Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l'influence du droit communautaire sur le droit national dans le domaine de la défense, la coopération en matière d'armement et le rôle de l'Occar, la définition de l'espace européen de liberté et de sécurité contre la criminalité organisée, avec l'implication de la gendarmerie, Paris le 20 octobre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque "Droit européen et défense" organisé à l'Ecole militaire, à Paris le 20 octobre 1999

Texte intégral

Messieurs les professeurs, Messieurs les généraux, Mesdames, Messieurs, je voudrais tout d'abord remercier Jean-François Hébert pour cette synthèse, évidemment très concentrée. Elle est, en même temps, tout à fait représentative de la variété des apports de votre réunion au cours de ces deux journées. Le rassemblement de tous ces sujets d'intérêt, véritablement au centre du travail mené un peu tous les jours, et de préférence dans la continuité au sein du ministère, offre un très grand intérêt. Votre précédente réunion, il y a 18 mois maintenant, portait sur le droit du conflit armé et la Défense. Il nous a été utile dans ses différents apports, compte tenu, notamment, des situations juridiques complexes dans l'environnement du conflit du Kosovo, présent dès le courant de l'année 1998 et, a fortiori, cette année.
Le choix du sujet " Droit européen et Défense ", auquel j'avais apporté ma complète approbation, nous permet de recevoir à nouveau toutes les précieuses contributions issues de la réflexion, des informations, des participations, y compris de partenaires européens. Ces contributions représentent vraiment des apports nouveaux et nous les remercions de leur présence. Nous devons, en effet, constater l'ampleur croissante des champs de coopération entre Européens dans le domaine de la Défense. Si nous regardons dix ans, ou a fortiori vingt ans en arrière, nous n'observons pas de commune mesure entre ce que nous sommes aujourd'hui capables de décider et de réaliser en commun et ce que nos prédécesseurs imaginaient simplement dans ce type de domaine. Le projet de CED avait notamment connu des tribulations. Ce projet a tout de même représenté une des étapes, perçue à l'époque comme préalable de la construction européenne. La France avait d'ailleurs fait preuve, comme souvent, de sa vitalité intellectuelle et de sa capacité de propositions conceptuelles, avant de contribuer, avec une aussi grande efficacité, à son échec politique.
La préoccupation, ou plutôt la finalité européenne, entre donc très logiquement, un peu par porosité, dans le champ de la Défense. Cette entrée s'effectue en grande partie par le changement social, le changement des sociétés européennes et le changement des systèmes politiques européens. Ce changement a graduellement engendré, en deux générations, le processus de rapprochement par les économies et par les réalités sociales. Ce rapprochement s'opère malgré la permanence du particularisme dans le domaine de la Défense, auquel faisait allusion Jean-François Hébert, due à son intensité en termes de décisions politiques et de souveraineté. Tous les autres mouvements d'harmonisation et d'interdépendance se sont ainsi développés, ont changé en profondeur la société européenne et atteignent maintenant le domaine de la Défense. Du résumé de la première table ronde et des conclusions du professeur Dubouis, nous déduisons une imprégnation européenne qui influence le contenu de notre droit et qui contribue d'ailleurs à la rapidité de sa péremption : la concurrence sur les mécanismes du marché public et sur les règles en matière de restructurations industrielles et territoriales, présentes avec une certaine intensité dans notre actualité, ainsi que les règles sur les statuts de personnel, même militaire, illustrent ces conclusions. L'une des particularités de la dualité entre le droit communautaire et le droit national, est de fabriquer encore plus de droits et de provoquer, à ce propos, des créations d'emplois en nombre impressionnant.
