Texte intégral
(Déclaration sur l'Europe à Marseille, le 2 décembre 2002) :
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président de la Chambre de Commerce de Marseille,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je suis heureux de m'adresser à vous, qui êtes la jeunesse de notre pays, et de le faire à Marseille, où la mémoire se conjugue au présent. Marseille, fille de Phocée et du forum romain, à la croisée des chemins. Ici, mille portes s'ouvrent sur le continent, vers le Moyen-Orient, vers l'Afrique et même vers la lointaine Amérique. Ici chacun sent vibrer l'urgence d'un grand défi : l'Europe, ce géant penché sur la Méditerranée où se reflètent les lumières du vieux port.
Fruit d'innombrables héritages, l'Europe accueille la richesse et la diversité du monde.
En nous Européens se superposent le calme des arcades romanes et la flamme des ogives gothiques, la puissance retenue des poètes classiques et les défis éclatants des édifices baroques. En nous murmurent les sages, méditant dans le silence des monastères ou des bibliothèques, aux côtés de Saint-Bernard ou de Montaigne, en nous s'éveillent les grands poètes, de Villon à Byron, de Rimbaud à Hölderlin refusant fatalité, torpeur et préjugés, repoussant les limites. Tour à tour nous réincarnons l'inquiétude de Dante, les songes d'Hamlet, les tentations de Faust. Nous méditons sur la barbarie à travers les regards de Char et de Celan, de Primo Levi, Jorge Semprun ou Imre Kertesz, pour empêcher le retour de cette fureur destructrice. Nous pensons au sacrifice de Lorca et de Dietrich Bonhöffer. Tous ces mondes sont les nôtres. Toutes ces hautes figures ont forgé en nous cette conscience d'une même destinée.
L'unité européenne dessine notre horizon depuis tant de siècles ! Des grandes foires populaires du Moyen Age, où accouraient marchands et troubadours de toute l'Europe, aux grandes salles studieuses des premières universités médiévales : de Lisbonne à Prague, de Paris à Cracovie, de Salamanque à Leiden, tous parlaient la même langue et traquaient les mêmes mystères. Des antichambres de la Renaissance, où les humanistes réconciliaient les dieux avec les hommes, aux salons des Lumières, où les encyclopédistes imaginaient un monde de raison et de tolérance.
Souvenons-nous de la clameur d'une Europe qui se levait à la recherche de son identité. Du peuple qui chantait, de Marseille à Paris, sur les chemins de la fraternité, ouvrant les portes de la République et partant propager les idéaux de liberté et d'égalité dans tout le continent. Des vibrations profondes de l'Europe romantique et du Printemps des Peuples, sous les appels croisés d'un Victor Hugo en France, ou d'un Mazzini en Italie. De la Tchécoslovaquie, marchant contre les chars soviétiques sous le soleil du Printemps de Prague ! De l'Espagne, du Portugal, de la Grèce luttant contre les dictatures ! Partout les peuples d'Europe menaient le même combat. Partout ils lançaient l'appel de la liberté, de la démocratie, de la solidarité.
Plusieurs fois, l'Europe a failli mourir. Mais, après la guerre, dans l'élan de la réconciliation est né le rêve d'une construction européenne sous l'égide des pères fondateurs : Adenauer, Gasperi, Monnet, Schuman. Ainsi l'Europe a construit la paix et le Général de Gaulle a tracé l'exigence : l'ambition de l'union et le respect des nations.
A nous aujourd'hui d'écrire une nouvelle page. A nous de réaliser l'élargissement qui, 15 ans après la chute du Mur de Berlin, va rassembler notre grande famille, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest. Le défi qu'il représente est aussi une chance pour l'Europe enfin réunie dans toutes ses composantes, pour notre pays qui voit s'ouvrir à son influence de nouvelles frontières, pour nos entreprises qui trouvent là de nouveaux marchés pour leur croissance.
Revenue de tous les empires et de toutes les guerres, l'Europe sait maintenant qu'elle ne respire que dans le partage. Un partage fondé sur la mémoire : chacun d'entre nous perçoit encore les échos du temps, gravés au fronton de notre histoire. Lieux de culture et de paix, comme Avignon, Venise, Stockholm, Vilnius ; lieux de pèlerinage, comme Saint-Jacques de Compostelle ou le Musée du Désert des Cévennes ; lieux de souffrances et de martyre, comme Oradour, Dresde ou Guernica ; lieux du mal absolu comme Auschwitz. Mais lieux aussi de résistance et de renaissance, comme Londres, Gdansk ou le massif du Vercors.
Un partage fondé sur un formidable appétit de l'avenir. Là, se situe le nouveau défi de l'Europe, sa nouvelle frontière, qui n'est plus celle des territoires à conquérir, mais celle d'un nouvel espace à construire, ouvert à l'autre, pétri de nos valeurs communes, de l'exigence de justice, du respect du droit et de la morale. Quelle plus belle aventure !
Car nous ne voulons plus de l'Europe des fractures et des murs. Mais une Europe de l'échange, riche de ses différents visages, de ses cultures, de ses langues, de ses paysages. Trait d'union entre plusieurs mondes car notre histoire, nos valeurs nous relient à la planète entière. C'est cette Europe que nous voulons pour vous. Vous qui, chacun, devez reprendre ce flambeau, vous qui, déjà, embrassez l'horizon de toute l'Europe par vos allers et retours de pays en pays. Vous qui savez que l'expérience se forge à Berlin comme à Bruxelles, s'enrichit à Madrid, à Londres ou à Varsovie.
Plus que jamais, pour vous comme pour nous, l'Europe est un devoir et une fierté.
Le devoir d'une ambition commune : bâtir cet édifice au sein duquel nous pourrons réaliser pleinement le rêve d'une terre élargie.
La fierté d'un modèle unique, jamais vu dans l'histoire, fondé sur un nouvel équilibre entre unité et diversité, entre fédéralisme et souveraineté nationale, entre progrès économique et justice sociale.
Ne nous voilons pas la face. Le projet européen est à refonder. Et il nous faut répondre à une triple exigence : clarté, légitimité, efficacité. Ce sont ces objectifs, fixés par le président de la République, qui guident l'action de la France. C'est cet esprit qui anime les représentants français à la Convention européenne.
Première exigence : la clarté. Notre maison ne doit pas être un labyrinthe. Chaque citoyen doit pouvoir comprendre le fonctionnement et les responsabilités de l'Europe.
D'abord, il nous faut dessiner nos nouvelles frontières. Parfois le sentiment domine d'une extension sans fin de l'Union : depuis la chute du mur, l'espace européen n'est plus imposé de l'extérieur. C'est à nous désormais de définir clairement les règles de l'élargissement.
Dans un premier cercle se trouvent, bien sûr, les quinze Etats membres. Il faut y ajouter tous ceux dont la vocation à entrer dans l'union a été reconnue : dès maintenant, les dix pays qui achèvent leurs négociations d'adhésion dans quinze jours à Copenhague ; d'ici quelques années, la Roumanie et la Bulgarie, avec notre soutien actif ; la Turquie, pour laquelle l'engagement pris par les Européens ne saurait être remis en cause, mais qui doit poursuivre ses efforts et satisfaire aux grands principes démocratiques qui sont les nôtres ; les Balkans occidentaux, enfin, pour qui la voie a été tracée à Zagreb en 2000.
