Texte intégral
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Je n'ai pas de déclaration liminaire à faire.
QUESTION
Vous pouvez peut-être nous résumer, en deux mots, la teneur des discussions des débats de ce matin ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Nous allons commencer par les Balkans et nous poursuivrons par les développements européens, cet après-midi.
QUESTION
Est-ce que la question des antimissiles américains a déjà été évoquée ou sera évoquée cet après-midi ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Monsieur William Cohen voudra, vraisemblablement, poursuivre le travail d'explication qui a été développé par les partenaires américains sur ce sujet.
Je vais essayer de rapprocher les points de vue entre les Européens puisque c'est entre les Européens que nous avons le problème. Nous avons trois sujets importants. Le premier consiste à éviter, pas à 100 % évidemment, de chercher à éviter les irrégularités et les chocs dans la ligne budgétaire sur l'équipement. Car un budget de Défense se compose, en schématisant grossièrement, d'un budget de personnel et de fonctionnement courant, ainsi que d'un budget d'équipement. Et comme nous ne pouvons pas changer facilement le personnel et le fonctionnement courant lorsqu'il y a des coupes budgétaires, l'équipement souffre beaucoup plus que proportionnellement. Il faut donc que nos dirigeants politiques s'interrogent sur les inconvénients sérieux de ces chocs budgétaires sur l'équipement, surtout lorsque nous voulons, par ailleurs, faire un effort pour acheter ensemble ce qui bénéficie d'un consensus. Ainsi, le premier sujet consiste à essayer de trouver des facteurs de prévisibilité des dépenses d'équipement des uns et des autres. Deuxièmement, il s'agit de rechercher, au moins, une stabilisation par un système d'observation concerté entre les partenaires, avec une évaluation annuelle ou bisannuelle. Troisièmement, il faut débattre, entre les partenaires, des mesures qui peuvent être envisagées pour resserrer un peu les écarts quant aux contributions des uns et des autres à la Défense.
Carlo Scognamiglio, dans un papier qu'il nous a fait passer, a employé cette expression un peu provocante : " si nous continuons comme cela, il y aura des producteurs de défense et des consommateurs de défense parmi les Européens. " L'expression est un peu vive, mais elle dit bien ce qu'elle veut dire. Par conséquent, il faudra qu'il y ait une concertation sur un objectif de resserrement des écarts, si nous considérons que c'est une tâche qui nous est commune. Mais, naturellement, cela doit se faire en respectant la souveraineté nationale de chaque pays dont l'outil budgétaire est l'un des attributs. C'est une tâche de long terme, mais ce n'est pas parce qu'elle est de long terme et qu'elle se heurte à des obstacles qu'il faut la laisser tomber. Quand j'entends certains commentateurs, ou même certains politiques, dire "la question budgétaire, ce n'est pas la peine d'en parler parce que, de toute manière, nous ne pourrons pas prendre de décision", je trouve que ce n'est pas une attitude très politique.
Même les alliés ou les partenaires européens qui ont un outil de défense vraiment insuffisamment adapté à nos tâches annuelles, consacrent toujours près de 1 % de leur PIB à faire fonctionner un outil de défense. En revanche, il est possible qu'ils consacrent moins de 0,2 % de leur PIB à équiper cet outil de défense. Je ne crois pas que les Européens puissent assumer une responsabilité, une capacité d'action avec des armes modernes, significatives dans les crises que nous pouvons devoir affronter dans dix ou quinze ans, dans le cas funeste où l'ensemble de l'Europe s'alignerait sur des pourcentages aussi faibles. Les pays qui consacrent nettement plus et qui ont, déjà, des choix difficiles à faire, devront faire usage d'arguments convaincants, notamment politiques, pour faire évoluer les opinions publiques et les parlements des autres pays. De toute façon, la violence et le risque de confrontation armée existent. La question politique est de savoir si nous voulons en faire une responsabilité pour les Européens ou accepter de rester passifs en appelant nos amis américains à faire le travail à notre place, y compris à notre porte.
