Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur les priorités de la France concernant la situation de l'eau dans le monde et sur les grandes orientations de la politique de l'eau en France, au Sénat le 6 février 2003.

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Circonstance : Colloque sur l'eau "au coeur des stratégies pour un développement durable" à l'occasion de la rencontre internationale de prospective, au Sénat le 6 février 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs
Je vous prie tout d'abord d'excuser le trouble dont je suis la cause dans l'agencement de vos débats. Il est dû à une impérieuse obligation, la lecture devant votre assemblée, Monsieur le Président, du projet de loi sur les risques. Celui-ci contient en particulier des dispositions relatives aux inondations et vous concernent donc tous, vous qui êtes soit d'éminents spécialistes, soit des passionnés des problèmes d'eau.
J'ai cependant tenu à honorer mes engagements, ce colloque sur l'eau " au cur des stratégies pour un développement durable " s'inscrivant parfaitement dans la démarche du gouvernement. J'ai en effet en charge de construire avec l'ensemble de mes collègues une stratégie nationale pour le développement durable dont bien évidemment l'eau ne sera pas absente.
Vos réflexions interviennent dans un calendrier international particulièrement chargé.
En effet, l'Assemblée générale des Nations unies a déclaré l'année 2003 " Année internationale de l'Eau douce ".
Le " Troisième Forum mondial de l'Eau " qui se tiendra à Kyoto (JAPON) du 16 au 23 mars 2003 constituera l'événement majeur de l'année sur le plan international dans le domaine de l'eau. Le Président de la République a confirmé sa participation à ce forum, ainsi que M.WILTZER, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie. Pour ma part je représenterai le gouvernement à la conférence ministérielle qui clôturera cette importante manifestation.
Le 22 mars, la " Journée mondiale de l'Eau ", se déroulera pendant le Forum.
L'eau sera également une des préoccupations importantes du G8 qui se tiendra début juin à Evian et je réunirai les ministres chargés de l'environnement du 25 au 27 avril, à Angers, en particulier avec l'eau comme fil conducteur.
Les intervenants à la première table ronde de la matinée ont retracé les enjeux planétaires sur l'eau.
La situation de l'eau dans le monde est inquiétante.
Face à une démographie en forte croissance la quantité d'eau disponible par habitant et par an va être divisée par 1,6 entre 1990 et 2025. 40 % de la population mondiale est en pénurie d'eau. Plus d'un milliard d'habitant n'a pas accès à l'eau en quantité suffisante et 2,5 milliards ne dispose pas de système d'assainissement adéquat.
C'est donc à juste titre que vous avez appelé à la mobilisation générale. Pour ma part, face à ces enjeux, je vois six priorités :
Améliorer les conditions du financement des travaux liés à l'eau et à l'assainissement.
C'est probablement le problème crucial à résoudre.
Les experts estiment qu'il faut doubler le rythme des investissements dans le domaine de l'eau et de l'assainissement pour espérer atteindre les objectifs, fixés à la Haye et à Johannesburg, de réduire de moitié d'ici 2015 le nombre d'habitants n'ayant pas accès à l'eau ou à l'assainissement. L'objectif de la conférence de Monterey de porter à 0,7 % la part de PIB consacrée à l'aide aux pays en voie de développement est probablement insuffisant pour tenir ce rythme et l'aide publique ne pourra pas seule subvenir.
La France souhaite que le Forum mondial de Kyoto appelle à un partenariat renforcé entre le public et le privé dans la transparence vis à vis des usagers et le respect du droit à l'eau pour tous.
Mais, je n'ignore pas pour autant que nous avons du retard également en France, dans l'application de diverses directives européennes, notamment dans le domaine du traitement des eaux résiduaires urbaines ou de la lutte contre la pollution par les nitrates. Nous devons donc commencer par balayer devant notre porte.
Etablir des principes de gouvernance au niveau mondial garantissant l'accès à l'eau pour tous et la participation des usagers à la gestion du service public de l'eau et de l'assainissement.
Une charte d'engagement pour l'accès à l'eau et à l'assainissement est en cours d'élaboration au niveau européen sur l'initiative de la France. J'ai bon espoir de pouvoir la présenter avec mes collègues européens lors de la journée européenne du 21 mars du forum de Kyoto.
Ces principes de gouvernance doivent bien entendu être d'abord appliqués chez nous où le fonctionnement du service public de l'eau et de l'assainissement manque encore parfois de transparence et où l'accès à ces services de chacun n'est pas toujours assuré dans des conditions parfaitement équitables.
