Texte intégral
Q - A propos de la négociation.
R - (.....) De nombreux éléments nous font penser qu'il n'y a pas unanimité de point de vue dans ce qu'on appelle le Groupe de Miami. Je crois que l'Australie, l'Uruguay ou l'Argentine par exemple sont beaucoup plus ouverts sur la question de l'étiquetage. Ce n'est pas à nous de régler ces problèmes. C'est aux parties membres du Groupe de Miami de clarifier leurs priorités.
Q - Pourrait-on signer sans les Etats-Unis qui d'ailleurs ne sont pas membre de la Convention ?
R - On s'est tous posé la question de savoir si ça changerait quelque chose que les Etats-Unis marquent leur soutien au compromis.
Je souhaite que ce compromis soit le plus large possible et que l'ensemble des composantes de la négociation, y compris les Etats-Unis, fassent les pas nécessaires pour nous permettre d'aboutir demain.
Si demain après-midi on devait se reposer la question dans des termes un peu différents alors on sera peut-être amené à se revoir. Mais je préfère parier sur l'intelligence collective et sur notre capacité à évoluer. Je n'envisage pas un seconde que cela puisse se faire au détriment des trois points-clés pour l'Union européenne que je viens de vous rappeler.
Q - (inaudible)
R - Ces questions ont été posées à Seattle aussi pour savoir qui décide, qui arbitre. En matière de certitudes scientifiques, les choses sont claires si on nous prouve qu'il n'y a pas de risque. Si on nous prouve qu'il y en a un, on prend des décisions politiques. Quand les choses sont moins sûres sur le plan scientifique, la décision politique prend d'autant plus de poids, mais je n'imagine pas qu'on puisse faire abstraction de cette responsabilité des Etats. Aucun texte international ne permet de faire l'impasse sur la responsabilité des gouvernements. Je crois qu'au moment de donner notre accord à ce protocole nous prendrons évidemment en compte la façon dont cela va nous permettre de remplir nos engagements à l'égard de nos populations.
La question a été posée ce matin : ce sont toujours les gouvernements qui décident. Quand on accepte de valider une convention internationale, quand on accepte de signer ou de ratifier un protocole, on engage sa responsabilité politique et on en rend compte politiquement. Je n'ai jamais imaginé une seconde de sous-traiter l'exercice de cette responsabilité à quelques cercles scientifiques que ce soit.
La question de la prise en compte du principe de précaution n'est pas un prétexte pour "ouvrir le parapluie", pour ne pas prendre de risque, c'est une tentative de traiter de façon rationnelle les cas où il n'existe pas de certitude scientifique.
Evidemment, tant qu'on en discute de façon théorique cela ne se passe pas très bien . Si on en vient à des cas concrets, si la question est pour nous la préservation de la biodiversité, on pourrait imaginer que le même produit avec les mêmes caractéristiques soient dans certains cas tolérés et pas dans d'autres, tout simplement à cause de la sensibilité des milieux, parce que le climat ou parce que la richesse biologique du pays dans lequel ce produit est sensé être semé n'est pas la même. Il y a une exigence de prendre des décisions en fonction des conditions réelles et pas en fonction de textes technocratiques.
Q - Mme Wallstrom a parlé ce matin environnement et santé mais aussi commerce. Cela ne se retrouvait pas dans votre discours. Le discours de l'Union européenne est-il à géométrie variable ?
R - Non, c'est parce que vous m'avez demandé en quelques mots de dire quels étaient les points importants. Je n'avais pas prévu de parler, donc je n'ai pas forcément calé mon intervention avec Mme Wallstrom. Nous disons qu'il y a la liberté de commerce : on en discute dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce - et je souhaite d'ailleurs que la discussion puisse reprendre sur d'autres bases que Seattle. Nous avons été nombreux à évoquer l'idée que le système de l'OMC se normalise par rapport au système onusien et que l'articulation entre les accords multilatéraux sur l'environnement et l'OMC soient clarifiés Nous souhaitons explicitement que les engagements qui seraient pris par les parties en raison d'accords multilatéraux sur l'environnement soient respectés par les panels de l'OMC.
Q - De nombreux organismes disposent d'un mécanisme d'arbitrage des conflits. Sur 42 dossiers déposés devant l'OMC, 39 ont été récemment arbitrés en faveur du commerce. Ne croyez-vous pas que ce protocole manque d'un organisme de règlement des différends ?
R - Il y a la liberté du commerce. Mais aussi l'obligation pour les Etats d'assurer le respect de la biodiversité et la sécurité sanitaire de la population. Il n'y a pas à arbitrer entre ces deux discussions, mais à les rendre compatibles.