Je ne vois pas de raison de porter le jugement de cette façon-là, car la question ne se pose pas en termes de grands ou de petits pays. Dans le PIB européen, dans les ressources budgétaires européennes, ce que nous appellons " les petits pays "
- expression que je n'emploie jamais - représentent plus du quart des ressources. Par conséquent, les remarques que je fais et qui visent à être positif, à amener les Européens à progressivement assumer plus directement leurs responsabilités politiques, s'adressent à tout le monde, y compris à mon propre pays.
QUESTION
Vous attendez-vous à ce que les ministres discutent, aujourd'hui, du rôle de l'eurocorps au Kosovo ? Le ministre britannique se déclarait tout de même, ce matin, favorable à cette initiative. Qu'en pensez-vous?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Vous pouvez facilement le deviner. Ce n'est pas un sujet sur la table, aujourd'hui. La décision est à prendre dans les deux mois à venir. Du reste, la date formelle à laquelle la relève de LANDCENT (Land forces central Europe) sera à prendre, n'est pas aujourd'hui arrêtée. Nous avons trois messages. En premier lieu, le travail de modernisation et de " flexibilisation " de l'eurocorps, auquel nous nous étions engagés avec les partenaires de l'eurocorps, va être prochainement terminé. Ensuite, nous estimons que l'eurocorps peut être une solution à cette relève prochaine ou, éventuellement, à une suivante pour fournir le cadre du commandement de la KFOR. C'est un choix, une faculté ouverte au débat de tous les partenaires de l'Alliance car c'est elle qui a, d'après la résolution, ou plutôt ses annexes, la responsabilité d'organiser la force de sécurité au Kosovo. Ce débat, je pense, ne va pas être, ou va être à peine, ouvert aujourd'hui. Il ne sera, en tout cas, pas conclu. Enfin, l'eurocorps, s'il était retenu au sein de l'Alliance, ne fournirait naturellement qu'un cadre. Il n'est pas imaginable que les cinq nations, membres permanents de l'eurocorps, grand duché du Luxembourg compris, prétendent occuper à elles seules l'ensemble des responsabilités d'état-major de la KFOR. Le commandement de l'eurocorps serait ouvert à des contributions nationales, évidemment en cohérence avec le niveau des participations nationales à la KFOR elle-même.
QUESTION
William COHEN a parlé d'une hiérarchie entre l'OTAN et les Européens, c'est-à-dire que l'OTAN doit pouvoir donner son avis sur une opération européenne. Quelle est votre réaction ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Il paraît assez logique qu'il dise cela. Je voudrais souligner que nos amis américains, le Pentagone, non le département d'Etat, ont formulé une réaction tout à fait construite et argumentée, à la déclaration franco-britannique de la semaine dernière. Cette réaction nous apparaît tout à fait satisfaisante. Nous avons l'impression de ne pas avoir travaillé pour rien afin de clarifier le contenu et les intentions du projet européen en matière de défense ainsi que pour lever les éventuelles interrogations. Cela ne cessera pas, pour autant, d'être un sujet de débat, naturellement. Je crois qu'il est naturel que l'affirmation de l'Union européenne, en tant qu'être politique international qui se développe depuis plusieurs décennies maintenant, soulève des problèmes. C'est, en effet, un être politique sui generis, qui ne ressemble à aucun autre. Ce n'est ni une nation, ni une simple alliance ou association de nations. C'est, comme nous le disons dans le dialecte politique français, une fédération d'Etats-nations. Par conséquent, nous jugeons tout à fait légitime que des questions soient posées, déjà en notre sein, entre Européens et a fortiori entre membres de l'Union, par des partenaires un peu plus distanciés vis-à-vis de cette construction pour savoir quel va être le rôle de l'Union européenne à l'intérieur d'un système de sécurité où se trouve, naturellement, l'Alliance.
