Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs,
Tout d'abord permettez-moi de vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant les membres de votre prestigieuse institution dont je connais la qualité des travaux et des réflexions. Vous m'avez par la même occasion, m'ayant laissé libre du sujet de mon exposé, donné la possibilité, deux ans et demi après ma prise de fonction de décrire les grands axes de l'action publique outre-mer.
Au préalable, je crois important de rappeler les deux contraintes qui encadrent le plus souvent l'action du ministre en charge de l'outre-mer.
La première est incontestablement la méconnaissance qui existe en métropole des réalités et par là même de la diversité de ces collectivités. Source de préjugés tout autant que d'amalgames, cette méconnaissance alimente, au sein de l'administration, des réflexes trop souvent cartiéristes consistant à ne voir dans l'outre-mer qu'une source de gaspillages budgétaires, avec évidemment la conviction que les sommes qui lui sont consacrées seraient mieux utilisées en métropole.
Cette conviction se nourrit de la méconnaissance. Je ne citerai ici que quelques exemples qui concernent les départements d'outre-mer. On affirme souvent que leur économie, évidemment qualifiée d'assistée, ne repose que sur les transferts publics quitte, pour conforter l'accusation, à inclure dans ces derniers, les prestations sociales auxquelles, dès lors qu'il y a intégration économique et sociale, leurs habitants ont évidemment droit comme en métropole.
On note moins souvent qu'une bonne part de ces transferts publics revient en métropole sous forme de transferts privés.
On juge souvent trop coûteux certains dispositifs spécifiques de soutien à l'emploi ou à l'investissement mais on oublie de dire que le taux de création d'entreprises est supérieur à celui de la métropole. Bref, l'accent est mis sur ce qui ne va pas en contre-point de paysages de rêves. Les articles que la presse a consacré aux Antilles avant la visite du Premier ministre étaient tous de cette veine.
La seconde de ces contraintes, qui se nourrit d'ailleurs de la première, consiste à juger l'action publique outre-mer à l'aune du degré d'agitation sociale voire politique. Que ces sociétés soient souvent éruptives, qu'elles connaissent parfois de graves crises, comme ce fut le cas naguère pour la Nouvelle-Calédonie, ne justifie pas pour autant un regard qui aboutit en définitive à leur dénier le droit de tout corps social, en tout cas dans nos sociétés démocratiques, aux crispations, aux tensions, qui sont aussi une forme de régulation et qui sont partout inévitables.
Ce regard sur l'outre-mer, largement présent dans la technostructure de notre pays, voudrait que le titulaire de la fonction que j'occupe aujourd'hui se voit assigner un double objectif : que cela ne coûte pas trop cher et surtout pas de vagues !
Desserrer cette double contrainte est évidemment de la responsabilité du politique et est à mon sens la première tâche que doit s'assigner le ministre en charge. J'en ai pris rapidement la mesure et d'emblée, je m'y suis employé.
Cela m'était d'autant plus aisé que la tâche qui m'avait été assignée par le Chef du gouvernement d'inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes.
Cela supposait de prendre en compte l'identité de chacune de ces collectivités car elles sont toutes dotées d'une identité particulière, façonnée par l'histoire et la géographie. Et, chacune d'entre elles, au fil du temps, a noué une relation spécifique avec la Nation et avec la République.
Inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes, c'était aussi réfléchir à la place et au rôle que ces collectivités pouvaient prendre dans la rénovation du modèle républicain qui est le fil directeur, vous le savez, de l'action que conduit le gouvernement auquel j'appartiens.
Inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes, c'était bien sûr se mettre à l'écoute de ces sociétés, entendre les aspirations de leurs populations sans le prisme réducteur du regard métropolitain que j'évoquais tout à l'heure.
Inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes, c'était enfin réconcilier les deux cultures qui ont traversé et traversent encore la famille politique à laquelle j'appartiens, la culture de l'émancipation des peuples colonisés et la culture de l'égalité à l'intérieur de la République.
