Interview de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, à "Europe 1" le 8 avril 2003, sur la politique gouvernementale de réduction des déficits publics.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Depuis quelques jours, Matignon et Bercy ont du mal à convaincre sur la politique économique ; on la juge confuse, incohérente. Pire, on se demande si elle existe. A. Lambert, bienvenue. Et vous faites bien d'être ici. Vous avez vous-même l'habitude de dire : "regardez mes comptes comme ils sont transparents". Alors, selon la rumeur de Bercy, les déficits iraient en 2004 vers 3,5 - un record ! - sans les baisses d'impôts. Est-ce que c'est vrai ?
- "Sur 2004, on ne peut raisonner qu'en termes de prévisions, puisque l'année 2004 n'est pas commencée, ce que tous les Français savent. Il vaut mieux travailler sur 2003. Très sérieusement, faire ce que nous avons dit..."
Alors, on dit...
- "...C'est-à-dire, ne pas dépenser 1 euro de plus que ce qui a été autorisé par le Parlement."
Or, ce n'est pas le cas puisqu'on dit, on prévoit que le déficit en 2003 serait de 3,7 !
- "En 2003, nous avons dit que nous craignons que les déficits puissent être entre 3,4 et 3,6. En effet, il y a, vous le savez, un ralentissement économique qui a pour effet de baisser les recettes de l'Etat. Mais ce qui compte, en termes de sérieux, de sens de la responsabilité pour des gouvernements, c'est de tenir la dépense. Nous tiendrons la dépense. Je vous assure bien que je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour qu'il ne soit pas dépensé 1 euro de plus, en 2003, qu'il n'a été autorisé par le Parlement."
Ca, c'est très beau. Ca veut dire que vous voulez une croissance zéro des dépenses publiques ?
- "Ca veut dire, en effet, qu'on peut très bien vivre avec le même montant que l'année précédente."
Mais vous me confirmez croissance zéro avec un redéploiement et en évitant, comme dit J.-P. Raffarin "des gaspillages".
- "En évitant des gaspillages. Est-ce que vous avez la moindre idée des dépenses de l'Etat par rapport à nos voisins ? Nous avons en France 6 % de PIB - j'expliquerai, ça représente 90 milliards d'euros - de plus que la moyenne des pays de l'Union européenne. Nous dépensons 90 milliards de revenus du travail des Français de plus qu'il ne faudrait. Vous vous imaginez ce que nous pouvons faire avec 90 milliards ! Je vous rappelle que ça représente une fois et demi l'impôt sur le revenu qui est prélevé sur les Français. Ca représente le montant cumulé de la CSG et de la taxe d'habitation prélevées sur les Français."
Très bien, mais est-ce que c'est la faute de Julie ou la mienne ?
- "C'est la faute des responsables politiques. Et pour ma part, j'assumerai la totalité de l'action politique que je mènerai au nom du Gouvernement. Vous pouvez être sûr que les comptes qui seront rendus aux Français au terme de cette législature, ne seront pas dans l'état où nous les avons trouvés."
Donc, il faut juger sur cinq ans, au moins ?
- "Il faut naturellement juger sur cinq ans, parce que toute action politique commande de la durée."
Mais on dit aujourd'hui que l'ampleur du déficit du budget dont vous avez la charge, rendrait le budget 2004 infaisable ?
- "J'affirme que le budget 2004 sera faisable, qu'il commandera, en effet, une grande discipline, qui consistera à tenir, encore une fois, la dépense. Tout le monde peut quand même espérer que l'horizon de guerre qui, Dieu merci, est en train de s'éclaircir, permettra une reprise de la croissance, permettra par conséquent d'encaisser des recettes fiscales supplémentaires qui viendront à notre aide pour réduire le déficit."
Avec un prix du pétrole qui pourrait baisser ?
- "Avec un prix du pétrole qui commence à baisser."
Dans ces conditions, beaucoup doutent que le Gouvernement pourra baisser l'impôt sur le revenu. Que dites-vous ?
