Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Je souhaite tout d'abord vous exprimer le plaisir que j'éprouve à vous retrouver, tous ensemble, pour la deuxième fois. Depuis la réunion précédente, qui se tenait un peu moins de trois mois après la prise de fonction du gouvernement de Lionel Jospin, j'ai pu apprécier, en particulier à l'occasion de mes visites dans les Etats membres de l'Union européenne, mais aussi dans les pays candidats, et même au-delà, vos qualités de grands professionnels et la force de votre engagement au service de notre diplomatie.
Comme Hubert Védrine, je suis soucieux de faire de notre rendez-vous annuel une rencontre aussi opérationnelle que possible. C'est pourquoi je retrouverai plusieurs d'entre vous cet après-midi, autour de deux tables rondes, pour réfléchir à des questions aussi concrètes que les frontières de l'Europe et la coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale.
Dans le même esprit, mon intention n'est pas aujourd'hui de dresser devant vous le bilan d'un an de politique européenne.
Aussi mon ambition est-elle plutôt de resituer notre action dans la continuité des orientations que je vous avais exposées, ici même, il y a exactement un an.
J'avais alors présenté notre vision de la construction européenne autour des grands enjeux du moment et esquissé un ordre de marche pour affronter les échéances à venir. Je vous avais fait part aussi de ma conviction que les perspectives européennes seraient profondément changées, et dans la bonne direction, quand nous nous retrouverions. Telle est bien la réalité actuelle.
Il nous revient maintenant de conforter ces évolutions, de continuer à mettre de la chair derrière cette vision pour lui donner corps, d'imprimer un rythme cohérent aux différents chantiers européens. Tel est le sens de mon propos, centré autour des grandes évolutions en cours, sans prétendre évidemment à l'exhaustivité.
La première de ces évolutions concerne la mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire et d'une véritable stratégie en faveur de la croissance et de l'emploi.
Ainsi, l'euro naîtra officiellement le 1er janvier 1999. Que de chemin parcouru, si l'on se souvient des interrogations et des doutes encore si forts, il y a moins d'un an ! L'euro sera une monnaie solide, stable, avec l'assise large de 11 pays participants. Je note au passage que l'attitude de l'opinion publique en France évolue dans le bon sens, sans doute parce que la portée profonde de cette entreprise historique, c'est-à-dire sa dimension politique, est mieux perçue.
D'autres défis se présentent maintenant : nous devons nous accoutumer à vivre en régime euro. Au début du mois de juin, se sont mis en place la Banque centrale européenne, assurée d'une présidence experte et stable pour 12 ans, et son pendant politique, l'euro 11, cette instance souhaitée par la France pour assurer la coordination des politiques économiques des pays de la zone euro.
Après la période de rodage s'instaurera progressivement un équilibre de croisière entre ces deux pôles. Je fais confiance au sens des responsabilités des différents acteurs et à leur pragmatisme pour y parvenir très vite. Je sais que Dominique Strauss-Kahn ne ménage pas ses efforts en ce sens.
La période à venir sera cruciale. Il faudra en effet utiliser pleinement les marges de manoeuvre que nous donne cette souveraineté monétaire, partagée, retrouvée, pour réaliser nos objectifs économiques et pour affirmer la place de l'Europe sur la scène internationale. L'actualité la plus proche - je pense aux crises financières en Asie et en Russie, aux incertitudes en Amérique du Sud - nous montre, si besoin était, que les marchés n'attendent pas. Il est temps que l'influence politique de l'Union soit à la mesure de ses contributions financières à la résolution de ces crises.
Acte fondamentalement politique, la création de l'euro représente aussi, d'un point de vue économique, plus que la simple mise à disposition des agents économiques d'un nouveau moyen de paiement. La question de fond, celle de la meilleure gestion possible de l'euro, renvoie à la mise en oeuvre d'une stratégie pour la croissance et l'emploi que j'évoquais précédemment.