Je veux tout d'abord évoquer la Nouvelle-Calédonie. Qu'on se souvienne combien la perspective du terme des accords de Matignon, à la fin de l'année 1998, suscitait d'inquiétudes tant les positions des deux principales formations politiques, le RPCR et le FLNKS, continuaient de paraître éloignées, sinon irréductibles.
Les résultats du scrutin programmé dix ans plus tôt étaient prévisibles. Chacun savait que son organisation aurait eu en germe le retour à l'affrontement et à la rupture entre les communautés de ce territoire. Jacques Lafleur avait très tôt pressenti ce risque et évoqué les conséquences néfastes d'un " référendum-couperet ".
L'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 par le Premier ministre Lionel Jospin, a su répondre à la double aspiration des communautés de la Nouvelle-Calédonie, de ne pas renoncer aux principaux acquis des dix ans qui avaient précédé, le retour de la paix civile et l'amorce d'un rééquilibrage économique.
Grâce à lui, les Calédoniens ont choisi de continuer à écrire ensemble leur histoire commune.
Le préambule de l'accord de Nouméa établit une passerelle entre le passé et l'avenir. Cette lecture commune de l'histoire, acceptable par tous, aide à fonder solidement un avenir partagé. Et l'accord trace la voie d'un destin commun qui dépasse le projet " d'une seule terre pour deux peuples ".
Concrétiser cet accord dans notre droit positif, impliquait de bousculer bien des traditions juridiques.
Deux révisions de la Constitution ont été nécessaires, la seconde devant trouver son aboutissement le 24 janvier prochain par un vote du congrès réuni à Versailles. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie, tel que voulu par les Néo-Calédoniens consultés par référendum le 8 novembre 1998, était à ce prix. Chacun, ici comme là-bas, a su le comprendre, a su le vouloir.
Il n'est que quelques juristes à le regretter dans des commentaires qui opposent des principes rigides aux évolutions nécessaires. Mais n'est-ce pas faute d'avoir su anticiper la demande d'émancipation des peuples d'outre-mer que notre pays a dû se résoudre à des ruptures douloureuses. La loi Defferre de 1956 comme la Constitution de 1958 qui prévoyaient l'existence d'une Communauté, sont probablement venues trop tard.
La Nouvelle-Calédonie a permis d'expérimenter vis-à-vis de l'outre-mer une méthode fondée sur le dialogue et l'écoute, sur la volonté d'entendre et de comprendre. Elle a aussi prouvé, tout au long du processus qui a conduit à la mise en place de ces nouvelles institutions, qu'était venu le temps de bousculer certains tabous, de déranger certains préjugés. La révision constitutionnelle qui doit être approuvée par le Congrès le 24 janvier prochain permettra à la Polynésie française de bénéficier d'une évolution comparable.
En Polynésie, l'autonomie dont Francis Sanford s'était fait le théoricien a conduit à des transferts de compétences au territoire, sans rompre les liens établis dans la République. Ce nouveau pays d'outre-mer obtiendra dans le cadre d'un statut renforcé une plus grande reconnaissance de sa personnalité.
Avec ces évolutions et l'arrêt des essais nucléaires, la France a sur reprendre sa place de puissance écoutée et respectée dans le Pacifique.
Dans nos collectivités d'outre-mer, Mayotte occupe une place particulière
Société traditionnelle confrontée à l'irruption progressive de la modernité, la collectivité de Mayotte attend, depuis plus de vingt ans, la consultation promise afin de lui donner un nouveau statut.
Là encore, les positions pourraient paraître inconciliables, entre ceux qui continuent de voir en Mayotte, terre française, une anomalie de l'histoire récente et ceux, sans doute par réflexe de défense, qui continuent de vouloir, en occultant toute réalité, que du jour au lendemain, Mayotte soit régie par le droit commun et devienne département d'outre-mer.
Là encore, nous nous sommes attachés à convaincre, à rapprocher les points de vue.