Nous entrons maintenant de façon beaucoup plus directe et beaucoup plus concrète dans la coopération en matière d'armement. Cette coopération a la convergence entre entreprises comme premier axe. Nous sommes dans un domaine où vous avez évoqué la fréquence du recours, par les uns et par les autres, à l'article 296. Ce n'est pas un hasard. Cet article, qui a désormais changé de numéro, était déjà dans le traité de 1957. Tout ce que nous faisons en matière d'Europe de l'armement, doit donc partir de la réalité d'un marché : il s'agit même d'un marché mondial dans lequel l'un des enjeux essentiels est de savoir et d'apprécier la capacité d'influence et d'impulsion des entreprises européennes, dans une compétition qui dépasse largement le continent. La France a une vision plus politique, plus régalienne, de ces rapprochements. Nous sommes, en effet, un Etat actionnaire et nous ne sommes pas le seul. Nous sommes, sur les deux ou trois dernières décennies en tout cas, un Etat actionnaire qui n'a pas trop à rougir de l'avoir été. Un certain nombre de partenaires du secteur des affaires évoquaient, d'ailleurs, cette question de l'Etat actionnaire en des termes remontant un peu trop aux principes. Il est alors bon de leur rappeler, de temps en temps, que si nous avons aujourd'hui un enjeu majeur à discuter à propos de l'Europe de l'industrie aéronautique et spatiale, c'était en partie grâce aux actions précédentes de l'Etat actionnaire. Il offre encore matière à discussions. Nous avons donc eu, dans ce domaine, une réalité du rapport Etat-industrie assez spécifique à la France. La très importante consolidation, déjà réalisée dans le cadre européen, et celle naturellement décidée la semaine dernière dans son orientation générale représentent une étape majeure. Si nous comptabilisons, depuis deux ou trois ans, le nombre d'entreprises indépendantes, au sens économique du terme, en Europe, nous observons que nous sommes déjà dans un très important mouvement de rassemblement et de consolidation.
La responsabilité, collective cette fois-ci, des gouvernements consiste alors à définir un cadre juridique adapté, quels que soient leurs rapports avec l'industrie. Ce cadre doit intégrer leur fonction spécifique d'acheteur étatique pour des objets soumis à de très fortes réglementations. Il doit, d'autre part, s'adapter à leur fonction de support d'une industrie qui doit garder son rayonnement et doit même développer son rayonnement mondial. Nous observons dans ce domaine des constructions " surgénériques ", des constructions volontaires se rapprochant de la catégorie intellectuelle des coopérations renforcées. Elles ont, en grande partie, pour but de tenir compte de la différenciation, de la dissemblance des situations réelles des Etats. Une première summa-division concerne naturellement les Etats producteurs et les autres, mais aussi l'importance de leur niveau d'acquisition et leur demande d'originalité quant à la conception même de leurs armements. Cela conditionne naturellement un mode de relation complètement différent entre l'industrie et l'Etat acheteur. Certains Etats ne perçoivent leur politique d'acquisition qu'à travers ce que nous appelons " l'achat sur étagère ", selon une connotation dédaigneuse. Certains Etats effectuent 100 % de leurs acquisitions " sur étagère ". D'autres Etats sont, en revanche, les co-concepteurs des armements ensuite livrés par les industries. Cette division explique, en particulier, la création de l'OCCAR, alors que nous disposions déjà de deux ou trois instances pourvues d'une certaine capacité juridique permettant de mener des concertations en matière de conduite de programmes en coopération. Pourquoi avons-nous pris cette formule ?
Parce que nous avions besoin d'un organisme qui, d'après une formulation un peu impertinente, ne ressemble pas trop à une organisation internationale, c'est-à-dire capable d'aboutir à des décisions dans la décennie et réunissant effectivement ses membres au-dessus des organismes de concertation et de recherche de consensus. L'OCCAR fait ainsi suite à l'interpellation d'un certain nombre de nos partenaires européens sur l'idée de faire un outil pratique de l'organisme armement de l'UEO. L'accumulation, par les uns et les autres, des conditions et des réserves, nous en démontrait, par l'absurde, l'impossibilité à cette époque du développement. Cela se saura très probablement dans l'avenir. Nous avons donc opté pour une formule de club et nous sommes parvenus à convaincre nos parlements respectifs - ce qui ne va de soi - que cette formule était préférable à une formule multinationale classique. Le processus de ratification de l'OCCAR dans les quatre pays partenaires, l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, est en bonne voie. Nous sommes, par conséquent, obligés de prendre des formules pragmatiques et de choisir dans le très large éventail des formules juridiques qui peuvent exister pour répondre à des besoins qui, certes, se termineront certainement par une agence européenne. La question ne se réduit pas simplement à choisir un objectif, mais à trouver les étapes pour essayer de l'atteindre. De même, nous avons utilement progressé en établissant à Londres, au mois de juillet 1998, cette lettre d'intention - letter of intention (LOI) - qui regroupe les pays producteurs. Pourquoi ?