Vous connaissez nos efforts pour mettre au coeur de la construction européenne les préoccupations relatives à l'emploi. Depuis le Conseil européen d'Amsterdam, il y a eu le Sommet extraordinaire de Luxembourg, en novembre dernier, qui a fixé des objectifs pour l'emploi et une méthode, de nature à favoriser une convergence des politiques en faveur de l'emploi. Le prochain rendez-vous important est le Conseil européen de Vienne, en décembre, qui examinera la mise en oeuvre des plans nationaux pour l'emploi et adoptera des lignes directrices pour 1999.
Mais cette démarche est intégrée dans une approche globale en faveur de la croissance, comme l'illustre le Conseil européen de Cardiff en juin dernier : approfondir le marché unique, renforcer la concertation sur les grandes orientations des politiques économiques, poursuivre les efforts d'harmonisation fiscale. Ce thème est à mes yeux essentiel. Il faut adopter une démarche communautaire d'ensemble, allant au-delà d'un simple code de bonne conduite, et éviter toute compétition fiscale dommageable pour l'emploi.
J'en viens maintenant à la deuxième évolution, qui concerne les perspectives d'élargissement de l'Union européenne.
Je passerais rapidement sur les questions qui sont maintenant derrière nous : oui, cet élargissement correspond à un impératif historique, auquel nous ne devons pas chercher à nous dérober.
Oui, ce mouvement d'une ampleur sans précédent correspond à notre intérêt politique et économique pour autant qu'il soit bien maîtrisé ; oui, cette perspective exige de l'Union européenne un effort considérable d'adaptation pour accueillir dans de bonnes conditions les nouveaux adhérents, sans remettre en cause ses fondements et ses ambitions.
Depuis le Conseil européen de Luxembourg, en décembre dernier, le dispositif est en place. Il articule un cadre multilatéral, la Conférence européenne, et des démarches bilatérales différenciées. L'approche est à la fois globale, ouverte et pragmatique. Elle répond à notre souci de prendre en compte les différences sans créer de nouvelles lignes de fractures en Europe.
Quant aux six pays avec lesquels les négociations ont été ouvertes, nous avons posé une exigence claire : la reprise de l'acquis communautaire. Ce principe s'est appliqué pour tous les élargissements. Il revêt ici une acuité particulière. En effet, nous devons, d'une part, faire face à l'impatience des pays candidats, et d'autre part, préparer l'Union à une absorption sans précédent. Notre insistance sur la reprise de l'acquis est la meilleure garantie de cohésion de l'Union et de maintien de l'efficacité de ses politiques communes. Nous ne serons pas restrictifs, mais nous ne serons pas démagogues: nous savons que les exigences de l'Union sont lourdes, nous savons aussi qu'il n'y pas de raccourci pour un élargissement réussi.
Enfin, il serait paradoxal qu'après avoir défini les critères économiques et politiques de Copenhague, nous nous mettions en pilotage automatique. L'ensemble de ce mécanisme est donc placé sous contrôle politique. Le difficile dossier chypriote, qu'évoquait Hubert Védrine, prouve que cette précaution n'est pas inutile. Les relations avec la Turquie exigeront aussi un suivi attentif.
Parallèlement, se poursuivent les travaux sur l'Agenda 2000, c'est-à-dire l'adaptation du cadre financier et des politiques communes dans la perspective de cet élargissement.
Je souhaite simplement réaffirmer aujourd'hui deux principes auxquels la France reste particulièrement attachée : tout d'abord la préservation de l'esprit communautaire et des politiques communes, qui donnent sa substance à l'Union ; mais aussi sa détermination à ne pas supporter seule le poids des ajustements nécessaires.