J'ai aujourd'hui la conviction que nous sommes très près, à condition que les Mahorais le veulent, et dépassent les clivages politiques, de donner à Mayotte un statut, qui ne sera ni provisoire, ni inadapté aux particularismes de sa société.
Des ces trois exemples que je viens d'évoquer, un trait commun émerge.
Il vaut à mon sens pour l'ensemble de l'outre-mer : c'est celui de la responsabilité.
Ce n'est pas un hasard, s'agissant des départements d'outre-mer, si Claude Lise, sénateur de la Martinique, et Michel Tamaya, député de La Réunion, tous deux parlementaires en mission nommés par le Premier ministre pour réfléchir à une nouvelle étape de la décentralisation outre-mer, ont intitulé le rapport qu'ils lui ont remis : " La voie de la responsabilité ".
Ce concept guidera le projet de loi d'orientation que le gouvernement déposera sur le bureau des assemblées dès le début de l'année prochaine. Cette loi d'orientation a pour ambition de fixer le cadre dans lequel les quatre départements d'outre-mer pourront évoluer, tant au plan de leurs institutions que s'agissant de leur développement économique, social et culturel.
Si différents entre eux, il suffit de connaître les deux Antilles pour s'en rendre compte, nos départements d'outre-mer partagent une histoire commune d'abord fondée sur la traîte et l'esclavage.
Cette histoire n'est pas dissociable de celle de la République parce qu'elle est aussi celle d'une résistance, d'un refus de l'oppression au nom de la liberté.
J'ai eu maintes fois l'occasion de le rappeler, en se révoltant contre leurs maîtres esclavagistes, les esclaves ont été parmi les pères fondateurs de la République. Pour eux, affranchis par elle une première fois en 1794, la République ne pouvait être qu'universaliste. Pour eux, donc pour tous les Républicains, le rétablissement de l'esclavage ne pouvait signifier autre chose que l'abolition de la République. Deux ans y suffirent. C'est le sens de l'apostrophe de Schoelcher à Arago en 1848, dès l'avènement du gouvernement provisoire de la seconde République : " Si l'esclavage n'est pas aboli, la République n'y survivra pas et je recommanderai moi-même aux esclaves de se révolter ".
Ce rappel historique me permet de souligner l'un des acquis de l'outre-mer français à partir du moment où notre pays a renoncé à être une puissance coloniale pour devenir une République ne distinguant plus entre ses citoyens selon leurs origines ethniques ou leur localisation géographique. Cet acquis, c'est la démocratie, l'Etat de droit, la liberté.
Si 1848 a marqué l'accès à la citoyenneté, un siècle plus tard en 1946 sous l'inspiration d'Aimé Césaire et de Gaston Monnerville, la République a reconnu au nom de la demande d'égalité, le statut de département d'outre-mer à ses quatre plus anciennes colonies. A l'époque, on parlait " d'assimilation ". Mais le mot n'a plus le même sens aujourd'hui. La recherche d'égalité dans la République ne peut se concevoir au détriment des identités. Et si les départements d'outre-mer ont voté en faveur de la Constitution de 1958, c'est bien parce que le principe d'adaptation qui figure dans l'article 73 permet de tenir compte des spécificités de chacun d'entre eux.
L'évolution institutionnelle des départements d'outre-mer que nous envisageons se place dans ce cadre. Elle ne peut s'envisager qu'avec l'assentiment des populations. C'est le sens des discours que vient de prononcer aux Antilles, le Premier ministre. Il ne saurait y avoir d'évolution statutaire sans ou contre les citoyens de ces départements.
Démocratique, la voie de la responsabilité pour les départements d'outre-mer doit aussi être celle de la clarté.
Je ne prendrai qu'un seul exemple. Si l'outre-mer français est pluriel, le droit public de notre pays le regroupe cependant en deux catégories et deux seulement. Non pas les DOM et les TOM comme on les désigne encore couramment, mais les collectivités régies par l'identité législative, c'est-à-dire aujourd'hui les départements et la collectivité de Saint-Pierre et Miquelon, et celles régies par la spécialité législative. Il n'y a pas d'exception à cette règle.