Pour revenir à votre observation initiale, nous faisons attention à ce qu'il n'y ait pas de système formaliste protocolaire de préséance quant à la prise en charge d'une crise, car le mot dit bien ce qu'il veut dire. Lorsqu'il y a une crise, l'ensemble des acteurs, des partenaires, qui veulent y exercer une responsabilité, ont à se placer devant un objet nouveau, devant une situation qui appelle des décisions. Toute notre expérience de cette décennie montre que l'ensemble des partenaires, à la tête desquels il y a d'abord les nations, membres de l'Alliance ou de l'Union voire, très souvent, des deux, se concertent de manière très plurielle, très diversifiée. Ma conviction est, alors, que si une nouvelle situation de crise se présente et justifie une action politico-militaire coordonnée, ce sera d'un commun accord que l'Alliance et l'Union Européenne se partageront les rôles. Si, d'un commun accord, l'Union européenne est en charge de diriger une action, il s'agit bien de l'Union européenne. Les mieux placés pour le savoir sont peut-être, d'ailleurs, les pays candidats pour y entrer.
Le processus de décision se termine à quinze, mais ceci est une approche très formaliste car lorsque nous sommes engagés dans une crise comme celle du Kosovo, par exemple, que nous avons vécue et qui est très fortement présente dans la mémoire, les décisions se passent toujours par consultations permanentes. Il y a, en effet, une multiplicité de décisions qui s'additionnent, dont des décisions, à caractère opérationnel, d'engagement de force. A ce moment-là, ce sont les nations qui comptent. Nous faisons très attention de dire que la construction de la défense européenne ne pourra se développer que sur une base intergouvernementale. Nous pensons qu'elle va se développer sur cette base et nous en sommes heureux. Il ne peut pas y avoir de délégation de souveraineté en la matière. Par conséquent, dans l'action, une fois que la décision de s'engager a été prise - elle l'aura été d'un commun accord avec l'Alliance, naturellement - les pays membres de l'Alliance et les pays membres de l'Union auront tous à apporter leur rôle, toute leur volonté de contribuer à la solution du problème, et donc à l'action. Nous sommes convaincus que cette question trouvera une solution satisfaisante, mais, simplement, il serait paradoxal de faire d'un pays qui n'est pas membre de l'Union, qui, parfois, en a d'ailleurs fait le choix politique, l'exact équivalent d'un membre de l'Union.
QUESTION
Monsieur le ministre, pour revenir sur cette question de budget déjà évoquée : nous voyons, tout de même, les Américains donner un peu des leçons aux Européens sur cette question. C'est leur droit. Cela étant, je voulais vous relancer sur cette histoire de bouclier antimissiles américain parce que, sur ce sujet, les Américains ne se gênent pas pour mettre les Européens devant le fait accompli. Or, il y a quand même une certaine inquiétude du côté européen sur cette histoire. Par conséquent, pouvez-vous nous présenter un peu votre analyse de cette situation ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Oui. Sur le premier point, les Américains expriment leur propre liberté d'expression, des commentaires sur les politiques budgétaires des uns et des autres : cela fait partie du dialogue entre alliés. Alors, nous pouvons le mener avec plus ou moins de précautions et, sur le fond, leurs arguments ne sont pas dépourvus de valeur. Sur l'affaire de la défense antimissiles, cette question peut se débattre dans l'Alliance, mais n'est pas une question de l'Alliance. Cette question est, tout d'abord, mondiale, c'est-à-dire intéresse un ensemble de pays. Chacun sait que, parmi les pays acteurs potentiels de ce débat, il y a des pays importants sur le plan stratégique, mais très loin de l'Europe ou de l'Alliance, comme Israël ou le Japon. Ainsi, il est vraisemblable que nous en parlerons, du moins que William Cohen en parlera. Comme il est prévu que nous nous rencontrions en fin d'après-midi, nous aurons, vraisemblablement, un échange sur ce sujet. Personnellement, ce n'est pas au sein de l'Alliance que j'estime avoir les messages les plus déterminants à apporter sur cette question. En second lieu, ce débat est très diversifié aux Etats-Unis et comporte au moins trois dimensions : celle de la défense de théâtre qui ne pose pas de problème de stratégie ou d'équilibre international de notre point de vue, une défense limitée sur laquelle le Président Clinton a prévu de prendre sa décision avant l'été 2000, qui viserait simplement à protéger certaines parties du territoire américain à l'encontre de missiles émanant d'arsenaux de faible puissance et puis l'idée - qui reste toujours un peu dans les mémoires - de construire un système global de défense du territoire américain ; système qui pourrait même aller plus loin et être mis à la disposition, moyennant finances, d'autres espaces géographiques, donc d'autres nations.