- "Le Gouvernement a indiqué qu'il voulait baisser l'impôt sur le revenu parce que c'était le moyen de rendre aux Français le fruit de leur travail, c'était les encourager au travail, c'était aussi leur rendre du pouvoir d'achat. Ce pouvoir d'achat se retrouve d'ailleurs dans la consommation, il se retrouve donc dans la croissance. Et que, lorsque que vous baissez les impôts, vous alimentez la croissance, l'activité et l'emploi."
Mais votre voisin du sixième étage de Bercy, n'est pas convaincu, d'ailleurs il le dit, que "moins d'impôts c'est plus de consommation. Il dit c'est plus d'épargne, que plus de croissance". Mettez-vous d'accord !
- "Mais nous sommes en plein accord, vous le savez bien. A la question qui lui a été posée, il a indiqué que la totalité des baisses d'impôts ne s'était pas encore retrouvée dans la consommation de 2002, ce qui veut dire qu'on va la retrouver dans le premier semestre 2003. Ca n'est d'ailleurs pas moi qui le dis, c'est l'Insee. L'Insee dit que la totalité des baisses d'impôts ne s'étant pas encore retrouvée dans la consommation de fin 2002, nous allons la retrouver dans 2003."
Vous citez l'Insee, mais l'Insee a dit hier que le moral des Français, des consommateurs, des industriels était en baisse au mois de mars, au passage.
- "Mais toutes les chaînes de télévision publient des images de guerre, et vous voudriez que le moral des Français soit au zénith !"
Tout à l'heure, à 9 heures, dans une demi-heure environ, vous allez plancher, à l'Assemblée nationale, sur les maîtrises des dépenses publiques. Au passage, c'est comme un effet boomerang quand vous étiez parlementaire, sénateur, vous vouliez, justement, que les parlementaires aillent contrôler le Gouvernement. Cette fois-ci, ça se fait, mais on va contrôler ce que vous faites. Est-ce utile, et est-ce que ça vous plaît ? Est-ce que vous mettrez, là aussi, tous les chiffres, comme vous commencez à le faire ce matin, sur la table ?
- "Je les remercie beaucoup de faire ça. Ils sont la représentation du peuple français, ils doivent absolument vérifier que chaque euro prélevé sur les Français est bien utilisé, à leur service. Le ministre du Budget généralement se sent seul sur la question des dépenses. Et je suis vraiment très réconforté de voir que l'Assemblée nationale, toute la matinée, va travailler à la réduction des dépenses dans notre pays."
Alors, quand on va vous demander : il y a l'assurance-maladie qui dérive de 7 % par an, les comptes sociaux sont en difficulté. Qui va financer ? Comment vous allez répondre ? Qui va financer, comment, quand ?
- "De toute façon, si nous laissons dériver les dépenses, naturellement il faut bien trouver des impôts pour les couvrir. Donc, la seule solution raisonnable, c'est de maîtriser les dépenses. Vous me parlez des dépenses de santé, vous savez bien que ça n'est pas dans ma spécialité, mais j'indique simplement à tous ceux qui nous écoutent, qu'ils ne peuvent pas voir leurs dépenses de santé s'accroître chaque année sans que ça risque d'engendrer soit des déficits, soit des impôts supplémentaires. La sagesse c'est de responsabiliser chacun, du patient au prescripteur."
C'est-à-dire que le patient paye plus...
- "Mais que le patient surtout, peut-être, ne soit plus autant demandeur de besoins de dépenses de santé qu'il n'en demande aujourd'hui."
Aujourd'hui, on annonce, vous l'avez entendu tout à l'heure avec C. Delay, que les impôts locaux vont augmenter en 2003, comme en 2002 dans les villes, 1,1 ; plus encore dans les départements, 3,9. Est-ce que la décentralisation c'est, quoi qu'on en dise, plus de dépenses pour les entreprises et pour les particuliers ?
- "Ca doit être moins de dépenses pour les entreprises et pour les particuliers, puisque la décentralisation vise à gérer de près. Quand on gère de près, on gère sous les yeux des contribuables et on gère mieux. Simplement, lorsque vous constatez que les impôts locaux ont augmenté dans les villes, vous savez que vraisemblablement c'étaient des impôts qui n'avaient pas été augmentés au moment des élections municipales, et on retrouve maintenant l'augmentation de deux années. S'agissant des départements, vous savez qu'on leur a affecté des dépenses considérables.."
