équilibre satisfaisant, en le votant avec la majorité la plus large possible, pour ne pas dire l'unanimité, vous montrerez aux Français que certains problèmes qui touchent à la profondeur de l'être humain, peuvent être réglés en dehors des clivages politiques, et que leur solution peut être l'affaire de tous.