Nous regardons ce dossier avec pragmatisme et avec prudence car nous savons bien que, par lui-même, ce dispositif, qui modifie les équilibres stratégiques, peut avoir un effet d'encouragement indirect de la course aux armements. Mais, en même temps, nous savons qu'il existe, en effet, une diversité de menaces et que nous ne sommes pas obligés d'avoir exactement le même type de réaction vis-à-vis de toutes les menaces. Nous pensons qu'il faut rester mesuré sur l'appréciation de ce dossier car nous estimons que, par rapport à la charge financière assez massive qu'il peut représenter, si les Etats-Unis poursuivent et intensifient leurs efforts dans ce domaine, les conséquences positives en matière de sécurité ne sont pas forcément très équivalentes. Or, nous ne souhaitons pas du tout dramatiser ce débat.
QUESTION
Que voulez-vous dire ? Je n'ai pas compris le dernier point.
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Cela peut devenir une pression et peut ponctionner de façon massive un budget de défense en produisant, au terme d'un programme, un gain de sécurité qui, comparé à d'autres investissements, n'est pas forcément convaincant.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 6 janvier 2000)
Je n'ai pas de déclaration liminaire à faire.
QUESTION
Vous pouvez peut-être nous résumer, en deux mots, la teneur des discussions des débats de ce matin ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Nous allons commencer par les Balkans et nous poursuivrons par les développements européens, cet après-midi.
QUESTION
Est-ce que la question des antimissiles américains a déjà été évoquée ou sera évoquée cet après-midi ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Monsieur William Cohen voudra, vraisemblablement, poursuivre le travail d'explication qui a été développé par les partenaires américains sur ce sujet.
Je vais essayer de rapprocher les points de vue entre les Européens puisque c'est entre les Européens que nous avons le problème. Nous avons trois sujets importants. Le premier consiste à éviter, pas à 100 % évidemment, de chercher à éviter les irrégularités et les chocs dans la ligne budgétaire sur l'équipement. Car un budget de Défense se compose, en schématisant grossièrement, d'un budget de personnel et de fonctionnement courant, ainsi que d'un budget d'équipement. Et comme nous ne pouvons pas changer facilement le personnel et le fonctionnement courant lorsqu'il y a des coupes budgétaires, l'équipement souffre beaucoup plus que proportionnellement. Il faut donc que nos dirigeants politiques s'interrogent sur les inconvénients sérieux de ces chocs budgétaires sur l'équipement, surtout lorsque nous voulons, par ailleurs, faire un effort pour acheter ensemble ce qui bénéficie d'un consensus. Ainsi, le premier sujet consiste à essayer de trouver des facteurs de prévisibilité des dépenses d'équipement des uns et des autres. Deuxièmement, il s'agit de rechercher, au moins, une stabilisation par un système d'observation concerté entre les partenaires, avec une évaluation annuelle ou bisannuelle. Troisièmement, il faut débattre, entre les partenaires, des mesures qui peuvent être envisagées pour resserrer un peu les écarts quant aux contributions des uns et des autres à la Défense.
