Note adressée par les services du Premier ministre à la Commission de l'Union européenne en date du 30 décembre 1999 sur les risques que présente pour la santé publique la levée de l'embargo sur le boeuf britannique.

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Texte intégral

En réponse à la lettre d'avis motivé de la Commission du 16 décembre, les autorités françaises souhaitent faire part à la Commission d'un certain nombre d'observations.
1 - L'article 1er de la décision de la Commission ndeg. 99/514/CE du 23 juillet a fixé au 1er août 1999 la date à laquelle peut commencer l'expédition à partir du Royaume-Uni de viandes et de produits d'origine bovine dans le cadre du régime d'exportation décrit à l'article 6 de la décision modifiée 98/256/CE du 16 mars 1998.
La mise en uvre de cette décision par la France nécessite la publication d'un arrêté modifiant l'arrêté du 28 octobre 1998 (ayant lui-même abrogé un arrêté du 21 mars 1996) établissant des mesures particulières applicables à certains produits d'origine bovine expédiés du Royaume-Uni qui prohibe l'introduction sur le territoire français de produits d'origine animale issus d'animaux nés, élevés et abattus au Royaume-Uni à l'exclusion de l'Irlande du Nord.
Or, toute modification de cet arrêté impose une consultation obligatoire de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments aux termes de l'article 11 de la loi 98-535 du 1er juillet 1998 qui prévoit que l'AFSSA "est consultée sur les projets de dispositions législatives ou réglementaires relatives () aux importations et échanges intra-communautaires d'animaux, de produits animaux et de produits destinés à l'alimentation humaine et animale".
C'est la raison pour laquelle le gouvernement français a saisi l'AFSSA à deux reprises le 28 août 1998 et le 23 novembre 1999 de deux projets de textes modifiant l'arrêté du 28 octobre 1998 de manière à autoriser l'introduction sur le territoire français de produits bovins en provenance du Royaume-Uni.
Les autorités françaises contestent donc l'affirmation selon laquelle "l'intention du gouvernement français de ne pas se conformer à ses obligations communautaires est donc manifesté" (point 14 de l'avis motivé), l'objet visé par les projets de textes soumis à l'AFSSA étant bien au contraire de permettre une levée de l'embargo sur les produits bovins britanniques. Tout au long de cette crise, les autorités françaises se sont toujours efforcées de rechercher une solution satisfaisante, tenant compte des impératifs de santé publique.
2 - Il ressort en effet des deux avis émis par l'AFSSA les 30 septembre et 6 décembre derniers que des doutes sérieux persistent à l'heure actuelle sur les risques que présentent, pour la santé humaine, la consommation de viandes bovines britanniques issues du dispositif DBES, en particulier au regard du mode de transmission de l'agent infectieux (transmission horizontale), de la période d'incubation de la maladie et de la distribution de l'infectiosité de l'ESB dans l'organisme au cours du temps chez les bovins.
Dans l'attente de données complémentaires sur l'évolution épidémiologique au Royaume-Uni qui pourraient permettre d'infirmer les doutes sur les modes de transmission et la distribution de l'agent infectieux, il ne semble pas possible aux autorités françaises d'autoriser, dès à présent, l'introduction pour la consommation sur leur territoire de viandes bovines issues du schéma DBES. Cette position ne signifie pas pour autant une fin de non-recevoir des autorités françaises vis-à-vis de leurs obligations communautaires, mais bien d'une mesure de protection de la santé publique.
3 - Constatant que des incertitudes subsistaient encore quant à l'existence ou à la portée des risques pour la santé des personnes, le gouvernement français avait demandé que les éléments scientifiques nouveaux contenus dans le premier avis de l'AFSSA, et qu'il avait communiqués à la Commission, fussent examinés par les instances scientifiques communautaires. La Commission a décidé de soumettre ces éléments successivement au groupe ad hoc ESST les 14 et 25 octobre 1999, puis au comité scientifique directeur (CSD) les 28 et 29 octobre 1999. Il est exact, comme le mentionne la Commission, au point 9 de son avis motivé, que le CSD a conclu à l'absence d'éléments de nature à justifier une révision de ses conclusions antérieures. Toutefois la France tient à souligner que le rapport du groupe ad hoc, qui est constitué d'experts dans le domaine des ESST, fait état d'avis minoritaires des scientifiques du groupe qui avancent l'hypothèse de risques liés notamment aux incertitudes quant au monde de transmission de la maladie.
Les autorités françaises constatent que la Commission ne fait aucune mention du rapport de ce groupe ni de ces avis minoritaires dans son avis motivé. Or, elles considèrent que ces avis minoritaires auraient dû, par application du principe de précaution, conduire la Commission à réviser sa décision relative à la levée de l'embargo. En ne le faisant pas, la Commission a, selon les autorités françaises, méconnu un principe consacré par le Traité et la jurisprudence de la Cour.