Suivre et évaluer l'avancement vers les objectifs 2015 en matière d'eau et d'assainissement.
Cela devrait selon moi déboucher sur la mise en place d'un observatoire des services d'eau et d'assainissement sous l'égide des Nations unies, afin que soit garantie l'objectivité de son diagnostic. L'idée en a été lancée par la France à Johannesburg et j'espère qu'à Kyoto on commencera à en voir la formalisation.
Afin d'améliorer le suivi et l'évaluation de la politique française de l'eau, j'ai demandé à mes services de mettre en place en France un schéma directeur des données sur l'eau performant. Cette obligation résulte d'ailleurs des exigences de la directive cadre européennes.
Promouvoir la gestion intégrée des eaux par bassins versants
Ce concept nous est familier puisqu' à travers notre organisation de bassin, nous la pratiquons depuis plus de 35 ans. Elle est plus difficile à mettre en oeuvre dans les bassins transfrontières où il faut renforcer la coopération internationale. Des propositions peuvent être faites sur quelques grands fleuves africains (Niger, Nil, Congo, Sénégal).
Gérer de manière rationnelle et économe l'eau , notamment en agriculture.
Ce sujet est insuffisamment développé dans les enceintes internationales, bien que de nombreux pays soient concernés.
Certaines régions de notre territoire connaissent toujours des déséquilibres entre les besoins et les ressources en eau qui sont préjudiciables aux activités économiques et à l'équilibre écologique des milieux aquatiques. Le recours à des investissements coûteux et souvent pénalisants pour l'environnement pour remédier aux déficits chroniques ne doit à mon sens être envisagé que lorsque toutes les solutions pour maîtriser la demande en eau et rationaliser l'usage de la ressource ont été épuisées.
Il faut de même progresser dans la lutte contre les fuites dans les réseaux d'eau potable des grandes métropoles.
Enfin améliorer la prévision et la prévention des inondations
Ce thème d'actualité est également peu développé dans les enceintes internationales. Je voudrais promouvoir la création de centres régionaux d'expertise sur la prévention des inondations et le renforcement de la coopération et des échanges entre les centres existants.
Vous connaissez les nombreux épisodes de crues importantes que nous venons de subir sur le territoire national. J'ai proposé dans le projet de loi en cours d'examen des mesures pour renforcer la prévision des crues, mieux informer les populations exposées aux risques d'inondations, et diminuer la vulnérabilité des biens situés dans les zones inondables.
Dans ce concert international, l'Union européenne va jouer un rôle majeur dans la mise en oeuvre d'une stratégie de développement durable dans la gestion de l'eau. Elle a en effet adopté le 23 octobre 2000 une directive établissant un cadre pour une politique communautaire ambitieuse.
Depuis 1975, une trentaine de directives ou décisions communautaires ont été adoptées selon une double approche, consistant d'une part en une lutte contre les rejets de substances dangereuses dans l'environnement et, d'autre part, en une définition de normes de qualité concernant des zones particulières.
L'objet de la nouvelle directive est d'établir un cadre plus général pour la protection des eaux continentales, souterraines et côtières.
Les Etats membres doivent parvenir à terme de quinze ans au bon état écologique des eaux. Pour certaines eaux (eaux fortement modifiées, canaux...), lorsque les coûts sont disproportionnés, les objectifs peuvent être fixés à un niveau moins exigeant. De plus, les reports d'échéances dus à des raisons économiques et techniques peuvent être nécessaires.
Le texte prévoit également la réduction, voire la suppression à terme, des rejets de substances dangereuses. La protection des eaux souterraines est renforcée par rapport à la situation précédente.
La directive introduit un principe de récupération du coût des services liés à l'utilisation de l'eau, y compris des coûts environnementaux. Une tarification de l'eau incitative doit être mise en place pour contribuer à l'objectif général d'une bonne qualité du milieu naturel, tout en assurant la couverture des coûts des services, des coûts pour l'environnement et des coûts de la ressource. Cette tarification doit tenir compte du principe pollueur-payeur. Dans l'application de ce principe, il est tenu compte des effets sociaux, environnementaux, et économiques, ainsi que des conditions géographiques et climatiques locales.
Elle crée également un cadre spatial pour conduire les actions de la protection des eaux, le district hydrographique. Des plans de gestion et des programmes de mesures sont prévus pour chaque district hydrographique afin de répondre à l'objectif général de la directive.
Enfin, la participation active du public à la mise en oeuvre de la politique de l'eau est fortement encouragée.
