Déclaration de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur les grands axes de la réforme de l'Ecole nationale d'administration (ENA), Stasbourg le 18 février 2003.

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Circonstance : Allocution prononcée devant la promotion "Senghor" de l'Ecole nationale d'administration, à Strasbourg le 18 février 2003

Texte intégral

Monsieur le Président du Conseil d'administration,
Mesdames et Messieurs les membres du conseil,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur de l'Ecole,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de pouvoir m'adresser aujourd'hui, dans ce magnifique amphithéâtre, aux élèves de la promotion "SENGHOR " en cours de scolarité.
Le nom de baptême de votre promotion est la première raison qui justifie ce sentiment : en choisissant de vous placer sous le parrainage du Poète, de l'Homme d'Etat, de l'Humaniste, qu'était le Président Léopold Sédar SENGHOR, vous avez montré qu'il était possible de concilier la vertu du service de l'Etat avec la noblesse de l'esprit. En vous inspirant de la haute figure de l'Académicien, de l'ami de la France, mais aussi du patriote épris d'universel, vous avez fait un choix inspiré, qui éclaire votre vocation d'administrateur en l'élevant au rang de la Francophonie tout entière.
La deuxième raison qui fonde mon plaisir d'être parmi vous est que, comme vous le savez, j'ai eu l'occasion de me pencher sur le dossier de l'ENA
ces derniers tempsLe débat parlementaire de l'automne dernier a montré quelle pouvait être la sensibilité d'une partie de l'opinion, et particulièrement de l'opinion d'une partie des élus, à un sujet qui fait partie des grandes polémiques françaises depuis à peu-près 35 ans.
Il y a, c'est un peu une habitude de notre pays, un débat quasi permanent autour de l'ENA et de ce que l'on appelle la haute fonction publique. La séance d'aujourd'hui me donne l'occasion de le mener avec vous et je m'en réjouis.
Il ne faut pas se le dissimuler : l'ENA vit une période difficile de son histoire. Le débat à l'Assemblée Nationale de novembre 2002 a fait émerger en pleine lumière un phénomène qui couvait depuis longtemps : le place, le rôle, l'existence même de l'Ecole sont aujourd'hui en question. L'impression d'isolement de l'Ecole par rapport aux attentes de la Société, la désaffection croissante qu'elle suscite dans l'esprit d'une partie des Français, sont des symptômes d'un mal qui touche en réalité l'ensemble de la haute fonction publique et qui est un des révélateurs du malaise que le premier tour de l'élection présidentielle a illustré : notre pays a perdu la foi dans ses élites ; il a besoin de repères et veut reprendre confiance en lui-même. Il est d'autant plus essentiel de le faire adhérer aux valeurs que porte le Service public que celui-ci est un des ciments de notre société.
C'est pourquoi je crois qu'il faut maintenant prendre à bras le corps la réforme indispensable de notre système de recrutement et de formation des cadres supérieurs de nos fonctions publiques. On ne peut plus se contenter de demi-mesures, de replâtrages, de ravaudages portant sur un bout de la scolarité. C'est tout le système qu'il faut repenser, si l'on veut redonner à nos concitoyens la confiance dans notre administration et faire émerger la fonction publique du XXIème siècle.
L'ENA telle qu'elle est organisée aujourd'hui ne répond plus à ce besoin. En prenant mes fonctions après les élections de mai-juin dernier, j'ai été rapidement confronté à un choix portant sur la validation du projet d'établissement qui avait été préparé par la direction de l'Ecole. J'ai décidé de ne pas approuver ce document qui me paraissait enfermer l'ENA dans une vision réductrice, aggravant sa coupure par rapport au monde extérieur : la disparition des stages en entreprise, la faible place accordée aux questions européennes, la part insuffisante consacrée à la gestion moderne des services publics, me sont apparues comme autant de motifs de rejets.
Le mauvais climat entre l'administration de l'Ecole et les élèves de la promotion sortante, la fusion imparfaite entre l'ENA et l'Institut international d'administration publique, la dégradation du climat social avec une partie du personnel, ont accentué mon idée que les choses ne pouvaient pas rester en l'état. Le débat parlementaire de l'automne a posé avec une ampleur brutale la question toute crue : à quoi sert l'Ecole ? A-t-elle encore sa place dans notre pays ? Faut-il changer de système ? J'ai été d'ailleurs frappé dans cette circonstance, moi qui ne suis ni énarque ni même fonctionnaire, et qui viens du milieu de l'entreprise, par le fait que l'Ecole présentait deux particularités troublantes : tout d'abord, c'est la première fois que j'ai constaté qu'à la différence des autres écoles, dont les anciens sont en général heureux, un certain nombre d'anciens élèves de l'ENA, du moins d'anciens élèves français, me disaient souvent qu'ils n'avaient pas aimé ce qu'ils y avaient fait. Ensuite, alors que l'Ecole est appréciée par de nombreux pays dans le monde, qui y envoient un grand nombre d'élèves, que je voudrais saluer aujourd'hui, je suis très étonné de voir que l'ENA est attaquée en France et que le débat y fait rage.