4 - Concernant le point 3 de l'avis motivé, les autorités françaises souhaitent rappeler à la Commission que, si elles n'ont pas contesté le régime de certification des troupeaux pour l'exportation (ECHS) pour l'Irlande du Nord, c'est qu'elles estiment que l'approche " troupeaux " de l'ECHS apporte plus de garanties que l'approche individuelle du DBES notamment s'il existe une troisième voie de contamination, dite horizontale. Les autorités françaises ont d'ailleurs défendu l'extension de ce régime à l'ensemble du Royaume-Uni.
La Commission n'évoque pas, en revanche, le fait que la France a contesté la date fixée pour la levée de l'embargo dans le cadre du régime DBES, date que les autorités françaises ont toujours considérée comme prématurée.
5 - Par ailleurs, le document intitulé " éléments pour une entente " du 23 novembre (qui est évoqué au paragraphe 13 de l'avis motivé), élaboré entre la Commission, le Royaume-Uni et la France, a servi de support à la deuxième consultation de l'AFSSA. Celle-ci a pris acte des avancées potentielles, contenues dans ce document, en particulier en matière de traçabilité des animaux et des produits, ainsi que d'étiquetage. Ce texte comportait notamment une annexe II portant interprétation par la Commission des dispositions de la décision 98/256 modifiée, interprétation qui confirmait l'obligation incombant aux Etats membres de maintenir la traçabilité de la viande bovine et des produits dérivés d'origine britannique même après transformation ou reconditionnement, de manière à donner à l'Etat membre qui le souhaite les moyens d'assurer un étiquetage informatif pour le consommateur final.
Or, les discussions qui ont eu lieu dans le cadre du comité vétérinaire permanent (CVP) des 23 novembre et 6 décembre 1999 ont montré qu'une majorité d'Etats membres n'était pas prête à se conformer spontanément à l'interprétation de la Commission et donc à assurer la traçabilité des produits sur leur territoire. Face à ces réactions, la Commission aurait dû en imposer l'application et à tout le moins proposer une modification du règlement 820/97 permettant d'asseoir avec une sécurité juridique suffisante l'obligation de traçabilité indispensable de ces viandes. Au contraire, elle a proposé le report de la mise en uvre d'un étiquetage obligatoire des viandes bovines du 1/1/2000 au 31/12/2000, échéance qui a été ramené ultérieurement au 1/9/2000.
De ce fait, les garanties apportées par le document précité intitulé "éléments pour une entente" sont devenues inopérantes.
Par ailleurs, la France rappelle l'importance qu'elle attache à la mise en uvre rapide d'un programme de tests de détection aussi bien au Royaume-Uni que dans l'ensemble des autres Etats-membres. Elle constate que cette préoccupation n'est pas satisfaite à ce stade.
6 - Au vu de l'ensemble de ces considérations, le gouvernement français estime que les éléments scientifiques contenus dans l'avis de l'AFSSA et communiqués à la Commission auraient dû conduire cette dernière à réviser la décision relative à la levée de l'embargo ou, en tout état de cause, à en suspendre l'application. En décidant de ne pas modifier sa décision initiale, en dépit des éléments nouveaux portés à sa connaissance, la Commission a méconnu le principe de précaution consacré par le Traité et par la jurisprudence de la Cour.
Le gouvernement français regrette que la Commission ait engagé une procédure d'infraction contre la France alors que les autorités françaises ont constamment manifesté qu'elles étaient prêtes à discuter avec l'ensemble des parties intéressées des modalités qui permettraient de concilier les dispositions communautaires avec les exigences liées à la sauvegarde de la santé humaine. Les délais très courts laissés au gouvernement français pour répondre à la mise en demeure puis à l'avis motivé montrent la volonté de la Commission d'imposer à la France de mettre à exécution une décision qui n'offre pas, de l'avis de son gouvernement, toutes les garanties requises pour assurer la sauvegarde de la santé humaine.
Compte tenu des doutes sérieux qui existent encore sur les risques que présente, pour la santé humaine, la levée de l'embargo dans les conditions prévues par les décisions 98/692 et 99/514, le gouvernement français a décidé de saisir la Cour de justice afin de l'interroger sur la compatibilité, avec le droit communautaire (et en particulier sur le principe de précaution), de la décision de la Commission de ne pas réviser sa décision en dépit des éléments nouveaux qu'il lui a transmis.
Dans un domaine où les connaissances scientifiques évoluent très rapidement et s'agissant d'une maladie mortelle, le gouvernement français estime que la plus grande vigilance doit s'imposer.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 janvier 2000)