Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur le projet de loi relatif à l'avenir institutionnel de la Corse, Ajaccio le 25 avril 2003.

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Circonstance : Déplacement en Corse pour l'installation des groupes de travail sur les modes de scrutin et sur la réorganisation des compétences au sein des institutions régionales et locales, à Ajaccio le 25 avril 2003

Texte intégral

Comme je l'avais annoncé le 7 avril, ici même, je suis revenu aujourd'hui à Ajaccio pour installer les deux groupes de travail dont les conclusions accompagneront et préciseront l'évolution institutionnelle que propose le gouvernement pour la Corse.
Le gouvernement a soumis le 7 avril à la consultation de l'Assemblée de Corse un projet de loi organisant une consultation locale sur un projet de création d'une collectivité unique, déconcentrée. L'Assemblée a rendu son avis il y a tout juste une semaine, en se prononçant pour ce projet à 27 voix pour, 10 voix contre, et 14 abstentions. Au vu de cet avis, le Conseil d 'Etat a examiné hier le texte du projet de loi.
Je souhaite d'abord vous préciser l'ensemble de la procédure. Le projet de loi relatif à la consultation en Corse va être déposé au Conseil des ministres le 30 avril, soit mercredi prochain. Son examen au Parlement commencera le 13 mai au Sénat, se poursuivra le 26 mai à l'Assemblée nationale. Si le Parlement le vote, le texte devrait être adopté à la fin du mois prochain.
Nous avons intégré dès le début de cette semaine les réserves de l'Assemblée de Corse qui pouvaient être acceptées au Conseil d 'Etat : j'entends par là celles qui ne remettaient pas en question l'équilibre du texte, il s'agit en l'occurrence des compétences de la collectivité unique qui ne pourront pas être déléguées aux conseils territoriaux, cela parce qu'elles engagent la cohérence des politiques menées en Corse.
Nous ne pouvons pas, à ce stade, intégrer dans le projet de loi des modifications qui changeraient la nature du texte. Cela en premier lieu parce que le gouvernement ne peut pas, avant l'examen en Conseil des ministres, apporter des modifications qui changeraient la nature d'un texte déjà soumis au Conseil d 'Etat. Le Conseil Constitutionnel vient de rappeler encore tout récemment cette exigence.
Pour autant, l'avis de l'Assemblée sera évidemment et éminemment discuté, à travers les travaux parlementaires, qu'il s'agisse de la répartition des compétences ou du mode d'élection des conseillers territoriaux. Je sais que d'autres idées vont être exprimées au sein de ces deux groupes de travail. Elles devront pouvoir être prises en compte pour éclairer le gouvernement et le Parlement.
Sur la répartition des compétences : à partir de l'état actuel des compétences exercées par la Collectivité territoriale et les départements, le groupe de travail doit imaginer une réorganisation entre la collectivité unique et les conseils territoriaux.
La loi va transférer à la collectivité unique toutes les compétences aujourd'hui exercées par la Collectivité territoriale et les départements. Se pose alors la question des conditions de la délégation des compétences entre la collectivité et les conseils territoriaux. Trois options sont envisageables, le Gouvernement en a choisi une dans l'annexe du projet de loi.
Mais là encore, les discussions parlementaires vont permettre l'expression d'autres points de vue. Plusieurs options sont en effet possibles.
La première option consisterait à affirmer une compétence totale du législateur qui fixerait lui-même les matières qui sont déléguées aux conseils territoriaux, sur le modèle appliqué à Paris, Lyon et Marseille pour leurs arrondissements. Elle nous a paru contraire à la démarche de responsabilisation de la collectivité unique, mais certains peuvent la souhaiter pour avoir une idée la plus claire possible de ce que sera cette collectivité.
La seconde option consiste, à l'inverse, à laisser totalement libre la Collectivité unique du choix des matières dont elle confiera la mise en oeuvre aux conseils territoriaux. C'est l'option préconisée par l'Assemblée de Corse. Nous ne l'avons pas retenue dans le texte car nous avons pensé qu'il était de l'intérêt même de la collectivité unique que de ne pas avoir à se prononcer sur la répartition de chacune des compétences en direction des conseils territoriaux. Comment la collectivité unique va-t-elle fonctionner si elle doit consacrer des mois de discussions à savoir si elle délègue, ou pas, l'aide sociale, l'aide aux communes, la voirie ?
Nous avons pensé aussi qu'il était conforme à l'esprit de la réforme, après avoir sans ambiguïté tranché en faveur de la collectivité unique, de garantir des compétences de "mise en oeuvre" pour les Conseils territoriaux.
C'est pourquoi nous avons proposé dans le projet de loi une troisième option, intermédiaire, qui laisserait au législateur le soin de fixer un cadre tout en conférant une certaine latitude à la collectivité. Cette souplesse pourrait prendre plusieurs formes :
- la loi pourrait fixer les cas, limités, où l'exercice de la compétence n'est pas déléguable. C'est ce que nous avons introduit d'ores et déjà dans le texte à l'issue de l'avis de l'Assemblée de Corse du 19 avril. Il s'agit là d'un amendement qui ne transforme pas la nature du projet de loi et qu'il nous a donc paru souhaitable d'intégrer dès maintenant. Cela va de soi, par exemple, pour l'établissement du plan d'aménagement et de développement durable, et, plus généralement, pour toutes les compétences tenant à l'établissement d'un plan ou d'un schéma dits " stratégiques ", d'une programmation. C'est là le cur des compétences de la collectivité unique, dont la raison d'être est précisément d'élaborer une stratégie pour la Corse.
L'autre élément de ce cadre lui est symétrique : la loi pourrait fixer les cas où la mise en oeuvre doit être confiée aux conseils territoriaux, dans le champ des compétences actuelles des départements (aide et action sociales, voirie départementale, équipements scolaires), ou dans le champ de nouvelles missions de proximité (aides aux communes, collecte des déchets, aides aux associations gestionnaires des réserves naturelles...)
- Enfin, dans ce cadre ainsi fixé, la collectivité aurait toute latitude pour fixer elle-même le partage dans la mise en oeuvre des compétences et l'adapter aux différentes parties de l'île. C'est notre conception de la nouvelle collectivité unique que de lui laisser cette liberté, une fois qu'une répartition équilibrée d'un noyau dur d'attributions aura été décidée par la loi entre collectivité et conseils. La marge de décision restera très importante : répartition, ou pas, de la gestion des questions d'environnement, de voirie, de sport... de tout ce qui fait le cadre de la vie des Corses - de tout ce qui se situe entre la stratégie et la proximité. Voilà l'option que nous avons retenue et que nous vous proposons comme base de discussion, pour déterminer le plus précisément possible la répartition des compétences entre la collectivité unique et les conseils territoriaux. .Il appartiendra à votre groupe de travail de faire des choix et des propositions, et de déplacer le curseur entre les deux échelons de décision de la façon que vous jugerez la meilleure.
Une précision ultime : un tel schéma n'est pas applicable aux communes qui sont des collectivités territoriales de plein exercice et dont les compétences ne peuvent pas dépendre des décisions de l'Assemblée de Corse. C'est la loi qui doit préciser comment la Collectivité pourra confier l'exécution de certaines politiques aux communes et à leurs groupements. Mais là aussi, et dans la perspective d'une future loi portant statut de la Corse à l'automne prochain, toutes les propositions seront bienvenues.
Deuxième sujet : le mode de scrutin permettant de désigner les futurs conseillers territoriaux. Là aussi, l'Assemblée de Corse s'est exprimée en faveur de la proportionnelle, en refusant à ce stade toute autre contrainte figurant dans le texte. En même temps elle a demandé, et cela est normal, à ce que les grandes lignes du mode de scrutin soient connues avant la consultation du 6 juillet. Il reviendra donc, également à un groupe de travail, de dégager des orientations. Je sais que les points de vue en présence sont très divers, puisque certains restent attachés au scrutin majoritaire, alors que d'autres refusent même l'idée d'une prime majoritaire introduite dans un scrutin proportionnel. Je voudrais que ce groupe de travail parvienne à dégager des orientations, à défaut d'un consensus sans doute difficile, et cela en se prononçant de manière précise sur tous les éléments qui composeront le futur mode de scrutin pour la Corse.
Ces éléments, je veux les rappeler rapidement devant vous, afin de vous donner une idée précise des questions qui vont se poser à nous à partir d'aujourd'hui.
Le choix du mode de scrutin choisi devra tenir compte des objectifs suivants :
- la constitution d'une majorité stable de gouvernement à l'Assemblée de Corse et dans les conseils territoriaux
- la représentation des partis minoritaires grâce à la proportionnelle
- la représentation des territoires,
- l'établissement d'un lien entre les élus et les électeurs
- l'instauration d'une parité identique à celle en vigueur pour les élections régionales (à savoir une alternance de chacun des sexes dans la présentation des candidats) comme l'a demandé le Conseil Constitutionnel et ainsi que je m'y suis engagé.