Non, mais pour la décentralisation, ça va faire quoi ?
- "Décentralisation, ça doit être, comme un dit à sommes nulles, c'est-à-dire que le contribuable local et le contribuable national est le même. Il ne faut pas que la décentralisation ait pour effet de le faire payer davantage d'impôts. A mon avis, cela lui fera payer moins d'impôts à terme parce que la gestion sera meilleure."
Vous dites qu'il faut limiter les dépenses, un sou c'est un sou. GIAT Industries va "se restructurer à la hâche" comme dit Le Figaro, ce matin, moins 60 % d'effectif en trois ans, avec un gigantesque plan social. C'est des dépenses que vous aviez prévues, et est-ce qu'on ne pourrait pas éviter d'en arriver là puisque c'étaient les gouvernements qui étaient les propriétaires et les gérants de GIAT Industries ?
- "Mais les gouvernements ont manqué de courage. En effet, il fallait restructurer GIAT plus sérieusement et plus profondément, plus tôt. On ne connaîtrait pas le drame social qui est constaté aujourd'hui. En tout cas, le Gouvernement prend à bras le corps ses responsabilités, là encore. Il a indiqué très clairement qu'il n'y avait pas de salarié sans solution. Il a pris des engagements également à l'endroit des collectivités locales où se trouvent les sites fermés. Et vous verrez qu'il faut redonner de l'espoir à ceux qui, aujourd'hui, vont perdre leur emploi ; les convaincre que leurs qualités professionnelles, la formation dont ils pourront bénéficier leur redonnera leurs chances pour retrouver un emploi. Et ceci est également vrai pour les collectivités locales. Je vous rappelle que j'ai été pendant 12 ans le maire d'Alençon. J'ai connu un sinistre industriel, j'ai perdu 1 000 emplois le même jour dans ma ville d'Alençon. Nous nous sommes tous ensemble battus avec la population. Et aujourd'hui des salariés reprennent espoir."
Est-ce que les entreprises publiques, il faut les gérer comme des entreprises privées ? Il faut attendre la même productivité, la même rentabilité, une bonne gestion ?
- "Avec la même exigence. Il est immoral de faire avec l'argent des contribuables ce qu'on ne voudrait pas faire avec de l'argent privé."
C'est bien de le dire, quand on voit que les comptes 2002 des entreprises publiques sont mauvais : il y 20 milliards d'euros de pertes et 130 milliards d'endettement. Et on se demande si c'est à l'Etat de tout éponger. Deux questions rapidement : est-ce que le Gouvernement va autoriser les services publics qui en ont besoin à augmenter leurs tarifs ?
- "Les services publics correspondent à une prestation qui engage un coût."
La réponse ?
- "La réponse est que le Premier ministre a dit clairement que pour La Poste, il faudra ajuster le prix du timbre. Pour EDF, à m'été, il faudra sans doute ajuster les prix d'EDF. En tout état de cause, à force d'attendre d'année en année pour accepter les augmentations, c'est ainsi qu'on constate de fortes augmentations. Ces prestations ont un coût, il faut la vérité des prix."
Donc, La Poste, EDF, peut-être la SNCF... ?
- "Il faut que ces entreprises soient bien gérées. C'est la meilleure garantie pour les contribuables français."
J.-P. Raffarin a annoncé que l'Etat allait vendre d'ici à trois, quatre ans, une partie de son patrimoine immobilier. Il a même dit 1 million de mètres carrés sur les 14 millions de mètres carrés que vous possédez. Quand ?
- "Le plus vite possible, dès que le droit le permet, il faut vendre tous les mètres carrés qui sont inutiles. C'est ce que des personnes privées feraient, c'est ce qu'on doit faire avec l'argent des contribuables français."
Ca rapporterait combien à l'Etat ?
- "L'estimation n'est pas faite aujourd'hui mais beaucoup, parce qu'aujourd'hui ces mètres carrés coûtent."
Est-ce pour réduire les déficits ou pour faire quoi avec ce que vous allez récupérer comme milliards d'euros ?
- "Il faut réduire les déficits."
C'est la priorité ?
- "C'est le plus sûr moyen de voir la dette baisser et la dette c'est coûteux et ça n'apporte rien aux Français."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2003)