Le deuxième cercle accueillera "les pays partenaires", voisins immédiats de l'Europe élargie, avec lesquels l'Union développera des relations privilégiées. N'hésitons pas à envisager pour eux une participation directe à nos politiques, un partage de nos coopérations à la seule exception de nos institutions : nous y gagnerons tous. Je pense aux pays de la Méditerranée, mais aussi à la Russie.
Le troisième cercle réunira les pays associés avec lesquels nous développerons des coopérations spécifiques : en Afrique comme en Amérique latine ou en Asie. Encourageons partout où nous le pouvons la voie du regroupement régional, qui seule renforcera la stabilité, la paix et la prospérité de notre monde.
Pour être plus lisible, l'Union devra également préciser son identité juridique : Etats-Unis d'Europe, association d'Etats souverains, construction sui generis ? Nous avons su inventer au fil des ans un équilibre entre les voies supranationales et intergouvernementales pour dessiner les contours d'une fédération d'Etats-nations. N'est-il pas temps de l'inscrire dans les textes fondateurs de l'Union ?
Les responsabilités doivent parallèlement être mieux distinguées autour de deux grands pôles.
Le premier, qui constitue le socle de la construction européenne, doit intégrer tout ce qui relève de l'espace sans frontière : le marché intérieur et les politiques qui l'accompagnent. Cet ensemble représente aujourd'hui la plus remarquable des réussites de l'Union. En moins d'un demi-siècle, nous sommes parvenus à faire de ce vaste territoire un lieu dynamique où circulent sans entrave biens, services, capitaux et, désormais, les personnes. Et la monnaie unique est venue offrir une protection contre les aléas de la conjoncture et les fluctuations de change. Le modèle européen de développement économique et social permet d'allier l'audace d'un marché libre à la solidarité sociale, la liberté de circulation aux mesures de régulation. Il doit demain fédérer l'ensemble des partenaires de l'Europe élargie.
Pour ce domaine, les règles doivent s'appliquer à tous ; les lois se prennent à la majorité qualifiée par co-décision entre le Parlement européen et le Conseil. Toute dérogation doit conserver un caractère exceptionnel. Le marché intérieur forme ainsi la base du contrat qui lie les membres de l'Union ; il est le lien qui s'impose à tous.
A ce grand espace sans frontière, donnons plus de dynamisme, en développant toutes ses dimensions : coordination des politiques économiques, harmonisation de la fiscalité, coopération entre nos universités, recherche, emploi... Intégrons aussi la coopération judiciaire civile, l'asile, l'immigration pour consacrer pleinement le libre mouvement des personnes et des entreprises au sein de l'Union.
Le deuxième pôle définira le champ de la souveraineté partagée qui doit pouvoir s'exercer de manière diversifiée et flexible. Démontrons, par la coopération policière et pénale, que l'Europe apporte plus de sécurité. Affirmons, pour la politique étrangère et la défense, la force de l'engagement européen. Conjuguons nos forces, jouons de nos complémentarités dans un cadre institutionnel unique et le plus homogène possible. Libres d'agir ensemble, les membres les plus motivés pourront entraîner à terme les hésitants, les plus impliqués convaincront les indifférents.
Ainsi, la détermination de la France et des pays membres du sud de l'Europe à promouvoir le dialogue avec la Méditerranée constituera un atout pour l'ensemble de l'Union. Dans le champ de la politique étrangère et de sécurité commune, chaque Etat apportera ses actifs selon son génie propre, son histoire et son expérience diplomatique, au service d'un projet commun. Plus convaincante, plus active et plus efficace, notre diplomatie avancera sur chaque projet au rythme des plus volontaires. C'est en prenant appui sur l'expérience et la détermination des uns que l'on pourra faire progresser l'intérêt de tous. Unie mais riche de ses différences, l'Europe sera plus présente et mieux entendue sur la scène internationale. On le voit notamment au Proche-Orient, où l'urgence, l'exigence de justice et de paix réclament de l'Europe une politique plus active, plus engagée sur le terrain pour aider au règlement de la question israélo-palestinienne.
L'Europe de demain doit affirmer sa volonté. Elle a trop souffert du décalage entre les paroles et les actes, pendant les conflits de Croatie ou de Bosnie, au Proche-Orient précisément, ou en Afrique. C'est lorsqu'elle obtient des résultats concrets et bénéfiques pour tous, comme la monnaie unique, Airbus, les échanges d'étudiants, que l'Europe convainc. C'est lorsqu'elle sait se fixer des objectifs clairs et se donner les moyens de les atteindre qu'elle est crédible.
Sachons nous retrouver sur l'essentiel. Soyons imaginatifs et ouverts, au-delà des pesanteurs, des susceptibilités et des peurs. Il y a partout, et je le constate à travers mes déplacements sur tous les continents, une formidable attente, un désir d'Europe. Les récents débats sur l'Iraq aux Nations unies ont démontré combien les Européens, par-delà leurs différences, sont capables de se rassembler sur ce qui est capital : une vision juste de l'ordre international.
Notre deuxième exigence fondamentale est celle de la démocratie, parce qu'il n'existe pas de grand projet politique sans une adhésion forte des peuples. Notre maison doit être celle de tous les Européens, et une démocratie vivante, la règle.
Au niveau national, il faut commencer par impliquer davantage les citoyens. La participation aux élections européennes doit être revigorée, avec un mode de scrutin plus proche des électeurs. Nous avons besoin d'une représentation française forte et respectée à Strasbourg, capable de faire passer les messages de notre pays.
De même, notre Parlement doit être mieux associé à l'action européenne du gouvernement. Les auditions devant les commissions parlementaires, les contacts réguliers avec les délégations pour l'Europe des deux assemblées, les débats en séance plénière doivent devenir pratique courante. Renforçons la voix de notre pays en multipliant concertations, dialogues et initiatives. Enfin, les relations avec les milieux professionnels doivent s'intensifier pour renforcer les positions de la France à Bruxelles.
Cette légitimité démocratique devra s'appuyer sur une meilleure définition des tâches de chaque institution européenne.
Il importe d'abord de rationaliser le travail législatif.
Veillons, selon le principe de subsidiarité, à ce que l'Europe n'intervienne que lorsqu'il y a réellement avantage à légiférer à son niveau. Nous avons intérêt à accompagner cet effort d'une "feuille de route", d'un véritable programme législatif annuel.
Limitons la charge de travail du Parlement européen et du Conseil à l'essentiel, c'est-à-dire à des textes de portée générale, des lois-cadres. Il reviendra ensuite à la Commission, agissant alors par délégation, d'adopter et de mettre en oeuvre les mesures d'application de cette législation de base. Elle devra le faire dans la transparence en consultant les Etats membres chaque fois que nécessaire. La démocratie gagnera beaucoup à cette répartition plus claire des responsabilités.
Il convient parallèlement de conforter le pouvoir budgétaire du Parlement européen. Actuellement, il décide des dépenses mais non des recettes. Faut-il aller jusqu'à donner aux élus de Strasbourg une voix sur les ressources budgétaires, sans augmentation, bien sûr, de la pression globale de l'impôt ? La France est ouverte à cette réflexion.
En contrepartie de ces nouveaux pouvoirs accordés à la Commission et au Parlement, il faudra un nouvel engagement de leur part. Le futur Traité pourrait ainsi établir clairement la responsabilité de la Commission devant le Conseil européen. De même, il pourrait inclure le droit de dissolution du Parlement.