Les firmes, les sociétés d'industries de Défense qui visent des objectifs internationaux larges, sont confrontées à certains obstacles ou entraves à une prise de position internationale efficace. Elles doivent, en effet, se conformer à des règles de fonctionnement, notamment des règles, dissemblables entre elles, liées à la sécurité ou à la permanence des approvisionnements de leur Etat acheteur. Ces règles sont en partie contradictoires et empêchent par conséquent les Etats, même après fusion, d'acquérir une véritable capacité de business continental. Nous avons, ainsi, bravement entrepris d'essayer de rapprocher des domaines d'orientations aussi complexes et aussi intimes à l'Etat que les questions de sécurité d'approvisionnement, de sécurité de la transmission d'informations relatives aux programmes d'armement. Plus encore, ces rapprochements concernent les procédures d'autorisation d'exportations qu'il s'agit d'harmoniser et de rendre plus fluides. Nous travaillons depuis 15 ou 16 mois sur ce projet. Les six gouvernements - et non pas simplement les six ministres de la Défense - doivent faire un bilan des rapprochements réalisés sur ce sujet avant la fin de l'année. Nous avons obtenu des progrès tout à fait significatifs sur certains des ateliers de ces chantiers. Nous avons également commis une erreur de raisonnement en voulant faire aussi un travail de rapprochement des politiques de commandes et, notamment, des politiques de conduite de programmes de recherches. Cette question a été débattue pendant le colloque, et doit se discuter à quinze, et non pas à six, car il y a bien quinze Etats acheteurs. Nous pouvons simplifier la réalité en considérant qu'il n'y a que six Etats producteurs. Sur l'ensemble de cette question du câble juridique de l'industrie de l'armement, nous avons encore beaucoup à inventer et, notamment, à perfectionner, dispositif que nous sommes en train de mettre en place. Il subsiste encore des différences sur, en particulier, le niveau d'acceptation par chacun des Etats de la contrainte du caractère formel de l'engagement pris vis-à-vis des partenaires. Mais nous sommes dans une dynamique qui sera évidemment soutenue et justement stimulée par le développement des stratégies d'entreprises, du type d'EADS qui vient de se constituer.
Sur un autre plan juridique, le rapprochement de ces capacités industrielles va aussi nous amener à essayer de rapprocher nos procédures de planification à moyen terme d'acquisition. Nous ne verrons pas, dès demain matin, un exercice aussi satisfaisant pour l'esprit que la loi de programmation militaire à l'échelle européenne. Mais nous savons, cependant, que tous nos grands partenaires ont des programmes à moyen terme d'acquisition. Nous ne sommes pas le seul pays, contrairement à ce que nous croyons généralement avec beaucoup de satisfaction, à soumettre ce programme au Parlement, à moyen terme, même si nous sommes le seul à lui donner une forme législative, en vertu de l'une des dispositions tout à fait spécifiques de notre Constitution. Le travail qui va maintenant se présenter pour ceux qui nous succéderont, mais en l'occurrence pour ce qui concerne la France, la prochaine loi de programmation n'est désormais plus très loin puisque nous cheminons de façon assez régulière dans l'application de celle-ci. Nous aurons à procéder aux premiers échanges d'intentions et de perspectives entre Etats acheteurs sur nos futures stratégies d'acquisition.
La PESC a été l'objet d'un autre moment de réflexion collective sous la présidence de Jean-Claude Mallet. Nous sommes en ce domaine beaucoup plus au contact et nous nous plaçons à la ligne de partage du politique et du juridique. Les facteurs favorables d'environnement et de contextes politiques ont abouti à ce que nous franchissions une étape importante au cours de ces deux dernières années, du moins en ce qui concerne la définition des intentions. Nous avons, à ce propos, le traité d'Amsterdam, véritable objet de méditation historique tant la perception dominante d'Amsterdam a changé en 18 mois. Tout le monde ne parlait alors que de déceptions, de paris manqués, d'insuffisances par rapport au défi historique, dans les semaines qui ont suivi la conclusion du traité. Nous observons, cependant, toute une série d'outils et de potentialités dans ce traité, à partir du moment où se construit une certaine volonté politique. Le traité renvoyait très sagement à des décisions ultérieures à prendre par le Conseil européen. Il a, d'ailleurs, commencé à exister sans aucun texte, ce qui prouve bien que plus un traité est souple dans ce genre de situation, plus nous pouvons réellement progresser. Cela engage en même temps les juristes à une certaine modestie, car des choses importantes arrivent à se faire sans nous. Un certain nombre d'éléments de soutien sont aujourd'hui apportés par le traité. Nous bénéficions aujourd'hui de l'effet de souffle de l'euro. Par rapport à l'accumulation de scepticisme distingué qui avait accompagné toutes les étapes de sa construction, émergeaient à chaque fois des raisons de plus en plus sophistiquées pour expliquer que cela n'allait pas marcher. De plus, cette constitution est survenue en même temps que la