Le groupe de travail aura donc notamment à examiner les 7 points suivants.
1) Le nombre d'élus à l'assemblée de Corse et dans les conseils territoriaux
L'Assemblée comprend 51 conseillers et les Conseils généraux respectivement de 30 en Haute Corse et 22 en Corse du Sud, soit un total de 52 conseillers généraux.
Le chiffre global doit il demeurer stable ou diminuer ? Quel doit être le nombre des membres de chacun des conseils territoriaux? Doit-il y avoir des conseillers qui ne siègent que dans les conseils territoriaux ?
Il paraît en tout cas exclu d'augmenter le nombre total d'élus dans la mesure où à titre de comparaison, seuls 4 départements (Nord, Pas de Calais, Seine-Maritime et Bouches du Rhône ) possèdent un nombre de conseillers généraux supérieurs à 100. J'aurais tendance personnellement à considérer que 80 à 90 est un bon chiffre.
2) la proportionnelle
Si la proportionnelle intégrale paraît exclue car elle ne permet pas l'émergence d'une majorité de gouvernement, il importera de déterminer le seuil de répartition des sièges, et dans le cas d'un scrutin à deux tours, les seuils d'accès au 2e tour et de fusion des listes.
3) le nombre de tours
Deux hypothèses sont envisageables :
- Le maintien d'un mode de scrutin à deux tours aurait la cohérence d'être proche du mode de scrutin en vigueur actuellement en Corse et sur le continent, et qui vient d'être confirmé par le vote du Parlement de la loi relative aux élections régionales. Ce sera alors un choix de cohérence.
Ce système permet par ailleurs d'inciter au regroupement dans un paysage politique où l'éclatement n'est pas exclu....
- le rétablissement d'un mode de scrutin à un tour comme cela se passait en Corse pour les élections régionales avant la loi du 13 mai 1991.
Il faudra alors bien déterminer le seuil d'accès à la répartition des sièges ( aujourd'hui de 5 %) et surtout le niveau de la prime majoritaire pour permettre l'émergence d'une véritable majorité de gouvernement.