Enfin, il faut associer davantage les parlements nationaux aux processus de décision européens. L'idée d'un Congrès rassemblant représentants du Parlement européen et des parlements nationaux, a été lancée en particulier par le président de la convention lui-même, M. Giscard d'Estaing. Cette proposition est séduisante. Restent à apaiser les craintes devant l'irruption d'un nouvel acteur dans le jeu institutionnel en précisant notamment ses prérogatives. Soyons ouverts aux idées nouvelles : notre système a besoin d'échanges et de débats dont naîtront finalement les principes les plus porteurs de concret et d'avenir.
La troisième exigence est celle de l'efficacité. Notre maison commune doit à la fois retendre les fils institutionnels et surmonter les difficultés liées au nombre plus élevé de pays membres.
Retrouvons d'abord l'équilibre originel de nos institutions. Au Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, la responsabilité de fixer les grandes orientations dans tous les domaines d'action de l'Union. Au Conseil des ministres, celle d'adopter les décisions de base en application de ces orientations. A la Commission, celle d'avancer des propositions au nom de l'intérêt général et de mettre en uvre les décisions adoptées par les Etats membres. Au Parlement, la tâche de légiférer d'un commun accord avec le Conseil, de voter le budget et, demain peut-être, l'impôt communautaire. Ce schéma doit s'appliquer dans toute sa rigueur au domaine du grand marché européen. Il doit être assoupli pour les autres domaines d'action sans perdre de vue la cohésion de l'ensemble.
Sur cette base, améliorons notre architecture institutionnelle.
En premier lieu, veillons à respecter la place de chaque Etat membre. L'Europe souffre aujourd'hui d'une méfiance entre prétendus "grands" et "petits" Etats, qui entretient le soupçon au cur même de notre entreprise. Réaffirmons avec vigueur que chacun, dans le respect de tous, a droit à faire entendre sa voix et à défendre ses positions à l'égal de tout autre Etat. Mais rappelons aussi que l'Europe n'est pas seulement une entreprise où chacun ne contribue qu'à la hauteur de ce qu'il reçoit. Notre volonté d'agir ensemble et de mettre en commun nos destins invite à un engagement sincère, à la générosité, au dépassement de soi.
En second lieu, soyons lucides : au moment où l'élargissement multiplie presque par deux les membres du Conseil et de la Commission, nos institutions et notre système ne doivent pas s'affaiblir. L'Europe de demain ne pourra plus demeurer ce "cercle" qui, à six au départ, trouvait facilement son équilibre. A vingt-cinq, les institutions de l'Europe élargie vont devenir de véritables assemblées délibératives.
Comment alors renforcer la direction et l'autorité au sein de la Commission et du Conseil ? De difficiles questions se posent.
Pour le Conseil européen, l'essentiel est bien de garantir la continuité de son action. Son président, comme l'a proposé le président de la République, serait désigné par ses pairs et bénéficierait d'un mandat plus long que les six mois actuels. Il serait épaulé par un ministre des Affaires étrangères chargé d'assurer la cohérence de l'action extérieure de l'Union. Pour le Conseil des ministres, le système de la présidence tournante qui s'applique à toutes les formations laisserait la place à des formules plus souples et variées.
Pour renforcer l'autorité du président de la Commission, certains souhaitent qu'il soit directement élu par le Parlement. Ce mécanisme déplacerait le centre de gravité entre les institutions européennes. Il doit donc être apprécié à la lumière d'un équilibre d'ensemble. Quoi qu'il advienne, la Commission devra s'organiser pour rendre au collège des commissaires sa pleine capacité d'action.
Faut-il aller plus loin et créer un président unique de l'Union coiffant à la fois la Commission et le Conseil ? Explorons cette idée, conscients qu'une telle réforme ne peut sans doute venir qu'au terme d'une longue évolution.
En dernier lieu, organisons mieux le travail des institutions : séparons par exemple au sein du Conseil des ministres les tâches exécutives et législatives pour rendre son action plus visible et plus compréhensible. Et à l'intérieur de la Commission, créons davantage d'agences d'exécution pour certaines de ses tâches.
Restons libres et inventifs pour franchir ces étapes décisives. Avançons dans un esprit de tolérance et d'écoute, pour construire des institutions claires, démocratiques, efficaces.
Fidèle à son idéal, l'Europe saura ainsi mieux répondre aux exigences de notre monde. Elle saura davantage faire entendre sa voix. Le siècle qui s'ouvre peut être un nouveau temps de l'Europe. Le temps d'une Europe au service de l'homme, de la paix et des valeurs que nous défendons.
Face aux révolutions qui s'opèrent sous nos yeux, faisons de l'Europe un acteur majeur du changement.
Première révolution : le bouleversement de la donne stratégique. Le mur qui divisait notre continent s'est effondré sous la pression des peuples. Nos adversaires d'hier sont désormais nos alliés. Plus que jamais, l'Europe doit s'affirmer : qui pourrait comprendre qu'une puissance de près de 500 millions d'habitants ne se donne pas les moyens de défendre une vision propre de sa sécurité ?
Deuxième révolution : la multiplication de menaces - terrorisme, prolifération, intégrisme - qui ne connaissent plus de frontières et se jouent de la souveraineté des Etats. Difficiles à combattre, parce qu'elles sont diffuses, ramifiées ; impossibles à vaincre seul, parce qu'elles se déploient sur la planète entière, de New York à Karachi, de Bali à Mombasa.
Troisième révolution : la mondialisation. Formidable chance d'enrichissement et d'ouverture, mais qui recèle aussi des risques d'exclusion, de dégradation de l'environnement ou d'appauvrissement culturel.
L'Europe doit être le creuset d'une mondialisation maîtrisée. Elle porte en elle un modèle social qui veut protéger nos concitoyens sans remettre en cause le dynamisme du marché. Notre projet européen, soumis aux tensions et à la diversité du monde, peut à sa manière contribuer à apporter de l'ordre au désordre de notre temps.
Il le fait déjà en venant en aide aux plus pauvres à travers une coopération ancienne, persévérante, déterminée : de Yaoundé à Lomé, de Lomé à Cotonou, les noms des accords passés par l'Europe avec ses partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique témoignent de notre volonté d'être aux côtés de tous ces peuples pour leur apporter nos compétences, nos énergies et notre cur à la recherche d'un développement plus stable et plus harmonieux.
Le monde aujourd'hui a besoin d'Europe. Parce qu'il a besoin de conscience autant que de sens, de repères autant que d'ambition. Parce que le chemin que nous traçons ensemble peut offrir un espoir à d'autres peuples.
Devant les nouvelles menaces, nous avons fait front commun. Avec les Etats-Unis, depuis le 11 septembre, nous avons renforcé notre coopération en matière d'échange de renseignements et de lutte contre le terrorisme. Entre Européens, la définition d'un mandat d'arrêt commun, le renforcement de la coopération policière ont apporté une autre réponse. Face au risque d'attentat, nous sommes solidaires. Nous avons déjà connu des vagues de terrorisme sur notre territoire. Nous en savons les blessures et les souffrances. Nous devons puiser, dans la conscience de nos idéaux et dans la détermination à les défendre, la force du sursaut.
Mais la question terroriste ne se réglera pas uniquement par des réponses sécuritaires. L'impératif de défense ne doit pas nous faire oublier notre volonté politique : s'attaquer à la misère, à l'illettrisme, à tous les fléaux et à toutes les injustices dont se nourrit l'extrémisme sous toutes ses formes.