crise financière asiatique. Or, cette coïncidence a aussi déclenché, chez la majorité de nos compatriotes européens, un signal de contraste entre ce que les Européens étaient capables de faire et la force de stabilité que cela leur procurait. Cette situation a contribué à faire ressortir en creux, l'espèce de déficience que nous avions quant à notre capacité d'influer sur notre sort et sur les rapports d'influence au niveau mondial en matière de Défense. Les interpellations par les crises ont, évidemment, aussi contribué à cette prise de conscience et à cette exigence nouvelle. Le niveau de détermination et de volonté de convergence manifesté par les gouvernements européens au cours de cette crise a, entre autres, une racine psychologique qui est la profonde insatisfaction, pour ne pas dire la honte, éprouvée par beaucoup même s'ils n'étaient pas acteurs. Certains étaient une deuxième fois acteurs au moment de la crise de Bosnie. Il faut donc voir dans notre relative fermeté collective de cette période 1998-99, une forme de rédemption vis-à-vis de l'insatisfaction historique profonde éprouvée à l'égard de notre propre performance quatre ans auparavant. L'essentiel des principes qui se sont retrouvés dans les différents textes visant à régler, sur le plan politique, la crise du Kosovo et rassemblés par la résolution 1244 sont, pour une large part, de facture européenne. Cela montre notre capacité à prendre nos responsabilités et agir sur la situation par une construction politique commune. Ces textes sont souvent élaborés sur la base de nos propositions. Nous avons aussi été en mesure, avec les limites requises, de prendre les armes pour servir ces objectifs politiques. Ces limites n'ont justement pas joué, pour l'essentiel, dans le sens d'une espèce de contemplation morose et de l'aveu que, décidément, nous ne sommes pas à la hauteur et que nous n'avons pas la volonté de dominer, par l'emploi de la force, les crises qui peuvent survenir demain sur notre continent ou à ses abords. La conclusion collective a plutôt joué le rôle d'un déclencheur des volontés politiques.
Il est historiquement significatif que les conditions dans lesquelles nous développons aujourd'hui des initiatives de plus en plus coordonnées en matière d'Europe de la Défense, n'auraient pas été possibles sans le changement d'orientation politique du Royaume-Uni à cet égard. C'est, pour une fois, un changement important de politique étrangère, décidé au moment d'une alternance politique avec, en plus, la volonté d'informer les électeurs. Ce pays a tiré les leçons de sa position distanciée vis-à-vis de la construction européenne. Le Royaume-Uni a considéré, au regard de ses intérêts nationaux et de sa volonté d'influence mondiale, que son bilan n'était pas satisfaisant et qu'il fallait changer de stratégie, ce qu'il est en train de faire. Pourquoi cela débouche-t-il plus sur l'Europe de la Défense que sur d'autres participations déterminantes du Royaume-Uni à la construction européenne ?
Nous ne pourrions pas faire ce que nous faisons aujourd'hui si la Grande-Bretagne avait gardé sa position restrictive. Rappelons-nous l'ambiance de " désappointement " qui entourait la participation du nouveau gouvernement britannique de l'époque, à la fin de la négociation d'Amsterdam, fin mai ou début juin 1997. Ce gouvernement avait, à l'époque, quatre ou cinq semaines d'existence. La négociation s'était étalée sur plus de deux ans et la position encore restrictive, adoptée alors par le gouvernement du Royaume-Uni, n'était pas représentative de ce qu'est devenue sa stratégie depuis lors : elle nous ouvre, en effet, des portes.
De ces éléments favorables, il ne faut pas déduire qu'il vaudrait mieux estimer les obstacles politiques qui subsistent et les différences d'approche de politique de la Défense qui continuent, sur le fond, à différencier les Européens. Il faut plutôt voir ces réalités comme des obstacles à franchir ou des difficultés à réduire, plutôt que comme des excuses à l'inaction, fussent-elles accompagnées de commentaires de qualité. Nous sommes aujourd'hui dans une construction pas à pas qui comporte des éléments " prudemment " institutionnels. Prudemment, car tous ceux qui souhaitent avancer ont souvent appris à leurs dépens ce qu'est l'échelle de temps de la modification des traités, des documents internationaux qui construisent l'Europe. Si nous voulons donc avancer avant la prochaine crise, il vaut tout de même mieux procéder autrement que par une modification de traité. Là aussi est sollicitée une certaine luxuriance de l'imagination juridique. D'autre part, nous avons à développer des moyens souvent multilatéraux, et non pas communautaires, du moins au niveau de l'union d'actions militaires en commun. Nous avons vu avec quelle bonne volonté les différents partenaires de l'Eurocorps ont presque spontanément répondu à la proposition adressée en commun - nos amis allemands et nous-mêmes - de réformer, de moderniser le corps européen. Cela suppose aussi de franchir des obstacles juridiques, notamment parce que son statut n'est pas entièrement satisfait. Le vice-amiral Roy a évoqué les différentes complications qui entourent le statut des forces multilatérales.