Carlo Scognamiglio, dans un papier qu'il nous a fait passer, a employé cette expression un peu provocante : " si nous continuons comme cela, il y aura des producteurs de défense et des consommateurs de défense parmi les Européens. " L'expression est un peu vive, mais elle dit bien ce qu'elle veut dire. Par conséquent, il faudra qu'il y ait une concertation sur un objectif de resserrement des écarts, si nous considérons que c'est une tâche qui nous est commune. Mais, naturellement, cela doit se faire en respectant la souveraineté nationale de chaque pays dont l'outil budgétaire est l'un des attributs. C'est une tâche de long terme, mais ce n'est pas parce qu'elle est de long terme et qu'elle se heurte à des obstacles qu'il faut la laisser tomber. Quand j'entends certains commentateurs, ou même certains politiques, dire "la question budgétaire, ce n'est pas la peine d'en parler parce que, de toute manière, nous ne pourrons pas prendre de décision", je trouve que ce n'est pas une attitude très politique.
Même les alliés ou les partenaires européens qui ont un outil de défense vraiment insuffisamment adapté à nos tâches annuelles, consacrent toujours près de 1 % de leur PIB à faire fonctionner un outil de défense. En revanche, il est possible qu'ils consacrent moins de 0,2 % de leur PIB à équiper cet outil de défense. Je ne crois pas que les Européens puissent assumer une responsabilité, une capacité d'action avec des armes modernes, significatives dans les crises que nous pouvons devoir affronter dans dix ou quinze ans, dans le cas funeste où l'ensemble de l'Europe s'alignerait sur des pourcentages aussi faibles. Les pays qui consacrent nettement plus et qui ont, déjà, des choix difficiles à faire, devront faire usage d'arguments convaincants, notamment politiques, pour faire évoluer les opinions publiques et les parlements des autres pays. De toute façon, la violence et le risque de confrontation armée existent. La question politique est de savoir si nous voulons en faire une responsabilité pour les Européens ou accepter de rester passifs en appelant nos amis américains à faire le travail à notre place, y compris à notre porte.
Je ne vois pas de raison de porter le jugement de cette façon-là, car la question ne se pose pas en termes de grands ou de petits pays. Dans le PIB européen, dans les ressources budgétaires européennes, ce que nous appellons " les petits pays "
- expression que je n'emploie jamais - représentent plus du quart des ressources. Par conséquent, les remarques que je fais et qui visent à être positif, à amener les Européens à progressivement assumer plus directement leurs responsabilités politiques, s'adressent à tout le monde, y compris à mon propre pays.
QUESTION
Vous attendez-vous à ce que les ministres discutent, aujourd'hui, du rôle de l'eurocorps au Kosovo ? Le ministre britannique se déclarait tout de même, ce matin, favorable à cette initiative. Qu'en pensez-vous?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Vous pouvez facilement le deviner. Ce n'est pas un sujet sur la table, aujourd'hui. La décision est à prendre dans les deux mois à venir. Du reste, la date formelle à laquelle la relève de LANDCENT (Land forces central Europe) sera à prendre, n'est pas aujourd'hui arrêtée. Nous avons trois messages. En premier lieu, le travail de modernisation et de " flexibilisation " de l'eurocorps, auquel nous nous étions engagés avec les partenaires de l'eurocorps, va être prochainement terminé. Ensuite, nous estimons que l'eurocorps peut être une solution à cette relève prochaine ou, éventuellement, à une suivante pour fournir le cadre du commandement de la KFOR. C'est un choix, une faculté ouverte au débat de tous les partenaires de l'Alliance car c'est elle qui a, d'après la résolution, ou plutôt ses annexes, la responsabilité d'organiser la force de sécurité au Kosovo. Ce débat, je pense, ne va pas être, ou va être à peine, ouvert aujourd'hui. Il ne sera, en tout cas, pas conclu. Enfin, l'eurocorps, s'il était retenu au sein de l'Alliance, ne fournirait naturellement qu'un cadre. Il n'est pas imaginable que les cinq nations, membres permanents de l'eurocorps, grand duché du Luxembourg compris, prétendent occuper à elles seules l'ensemble des responsabilités d'état-major de la KFOR. Le commandement de l'eurocorps serait ouvert à des contributions nationales, évidemment en cohérence avec le niveau des participations nationales à la KFOR elle-même.