Mais cette perspective d'une Europe élargie nous met plus que jamais au défi de l'efficacité des institutions. Depuis les frustrations d'Amsterdam, à la suite de l'impasse sur la réforme des institutions, la France n'a cessé de plaider pour que ce chantier soit rouvert. Elle en a fait un préalable à toute nouvelle adhésion. C'est un engagement ferme. C'était le sens de la déclaration, annexée au traité, signée le 2 octobre dernier par la France, la Belgique et l'Italie.
L'idée fait son chemin. Le Conseil européen de Luxembourg en décembre y fait référence. La lettre commune du chancelier Kohl et du président de la République le réaffirme. Nos partenaires envisagent, désormais, la nécessité de reprendre le travail, dès après la ratification du traité.
Certes, il ne s'agit pas de représenter telles quelles les propositions qui n'ont pas abouti, concernant la composition de la Commission, le vote à la majorité qualifiée, et la repondération des voix au Conseil.
Si nos objectifs demeurent, il faut sans doute élargir le champ de la réflexion. Tel est le sens du débat sur l'avenir politique de l'Europe.
Amorcé à Cardiff, il est appelé à se poursuivre lors d'un Conseil européen informel en octobre. Point n'est besoin d'ailleurs de se lancer dans une vaste CIG, ou de préparer un "grand soir" institutionnel, pour faire quelques progrès. Hubert Védrine et moi, qui y participons, constatons régulièrement, au Conseil "Affaires Générales", les améliorations possibles pour restaurer la fonction de coordination, pour l'instant fragilisée, de cette enceinte. C'est d'abord une affaire de volonté politique et de sens pratique. De même, les récents errements concernant les relations de l'Union avec les Etats-Unis ou avec le Mercosur témoignent, au-delà des questions de fond, de dysfonctionnements réels.
Notre réflexion doit s'inscrire dans une triple perspective : à court terme, améliorer les méthodes de travail et l'organisation actuelles, sans nécessairement modifier les traités ; à moyen terme, définir les institutions de l'Europe élargie, pour accomplir ce qui aurait dû être fait à Amsterdam et qui ne l'a pas été ; à un horizon beaucoup plus lointain, réfléchir à l'architecture européenne.
Il s'agit, vous le voyez, de rendre plus compréhensible et plus efficace la mécanique communautaire. C'est une visée démocratique avant d'être un principe d'hygiène institutionnelle.
J'en viens ainsi à la troisième et dernière évolution à laquelle j'attache la plus haute importance : le débat citoyen sur l'Europe. Il va resurgir chez nous à l'occasion de la procédure de ratification du Traité d'Amsterdam et des élections européennes en juin prochain.
La ratification du Traité d'Amsterdam exige au préalable une révision de la Constitution. Le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi, en décembre dernier.
Nous avions choisi de laisser passer les échéances importantes liées à l'euro, au premier semestre, pour éviter toute interférence. Avec l'adoption du projet de loi de révision constitutionnelle, au Conseil des ministres du 29 juillet dernier, la procédure est maintenant lancée. Si le calendrier n'a pas encore été définitivement précisé mais c'est une question de jours. La procédure de ratification devrait être achevée, après révision de la Constitution, par le Congrès, au début de l'année prochaine.
Comme vous l'imaginez, les débats ne manqueront pas de rebondir à cette occasion, avec, parfois, des arrière-pensées des uns et des autres, souvent éloignées des préoccupations européennes. La position du gouvernement est parfaitement claire : la France doit ratifier ce traité, à la fois parce qu'il contient un certain nombre d'avancées réelles et parce qu'une attitude contraire risquerait de mettre notre pays en marge du jeu européen, à rebours de son rôle historique, sans nécessairement ouvrir la voie à un projet porteur d'une ambition nouvelle.
Quant à la procédure, le Traité ne justifie pas un référendum. Contrairement aux fantasmes de certains, Amsterdam n'est pas Maastricht II.