Nous avons, sur le plan du droit des institutions communautaires, à achever cette construction nécessaire du comité politique et de sécurité. Nous nous apercevons aussi de la possibilité de plusieurs graduations dans l'achèvement de cet objectif dont nous pouvons tout de même disposer. Nous aurons à nous inspirer à la fois du traité, mais plus encore de la pratique qui entoure le traité de constitution de l'Alliance, pour développer notre propre système européen. Peu de systèmes sont aussi proches de l'abstention constructive. Nous continuons à débattre pour savoir si l'abstention constructive est une procédure susceptible de s'appliquer à la PESC. Le traité de Washington ne la mentionne nulle part, mais cela marche quand même très bien. L'attitude de nos amis grecs pendant le conflit du Kosovo nous offre un exemple particulièrement démonstratif. Ils n'avaient aucune intention d'apparaître aux premières loges comme les plus va-t-en guerre, tandis qu'approximativement 90 % de leur opinion, toutes tendances confondues, était hostile à l'opération aérienne au Kosovo. Alors que toutes les décisions se prenaient formellement à l'unanimité, ils n'ont, cependant, apporté aucun obstacle aux moyens d'actions graduellement mis en uvre par l'Alliance.
Nous souhaitons également réaliser l'articulation et la répartition des rôles entre le comité politique, le comité militaire et l'outil de planification qui porte, pour l'instant, le modeste nom de secrétariat militaire. La pratique de l'Alliance est, pour nous, porteuse de bon nombre de réponses pratiques à nos interrogations de l'instant. Il nous faudra aussi développer des nouveaux outils de combinaison de forces, au-delà même des forces multilatérales constituées. Nous nous plaçons, cette fois-ci, sur la limite du droit et de l'opérationnel. Ce développement fera certainement partie des propositions apportées par la France dans les semaines à venir, au cours des différents rendez-vous européens prévus. Faire agir ou combattre ensemble un certain nombre de forces suppose la prise de quelques précautions juridiques sur la manière de les commander et de répartir les efforts entre elles.
Le dernier thème abordé, l'espace européen de liberté et de sécurité, était tout à fait essentiel et lui aussi inscrit dans l'actualité. La légitimité de l'appréciation portée par le ministre de la Défense sur ces questions est un peu plus distante. Mais il existe quand même une double relation : l'implication de la gendarmerie, d'une part, contributeur de forces réel dans beaucoup des arrangements issus de Schengen, qui se poursuit maintenant. La question des nouveaux risques, d'autre part, sur lesquels nous dissertons fréquemment lorsque nous travaillons sur le plan stratégique. Un bon nombre des malversations, à caractère de criminalité organisée, se développent, à ce propos, dans différents continents dont le nôtre. Elles ne sont pas sans liens avec des éléments de déstabilisation que nous devons, par ailleurs, traiter, voire combattre, sur un plan strictement plus militaire. A propos des circuits de financement de certains régimes peu démocratiques en Europe, il fallait ainsi s'intéresser à ce que pouvaient être les comptes de la famille Milosevic, au moment où le conflit s'est engagé. Sur la question du repérage de circuits - non entièrement désiré par les alliés - en matière d'approvisionnement en armes des différentes factions en jeu au Kosovo, les enjeux étaient alors directement reliés à la conduite de politiques en matière de lutte contre la délinquance. La construction de Schengen et, notamment, le recueil, qui a été l'objet de réflexions dans votre colloque, sont aussi l'illustration de la souplesse des outils de coopération volontaires dans des domaines qui touchent de très près au domaine régalien. Certes, les Etats n'ont pas tous les mêmes solutions, ni les mêmes volontés, dès lors que se manifestent les choix politiques déterminés d'un groupe de pays qui choisissent d'entraîner l'ensemble.