Autant le dire tout de suite : je suis persuadé qu'il faut à notre pays un système de recrutement et de formation reposant sur des règles claires, objectives, impartiales, qui sont indispensables en République. Sauf si l'on veut revenir à un mode de recrutement distinct pour chaque corps, avec tout l'arbitraire qu'il représentait, je pense qu'il faut préserver l'esprit des réformes de la Libération, fondé sur l'association de trois principes : la démocratisation du recrutement, la formation dans une école unique, la gestion interministérielle des agents d'encadrement supérieurs des ministères. L'ENA repose sur cette triple association qu'il faut conserver.
Si je suis persuadé de la valeur de ces principes, je crois aussi qu'une réforme d'envergure est nécessaire : elle est maintenant engagée. Un nouveau directeur a été nommé à la tête de l'institution en la personne de Monsieur Antoine Durrleman. Je lui fais confiance pour rétablir avec vous ainsi qu'avec les agents un climat plus serein et pour piloter avec le Conseil d'administration
l'avenir de l'Ecole sur une base plus solide. Par ailleurs, j'ai estimé que le sujet était suffisamment grave pour mériter une réponse politique au bon niveau. C'est pourquoi j'ai décidé de confier à une commission indépendante et pluraliste le soin de me proposer des recommandations sur l'avenir de l'ENA, et plus largement, sur les évolutions de la formation des cadres supérieurs de toutes les fonctions publiques.
Cette commission de neuf membres est présidée par Monsieur Yves-Thibault de Silguy, ancien membre de la Commission européenne et actuel directeur général du groupe Suez. Son expérience, sa parfaite connaissance de milieux de l'administration, de l'entreprise, et de la vie internationale, le qualifient pour conduire cette mission délicate. Un premier rapport portant sur les changements devant être apportés dans l'organisation de l'ENA et le régime des études doit m'être remis pour la fin d'avril. Compte tenu de ce que j'ai pu constater dans le rythme de travail de la commission et dans la motivation de ses membres, je suis confiant dans le respect de ce délai et dans la qualité des conclusions. Un deuxième rapport me sera remis pour l'été sur les transformations qu'il serait souhaitable d'introduire dans la formation des cadres supérieurs des trois fonctions publiques : celle de l'Etat, celle des collectivités territoriales et celle des hôpitaux.
S'agissant de la contribution qu'Yves -Thibault de Silguy doit apporter au débat sur l'ENA, je lui ai demandé de mener une réflexion sans préjugé ni exclusive. Aucun sujet n'est " tabou ". Aucune piste ne doit être écartée parce qu'elle dérange. Le Gouvernement se déterminera en ayant un seul souci, la défense de l'intérêt général et du service public.
La seule condition que j'ai formulée à l'adresse de la commission de M. de Silguy est le maintien du caractère d'école d'application de l'ENA. Pour le reste, le travail de la commission porte sur l'ensemble des sujets qui touchent à l'Ecole :
- il s'agit tout d'abord de son organisation et de son fonctionnement, que je souhaite moderniser pour installer une " nouvelle gouvernance ", pour prendre un mot en vogue.
- il s'agit ensuite de réfléchir sur la formation initiale des élèves français : ceci vise le concours d'entrée, la pédagogie et le régime des études, la procédure de sortie. Il me paraît important que la formation initiale fasse, à côté de la scolarité proprement dite, une large place aux stages et aux périodes pratiques permettant aux élèves d'avoir une approche concrète de la vie des services de l'Etat, tant centraux que déconcentrés, de celle des collectivités territoriales, des postes diplomatiques, des institutions communautaires, des organisations internationales, mais aussi des entreprises ou des institutions du secteur associatif et de l'économie sociale.
- j'ai aussi demandé à la commission de se pencher sur la formation des élèves et auditeurs étrangers. L'Ecole doit être le point de ralliement de stagiaires venant du monde entier, qui s'intéressent au modèle français de service public, et qui enrichissent leur pays et eux-mêmes de l'expérience qu'ils ont acquise.
La force d'une administration de qualité fait la force d'une économie et d'une société de qualité. Je ne crois pas que l'affaiblissement de la fonction publique soit un atout : pour moi, c'est tout le contraire. Je ne conçois pas le développement sans une fonction publique efficace. Pour cette raison, je souhaite conforter l'ENA comme pôle de coopération internationale.