Dans le cadre de l'identité législative, c'est-à-dire des conditions d'application de la législation nationale, on doit rechercher au maximum les possibilités d'adaptation, ce qui correspond aux intentions même des constituants de 1958 et aux dispositions nouvelles du Traité d'Amsterdam dans son article 299-2.
Pour ma part, j'entends faire en sorte, qu'à partir d'un cadre qui leur est aujourd'hui commun, chacun de ces quatre départements d'outre-mer puisse, dans l'avenir, construire un modèle de développement adapté à ses réalités.
J'attends de l'accroissement des responsabilités locales dans ces départements, une efficacité plus grande de l'action publique qui seule peut permettre, par la synergie des efforts, par le renforcement des politiques de solidarité, par la prise de conscience de la nécessité d'une plus grande cohésion sociale, d'inverser les courbes du chômage et de l'exclusion, comme cela a commencé d'être le cas en métropole.
J'ajoute d'ailleurs qu'il convient à mon sens de ne pas oublier combien la structure démographique des départements d'outre-mer, si peu évoquée dans la littérature administrative, est à la fois la première cause des difficultés actuelles, en matière de chômage, mais aussi un formidable atout non seulement pour eux, mais pour le pays tout entier. Sur le plan de la formation, la départementalisation de 1946 a été une réussite.
L'investissement dans l'intelligence doit être la base d'un développement économique, ce qui suppose une plus large ouverture de chaque département sur son environnement géographique. L'économie de comptoir et de plantation qui marquait des relations quasi-exclusives avec la métropole est dépassée à l'heure de la mondialisation.
Vous savez que les collectivités locales de notre pays ont la possibilité de développer une coopération internationale avec des collectivités étrangères de même nature. Il leur est par contre interdit de coopérer directement avec des Etats souverains.
Comment ne pas constater combien cette règle est absurde s'agissant des départements d'outre-mer que leur géographie a placé dans un environnement constitué d'Etats indépendants, et pourtant à leur taille, et avec lesquels ils partagent aussi une histoire et parfois une culture communes ? Au surcroît, ces Etats n'ont généralement pas de collectivités locales avec lesquelles, si on suit la législation actuelle, nos départements d'outre-mer sont invités à coopérer.
Autrement dit, soit on leur permet de coopérer avec des Etats souverains, soit on leur interdit toute coopération internationale. Soyez assurés que devant cette alternative, le choix du gouvernement sera sans ambiguïté.
Mesdames et Messieurs, je n'ai pas voulu que ce bref exposé soit un catalogue qui recenserait, collectivité par collectivité, l'ensemble des mesures déjà prises ou des projets qui sont aujourd'hui à l'uvre. Pour toutes, des échéances sont fixées et des réformes aujourd'hui engagées.
Je terminerai donc mon propos en insistant sur le fait qu'il me paraît essentiel, et votre institution y contribue grandement, de changer le regard sur l'outre-mer français.
Il est aussi essentiel que chacun comprenne ici combien notre modèle républicain, son histoire, notre identité française doivent à l'outre-mer. C'est aussi pour cela que dès la rentrée prochaine, nous avons tenu à ce que les programmes scolaires nationaux prennent davantage en compte l'outre-mer, son apport au patrimoine national, à notre histoire, à notre culture.
Si nous parvenons à changer ce regard, notre pays comprendra combien serait altérée son identité, s'il ne comprenait plus ses collectivités d'outre-mer. J'uvre aussi pour qu'il en prenne conscience et qu'il sache retirer de l'outre-mer, une partie des réponses aux questions qui traversent la société et fragilise trop souvent sa cohésion.