QUESTION
William COHEN a parlé d'une hiérarchie entre l'OTAN et les Européens, c'est-à-dire que l'OTAN doit pouvoir donner son avis sur une opération européenne. Quelle est votre réaction ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Il paraît assez logique qu'il dise cela. Je voudrais souligner que nos amis américains, le Pentagone, non le département d'Etat, ont formulé une réaction tout à fait construite et argumentée, à la déclaration franco-britannique de la semaine dernière. Cette réaction nous apparaît tout à fait satisfaisante. Nous avons l'impression de ne pas avoir travaillé pour rien afin de clarifier le contenu et les intentions du projet européen en matière de défense ainsi que pour lever les éventuelles interrogations. Cela ne cessera pas, pour autant, d'être un sujet de débat, naturellement. Je crois qu'il est naturel que l'affirmation de l'Union européenne, en tant qu'être politique international qui se développe depuis plusieurs décennies maintenant, soulève des problèmes. C'est, en effet, un être politique sui generis, qui ne ressemble à aucun autre. Ce n'est ni une nation, ni une simple alliance ou association de nations. C'est, comme nous le disons dans le dialecte politique français, une fédération d'Etats-nations. Par conséquent, nous jugeons tout à fait légitime que des questions soient posées, déjà en notre sein, entre Européens et a fortiori entre membres de l'Union, par des partenaires un peu plus distanciés vis-à-vis de cette construction pour savoir quel va être le rôle de l'Union européenne à l'intérieur d'un système de sécurité où se trouve, naturellement, l'Alliance.
Pour revenir à votre observation initiale, nous faisons attention à ce qu'il n'y ait pas de système formaliste protocolaire de préséance quant à la prise en charge d'une crise, car le mot dit bien ce qu'il veut dire. Lorsqu'il y a une crise, l'ensemble des acteurs, des partenaires, qui veulent y exercer une responsabilité, ont à se placer devant un objet nouveau, devant une situation qui appelle des décisions. Toute notre expérience de cette décennie montre que l'ensemble des partenaires, à la tête desquels il y a d'abord les nations, membres de l'Alliance ou de l'Union voire, très souvent, des deux, se concertent de manière très plurielle, très diversifiée. Ma conviction est, alors, que si une nouvelle situation de crise se présente et justifie une action politico-militaire coordonnée, ce sera d'un commun accord que l'Alliance et l'Union Européenne se partageront les rôles. Si, d'un commun accord, l'Union européenne est en charge de diriger une action, il s'agit bien de l'Union européenne. Les mieux placés pour le savoir sont peut-être, d'ailleurs, les pays candidats pour y entrer.
Le processus de décision se termine à quinze, mais ceci est une approche très formaliste car lorsque nous sommes engagés dans une crise comme celle du Kosovo, par exemple, que nous avons vécue et qui est très fortement présente dans la mémoire, les décisions se passent toujours par consultations permanentes. Il y a, en effet, une multiplicité de décisions qui s'additionnent, dont des décisions, à caractère opérationnel, d'engagement de force. A ce moment-là, ce sont les nations qui comptent. Nous faisons très attention de dire que la construction de la défense européenne ne pourra se développer que sur une base intergouvernementale. Nous pensons qu'elle va se développer sur cette base et nous en sommes heureux. Il ne peut pas y avoir de délégation de souveraineté en la matière. Par conséquent, dans l'action, une fois que la décision de s'engager a été prise - elle l'aura été d'un commun accord avec l'Alliance, naturellement - les pays membres de l'Alliance et les pays membres de l'Union auront tous à apporter leur rôle, toute leur volonté de contribuer à la solution du problème, et donc à l'action. Nous sommes convaincus que cette question trouvera une solution satisfaisante, mais, simplement, il serait paradoxal de faire d'un pays qui n'est pas membre de l'Union, qui, parfois, en a d'ailleurs fait le choix politique, l'exact équivalent d'un membre de l'Union.