Force est de constater que le Traité d'Amsterdam, modifiant les textes antérieurs, est difficilement intelligible en tant que tel. Nous devrons donc veiller à présenter un tableau d'ensemble de la construction européenne à l'étape que constitue ce traité, autour de quelques grands thèmes. Je pense notamment à la mise en place d'un espace de liberté et de sécurité, c'est-à-dire le troisième pilier, et à la place de l'Europe sur la scène internationale, avec en particulier la prochaine désignation du Haut-Rreprésentant pour la PESC, qui sera un choix très important.
Je voudrais dire un mot, pour finir, des élections européennes, qui auront lieu dans maintenant moins d'un an. Le renouvellement du Parlement européen, en raison de son rôle croissant, est un enjeu majeur pour l'avenir de l'Union.
Ces élections doivent être l'occasion de remobiliser l'opinion en faveur de la construction européenne ou, à tout le moins, d'avoir de vrais débats sur l'Europe. Il faudra d'abord lutter contre l'indifférence, que les enjeux européens ne méritent pas.
Ainsi, comme vous le constatez, nous poursuivons nos efforts sur la longue voie vers cette Europe-puissance que nous appelons de nos voeux. Les temps sont paradoxaux : les évolutions sont, à certains égards, favorables comme elles ne l'ont pas été depuis de nombreuses années. Pourtant, la demande de sens est très vive : les Quinze sentent la nécessité de réaffirmer un dessein commun, sans toujours y parvenir.
Quant à nos concitoyens, en mal de repères face à une mondialisation qui leur donne parfois l'impression d'être pris dans un tourbillon, ils souhaitent comprendre où nous les menons, comment fonctionne cette mécanique européenne qui imprègne leur quotidien.
Comprendre, expliquer et convaincre, telles sont les clefs de votre métier. Nous en aurons besoin cette année : comprendre nos partenaires pour ajuster finement nos positions dans des négociations ardues; leur expliquer la politique de la France; enfin, les convaincre, afin de leur faire partager notre ambition pour un monde de paix, solidaire et généreux. Je ne doute pas que vous êtes à la hauteur de cette mission difficile et exaltante
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2001)
Je souhaite tout d'abord vous exprimer le plaisir que j'éprouve à vous retrouver, tous ensemble, pour la deuxième fois. Depuis la réunion précédente, qui se tenait un peu moins de trois mois après la prise de fonction du gouvernement de Lionel Jospin, j'ai pu apprécier, en particulier à l'occasion de mes visites dans les Etats membres de l'Union européenne, mais aussi dans les pays candidats, et même au-delà, vos qualités de grands professionnels et la force de votre engagement au service de notre diplomatie.
Comme Hubert Védrine, je suis soucieux de faire de notre rendez-vous annuel une rencontre aussi opérationnelle que possible. C'est pourquoi je retrouverai plusieurs d'entre vous cet après-midi, autour de deux tables rondes, pour réfléchir à des questions aussi concrètes que les frontières de l'Europe et la coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale.
Dans le même esprit, mon intention n'est pas aujourd'hui de dresser devant vous le bilan d'un an de politique européenne.
Aussi mon ambition est-elle plutôt de resituer notre action dans la continuité des orientations que je vous avais exposées, ici même, il y a exactement un an.
J'avais alors présenté notre vision de la construction européenne autour des grands enjeux du moment et esquissé un ordre de marche pour affronter les échéances à venir. Je vous avais fait part aussi de ma conviction que les perspectives européennes seraient profondément changées, et dans la bonne direction, quand nous nous retrouverions. Telle est bien la réalité actuelle.
Il nous revient maintenant de conforter ces évolutions, de continuer à mettre de la chair derrière cette vision pour lui donner corps, d'imprimer un rythme cohérent aux différents chantiers européens. Tel est le sens de mon propos, centré autour des grandes évolutions en cours, sans prétendre évidemment à l'exhaustivité.
La première de ces évolutions concerne la mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire et d'une véritable stratégie en faveur de la croissance et de l'emploi.