Nous avons répondu aux bouleversements stratégiques en ouvrant de nouvelles perspectives de coopération avec nos partenaires. C'est le cas en particulier de la Russie et de la Chine, avec lesquels nous avons renforcé notre concertation sur toutes ces questions. Avec d'autres Etats dont nous ne partageons pas les choix politiques, nous refusons la logique de l'isolement pour lui préférer celle d'un dialogue exigeant. L'Union européenne ne ferme pas la porte de l'échange.
Nous avons maintenant un devoir d'Europe.
Nous, Européens, qui avons connu tant de guerres et de crises, nous souhaitons contribuer à l'édification d'un nouvel ordre international fondé sur la justice, le droit et la solidarité. En faisant de l'Europe un pôle d'équilibre. En apportant un soutien résolu et actif aux Nations Unies. En nous dotant de moyens propres d'action, y compris militaires.
C'est le rôle de la politique européenne de sécurité et de défense. Donnons-lui un nouvel élan.
Partons d'une idée simple : la solidarité entre Etats européens. Tout ce qui arrive à l'un de nos partenaires de l'Union nous touche directement. Partons aussi d'une nécessité : la sécurité commune. Dès lors que nous affirmons notre communauté de destin, donnons-nous les moyens de nous protéger face aux menaces. Bâtissons une Union européenne de sécurité et de défense.
Nous avons accompli, notamment avec le Royaume-Uni, des avancées importantes. L'Allemagne et la France proposent aujourd'hui que ce double principe de solidarité et de sécurité commune soit inscrit dans le nouveau Traité.
Comment donner corps à ce projet ?
Par une analyse conjointe, d'abord, pour mieux comprendre les risques auxquels l'Union européenne devra faire face.
Par un engagement concret, ensuite, pour prouver, lorsque c'est nécessaire, notre volonté de mener une opération de maintien de la paix sur un théâtre extérieur, en Macédoine puis, par exemple, en Bosnie.
Par des capacités militaires, enfin, sans lesquelles notre détermination restera lettre morte. La France s'engage résolument, avec la nouvelle loi de programmation militaire. Nous formons le vu que nos partenaires européens en fassent de même, grâce à l'adoption d'objectifs communs en matière de budgets d'équipement de défense.
Cet effort doit s'inscrire dans la perspective d'un partenariat transatlantique renouvelé, qui est et restera l'un des fondements de notre sécurité. Il nous appartient de construire une Europe forte et cohérente, capable d'apporter sa pierre à l'édifice d'un monde désormais interdépendant.
Dans tous ces projets, sur tous ces chantiers, nous trouvons à chaque fois la France et l'Allemagne unies pour la même cause. En conflit ouvert ou latent pendant des décennies, nos deux pays, moteur du projet européen, ont scellé la réconciliation de peuples longtemps déchirés.
L'entente entre l'Allemagne et la France reste la clé des progrès politiques. Le président de la République l'a souligné : quand nos deux pays s'entendent, tout est possible ; qu'ils soient en désaccord et rien de solide ne pourra se faire.
Ce n'est pas la convergence de nos vues, au demeurant souvent constatée sur de nombreuses questions, qui fait notre force ; c'est par-dessus tout notre détermination, dans l'intérêt commun, à surmonter nos divergences lorsqu'elles existent. Nous devons continuer à mettre cette capacité à dépasser nos différences au service de l'entreprise européenne.
C'est pourquoi j'invite la jeunesse de nos deux pays à se mobiliser demain sur des projets généreux et ambitieux. Joignons nos forces, par exemple, pour venir en aide aux pays les plus pauvres. Proposons à ceux d'entre vous qui y sont prêts, d'apporter leur énergie et leur savoir à ces populations démunies dans les secteurs clés du développement : l'éducation, la santé, les nouvelles technologies. Par ce volontariat franco-allemand nous témoignerons ainsi de notre commune solidarité au service du monde.
Mesdames, Messieurs,
La France se construit et se renforce dans l'Europe. Elle y puise un nouvel élan, un nouvel horizon, une ambition neuve. Soyons fidèle au mouvement qui a porté la France dans toute son histoire : comme l'Europe, notre pays a creusé le sillon de son unité dans la diversité de ses héritages. C'est dire combien l'alchimie européenne nous est familière, combien la vocation de la France est d'être au cur du projet européen qui est comme le miroir de notre propre identité.
Cette Europe est encore au début de son chemin. Nous tous, Européens, devons veiller à ce que les promesses d'un tel futur s'enrichissent de nos diversités. Ici, à Marseille, notre dialogue avec le bassin Méditerranéen trouve l'un de ses ports d'attache. Il s'enracine dans le destin de cette ville et de l'Europe tout entière. Il faut le faire vivre. L'Europe du Sud insuffle son dynamisme et doit prendre toute sa part dans l'identité de notre continent. Comme le note le poète Salah Stétié : "l'Europe se fera aussi par le Sud. Ce serait là bénéfice pour tous : bénéfice pour l'Europe et pour ses Sud mais aussi pour l'ensemble de la planète qui, en fût-elle consciente ou pas, dépend pour son présent et pour son avenir de ce qui se passe et se passera en Méditerranée".
C'est l'Europe de la diversité que nous voulons défendre. Elle incarne notre histoire et trace notre avenir. A vous, les jeunes, elle doit apporter le message de l'espoir et de la générosité pour être enfin une Europe proche de tous, familière, comprise, aimée. C'est aussi votre mission de la faire vivre à la hauteur qui est la sienne et qui est celle de vos espérances.
Je vous remercie .
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 décembre 2002)
(Déclaration lors de l'installation du Conseil international à Marseille, le 2 décembre 2002) :
Monsieur le Sénateur-Maire, cher Jean-Claude,
Cher Renaud,
Monsieur le Président de région,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les adjoints au Maire,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs
Messieurs les Présidents d'Université,
Mesdames, Messieurs les Consuls,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
C'est un grand honneur et une grande joie d'être parmi vous, ici, à Marseille, au moment où votre ville donne un nouveau souffle à son rayonnement international ! Je me réjouis profondément de l'installation du Conseil international. Parce que c'est l'accomplissement d'une vocation jamais démentie par l'histoire. Parce que c'est une chance pour votre ville. Parce que, enfin, c'est une chance pour la France et pour l'Europe.
Cela fait maintenant près de trois millénaires que Marseille affirme sa vocation à l'ouverture et aux échanges ! Dès l'arrivée des premiers marins qui choisirent cette calanque abritée du vent pour mieux repartir à l'aventure vers les rives lointaines, Marseille fut un comptoir prospère où l'huile grecque, le bronze et la terre cuite s'échangeaient dans la paix et l'effervescence du soleil méditerranéen.
Porte de l'Europe pour l'Orient, Massalia devint rapidement une porte de l'Orient pour le Nord, tant ses relations avec l'intérieur de la Gaule étaient fructueuses.
Lieu de passage d'hommes de toute provenance épris d'aventure et de commerce, Marseille fut aussi le carrefour des grands courants spirituels qui marquent notre histoire : lorsque le moine syrien Saint Cassien y fonde l'abbaye de Saint-Victor, c'est en homme des deux rives qu'il ouvre les portes de la Gaule au christianisme.
Et du Vieux Port aux mille parfums exotiques, aux mille couleurs, où bruissent toujours les échos de mille langues, combien embarquèrent à l'appel du grand large, de Pithéas parvenu aux confins arctiques à Marius fasciné par les terres du Sud ? Les autres restèrent aux bords du Lacydon car, comme l'écrit Suarès, "celui qui vit à Marseille n'a pas besoin de partir, il vit déjà ailleurs".