QUESTION
Monsieur le ministre, pour revenir sur cette question de budget déjà évoquée : nous voyons, tout de même, les Américains donner un peu des leçons aux Européens sur cette question. C'est leur droit. Cela étant, je voulais vous relancer sur cette histoire de bouclier antimissiles américain parce que, sur ce sujet, les Américains ne se gênent pas pour mettre les Européens devant le fait accompli. Or, il y a quand même une certaine inquiétude du côté européen sur cette histoire. Par conséquent, pouvez-vous nous présenter un peu votre analyse de cette situation ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Oui. Sur le premier point, les Américains expriment leur propre liberté d'expression, des commentaires sur les politiques budgétaires des uns et des autres : cela fait partie du dialogue entre alliés. Alors, nous pouvons le mener avec plus ou moins de précautions et, sur le fond, leurs arguments ne sont pas dépourvus de valeur. Sur l'affaire de la défense antimissiles, cette question peut se débattre dans l'Alliance, mais n'est pas une question de l'Alliance. Cette question est, tout d'abord, mondiale, c'est-à-dire intéresse un ensemble de pays. Chacun sait que, parmi les pays acteurs potentiels de ce débat, il y a des pays importants sur le plan stratégique, mais très loin de l'Europe ou de l'Alliance, comme Israël ou le Japon. Ainsi, il est vraisemblable que nous en parlerons, du moins que William Cohen en parlera. Comme il est prévu que nous nous rencontrions en fin d'après-midi, nous aurons, vraisemblablement, un échange sur ce sujet. Personnellement, ce n'est pas au sein de l'Alliance que j'estime avoir les messages les plus déterminants à apporter sur cette question. En second lieu, ce débat est très diversifié aux Etats-Unis et comporte au moins trois dimensions : celle de la défense de théâtre qui ne pose pas de problème de stratégie ou d'équilibre international de notre point de vue, une défense limitée sur laquelle le Président Clinton a prévu de prendre sa décision avant l'été 2000, qui viserait simplement à protéger certaines parties du territoire américain à l'encontre de missiles émanant d'arsenaux de faible puissance et puis l'idée - qui reste toujours un peu dans les mémoires - de construire un système global de défense du territoire américain ; système qui pourrait même aller plus loin et être mis à la disposition, moyennant finances, d'autres espaces géographiques, donc d'autres nations.
Nous regardons ce dossier avec pragmatisme et avec prudence car nous savons bien que, par lui-même, ce dispositif, qui modifie les équilibres stratégiques, peut avoir un effet d'encouragement indirect de la course aux armements. Mais, en même temps, nous savons qu'il existe, en effet, une diversité de menaces et que nous ne sommes pas obligés d'avoir exactement le même type de réaction vis-à-vis de toutes les menaces. Nous pensons qu'il faut rester mesuré sur l'appréciation de ce dossier car nous estimons que, par rapport à la charge financière assez massive qu'il peut représenter, si les Etats-Unis poursuivent et intensifient leurs efforts dans ce domaine, les conséquences positives en matière de sécurité ne sont pas forcément très équivalentes. Or, nous ne souhaitons pas du tout dramatiser ce débat.
QUESTION
Que voulez-vous dire ? Je n'ai pas compris le dernier point.
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Cela peut devenir une pression et peut ponctionner de façon massive un budget de défense en produisant, au terme d'un programme, un gain de sécurité qui, comparé à d'autres investissements, n'est pas forcément convaincant.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 6 janvier 2000)