Interview de M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, à "France 2" le 31 janvier 2003, sur les chiffres de l'emploi , sur les mesures d'aide à la création d'entreprises, sur les exonérations d'ISF à prévoir pour les investissements dans les PME.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral


F. Laborde-. Nous n'allons pas parler du championnat du monde de pâtisserie, même si vous avez assisté à cette réunion, mais plus sérieusement de la loi sur l'initiative économique. Avant cela, je voudrais tout de même avoir votre appréciation sur les chiffres de l'emploi. 100.000 demandeurs d'emploi de plus en un an, 9,1 % de la population active : cela se dégrade en 2002 et la tendance est à la dégradation encore en 2003.
- "Il ne faut surtout pas rester passif devant la dégradation de la conjoncture ou les inquiétudes que l'on pourrait avoir du fait de cette situation mondiale - puisque nous sommes vraiment pris dans une logique mondiale -, et il faut être très actif. C'est ce que le Gouvernement fait en prenant toutes les dispositions qui peuvent créer des emplois. Qui crée des emplois en France ? Ce sont les entrepreneurs, qui sont des inventeurs d'emplois. Et il est donc important de libérer les énergies qui peuvent partout créer des emplois. Je prends un exemple, on n'y pense jamais : les artisans. Les artisans se sont engagés à créer 500.000 emplois dans les cinq années qui viennent et, avec eux, nous allons améliorer l'apprentissage, qui est une très bonne façon de permettre à des jeunes de trouver un super emploi et souvent de devenir patron avant 30 ans."
Certes, on le sait, les PME sont les premières créatrices d'emplois, mais tout de même, est-ce qu'on peut faire en sorte que les plans sociaux dans les gros bataillons d'entreprises, qui sont peut-être les plus spectaculaires avec Metaleurop, Daewoo, Arcelor, Péchiney, est-ce qu'on peut en amont faire quelque chose pour éviter de se retrouver subitement avec des plans sociaux comme cela ?
- "Ce qu'il faut dire, c'est que notre économie bouge, il y a des entreprises qui disparaissent, il y en a qui se créent, et ce qui est essentiel, c'est de préparer les salariés. C'est la raison pour laquelle le président de la République avait annoncé cette "assurance formation" : avoir la possibilité pour chacun d'être formé et de retrouver un emploi si jamais il vient à perdre le sien, c'est la première chose. Deuxième chose, il faut que notre économie soit compétitive. Si on fait tout pour charger la fiscalité, les charges sociales, les tracas administratifs sur les entreprises françaises, qu'est-ce qui se passe ? On délocalise les activités. Vous savez, c'est comme le lion et le rat : quand le lion est dans son filet, qu'il est enfermé, il faut qu'il y ait un petit rat qui arrive et qui ronge les mailles ; et moi, c'est ce que j'essaye de faire, être le petit rat qui essaye petit à petit de couper les mailles qui empêchent notre économie de se libérer et de créer des emplois."
Dans votre loi d'initiative économique, on a déjà évoqué ici quelques lignes, avec notamment l'idée qu'on pouvait créer une entreprise avec un capital à 0 euro, qu'il y avait des exonérations de charges extrêmement importantes... Et il y a un volet qui fait beaucoup parler, sur les exonérations de l'impôt sur la fortune, pour ceux qui iraient investir dans les PME ou qui auraient des parts d'actions familiales et qui seraient quand même taxés au titre de l'ISF. Pourquoi est-ce que cette réforme passe aussi mal ?
- "Souvent, en France, il y a des tabous et on ne regarde pas la réalité économique qu'il y a derrière. Qu'est-ce que nous voulons faire, en touchant à tous les impôts, aussi bien l'impôt sur le revenu, les plus-values de cession ? Ce projet de loi concerne essentiellement les toutes petites unités économiques, les très petites entreprises, son coût est essentiellement consacré à des allégements de charges sur les commerçants, les artisans, les plus petits des acteurs économiques français. Qu'est-ce que nous voulons faire ? Nous voulons drainer l'argent des Français vers les entreprises, parce que c'est là que ça crée de l'emploi. Transformer l'argent qui ronfle, l'argent dormant, l'argent qui pionce, en argent qui crée de la richesse, voilà ce que nous voulons faire. Et lorsque les députés disent qu'il vaut mieux que l'argent des Français qui en ont beaucoup, qui paient l'ISF, s'investisse dans les PME, plutôt que d'aller dans les banques de Londres, dans les banques suisses ou dans les banques italiennes, je trouve que cela procède d'un certain bon sens."
