Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Nouvel Economiste" le 16 juin 2000, sur la refonte des minimas sociaux et la proposition d'un "impôt négatif" pour favoriser le retour à l'emploi.

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Média : Le Nouvel Economiste

Texte intégral

Le taux de chômage vient de passer sous la barre des 10 % en France. Beaucoup estiment aujourd'hui qu'il est difficile de descendre en-dessous de 8 %, contre 4 % aux Etats-Unis. Pourquoi ?
Le monde connaît une nouvelle croissance. C'est une croissance forte tirée par les nouvelles technologies, de nouveaux produits et de nouveaux services. Cette nouvelle croissance a été longtemps étouffée en France par des taux d'intérêt trop élevés liés à la politique du franc fort et à l'importance de nos déficits publics. Ceci a entraîné un sur-chômage en France.
La politique de réduction des déficits publics engagée en 1995 dans la perspective de l'euro a permis la baisse de nos taux d'intérêt. Ce qui a conduit à retrouver mécaniquement la croissance et la création d'emplois entre 18 et 24 mois plus tard. Le gouvernement bénéficie aujourd'hui de cette nouvelle croissance qui ne doit rien à son action.
Je pense qu'il est possible aujourd'hui d'aller au delà de la disparition de ce sur-chômage et de retrouver le chemin d'un vrai plein-emploi. En effet, je n'ai jamais cru aux thèses de la fin du travail, de la pénurie d'emplois et de la nécessité d'organiser le rationnement. L'emploi est illimité. Et le chômage est pour l'essentiel le résultat d'une panne dans les circuits de création et d'échange du travail. Pour s'attaquer au chômage structurel, il faut s'attaquer maintenant aux freins à l'emploi. Il faut d'abord libérer le travail, permettre la souplesse contractuelle nécessaire pour inventer les nouvelles formes de travail, d'emplois et de rémunérations liées à la nouvelle croissance. Il est nécessaire de repenser les mécanismes de retour à l'emploi pour inciter à la reprise du travail et lutter contre l'enfermement dans des mécanismes d'assistance. Il faut réengager les entreprises dans la formation professionnelle, réformer complètement notre système et permettre la diminution du coût du travail sur les emplois à faible valeur ajoutée.
Une réforme du système des aides favoriserait le retour à l'emploi en supprimant les " trappes à inactivité ". Que préconisez-vous ?
Je me réjouis qu'on ouvre enfin les yeux sur ce problème que je n'ai cessé pour ma part de mettre en évidence. Le remède est connu. Il s'agit de mettre en place un mécanisme de revenu minimum garanti par un complément sur la feuille de paie inspiré de " l'impôt négatif " imaginé par Milton Friedman dans les années 60, développé aux Etats-Unis sous Reagan et introduit depuis dans de nombreux pays. Pour des personnes qui perçoivent des minimum sociaux, le gain lié à la reprise d'une activité, en particulier à temps partiel, est actuellement insuffisant pour inciter au retour à l'emploi. Une aide publique, impôt négatif ou revenu minimum garanti, permettant de compléter de façon dégressive son revenu, constituerait un mécanisme simple d'incitation au retour du travail.
Un impôt négatif nécessiterait une refonte des minima sociaux
Oui, en effet. L'introduction de cette forme d'impôt négatif ne peut se faire qu'à deux conditions. Elle nécessite d'une part une remise à plat de l'ensemble des minima sociaux (RMI, API, Allocation Logement) qui sont aujourd'hui illisibles, incohérents et emprisonnant. Il faudrait d'autre part refondre l'impôt sur le revenu et la CSG : celle-ci deviendrait une première tranche d'impôt sur le revenu proportionnelle payée par tous les Français.