Ainsi, l'euro naîtra officiellement le 1er janvier 1999. Que de chemin parcouru, si l'on se souvient des interrogations et des doutes encore si forts, il y a moins d'un an ! L'euro sera une monnaie solide, stable, avec l'assise large de 11 pays participants. Je note au passage que l'attitude de l'opinion publique en France évolue dans le bon sens, sans doute parce que la portée profonde de cette entreprise historique, c'est-à-dire sa dimension politique, est mieux perçue.
D'autres défis se présentent maintenant : nous devons nous accoutumer à vivre en régime euro. Au début du mois de juin, se sont mis en place la Banque centrale européenne, assurée d'une présidence experte et stable pour 12 ans, et son pendant politique, l'euro 11, cette instance souhaitée par la France pour assurer la coordination des politiques économiques des pays de la zone euro.
Après la période de rodage s'instaurera progressivement un équilibre de croisière entre ces deux pôles. Je fais confiance au sens des responsabilités des différents acteurs et à leur pragmatisme pour y parvenir très vite. Je sais que Dominique Strauss-Kahn ne ménage pas ses efforts en ce sens.
La période à venir sera cruciale. Il faudra en effet utiliser pleinement les marges de manoeuvre que nous donne cette souveraineté monétaire, partagée, retrouvée, pour réaliser nos objectifs économiques et pour affirmer la place de l'Europe sur la scène internationale. L'actualité la plus proche - je pense aux crises financières en Asie et en Russie, aux incertitudes en Amérique du Sud - nous montre, si besoin était, que les marchés n'attendent pas. Il est temps que l'influence politique de l'Union soit à la mesure de ses contributions financières à la résolution de ces crises.
Acte fondamentalement politique, la création de l'euro représente aussi, d'un point de vue économique, plus que la simple mise à disposition des agents économiques d'un nouveau moyen de paiement. La question de fond, celle de la meilleure gestion possible de l'euro, renvoie à la mise en oeuvre d'une stratégie pour la croissance et l'emploi que j'évoquais précédemment.
Vous connaissez nos efforts pour mettre au coeur de la construction européenne les préoccupations relatives à l'emploi. Depuis le Conseil européen d'Amsterdam, il y a eu le Sommet extraordinaire de Luxembourg, en novembre dernier, qui a fixé des objectifs pour l'emploi et une méthode, de nature à favoriser une convergence des politiques en faveur de l'emploi. Le prochain rendez-vous important est le Conseil européen de Vienne, en décembre, qui examinera la mise en oeuvre des plans nationaux pour l'emploi et adoptera des lignes directrices pour 1999.
Mais cette démarche est intégrée dans une approche globale en faveur de la croissance, comme l'illustre le Conseil européen de Cardiff en juin dernier : approfondir le marché unique, renforcer la concertation sur les grandes orientations des politiques économiques, poursuivre les efforts d'harmonisation fiscale. Ce thème est à mes yeux essentiel. Il faut adopter une démarche communautaire d'ensemble, allant au-delà d'un simple code de bonne conduite, et éviter toute compétition fiscale dommageable pour l'emploi.
J'en viens maintenant à la deuxième évolution, qui concerne les perspectives d'élargissement de l'Union européenne.
Je passerais rapidement sur les questions qui sont maintenant derrière nous : oui, cet élargissement correspond à un impératif historique, auquel nous ne devons pas chercher à nous dérober.
Oui, ce mouvement d'une ampleur sans précédent correspond à notre intérêt politique et économique pour autant qu'il soit bien maîtrisé ; oui, cette perspective exige de l'Union européenne un effort considérable d'adaptation pour accueillir dans de bonnes conditions les nouveaux adhérents, sans remettre en cause ses fondements et ses ambitions.
Depuis le Conseil européen de Luxembourg, en décembre dernier, le dispositif est en place. Il articule un cadre multilatéral, la Conférence européenne, et des démarches bilatérales différenciées. L'approche est à la fois globale, ouverte et pragmatique. Elle répond à notre souci de prendre en compte les différences sans créer de nouvelles lignes de fractures en Europe.