L'inconvénient, dans l'objectif d'une majorité de gouvernement, est d'obliger à fixer une prime majoritaire plus forte que dans un système à deux tours.
4) la prime majoritaire
Son niveau doit être suffisant pour assurer une majorité de gouvernement à l'Assemblée de Corse et dans les conseils territoriaux. Je vous rappelle que la prime majoritaire à l'Assemblée est aujourd'hui de 3 conseillers, soit environ 6 %. Ce niveau est il suffisant pour dégager une majorité stable de gouvernement et permettre un bon fonctionnement de l'Assemblée.
Je vous rappelle également que la prime majoritaire pour les élections régionales est de 25 %
Faut il que cette prime soit identique à celle en vigueur pour les élections régionales, à savoir 25 %, ou qu'elle demeure inférieure pour tenir compte de la "spécificité corse"?
Je sais qu'il s'agit là d'un sujet très sensible, certains d'entre vous refusant le principe même de cette prime pour laisser jouer l'effet intégral de la proportionnelle.
5) Le seuil d'accès au second tour
Actuellement, il est de 5 % des suffrages exprimés.
Faut il le maintenir à ce niveau, le relever le baisser ? Je vous rappelle qu'il a été fixé à 10 % des suffrages exprimés pour les élections régionales, à savoir le même que pour les élections municipales.
Là encore il faut avoir à l'esprit la nécessité d'allier l'émergence d'une majorité de gouvernement et donc une logique de rassemblement indispensable et la représentation des différents courants politiques.
6) Le seuil de fusion des listes
Actuellement le seuil de fusion des listes est fixé à 5% des suffrages exprimés, c'est à dire le même niveau que pour les élections sur le continent. Faut il le laisser tel quel, le baisser, l'augmenter?
7) Le découpage en secteurs
Afin de créer un lien de proximité, le scrutin devra être organisé en secteurs à l'intérieur de l'unique circonscription que représente la Corse. Il conviendra de tenir compte naturellement des données démographiques en regard du principe d'égalité des suffrages
Le nombre de secteurs sera à déterminer :
- faut il à l'instar du mode de scrutin pour les régionales, qui prévoit un sectionnement départemental, que le nombre de secteurs soit de 2, correspondants à la Haute Corse et à la Corse du Sud?
Faut il qu'il soit supérieur ? Si oui, de combien et sur quelles bases tout en ayant à l'esprit qu'il faut combiner la taille de secteurs avec une bonne application de la proportionnelle, ce qui devient très difficile si les secteurs sont trop petits.
Voici ce que seront les principaux points à examiner pour construire un mode de scrutin qui doit être solide , et pour cela permettre à la collectivité unique d'être représentative et forte. L'enjeu est très important, c'est une évidence.
Ces deux groupes de travail, sur les compétences comme sur les modes de scrutin, commenceront leurs travaux dès la semaine prochaine. Leur objectif est d'éclairer la consultation du début de l'été, et donc de nourrir le projet de loi organisant cette consultation. Mais tout ne sera pas tranché dans un mois, car, si les électeurs en décident ainsi le 6 juillet, un nouveau statut de la Corse sera élaboré à l'automne prochain. Il sera encore temps, naturellement, de réfléchir et d'affiner les propositions. Votre rôle, dans les semaines qui viennent, va être de rendre la consultation des électeurs de Corse la plus transparente possible. C'est donc un rôle majeur, pour lequel je fais appel à votre esprit de responsabilité : ce qui doit compter, ce qui doit primer, c'est le progrès de la Corse, et pour cela la stabilité et la solidité dont elle a tant besoin.
(Source http://www.corse.pref.gouv.fr, le 28 avril 2003)