- je pense aussi qu'il est essentiel de renforcer la présence de l'ENA dans le domaine de la formation permanente, aussi bien pour les fonctionnaires de l'Etat que ceux des autres fonctions publiques. L'Ecole doit s'ouvrir aux fonctionnaires des collectivités territoriales et des hôpitaux,au moins dans le domaine de la formation continue. Je crois d'ailleurs que ceci pourrait s'étendre à des périodes communes de formation initiale ; je songe bien entendu aux convergences avec l'Institut national des études territoriales, l'INET, qui est implanté à Strasbourg comme l'est l'ENA.
- Enfin, je ne voudrais pas oublier la contribution que l'Ecole peut apporter dans le domaine de la recherche. Toutes les grandes écoles ont un rayonnement important en matière de recherche. C'est même le critère essentiel aux Etats -Unis par exemple. Je pense que l'ENA doit devenir un " laboratoire de la réforme de l'Etat ".
Dans ce même esprit, vous devez être des acteurs, je dirais presque des militants, de la réforme : notre fonction publique doit se rénover. Le Président de la République l'a rappelé avec force dans son discours de vux aux corps constitués. Vous aviez vous-même ouvert la voie dans votre adresse au Président, Monsieur le Vice-Président du Conseil d'Etat Tous les pays développés se posent en ce moment la question de la modernisation de leur appareil administratif. Les approches peuvent varier, mais la méthode la plus répandue associe en général la maîtrise des dépenses publiques, et donc du nombre des fonctionnaires, avec des actions de simplifications des démarches et des procédures, que vient compléter une gestion plus dynamique des services.
La France est désormais engagée dans une démarche de ce type : la maîtrise des budgets publics, en particulier des budgets de fonctionnement, est déjà lancée ; la mise en place d'un nouveau mode de gestion à travers la Loi organique sur les finances publiques, la LOLF, va imprimer un puissant mouvement d'adaptation des services de l'Etat vers une gestion par objectifs. Parallèlement, les ministères devront élaborer pour l'été prochain des stratégies ministérielles de réforme qui seront soumises à un examen contradictoire avec le ministère de la réforme de l'Etat selon une procédure inspirée par la procédure budgétaire.
Le troisième domaine de la réforme est la relance de la décentralisation, qui sera effective à la fin de l'année quand toutes les lois nécessaires auront été votées. L'Etat va gagner en efficacité en s'allégeant de fonctions qui peuvent mieux être assurées au plus près du terrain. Il va aussi mieux exercer ses tâches de régulation et de contrôle.
La réforme, c'est aussi la simplification des procédures et des démarches qu'elles occasionnent. Le Secrétaire d'Etat Henri Plagnol présentera bientôt au Parlement une importante loi autorisant le Gouvernement à simplifier par voie d'ordonnances des matières qui touchent à la vie quotidienne des particuliers et des professionnels. Par-delà cet exercice, le Gouvernement est résolu à procéder dans le courant de l'année prochaine, à travers le budget de 2004 dont nous commençons la préparation, à des réformes de structure pour alléger les services de l'Etat de branches devenues inutiles ou périmées.
Naturellement, pour accompagner ce processus durable de réforme, et pour en garantir le succès, il faut que la fonction publique se modernise dans ses modes de recrutement, de gestion, de reconnaissance du travail des agents. J'ai engagé un cycle de discussions avec les organisations syndicales de fonctionnaires portant sur la gestion des ressources humaines dans les fonctions publiques. Ce cycle sera conclu à l'été pour l'essentiel et permettra d'engager les évolutions indispensables.
Il faut que les activités de l'ENA s'inscrivent dans ce mouvement. Les méthodes, les programmes de formation, l'état d'esprit de l'Ecole, doivent intégrer la réforme. Je souhaite que, très rapidement, l'ENA soit
confortée comme centre de formation, mais aussi de coopération et de recherche, davantage ouvert sur les réalités économiques et sociales du pays, sur l'évolution de la société mais aussi sur l'internationalisation croissante des problèmes à traiter. Pour y parvenir, il faudra clarifier les relations entre l'ENA et l'Etat qui lui a confié le recrutement et la formation de ses cadres administratifs. Il conviendra également d'avancer dans la coopération entre l'ENA et les autres écoles de formation des cadres de l'administration.
Une ENA plus ouverte, une ENA mieux comprise par les Français, une ENA formant des femmes et des hommes pleinement adaptés à leurs futures fonctions de gestionnaires dans un monde en transformation rapide, voilà ce que je souhaite pour l'avenir.
Je vous remercie de votre attention et je suis à l'écoute des questions que vous souhaiteriez me poser.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 19 février 2003)