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs,
je vous remercie.
dernière modification : 08/11/99
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 novembre 1999)
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs,
Tout d'abord permettez-moi de vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant les membres de votre prestigieuse institution dont je connais la qualité des travaux et des réflexions. Vous m'avez par la même occasion, m'ayant laissé libre du sujet de mon exposé, donné la possibilité, deux ans et demi après ma prise de fonction de décrire les grands axes de l'action publique outre-mer.
Au préalable, je crois important de rappeler les deux contraintes qui encadrent le plus souvent l'action du ministre en charge de l'outre-mer.
La première est incontestablement la méconnaissance qui existe en métropole des réalités et par là même de la diversité de ces collectivités. Source de préjugés tout autant que d'amalgames, cette méconnaissance alimente, au sein de l'administration, des réflexes trop souvent cartiéristes consistant à ne voir dans l'outre-mer qu'une source de gaspillages budgétaires, avec évidemment la conviction que les sommes qui lui sont consacrées seraient mieux utilisées en métropole.
Cette conviction se nourrit de la méconnaissance. Je ne citerai ici que quelques exemples qui concernent les départements d'outre-mer. On affirme souvent que leur économie, évidemment qualifiée d'assistée, ne repose que sur les transferts publics quitte, pour conforter l'accusation, à inclure dans ces derniers, les prestations sociales auxquelles, dès lors qu'il y a intégration économique et sociale, leurs habitants ont évidemment droit comme en métropole.
On note moins souvent qu'une bonne part de ces transferts publics revient en métropole sous forme de transferts privés.
On juge souvent trop coûteux certains dispositifs spécifiques de soutien à l'emploi ou à l'investissement mais on oublie de dire que le taux de création d'entreprises est supérieur à celui de la métropole. Bref, l'accent est mis sur ce qui ne va pas en contre-point de paysages de rêves. Les articles que la presse a consacré aux Antilles avant la visite du Premier ministre étaient tous de cette veine.
La seconde de ces contraintes, qui se nourrit d'ailleurs de la première, consiste à juger l'action publique outre-mer à l'aune du degré d'agitation sociale voire politique. Que ces sociétés soient souvent éruptives, qu'elles connaissent parfois de graves crises, comme ce fut le cas naguère pour la Nouvelle-Calédonie, ne justifie pas pour autant un regard qui aboutit en définitive à leur dénier le droit de tout corps social, en tout cas dans nos sociétés démocratiques, aux crispations, aux tensions, qui sont aussi une forme de régulation et qui sont partout inévitables.
Ce regard sur l'outre-mer, largement présent dans la technostructure de notre pays, voudrait que le titulaire de la fonction que j'occupe aujourd'hui se voit assigner un double objectif : que cela ne coûte pas trop cher et surtout pas de vagues !
Desserrer cette double contrainte est évidemment de la responsabilité du politique et est à mon sens la première tâche que doit s'assigner le ministre en charge. J'en ai pris rapidement la mesure et d'emblée, je m'y suis employé.
Cela m'était d'autant plus aisé que la tâche qui m'avait été assignée par le Chef du gouvernement d'inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes.
Cela supposait de prendre en compte l'identité de chacune de ces collectivités car elles sont toutes dotées d'une identité particulière, façonnée par l'histoire et la géographie. Et, chacune d'entre elles, au fil du temps, a noué une relation spécifique avec la Nation et avec la République.
Inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes, c'était aussi réfléchir à la place et au rôle que ces collectivités pouvaient prendre dans la rénovation du modèle républicain qui est le fil directeur, vous le savez, de l'action que conduit le gouvernement auquel j'appartiens.
Inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes, c'était bien sûr se mettre à l'écoute de ces sociétés, entendre les aspirations de leurs populations sans le prisme réducteur du regard métropolitain que j'évoquais tout à l'heure.
Inscrire l'outre-mer dans le temps des réformes, c'était enfin réconcilier les deux cultures qui ont traversé et traversent encore la famille politique à laquelle j'appartiens, la culture de l'émancipation des peuples colonisés et la culture de l'égalité à l'intérieur de la République.