Toujours indépendante, souvent rebelle, toujours assoiffée de lumière et de liberté, Marseille ne fut jamais prisonnière, ni des collines qui l'entourent ni des Empires. Résistante, fougueuse et volontaire, Marseille se releva de toutes les épreuves.
Aujourd'hui, elle est un port d'attache ou de passage, une ville qui a su ouvrir les bras à ceux qui fuyaient la persécution ou la pauvreté. Une ville au sein de laquelle catholiques, protestants, juifs, musulmans et athées se retrouvent et se respectent. Une ville exubérante et généreuse, mais affective et pudique, profonde parce qu'elle sait aller au-delà des clichés des apparences.
Située au carrefour de l'axe méditerranéen, sur le tracé antique de la via Appia reliant l'Espagne et l'Italie, et de l'axe rhodanien qui ouvre sur l'Europe du Nord, Marseille connaît aujourd'hui le renouveau.
Grâce à une municipalité dynamique et ambitieuse, la ville se transforme et embellit, construit et invente les chemins de l'avenir. La créativité de ses technopoles et de ses friches industrielles, l'effervescence culturelle de ses quartiers, s'animent encore davantage avec le projet Euroméditerranée, phare de ces nouvelles métamorphoses.
La politique municipale, qui fait du développement des relations internationales une priorité, marque d'un nouvel élan une vocation profondément ancrée dans la chair de votre ville. Car cette ouverture est un atout, dans un monde marqué par l'interdépendance, où les frontières des Etats ne délimitent plus les contours des ambitions et des devoirs des peuples. Ainsi Marseille est-elle en harmonie tant avec elle-même qu'avec le nouvel âge de notre monde, où le dialogue, le partage et la solidarité forment le socle de l'avenir de tous.
Mettant en synergie l'ensemble des forces vives de votre ville, le Conseil international de la ville de Marseille fédérera un mouvement dont l'ampleur va croissante depuis quelques années : des Assises de la Méditerranée au Forum civil méditerranéen ou à la quatrième Conférence ministérielle du Processus de Barcelone, votre ville a témoigné de sa capacité à accueillir le souffle de l'étranger, à devenir une capitale de la Méditerranée et de l'Europe du Sud.
C'est bien dans cette voie qu'il faut avancer, à l'heure où le monde est menacé de grand désordre car c'est l'occasion de démultiplier les capacités économiques remarquables d'une ville dont la Chambre de Commerce est la plus ancienne du monde et l'une des plus actives. Les retombées économiques, sociales et culturelles du Conseil International seront considérables, et Marseille mérite cet avenir par son audace, ses efforts et son énergie incomparables.
C'est une chance pour la France que de compter parmi ses grandes métropoles une ville qui prend en main son destin et développe, avec l'Europe entière, avec le Maghreb, le Moyen-Orient, l'Afrique, mais aussi l'Amérique et la Chine, un dialogue approfondi, des coopérations fructueuses, une solidarité renouvelée.
C'est une chance enfin pour l'Europe, qui ne doit pas se détourner du Sud au moment où elle s'élargit à l'Est, faute de quoi elle perdrait son âme au moment de retrouver son unité. Vous le savez, l'équilibre entre les différentes inspirations de l'Europe repose sur le dynamisme de chacune d'elles. uvrez sans relâche à faire entendre votre voix, car elle porte en elle la richesse de notre héritage méditerranéen et de notre diversité culturelle.
C'est pourquoi je souhaite longue et heureuse vie au Conseil international, et au rayonnement de Marseille dans le monde. Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2002)
(Conférence de presse à Marseille, le 2 décembre 2002) :
Ce fut une journée passionnante qui a commencé par une conférence à l'Ecole supérieure de Commerce, qui s'est poursuivie par un déjeuner sympathique et très fructueux où nous avons pu aborder l'ensemble des questions. Elle s'est poursuivie par l'installation du Conseil international, la visite de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée, la foire aux Santons, le port. Ce fut une visite fructueuse et heureuse, ce fut le premier déplacement en province.
Q - Justement, un ministre des Affaires étrangères en province, c'est un ordre du Premier ministre ?
R - La mission de tout ministre du gouvernement est d'expliquer la politique de la France, et c'est en particulier le cas concernant l'enjeu européen. Nous entrons dans une séquence européenne particulièrement riche. J'ai présenté ce matin un certain nombre de pistes. La volonté de la France est de marquer d'une part clairement son engagement, et d'autre part aussi son ouverture, à la veille d'un grand débat qui doit avoir lieu à l'Assemblée nationale où le président de la Convention, M. Giscard d'Estaing, est invité. Je clôturerai le débat qui aura lieu demain. Jeudi et vendredi, se tiendra une nouvelle assemblée plénière de la Convention où je me rendrai pour la première fois et vendredi soir, le Premier ministre sera à Orléans où il lancera le premier Forum régional sur l'Europe en présence de plusieurs ministres. Je serai auprès de lui pour initier cette présentation aux Français de la politique européenne de la France, et en particulier de l'élargissement puisque nous sommes à quelques jours du Sommet de Copenhague où un certain nombre de décisions fondamentales seront prises, notamment l'accueil de dix Etats de la nouvelle Europe, de l'Europe élargie. Il y a là une séquence internationale importante et je pense qu'il était normal de choisir une grande ville, ouverte sur l'international, sur la Méditerranée ; Marseille a une vocation essentielle, centrale de ce point de vue.
Je trouve qu'il était important d'être ici puisqu'il y a, dans les réflexions qu'il faut faire sur la nouvelle Europe, les questions de l'élargissement bien sûr, les questions de l'approfondissement et de la réforme institutionnelle, les questions de l'identité européenne. Que représente aujourd'hui cette Europe pour nous, Français ? Il y a aussi la question essentielle des frontières de cette Europe : comment doivent-elles s'organiser ? Toutes ces questions doivent être soulevées avec beaucoup de conviction mais aussi un esprit d'ouverture ; il faut le faire, patiemment, les uns avec les autres - nous sommes de nombreux acteurs de la vie européenne maintenant - mais aussi avec tous les Français. Donc le but de cette visite est aussi d'aller à Marseille présenter cela à la jeunesse française. Ce fut l'occasion rêvée de le faire.
Q - Parmi les sujets que vous avez évoqués ce matin, vous évoquiez un volontariat franco-allemand pour la jeunesse. Est-ce quelque chose qui va s'ajouter à l'Office franco-allemand ? Le dossier est-il déjà avancé avec Berlin ?
R - Cela fait partie des réflexions que nous menons avec nos amis allemands, nous avons eu l'occasion d'en parler au cours des derniers mois et nous aurons l'occasion effectivement d'affiner cette réflexion dans la perspective du Traité de l'Elysée dont le 40ème anniversaire sera fêté dans le courant du mois de janvier 2003.
Cela fait partie de la dynamique franco-allemande. Vous connaissez notre souci, sur tous les grands sujets, d'essayer d'aboutir à des positions communes. Nous avons déjà apporté des contributions communes dans le cadre de la Convention. Nous l'avons fait pour la Politique européenne de sécurité et de défense, dans le domaine de la justice. Nous voulons le faire aussi dans le domaine de la gouvernance économique. Nous le ferons au début de l'année, pour ce qui est des institutions. Sur tous ces grands sujets, nous voulons tenter d'élaborer une vision commune entre la France et l'Allemagne.