Quant aux six pays avec lesquels les négociations ont été ouvertes, nous avons posé une exigence claire : la reprise de l'acquis communautaire. Ce principe s'est appliqué pour tous les élargissements. Il revêt ici une acuité particulière. En effet, nous devons, d'une part, faire face à l'impatience des pays candidats, et d'autre part, préparer l'Union à une absorption sans précédent. Notre insistance sur la reprise de l'acquis est la meilleure garantie de cohésion de l'Union et de maintien de l'efficacité de ses politiques communes. Nous ne serons pas restrictifs, mais nous ne serons pas démagogues: nous savons que les exigences de l'Union sont lourdes, nous savons aussi qu'il n'y pas de raccourci pour un élargissement réussi.
Enfin, il serait paradoxal qu'après avoir défini les critères économiques et politiques de Copenhague, nous nous mettions en pilotage automatique. L'ensemble de ce mécanisme est donc placé sous contrôle politique. Le difficile dossier chypriote, qu'évoquait Hubert Védrine, prouve que cette précaution n'est pas inutile. Les relations avec la Turquie exigeront aussi un suivi attentif.
Parallèlement, se poursuivent les travaux sur l'Agenda 2000, c'est-à-dire l'adaptation du cadre financier et des politiques communes dans la perspective de cet élargissement.
Je souhaite simplement réaffirmer aujourd'hui deux principes auxquels la France reste particulièrement attachée : tout d'abord la préservation de l'esprit communautaire et des politiques communes, qui donnent sa substance à l'Union ; mais aussi sa détermination à ne pas supporter seule le poids des ajustements nécessaires.
Mais cette perspective d'une Europe élargie nous met plus que jamais au défi de l'efficacité des institutions. Depuis les frustrations d'Amsterdam, à la suite de l'impasse sur la réforme des institutions, la France n'a cessé de plaider pour que ce chantier soit rouvert. Elle en a fait un préalable à toute nouvelle adhésion. C'est un engagement ferme. C'était le sens de la déclaration, annexée au traité, signée le 2 octobre dernier par la France, la Belgique et l'Italie.
L'idée fait son chemin. Le Conseil européen de Luxembourg en décembre y fait référence. La lettre commune du chancelier Kohl et du président de la République le réaffirme. Nos partenaires envisagent, désormais, la nécessité de reprendre le travail, dès après la ratification du traité.
Certes, il ne s'agit pas de représenter telles quelles les propositions qui n'ont pas abouti, concernant la composition de la Commission, le vote à la majorité qualifiée, et la repondération des voix au Conseil.
Si nos objectifs demeurent, il faut sans doute élargir le champ de la réflexion. Tel est le sens du débat sur l'avenir politique de l'Europe.
Amorcé à Cardiff, il est appelé à se poursuivre lors d'un Conseil européen informel en octobre. Point n'est besoin d'ailleurs de se lancer dans une vaste CIG, ou de préparer un "grand soir" institutionnel, pour faire quelques progrès. Hubert Védrine et moi, qui y participons, constatons régulièrement, au Conseil "Affaires Générales", les améliorations possibles pour restaurer la fonction de coordination, pour l'instant fragilisée, de cette enceinte. C'est d'abord une affaire de volonté politique et de sens pratique. De même, les récents errements concernant les relations de l'Union avec les Etats-Unis ou avec le Mercosur témoignent, au-delà des questions de fond, de dysfonctionnements réels.
Notre réflexion doit s'inscrire dans une triple perspective : à court terme, améliorer les méthodes de travail et l'organisation actuelles, sans nécessairement modifier les traités ; à moyen terme, définir les institutions de l'Europe élargie, pour accomplir ce qui aurait dû être fait à Amsterdam et qui ne l'a pas été ; à un horizon beaucoup plus lointain, réfléchir à l'architecture européenne.