Je veux tout d'abord évoquer la Nouvelle-Calédonie. Qu'on se souvienne combien la perspective du terme des accords de Matignon, à la fin de l'année 1998, suscitait d'inquiétudes tant les positions des deux principales formations politiques, le RPCR et le FLNKS, continuaient de paraître éloignées, sinon irréductibles.
Les résultats du scrutin programmé dix ans plus tôt étaient prévisibles. Chacun savait que son organisation aurait eu en germe le retour à l'affrontement et à la rupture entre les communautés de ce territoire. Jacques Lafleur avait très tôt pressenti ce risque et évoqué les conséquences néfastes d'un " référendum-couperet ".
L'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 par le Premier ministre Lionel Jospin, a su répondre à la double aspiration des communautés de la Nouvelle-Calédonie, de ne pas renoncer aux principaux acquis des dix ans qui avaient précédé, le retour de la paix civile et l'amorce d'un rééquilibrage économique.
Grâce à lui, les Calédoniens ont choisi de continuer à écrire ensemble leur histoire commune.
Le préambule de l'accord de Nouméa établit une passerelle entre le passé et l'avenir. Cette lecture commune de l'histoire, acceptable par tous, aide à fonder solidement un avenir partagé. Et l'accord trace la voie d'un destin commun qui dépasse le projet " d'une seule terre pour deux peuples ".
Concrétiser cet accord dans notre droit positif, impliquait de bousculer bien des traditions juridiques.
Deux révisions de la Constitution ont été nécessaires, la seconde devant trouver son aboutissement le 24 janvier prochain par un vote du congrès réuni à Versailles. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie, tel que voulu par les Néo-Calédoniens consultés par référendum le 8 novembre 1998, était à ce prix. Chacun, ici comme là-bas, a su le comprendre, a su le vouloir.
Il n'est que quelques juristes à le regretter dans des commentaires qui opposent des principes rigides aux évolutions nécessaires. Mais n'est-ce pas faute d'avoir su anticiper la demande d'émancipation des peuples d'outre-mer que notre pays a dû se résoudre à des ruptures douloureuses. La loi Defferre de 1956 comme la Constitution de 1958 qui prévoyaient l'existence d'une Communauté, sont probablement venues trop tard.
La Nouvelle-Calédonie a permis d'expérimenter vis-à-vis de l'outre-mer une méthode fondée sur le dialogue et l'écoute, sur la volonté d'entendre et de comprendre. Elle a aussi prouvé, tout au long du processus qui a conduit à la mise en place de ces nouvelles institutions, qu'était venu le temps de bousculer certains tabous, de déranger certains préjugés. La révision constitutionnelle qui doit être approuvée par le Congrès le 24 janvier prochain permettra à la Polynésie française de bénéficier d'une évolution comparable.
En Polynésie, l'autonomie dont Francis Sanford s'était fait le théoricien a conduit à des transferts de compétences au territoire, sans rompre les liens établis dans la République. Ce nouveau pays d'outre-mer obtiendra dans le cadre d'un statut renforcé une plus grande reconnaissance de sa personnalité.
Avec ces évolutions et l'arrêt des essais nucléaires, la France a sur reprendre sa place de puissance écoutée et respectée dans le Pacifique.
Dans nos collectivités d'outre-mer, Mayotte occupe une place particulière
Société traditionnelle confrontée à l'irruption progressive de la modernité, la collectivité de Mayotte attend, depuis plus de vingt ans, la consultation promise afin de lui donner un nouveau statut.
Là encore, les positions pourraient paraître inconciliables, entre ceux qui continuent de voir en Mayotte, terre française, une anomalie de l'histoire récente et ceux, sans doute par réflexe de défense, qui continuent de vouloir, en occultant toute réalité, que du jour au lendemain, Mayotte soit régie par le droit commun et devienne département d'outre-mer.
Là encore, nous nous sommes attachés à convaincre, à rapprocher les points de vue.