Je l'ai dit ce matin, c'est important pour la France et l'Allemagne. C'est aussi important pour l'Europe car nous avons ensemble la capacité d'impulser, d'orienter, un certain nombre de propositions qui sont importantes si l'on veut que l'Europe avance. Or, je l'ai dit, il y a, aujourd'hui, un désir d'Europe à travers le monde mais aussi un très grand besoin d'Europe dans un monde malheureusement marqué par un très grand désordre. Il est donc important que nous unissions nos énergies avec les Allemands mais cela n'exclut pas que nous travaillions également étroitement avec bien d'autres parmi nos partenaires. Nous l'avons fait et nous le faisons au quotidien avec nos amis espagnols, et le Sommet de Malaga l'a marqué très clairement, avec les Italiens et tous les Etats européens. Nous voulons faire en sorte que la frontière que l'on établit trop souvent entre les prétendus petits Etats et les soi-disant grands Etats soit effacée car il y a une place pour chacun, d'où l'intérêt de la concertation et des contacts réguliers avec l'ensemble de ces Etats.
Q - La marche vers l'est de l'Europe s'accompagne aussi d'une Europe moins tournée vers le flanc sud. Qu'avez-vous répondu à ceux qui ont ce souci aujourd'hui ?
R - Ma première réponse est de venir à Marseille pour présenter la vision européenne du gouvernement. C'est déjà en soi un acte de foi. Un acte de foi sur l'importance de ce regard que nous portons vers le sud, l'importance des relations que nous avons avec la Méditerranée. Lors de mes déplacements récents, au Maroc, en Tunisie, en Libye, - et je serai à la mi-décembre en Algérie -, j'ai eu l'occasion de marquer justement l'importance que nous accordons à ce pourtour méditerranéen. Il est essentiel de relancer le Processus de Barcelone, de faire en sorte que, dans le cadre européen, les efforts qui doivent être faits vis-à-vis de la Méditerranée puissent être relancés. Il y a d'autres ensembles, le Forum méditerranéen, le Dialogue 5+5, qui constituent autant d'enceintes où nous pouvons nouer, développer des contacts, prendre des initiatives. Il est évident que pour beaucoup de grandes questions, la sécurité, l'immigration, le développement économique et social, il y a naturellement, pour nous, un ensemble avec lequel nous devons travailler, développer un certain nombre d'idées, penser des projets de développement, beaucoup de possibilités et nous devons faire en sorte de revitaliser ce dialogue entre les deux rives de la Méditerranée.
Q - Et nos partenaires sont-ils d'accord ?
R - Tout à fait. Nous l'avons évoqué lors du Sommet franco-italien, nous l'avons évoqué lors du Sommet franco-espagnol, j'en ai parlé avec mon collègue grec, - et vous savez qu'ils assureront bientôt la présidence de l'Union européenne. Je crois qu'il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus. Il y a une vocation naturelle pour l'Europe à développer ces relations avec la Méditerranée, cela fait partie de l'espace, de la vocation de cette Europe. Nous sommes convaincus qu'il faudra faire preuve de plus d'imagination, de plus de volonté et d'énergie dans ce domaine au cours des prochains mois et des prochaines années.
Q - Et à propos de la Turquie ?
R - Il faut prendre la mesure de cette question sans passion. Il y a d'abord, une volonté de la Turquie de faire acte de candidature depuis 1963. Ce n'est pas une affaire récente. Cette candidature a été acceptée en tant que telle à partir de 1999. Les Européens, réunis à Copenhague, doivent adresser un message, décider du signal qui peut être donné en direction de la Turquie. Au-delà des perspectives d'adhésion, il s'agit maintenant de définir les modalités du processus d'adhésion tel qu'il pourrait être enclenché.
La position de l'ensemble des Européens est de marquer clairement la vocation européenne de la Turquie, - un engagement qui a été pris -, mais c'est aussi de marquer les exigences indispensables qui conditionnent le lancement de ce processus d'adhésion. Il y a au premier chef les critères de Copenhague, les critères politiques qui font que la Turquie doit satisfaire aux principes démocratiques qui sont les nôtres. Evidemment, parmi les nécessités, il y a aussi pour la Turquie le besoin de persévérer, de poursuivre dans la voie qui a été la sienne, dans le sens des réformes. C'est vrai pour tout ce qui concerne le marché économique intérieur, c'est vrai aussi pour tout ce qui concerne l'Etat de droit, la réglementation. C'est donc le besoin de la Turquie de se mettre en situation de satisfaire aux conditions de l'Union européenne.
A Copenhague, les Quinze devront définir la nature du signal qu'ils veulent adresser à la Turquie : Est-ce qu'il faut adresser, fixer d'ores et déjà, une date ? Est-ce qu'il faut prendre rendez-vous pour fixer une date ?
C'est le choix qu'auront à faire les Européens d'ici quelques jours.
Q - Le changement de pouvoir en Turquie aidera-t-il ?
R - Les nouveaux responsables turcs ont marqué clairement leur engagement européen et c'est évidemment quelque chose qui compte. Nous l'avons dit, le Premier ministre l'a dit dès le premier jour, il est important de juger la Turquie à ses actes. Nous verrons comment la Turquie évoluera au cours des prochaines semaines, des prochains mois et des prochaines années. C'est un travail qui doit être fait et il est important, en tout état de cause, que les conditions indispensables à l'entrée dans l'Union européenne soient satisfaites avant toute décision.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2002)
(Interview au quotidien "La Provence" à Marseille, le 2 décembre 2002) :
Q - Le gouvernement précédent voulait laisser les Africains entre eux. Vous revenez d'une nouvelle mission de bons offices en Côte d'Ivoire. Est-ce le retour de la France en Afrique ?
R - Il y a une fidélité et une amitié entre la France et l'Afrique et une volonté de la France de prendre toute sa part dans le développement de l'Afrique. Vous avez vu toute l'énergie déployée par le président de la République dans les grands rendez-vous internationaux. Nous avons mis à l'ordre du jour du prochain G-8 à Evian la question du développement de l'Afrique. Alors, quand il y a une crise, la volonté de la France d'appuyer les efforts des gouvernements africains est forte. Je reviens d'une tournée dans six pays africains, c'est mon sixième voyage dans cette partie du monde.
Q - Vous arrivez dans une région qui avait voté "non" à Maastricht. Comment rassurer l'agriculteur, le petit transporteur, qui voit, dans l'élargissement, l'arrivée de concurrents qui n'ont pas les mêmes charges que lui ?
R - Dans les négociations d'adhésion, nous avons veillé à ce que chacun des pays candidats reprenne "l'acquis communautaire", c'est-à-dire l'ensemble des règles de l'Union, dans les domaines de la concurrence, des transports, de l'agriculture, des aides d'Etat, de l'environnement.... Nous avons aussi prévu des clauses de sauvegarde afin de prendre des mesures de protection du marché et des opérateurs communautaires en cas de difficultés dans certains secteurs ou de distorsion de concurrence. Ce qu'il faut dire aux Français, c'est que l'élargissement est une chance. Cela va être une source de croissance pour l'ensemble de nos pays.
Q - On a la diplomatie de ses frontières. L'Allemagne a intérêt à s'élargir vers l'Est. L'intérêt de la France n'est-il pas d'approfondir ses échanges avec les pays de la Méditerranée, à l'heure où le Processus de Barcelone est en panne ?