Il s'agit, vous le voyez, de rendre plus compréhensible et plus efficace la mécanique communautaire. C'est une visée démocratique avant d'être un principe d'hygiène institutionnelle.
J'en viens ainsi à la troisième et dernière évolution à laquelle j'attache la plus haute importance : le débat citoyen sur l'Europe. Il va resurgir chez nous à l'occasion de la procédure de ratification du Traité d'Amsterdam et des élections européennes en juin prochain.
La ratification du Traité d'Amsterdam exige au préalable une révision de la Constitution. Le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi, en décembre dernier.
Nous avions choisi de laisser passer les échéances importantes liées à l'euro, au premier semestre, pour éviter toute interférence. Avec l'adoption du projet de loi de révision constitutionnelle, au Conseil des ministres du 29 juillet dernier, la procédure est maintenant lancée. Si le calendrier n'a pas encore été définitivement précisé mais c'est une question de jours. La procédure de ratification devrait être achevée, après révision de la Constitution, par le Congrès, au début de l'année prochaine.
Comme vous l'imaginez, les débats ne manqueront pas de rebondir à cette occasion, avec, parfois, des arrière-pensées des uns et des autres, souvent éloignées des préoccupations européennes. La position du gouvernement est parfaitement claire : la France doit ratifier ce traité, à la fois parce qu'il contient un certain nombre d'avancées réelles et parce qu'une attitude contraire risquerait de mettre notre pays en marge du jeu européen, à rebours de son rôle historique, sans nécessairement ouvrir la voie à un projet porteur d'une ambition nouvelle.
Quant à la procédure, le Traité ne justifie pas un référendum. Contrairement aux fantasmes de certains, Amsterdam n'est pas Maastricht II.
Force est de constater que le Traité d'Amsterdam, modifiant les textes antérieurs, est difficilement intelligible en tant que tel. Nous devrons donc veiller à présenter un tableau d'ensemble de la construction européenne à l'étape que constitue ce traité, autour de quelques grands thèmes. Je pense notamment à la mise en place d'un espace de liberté et de sécurité, c'est-à-dire le troisième pilier, et à la place de l'Europe sur la scène internationale, avec en particulier la prochaine désignation du Haut-Rreprésentant pour la PESC, qui sera un choix très important.
Je voudrais dire un mot, pour finir, des élections européennes, qui auront lieu dans maintenant moins d'un an. Le renouvellement du Parlement européen, en raison de son rôle croissant, est un enjeu majeur pour l'avenir de l'Union.
Ces élections doivent être l'occasion de remobiliser l'opinion en faveur de la construction européenne ou, à tout le moins, d'avoir de vrais débats sur l'Europe. Il faudra d'abord lutter contre l'indifférence, que les enjeux européens ne méritent pas.
Ainsi, comme vous le constatez, nous poursuivons nos efforts sur la longue voie vers cette Europe-puissance que nous appelons de nos voeux. Les temps sont paradoxaux : les évolutions sont, à certains égards, favorables comme elles ne l'ont pas été depuis de nombreuses années. Pourtant, la demande de sens est très vive : les Quinze sentent la nécessité de réaffirmer un dessein commun, sans toujours y parvenir.
Quant à nos concitoyens, en mal de repères face à une mondialisation qui leur donne parfois l'impression d'être pris dans un tourbillon, ils souhaitent comprendre où nous les menons, comment fonctionne cette mécanique européenne qui imprègne leur quotidien.
Comprendre, expliquer et convaincre, telles sont les clefs de votre métier. Nous en aurons besoin cette année : comprendre nos partenaires pour ajuster finement nos positions dans des négociations ardues; leur expliquer la politique de la France; enfin, les convaincre, afin de leur faire partager notre ambition pour un monde de paix, solidaire et généreux. Je ne doute pas que vous êtes à la hauteur de cette mission difficile et exaltante
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2001)