J'ai aujourd'hui la conviction que nous sommes très près, à condition que les Mahorais le veulent, et dépassent les clivages politiques, de donner à Mayotte un statut, qui ne sera ni provisoire, ni inadapté aux particularismes de sa société.
Des ces trois exemples que je viens d'évoquer, un trait commun émerge.
Il vaut à mon sens pour l'ensemble de l'outre-mer : c'est celui de la responsabilité.
Ce n'est pas un hasard, s'agissant des départements d'outre-mer, si Claude Lise, sénateur de la Martinique, et Michel Tamaya, député de La Réunion, tous deux parlementaires en mission nommés par le Premier ministre pour réfléchir à une nouvelle étape de la décentralisation outre-mer, ont intitulé le rapport qu'ils lui ont remis : " La voie de la responsabilité ".
Ce concept guidera le projet de loi d'orientation que le gouvernement déposera sur le bureau des assemblées dès le début de l'année prochaine. Cette loi d'orientation a pour ambition de fixer le cadre dans lequel les quatre départements d'outre-mer pourront évoluer, tant au plan de leurs institutions que s'agissant de leur développement économique, social et culturel.
Si différents entre eux, il suffit de connaître les deux Antilles pour s'en rendre compte, nos départements d'outre-mer partagent une histoire commune d'abord fondée sur la traîte et l'esclavage.
Cette histoire n'est pas dissociable de celle de la République parce qu'elle est aussi celle d'une résistance, d'un refus de l'oppression au nom de la liberté.
J'ai eu maintes fois l'occasion de le rappeler, en se révoltant contre leurs maîtres esclavagistes, les esclaves ont été parmi les pères fondateurs de la République. Pour eux, affranchis par elle une première fois en 1794, la République ne pouvait être qu'universaliste. Pour eux, donc pour tous les Républicains, le rétablissement de l'esclavage ne pouvait signifier autre chose que l'abolition de la République. Deux ans y suffirent. C'est le sens de l'apostrophe de Schoelcher à Arago en 1848, dès l'avènement du gouvernement provisoire de la seconde République : " Si l'esclavage n'est pas aboli, la République n'y survivra pas et je recommanderai moi-même aux esclaves de se révolter ".
Ce rappel historique me permet de souligner l'un des acquis de l'outre-mer français à partir du moment où notre pays a renoncé à être une puissance coloniale pour devenir une République ne distinguant plus entre ses citoyens selon leurs origines ethniques ou leur localisation géographique. Cet acquis, c'est la démocratie, l'Etat de droit, la liberté.
Si 1848 a marqué l'accès à la citoyenneté, un siècle plus tard en 1946 sous l'inspiration d'Aimé Césaire et de Gaston Monnerville, la République a reconnu au nom de la demande d'égalité, le statut de département d'outre-mer à ses quatre plus anciennes colonies. A l'époque, on parlait " d'assimilation ". Mais le mot n'a plus le même sens aujourd'hui. La recherche d'égalité dans la République ne peut se concevoir au détriment des identités. Et si les départements d'outre-mer ont voté en faveur de la Constitution de 1958, c'est bien parce que le principe d'adaptation qui figure dans l'article 73 permet de tenir compte des spécificités de chacun d'entre eux.
L'évolution institutionnelle des départements d'outre-mer que nous envisageons se place dans ce cadre. Elle ne peut s'envisager qu'avec l'assentiment des populations. C'est le sens des discours que vient de prononcer aux Antilles, le Premier ministre. Il ne saurait y avoir d'évolution statutaire sans ou contre les citoyens de ces départements.
Démocratique, la voie de la responsabilité pour les départements d'outre-mer doit aussi être celle de la clarté.