R - La France est, avec l'Espagne et l'Italie, à l'origine du processus de Barcelone. C'est un outil original pour un enjeu stratégique pour la France. Il associe les Quinze et les 12 pays de la Méditerranée, pour améliorer le dialogue politique, les échanges économiques et culturels. Il a, à sa disposition, des crédits importants.
Q - Qui ne sont pas dépensés faute de projets
R - Qui ne sont pas suffisamment dépensés, mais dont certains pays bénéficient de tout de même. Ce qui est important, c'est que nous soyons tous conscients de l'existence, à travers la Méditerranée, d'une communauté particulière qui a des défis à relever en commun : défis de sécurité, défis économiques, culturels. Nous sommes riches d'une histoire et d'une volonté commune et nous devons faire en sorte que l'Union européenne qui s'ouvre vers l'Est n'oublie pas le Sud. Ce partenariat est une priorité pour la France. Le fait que je vienne à Marseille prononcer un discours sur l'Europe en témoigne. Nous avons trois priorités dans ce processus : Appuyer les réformes économiques, et 11 pays ont signé des accords d'association avec l'Union européenne ; nous voulons aller plus loin dans leur mise en uvre. Développer le dialogue politique qui ne doit pas être entravé par les événements au Proche-Orient. Et approfondir les rapports culturels et humains : c'est primordial dans le monde de l'après 11 Septembre. Les collectivités locales, la société civile doivent être des acteurs majeurs pour que ce partenariat soit une réalité.
Q - La politique méditerranéenne de la France doit passer par Marseille, mais on ne voit pas des délocalisations d'instituts ou d'organismes publics pour conforter le rôle de la ville.
R - L'installation du Conseil international de Marseille est un geste fort de la vocation méditerranéenne de Marseille et je suis particulièrement heureux d'y assister. Carrefour commercial, culturel, humain, Marseille est un atout important pour notre pays qu'il faut valoriser.
Q - Comment faire pour qu'une Europe à 25 ne soit pas qu'un simple espace d'échanges économiques, comment lui donner un contenu politique et faire en sorte que la protection sociale soit tirée vers le haut, et pas vers le bas ?
R - C'est tout le défi de la construction européenne. Il faut réussir l'élargissement à 10 nouveaux pays et aux autres qui suivront. Parallèlement, nous devons approfondir l'organisation de l'Europe. La Convention pour l'avenir de l'Europe y travaille et proposera des réformes institutionnelles pour que l'Europe soit plus efficace, plus démocratique, que son fonctionnement associe mieux les parlements nationaux, qu'elle soit plus lisible, plus compréhensible pour les citoyens. Car l'Europe doit être au service des Etats et des citoyens. Elle doit prendre conscience de sa force et de ses missions. Parce qu'elle est une construction totalement originale dans l'histoire de l'humanité, elle doit constituer un des grands pôles de stabilité du monde. Avec bientôt près de 500 millions d'habitants, elle s'affirme comme la première puissance économique du monde. Au Proche-Orient, elle aura sûrement vocation, aujourd'hui plus que jamais, à jouer tout son rôle au service de la stabilité et de la paix. Nous avons une mission à remplir pour obtenir un monde plus juste et plus équilibré.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2002)
(Interview à France bleue, RFI, France inter et Radio Star à Marseille, le 2 décembre 2002) :
Q - Monsieur le Ministre vous expliquez dans votre discours que l'Europe ne doit pas oublier le sud au moment où elle ouvre ses frontières à l'est. L'ouverture au sud est-elle nécessaire pour un développement durable ?
R - C'est une chose indispensable. C'est une des grandes nécessités pour l'Europe. L'Europe a une vocation vis-à-vis de la Méditerranée. Beaucoup d'Etats de l'Union européenne font partie de l'espace méditerranéen. C'est bien évidemment le cas de la France, de l'Italie, de l'Espagne, de la Grèce, du Portugal. Il y a là donc une vocation qu'il faut défendre.
Notre volonté, c'est bien évidemment d'associer à cet espace européen le plus grand nombre possible de pays méditerranéens. Je l'ai dit ce matin : il est important d'avoir l'imagination, la volonté de développer des liens adaptés avec ces Etats partenaires de l'Europe qu'il faut associer à son développement. Il y a là une grande ambition pour nous. Il faut revitaliser l'ensemble du processus de Barcelone, lui donner une dimension plus aboutie sur le plan politique, sur le plan économique. Nous avons là un grand défi à relever car la prospérité des uns va de pair avec le développement des autres.
Q - Quel est le rôle de Marseille dans ce domaine ?
R - Marseille joue un rôle essentiel et je suis heureux d'avoir pu installer ce Conseil international. Cela marque bien la volonté de Marseille et la compréhension qu'elle a de l'évolution internationale. Au moment où il vous faut répondre à une situation internationale difficile, il faut regrouper nos forces.
Or, Marseille décide de regrouper toutes les forces de la ville, toutes ses capacités économiques, culturelles, administratives, politiques.
Il y a là un défi à relever vis-à-vis de l'ensemble de la région. En rassemblant les forces de Marseille, Marseille peut avoir un impact, développer ses relations et une ambition avec tout le pourtour méditerranéen, avec l'ensemble des grandes villes et des grands espaces de cette région.
C'est une nécessité pour Marseille comme pour toutes les autres grandes villes françaises. Il faut prendre la mesure du temps qui passe, la mesure des défis nouveaux.
Q - Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous résumer en une minute votre grand dessein pour l'Europe tel que vous l'avez défini ce matin aussi bien dans ses nouvelles frontières que dans ses nouvelles règles ?
R - La clé aujourd'hui pour la France, c'est de marquer son engagement vis-à-vis de l'Europe. Nous sommes convaincus qu'il nous faut une Europe forte. Avec une Europe forte, nous aurons une France encore plus forte, capable de peser sur les grandes évolutions, non seulement de l'Europe, mais du monde. Donc, cette ambition européenne, il nous appartient aujourd'hui de la développer au travers de l'élargissement. C'est un grand mouvement. Dix Etats vont entrer dans l'Europe et le Sommet de Copenhague à la mi-décembre va marquer l'avènement de ces dix pays dans l'Europe. D'autres perspectives suivront.
Mais au même moment, il faut relever un deuxième défi, celui de l'approfondissement, de la réforme institutionnelle. C'est le projet de la Convention pour l'avenir de l'Europe qui est présidée par Valéry Giscard d'Estaing. Et là, c'est la réforme de nos institutions.
Nous avons besoin d'une Europe plus efficace, d'une Europe plus démocratique, plus transparente, mieux comprise par l'ensemble des citoyens. Et à partir de là, l'Europe pourra jouer tout son rôle sur la scène internationale. L'Europe pourra affirmer le poids qui est le sien sur la scène internationale (près de 500 millions d'habitants, première puissance économique et commerciale du monde). Il y a vocation pour l'Europe à jouer dans le sens de la stabilité. Nous avons un grand pôle de stabilité à constituer et l'Europe doit être au service de la paix, du développement, de la démocratie. C'est là l'ambition de tous les Européens. Forts des valeurs qui sont les nôtres, nous avons à édifier un monde avec davantage de règles, davantage de repères, un monde fondé sur le droit, sur la morale et la solidarité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2002)
(Interview à M6 à Marseille, le 2 décembre 2002) :
Q - Quel est le message que vous apportez aujourd'hui à Marseille ?
La vocation de l'Europe est de s'ouvrir, bien sûr, sur l'ensemble de ces espaces naturels.