Il faut rappeler d'ailleurs que certaines fortunes qui paient l'ISF peuvent en revanche investir dans les oeuvres d'art et être exonérées de la sorte... Donc, vous dites plutôt la PME que le Renoir ?
- "Vous pouvez avoir chez vous un tableau qui ne produit aucun emploi, exonéré d'ISF, alors que si vous mettez à l'heure actuelle de l'argent dans une petite PME de votre région, si vous n'avez pas 25 % du capital, vous allez être taxé à l'ISF. Donc, c'est tout simple. Soyons logique et ayons du bon sens, ne faisons pas de polémique inutile, regardons ce qui est bon pour les Français, à un moment où le chômage est une vraie préoccupation, pour le Gouvernement et pour tous les Français. Je note d'ailleurs, parce que j'écoute M. F. Hollande de temps en temps, et je vois qu'il a choisi comme porte-parole un député qui s'appelle M. Besson. M. Besson, en 1999, dans un rapport sur la création d'entreprise, disait exactement la même chose que nous, qu'il fallait réformer l'ISF pour que ceux qui ont de l'argent puissent le mettre dans les entreprises naissantes. Alors, arrêtons la tartuferie et l'hypocrisie, et essayons de faire tout simplement ensemble ce qui est bon pour notre pays."
Mais est-ce que vous avez des chiffres que vous pouvez produire et qui justifient ce que vous dites ? Est-ce que vous avez effectivement des éléments pour dire que beaucoup de gens qui paient l'impôt sur la fortune, ils préfèrent à un moment donné investir, partir ? On sait par exemple que certaines grandes familles se sont installées en Belgique, parce qu'effectivement elles ne voulaient pas payer l'ISF... Mais avez-vous des statistiques globales là-dessus ?
- "Nous savons que ce sont des milliards d'euros qui ont quitté la France, qui se sont réfugiés dans des pays où la fiscalité sur le patrimoine est beaucoup plus légère. Nous le savons et d'ailleurs beaucoup le savent."
Et comment le savez-vous ?
- "Nous le connaissons [grâce aux] banques. Les banques sont souvent des intermédiaires pour ce type de changement de résidence. Il y a des sociétés qui sont spécialisées dans ces départs. Nous avons également des familles qui sont connues pour s'être installées dans tel ou tel pays riverain de la France, et qui d'ailleurs disent elles-mêmes, "mais nous on n'a qu'une envie, c'est de revenir en France, mais arrêtez de nous piquer l'argent qu'on voudrait investir dans l'économie française, on est obligé de le mettre ailleurs", c'est un vrai paradoxe. On est en train de s'appauvrir bêtement à cause d'un impôt qui est devenu super symbolique. Et les symboles, ce n'est pas l'économie, l'économie c'est de drainer l'argent vers l'emploi. Nous, nous sommes des gens pragmatiques. La politique qui nous intéresse c'est celle qui marche. C'est la raison pour laquelle nous regardons avec beaucoup d'intérêt les amendements qui ont été proposés par les députés UMP et UDF."
Ce qui est assez inattendu, c'est qu'un collectif de chômeurs veut des exonérations d'ISF pour les créations de PME. Ce collectif, le "Mouvement national des chômeurs et précaires", dit qu'effectivement c'est une solution. C'est un soutien inattendu ? C'est un sous-marin ? C'est un collectif que vous avez créé vous-même ?
- "Pas du tout, mais c'est quelqu'un qui a du bon. Il dit qu'il vaut mieux mettre l'argent dans les entreprises plutôt que dans les tableaux de maître, qu'il vaut mieux réformer l'ISF pour qu'on crée des emplois avec l'argent de ceux qui en ont beaucoup, plutôt que de les pousser à aller en Belgique, en Suisse, en Angleterre ou en Italie. Voilà quelqu'un qui a du bon sens, mais les Français, d'ailleurs, ils pensent la même chose. Les seuls qui font un peu de polémique là-dessus, c'est le Parti socialiste. Mais au Parti socialiste, au fond d'eux-mêmes, ils pensent tous la même chose."
Surtout que la Bourse ayant perdu près de la moitié de sa valeur, il y a quand même beaucoup d'argent qui a disparu.
- "Si nous voulons créer des emplois, il faut que nos entreprises, et notamment les PME, puissent avoir des fonds propres. Ce sont les fonds propres qui permettent d'investir et d'embaucher. Alors, essayons de tout mettre en oeuvre pour que cela marche le plus vite possible, parce qu'il y a urgence."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 janvier 2003)