Pour favoriser le retour à l'emploi je soutiens bien évidemment le dispositif d'aide au retour à l'emploi initié par le MEDEF. Mais il existe aussi parmi les chômeurs de longue durée des personnes qui peuvent difficilement retrouver leur insertion dans les entreprises. C'est pourquoi je propose de transformer, chaque fois qu'on le peut, le revenu minimum d'insertion en activité minimum rémunérée. Il existe en effet de multiples activités liées aux collectivités locales qui, plutôt qu'être offertes comme perspective d'avenir à des jeunes et au surplus souvent diplômés comme c'est le cas des " emplois jeunes ", devraient être proposées à des personnes aujourd'hui enfermées dans des mécanismes d'assistance. Ce qui implique une décentralisation des revenus minimum d'assistance pour permettre aux collectivités locales de les transformer, voir de les compléter, pour rémunérer des activités aux services de la vie locale ou d'initiatives pour l'emploi.
L'amélioration de l'emploi s'accompagne d'une dégradation des contrats de travail (CDD, temps partiel). Est-ce une fatalité ?
Le modèle de l'emploi salarié à vie dans la même entreprise a vécu. Le contrat de travail classique avec les rigidités de notre code du travail et de nos conventions collectives n'est plus adapté à la société ouverte en mutation. De nouvelles formes de travail et d'emplois sont en train d'apparaître.
L'extrême précarisation qui existe aujourd'hui est le résultat de l'extrême rigidité. Quand un employeur a le choix entre un CDI ou des contrats de courte durée, la préférence va à la courte durée. Mais ce n'est pas une fatalité car entre la grande précarité des CDD ou des emplois au rabais subventionnés et l'extrême rigidité des CDI de moins en moins offerts, il existe un espace de liberté et d'innovation pour l'invention de nouvelles formes de contrat de travail : multisalariat, travail indépendant, contrats d'activité lié à la durée d'une commande ou du lancement d'un produit... Il faut dans un même temps inventer de nouveaux mécanismes d'indemnisations pour les périodes transitoires entre deux contrats.
Dans une société qui retrouve le plein-emploi, le rapport de force s'inverse en faveur du salarié. Et la question que les employeurs se posent aujourd'hui, comme c'est les cas aux Etats-Unis, c'est comment former et garder ses salariés ! On n'en est pas encore là en France, bien que certains secteurs connaissent déjà des pénurie de main d'uvre.
La réforme fiscale en cours vise notamment le retour à l'emploi en jouant sur les tranches inférieures du barème de l'impôt sur le revenu. Est-ce le bon moyen ? Auriez-vous préféré baisser en priorité la tranche supérieure ?
La réforme fiscale doit lisser les effets de seuil et c'est tout l'objet de l'impôt négatif. Mais il faut aussi que, pour les personnes peu qualifiées, le coût du travail des emplois à faible valeur ajoutée ne soit pas trop élevé. Nous avons en France, comparativement aux Etats Unis, un gisement potentiel de 2,5 millions à 3 millions d'emplois dans les secteurs de l'hôtellerie, de la distribution, et de la restauration.
Je propose ainsi une franchise de charges sociales sur les 4 000 premiers francs du salaire, se substituant progressivement à la majeure partie des aides à l'emploi. Ce qui permettrait aussi d'éviter les effets de seuils liés aux allégements de charges sociales actuels qui conduisent à tirer les salaires vers le bas. Par ailleurs, si nous pensons que la principale source de richesse de la nouvelle économie c'est la matière grise, il est impératif de baisser le taux maximum de l'impôt sur le revenu, comme tous les pays le font aujourd'hui. La France est le pays qui, je le rappelle, détient le coin fiscal et social record. Prenons garde à la fuite des talents qui nous guette !
On vous a vu à la télévision très en phase avec Laurent Fabius. Est-ce que le ministre de l'Economie va dans le bons sens ?
Je me réjouis de voir Laurent Fabius prôner la réduction des dépenses publiques et la baisse des impôts. Je mesure le chemin parcouru par le jeune secrétaire d'Etat au Budget qui, en 1981 et en 1982, avait augmenté de plus de 20 % chaque année les dépenses publiques, engagé les nationalisations
Cela étant, il ne peut y avoir une vraie baisse des impôts et des dépenses publiques sans une vraie réforme de l'Etat. Et là, quelles que soient ses bonnes intentions, M. Fabius, on l'a vu et on le verra, n'a pas les moyens d'engager les réformes.
(source http://www.demlib.com, le 19 Juin 2000