Compte tenu des préjugés un peu auto-entretenus entre les différentes nations européennes, quant à leur détermination comparée à protéger leurs frontières, par exemple, Schengen représente l'illustration d'une contagion positive. Schengen représente cette capacité des Etats européens à coopérer en progressant dans la détermination commune plutôt que de se disperser. Des progrès significatifs ont donc été obtenus. Ils commencent à prendre leur place dans notre droit et dans nos procédures. Des actions communes sont, par exemple, menées à l'encontre du blanchiment et sur le dépistage des avoirs. Nous touchons, en ce domaine, à des éléments, eux aussi, jalousement gardés comme éléments de souveraineté dans chacun de nos pays. La convergence sur la qualification pénale entre droits européens - pourtant distincts - de la participation à une organisation criminelle est un autre exemple de progrès significatif. Enfin, notre réseau de coopération judiciaire illustre ce progrès, même s'il est parfois sujet d'impatiences parce que les temps de franchissement des différentes procédures ont tendance à augmenter à partir du moment où il y a plus de trois partenaires dans un programme de coopération judiciaire. Mais ces raisons se consolident et la volonté des partenaires politiques, des parlements, mais plus encore des professionnels de la justice, la volonté de rendre ces outils communs efficaces est aujourd'hui beaucoup plus présente qu'elle ne l'était il y a cinq ans ou dix ans. La gendarmerie est très largement engagée, avec un réel désir de réussir dans l'application de beaucoup de ces accords et de ces systèmes de coopération. Les gendarmes jouent, en particulier, un rôle aux côtés de la police nationale pour l'application des accords de coopérations policières et douanières avec plusieurs des Etats limitrophes de la France, avec lesquels elle entretient des échanges très intenses.
Ces différents points soulignent le travail des juristes, la réflexion sur les différents outils disponibles et l'écoute de systèmes juridiques distincts ou du système communautaire en construction, pour aller dans le sens de l'efficacité. Tout ce travail est directement associé avec l'approche européenne du gouvernement, des pouvoirs publics aujourd'hui et, spécifiquement, de ce ministère. Notre approche dans le domaine de la Défense est manifeste. Notre exigence est d'être concret et de viser des résultats aussi efficaces que possible, car l'obligation finale des hommes et des femmes de la communauté de Défense est évidemment d'apporter des réponses sûres ou des réponses fiables à des défis où s'engage la sécurité de notre nation. Cette approche, très concrète et très pratique, est aussi liée au fait que la coopération en matière de Défense est qualitativement différente du partage de souveraineté qu'aucune de nos nations n'a décidé. La souveraineté en matière de Défense met en jeu des notions comme l'intimité même de l'identité nationale. Vouloir supposer résolu cet élément de la mise en commun de nos souverainetés serait se condamner à la paralysie, même avec la complaisance d'avoir manifesté une ambition intellectuelle. Nous travaillons au contraire dans une approche de coopération volontaire et de recherche de convergence, sans abandon de souveraineté. Ce travail est, pour cette raison aujourd'hui, mobilisant et motivant. Nous le faisons avec une aspiration politique claire, assumée, et de plus en plus partagée par nos concitoyens. Ce que nous avons fait - souvent séparément et en tâtonnant sur le plan politique entre Européens - a déjà abouti à un demi-siècle de paix, à une connaissance mutuelle et à une réduction des barrières psychologiques et affectives entre Européens, sans précédent dans l'histoire du monde. Cette réalité est le fruit des démocraties qui, à chaque instant, avait le choix d'arrêter ou d'envoyer le processus. Elles ont, pourtant, toujours choisi de poursuivre finalement ce mouvement à tous les moments et dans leur diversité et parfois leur volatilité. Certes, elles maugréent généralement, mais cela fait aussi partie des charmes de la démocratie. Nous sommes en train de commencer à rééquilibrer les rapports d'influence au niveau mondial sur d'autres champs aujourd'hui que la Défense. Le modèle de début de multipolarité représenté par l'Union européenne intéresse, voire passionne, beaucoup d'Etats épris d'indépendance et de libre choix de leur destin sur d'autres continents. Nous avons donc des raisons de continuer à travailler utilement, pratiquement, mais aussi positivement dans le sens de ce développement en matière de Défense. Ces raisons nous tiennent à cur et nous portent en avant. Ce développement a valeur, à mes yeux, de modèle de civilisation. Merci.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 03 janvier 2000).