L'organisation institutionnelle française dans le domaine de l'eau est issue de la loi sur l'eau du 16 décembre 1964, qui a créé les organismes de bassin (comités de bassins, agences de l'eau). Elle a fortement inspiré le contenu de la directive. Toutefois des aménagements législatifs sont nécessaires pour la transposer dans le droit français avant le 22 décembre 2003. Je présente un projet de loi à cette fin au Conseil des Ministres, la semaine prochaine.
Mais, cette conformité institutionnelle ne doit pas cacher l'extrême exigence des objectifs à atteindre.
A partir de cet aménagement législatif, c'est toute notre politique de l'eau qu'il faut réexaminer au regard des enjeux que révèle la directive-cadre sur l'eau.
Cette mise à plat de notre stratégie nationale et la définition d'un plan d'action pour les quinze ans à venir me paraît tout autant impliquer une exceptionnelle mobilisation que les ambitions mondiales que j'ai évoquées. C'est cette mobilisation qui m'a conduite à reprendre la concertation sous la forme d'un véritable débat national et décentralisé sur notre politique de l'eau.
L'objectif est de retrouver l'élan consensuel des deux précédentes lois fondatrices de 1964 et de 1992 et de mobiliser l'ensemble des acteurs pour parvenir à des objectifs partagés. En particulier, et plus encore dans le contexte politique d'une relance de la décentralisation, il est essentiel que les collectivités territoriales déjà très investies tant dans les services que les maîtrises d'ouvrage, ainsi que celles qui détiennent des responsabilités dans les politiques d'aménagement ou de développement interférant avec la politique de l'eau, soient parties prenantes de cette démarche.
Le débat ne se limite donc pas à la seule problématique d'une réforme législative que l'on sait d'avance nécessaire, mais il doit permettre d'établir un programme d'actions en vue notamment de satisfaire les objectifs de la directive.
Le débat abordera nécessairement d'autres thèmes en fonction des attentes des acteurs de l'eau ou des usagers, par exemple la préservation et la gestion des milieux aquatiques, l'organisation de la pêche en eau douce, ou la gestion du service public de l'eau et de l'assainissement. Ces thèmes ne sont d'ailleurs pas indépendants et trouveront naturellement à s'intégrer dans la stratégie future.
Le débat se déroulera en trois phases :
- Une première phase nationale, engagée dés le début de cette année, va permettre des contacts bilatéraux avec les représentants nationaux institutionnels et représentatifs afin de préciser les enjeux et le champ du débat local. Cette phase s'étalera sur janvier/ février 2003.
- Une deuxième phase de débat local, dans le courant du deuxième trimestre 2003, s'articulera principalement autour des comités de bassin et de leurs commissions géographiques. Mais j'en appelle aussi à l'initiative des régions, des départements, voire de groupements de ces collectivités qui partageraient des préoccupations voisines, ainsi que des commissions locales de l'eau créées pour élaborer et suivre la mise en oeuvre des schémas d'aménagement et de gestion des eaux.
Les comités de bassin de fin juin/début juillet feront une synthèse des débats dans les commissions géographiques et intégreront également les résultats en provenance d'autres débats locaux dont ils auront connaissance et aux quels ils auront été vraisemblablement associés.
- Enfin une troisième phase de synthèse, interviendra dans le courant du deuxième semestre 2003, éventuellement sous la forme d'un symposium en liaison avec le Parlement. L'objectif en sera la synthèse des recommandations qui serviront de base à la construction d'une politique de l'eau rénovée et d'un plan d'action partagé par tous les acteurs (en particulier l'ossature d'un projet de loi qui pourrait venir en discussion au Parlement en 2004).
Je souhaite que le grand public puisse prendre part au débat, par exemple par l'intermédiaire d'un forum Internet, de panels de discussion, voire d'enquêtes auprès des usagers. La Commission Nationale du Débat Public est en cours de consultation sur les méthodes et les outils les plus adaptés.
Vous aurez compris l'ambition qui m'anime. Le chantier est complexe, les enjeux lourds. L'initiative de ce colloque et l'angle d'approche du problème imprimé par le groupe que vous animez, Monsieur le Président, me sont apparus particulièrement pertinents pour éclairer le chemin. La perspective mondialiste ainsi que la vision prospective des enjeux peuvent aider à discerner les priorités et les voies de progrès.
Je compte donc sur vos contributions qui me seront très utiles et vous en remercie ainsi que de votre attention.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 7 mars 2003)