Je ne prendrai qu'un seul exemple. Si l'outre-mer français est pluriel, le droit public de notre pays le regroupe cependant en deux catégories et deux seulement. Non pas les DOM et les TOM comme on les désigne encore couramment, mais les collectivités régies par l'identité législative, c'est-à-dire aujourd'hui les départements et la collectivité de Saint-Pierre et Miquelon, et celles régies par la spécialité législative. Il n'y a pas d'exception à cette règle.
Dans le cadre de l'identité législative, c'est-à-dire des conditions d'application de la législation nationale, on doit rechercher au maximum les possibilités d'adaptation, ce qui correspond aux intentions même des constituants de 1958 et aux dispositions nouvelles du Traité d'Amsterdam dans son article 299-2.
Pour ma part, j'entends faire en sorte, qu'à partir d'un cadre qui leur est aujourd'hui commun, chacun de ces quatre départements d'outre-mer puisse, dans l'avenir, construire un modèle de développement adapté à ses réalités.
J'attends de l'accroissement des responsabilités locales dans ces départements, une efficacité plus grande de l'action publique qui seule peut permettre, par la synergie des efforts, par le renforcement des politiques de solidarité, par la prise de conscience de la nécessité d'une plus grande cohésion sociale, d'inverser les courbes du chômage et de l'exclusion, comme cela a commencé d'être le cas en métropole.
J'ajoute d'ailleurs qu'il convient à mon sens de ne pas oublier combien la structure démographique des départements d'outre-mer, si peu évoquée dans la littérature administrative, est à la fois la première cause des difficultés actuelles, en matière de chômage, mais aussi un formidable atout non seulement pour eux, mais pour le pays tout entier. Sur le plan de la formation, la départementalisation de 1946 a été une réussite.
L'investissement dans l'intelligence doit être la base d'un développement économique, ce qui suppose une plus large ouverture de chaque département sur son environnement géographique. L'économie de comptoir et de plantation qui marquait des relations quasi-exclusives avec la métropole est dépassée à l'heure de la mondialisation.
Vous savez que les collectivités locales de notre pays ont la possibilité de développer une coopération internationale avec des collectivités étrangères de même nature. Il leur est par contre interdit de coopérer directement avec des Etats souverains.
Comment ne pas constater combien cette règle est absurde s'agissant des départements d'outre-mer que leur géographie a placé dans un environnement constitué d'Etats indépendants, et pourtant à leur taille, et avec lesquels ils partagent aussi une histoire et parfois une culture communes ? Au surcroît, ces Etats n'ont généralement pas de collectivités locales avec lesquelles, si on suit la législation actuelle, nos départements d'outre-mer sont invités à coopérer.
Autrement dit, soit on leur permet de coopérer avec des Etats souverains, soit on leur interdit toute coopération internationale. Soyez assurés que devant cette alternative, le choix du gouvernement sera sans ambiguïté.
Mesdames et Messieurs, je n'ai pas voulu que ce bref exposé soit un catalogue qui recenserait, collectivité par collectivité, l'ensemble des mesures déjà prises ou des projets qui sont aujourd'hui à l'uvre. Pour toutes, des échéances sont fixées et des réformes aujourd'hui engagées.
Je terminerai donc mon propos en insistant sur le fait qu'il me paraît essentiel, et votre institution y contribue grandement, de changer le regard sur l'outre-mer français.
Il est aussi essentiel que chacun comprenne ici combien notre modèle républicain, son histoire, notre identité française doivent à l'outre-mer. C'est aussi pour cela que dès la rentrée prochaine, nous avons tenu à ce que les programmes scolaires nationaux prennent davantage en compte l'outre-mer, son apport au patrimoine national, à notre histoire, à notre culture.
Si nous parvenons à changer ce regard, notre pays comprendra combien serait altérée son identité, s'il ne comprenait plus ses collectivités d'outre-mer. J'uvre aussi pour qu'il en prenne conscience et qu'il sache retirer de l'outre-mer, une partie des réponses aux questions qui traversent la société et fragilise trop souvent sa cohésion.
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs,
je vous remercie.
dernière modification : 08/11/99
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 novembre 1999)