A ce titre, la Méditerranée occupe une place très particulière. Depuis des années, l'Europe a développé des relations avec l'ensemble des pays du pourtour méditerranéen. Nous avons vocation aujourd'hui à préciser ces relations, dans le cadre d'un véritable partenariat. C'est important, important pour la stabilité, pour le développement économique de l'ensemble de cette région et je me félicite d'être aujourd'hui, à Marseille, au moment où cette ville installe un Conseil international qui a vocation à rassembler l'ensemble des forces de Marseille pour permettre à cette ville de jouer tout son rôle sur ce pourtour méditerranéen. Il y a là, je crois, un exemple.
C'est le premier Conseil de cette nature qui se crée en France. C'est l'évolution de l'Europe où chacun doit prendre davantage ses responsabilités, bien sûr, les gouvernements, les collectivités locales, mais les villes aussi ont un rôle phare. Elles ont une capacité, une humanité, une connaissance de leur environnement qui leur permet de jouer ce rôle pilote.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2002)
(Interview à France inter, RTL et Nostalgie à Marseille, le 2 décembre 2002) :
Q - Des balles françaises ont tué hier soir en Côte d'Ivoire, c'est la première fois qu'il y a un engagement aussi sérieux, votre réaction ?
R - La Côte d'Ivoire connaît une situation difficile et vous connaissez l'esprit qui est celui de la France en Côte d'Ivoire. Tout d'abord, il y a une présence militaire qui a pour vocation d'assurer la sécurité de nos communautés et des communautés étrangères. De plus, c'est une présence qui, aujourd'hui, a vocation à sécuriser, sécuriser et autant que faire se peut, permettre d'agir en tant que force de paix en attendant la force de l'ECOMOG, la force de la CEDEAO, c'est-à-dire l'entité régionale responsable dans cette région.
La position française appuie la médiation africaine. Nous sommes donc, bien que dans une situation difficile, dans une présence marquée par des principes très clairs, un appui aux efforts africains, une volonté de contribuer à la paix. C'est le sens de la visite que j'ai faite récemment dans la région pour permettre de renouer les fils de la réconciliation en Côte d'Ivoire, les fils de la réconciliation entre les parties en conflit, d'une part les mutins et d'autre part, les autorités ivoiriennes. Enfin, permettre à un véritable dialogue régional de s'instaurer. C'est pour cela que nous avons plaidé pour une rencontre entre le président Gbagbo et le président du Burkina Faso, M. Compaoré qui pourrait se tenir au Mali, nous l'espérons rapidement.
Cette politique de la France, cette politique d'initiative, cette politique qui se mobilise pour faciliter les choses, elle ne peut aboutir, en tout état de cause si, sur place, les parties ne sont pas mobilisées pour oeuvrer et travailler en commun. Par définition, vous le savez, une crise suit son cours et la possibilité et le rôle de la France, c'est de tout faire pour sortir de cette crise parce que nous pensons au peuple ivoirien, parce que nous pensons à la sécurité et à la stabilité régionale, parce que nous pensons à l'unité de la Côte d'ivoire. Il faut que chacun, dans la région prenne ses responsabilités. C'est ce que j'ai dit au président Gbagbo, c'est ce que j'ai dit à l'ensemble des chefs d'Etats de la région, et c'est ce que j'ai dit à Lomé, à la fois aux mutins et aux représentants du gouvernement ivoirien.
Q - A propos de la position de la France ?
R - Vous savez nous vivons dans un monde difficile et par définition, la crise fait partie de notre monde. Nous le voyons en Côte d'Ivoire, ailleurs dans le monde. De ce point de vue, la France n'est pas frileuse, elle prend ses responsabilités, je l'ai dit depuis le début. Le gouvernement l'a dit clairement comme le président de la République : la France a une fidélité, une amitié pour le continent africain, elle est là pour aider ce continent et la Côte d'Ivoire dans l'épreuve, conformément aux principes qui sont les nôtres, appui à la médiation africaine, solidarité et appui aux autorités démocratiquement élues, tentative d'appuyer un véritable effort de paix.
Q - Mais tout de même, n'êtes-vous pas un peu amer pour en arriver jusque-là !
R - Notre volonté, c'est d'essayer de contribuer au règlement d'une crise. Par définition, s'il y a crise, c'est qu'il y a difficulté. Nous devons prendre en compte cette réalité tout en essayant de la dépasser et de faire en sorte qu'elle puisse se dénouer rapidement.
Mais - ayons un peu de mémoire -, nous l'avons vu en Afrique, au-delà des coups de feu. Nous avons connu des situations qui ont été marquées par des morts en très grand nombre et notre rôle est de faire en sorte de circonscrire, de limiter et d'encourager chacun à dialoguer.
Q - Pour terminer, parlons de Marseille, M. Raffarin avait demandé à tous les ministres de faire un déplacement en province. On pensait que vous étiez exempt de cela car en tant que ministre des Affaires étrangères, vous n'êtes pas obligé de venir en province. Quel est le bilan de cette journée ?
R - Ce fut une journée passionnante. Il s'agissait pour moi d'essayer de présenter, à l'aube d'une semaine très importante sur le plan européen, les grandes lignes de la position française. Il était important de pouvoir le faire dans une grande ville comme Marseille qui est ouverte sur la Méditerranée, qui a une vocation internationale importante, devant la jeunesse car c'est un enjeu qui concerne tous les Français et il est important de dire à quel point nous avions vocation à nous mobiliser, à la fois pour réussir l'élargissement, mais aussi pour réussir l'approfondissement de l'Europe. C'est le sens de la réforme institutionnelle et nous devons enfin mesurer la responsabilité, le devoir européen qui est le nôtre.
Dans un monde plein d'incertitudes, il est important que l'Europe prenne conscience de sa responsabilité, de sa puissance et qu'elle puisse agir au service de la paix, au service du développement.
Q - Pour le ministre que vous êtes, la province, est-ce important ?
R - Les Français, c'est essentiel, Paris, la province, bien sûr. Il faut convaincre et une diplomatie n'est forte que si elle s'appuie sur une compréhension, sur le soutien de l'ensemble des Français. Et si nous avons pu réussir au Conseil de sécurité, dans la crise iraquienne, si nous avons pu convaincre, c'est bien parce que les Français soutenaient l'action diplomatique de la France, soutenaient l'action du président de la République. Unanimement, je pense que les Français souhaitent à la fois une France engagée pour soutenir, le droit, la morale et la solidarité. C'est parce que ces convictions sont fortement ancrées dans le coeur de tous les Français que nous pouvons peser sur la diplomatie européenne et peser dans le monde.
Q - Et vous rendre en province, voir la France d'en bas !
R - Les diplomates n'ont pas vocation à être dans les salons et croyez-moi, jour après jour, si vous aviez l'occasion de me suivre dans mes périples, vous verriez que la diplomatie française est une diplomatie de terrain, ce n'est pas une diplomatie de confort. Nous sommes justement là pour essayer de traiter les choses, dans leur rugosité, dans leur difficulté, et le faire avec ténacité, avec constance, avec détermination.
Nous parlions de la Côte d'Ivoire, c'est la preuve même de la volonté française de ne jamais baisser les bras. Nous sommes là pour permettre de passer des caps difficiles, nous ne sommes pas là pour être présents lorsque c'est facile, nous sommes là pour affronter les difficultés et faire avancer un monde qui est aujourd'hui dans l'épreuve.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2002)