Je vois deux points différents dans votre exposé concernant tout d'abord l'absence d'une institution internationale prenant en compte l'ensemble des questions d'environnement et je crois qu'on en ressent tous le besoin aujourd'hui. C'est vrai que dans le domaine du travail il existe l'Organisation internationale du travail, dans le domaine de l'aviation civile, il existe l'Organisation de l'aviation civile internationale.
C'est vrai que, dans le système onusien, il n'existe pas de structure qui coordonne toute la réglementation de tous les accords internationaux en matière d'environnement et qui leur donnerait une visibilité et une force comparable à ce qui existe dans d'autres domaines. Nous sommes nombreux aujourd'hui à poser clairement la question d'une organisation mondiale de l'environnement que nous ne souhaitons pas, comme l'Organisation mondiale du commerce, voir se développer en dehors du système multilatéral des Nations unies mais au sein de l'Organisation des Nations unies et clairement articulée avec elle. Mais l'enjeu premier reste pour nous aujourd'hui d'obtenir que ne puisse pas être traîner devant un panel de l'OMC un pays qui aurait pris des dispositions restrictives en matière de commerce pour satisfaire aux engagements qu'il aurait pris dans le cadre d'une convention, d'un protocole des Nations unies. Cela me parait un préalable qu'il existe ou non une organisation de l'environnement.
C'est une question qui concerne les organismes génétiquement modifiés. L'ambiguïté vient évidemment du fait que le champ de la convention de la biodiversité et de son article qui prévoyait la possibilité de rédiger un protocole consacré à la biosécurité est assez limité en ce qui concerne la protection de la biodiversité avec une extension tolérée au champ de la santé humaine. Mais, il n'a pas été prévu d'interrogation sur l'utilité sociale des OGM, le rapport avec les agriculteurs des pays en développement par exemple, leurs liens avec les intérêts des entreprises du secteur. Je crois qu'on manque d'un lieu où ce débat pourrait être posé de façon explicite. Il ne l'a pas été à l'OMC, il ne le sera pas ici sinon à la marge. Il ne le sera probablement non plus dans le cadre de l'OCDE. Je ne suis pas sûre qu'il puisse l'être autrement que pour la beauté d'échanges intellectuels dans le cadre d'un partenariat informel euro-atlantique. On manque évidemment d'un lieu pour évaluer l'intérêt social, économique, écologique des OGM.
Q - Il n'y a que l'article 24 du protocole qui traite de l'impact socio-économique de la biodiversité. L'Union européenne serait-elle d'avis de le supprimer ?
R - La question n'a pas été soulevée.
Q - Comment pouvez-vous décrire la dynamique actuelle de la négociation ?
R - De ce point de vue, concernant les demandes de réouverture de discussions antérieures par exemple, je crois que les choses sont claires sur le champ d'application du protocole. Quand l'Union européenne dit qu'on n'a pas souhaiter que ces discussions soient rouvertes, cela signifie qu'on pense être arrivé à un état d'équilibre parfait et qu'on souhaite aboutir avant demain soir. Des points restent en suspens. Ils sont suffisamment nombreux pour qu'on ne revienne pas sur des points assez largement acquis. Le fait que le Groupe de Miami manifeste un accord de principe pour rouvrir cette discussion est plutôt interprété comme une tentative de gagner du temps et de relancer des heures de discussion qui ne pourraient pas aboutir. Cela ne veut pas dire qu'il y ait pas matière à rediscuter sur des produits pharmaceutiques par exemple.
Je crois que depuis 24 heures on sent que la discussion se focalise autour des deux points qui restent sur la table : la définition du principe de précaution et l'articulation entre l'OMC et le protocole. Dans une espèce de logique de "donnant-donnant", le groupe de Miami a assez maladroitement tenté de charger la barque. Il n'est pas certain que cette stratégie ait été comprise par le reste de l'assemblée. Nous souhaitons aborder les points-clés qui restent en suspens.
Je crois que les choses sont claires, on peut passer énormément de temps à trouver des formulations ambiguës qui permettront à chacun d'aller expliquer à son opinion publique qu'il a gagné. On ne pourra pas éviter d'avoir une discussion politique au fond sur le principe de précaution et sur l'articulation "commerce-environnement".
Q - Y a-t-il eu un débat entre les ministres de l'environnement ?
R - Il y a une rencontre entre les ministres de l'Union européenne et les ministres du Groupe de Miami à 17h. On voit tous les groupes cet après-midi
Q - Vous avez déjà eu ces discussions. Cela n'aurait servi à rien ?
R - On en discute depuis des mois quand même, à la Commission du développement durable, l'année dernière au mois de mai, et dans toutes les réunions bilatérales à l'OMC.
Q - A-t-on explicité le principe de précaution lors du moratoire ?
R - Il y a un an nous étions accusés d'utiliser le principe de précaution comme un subterfuge pour empêcher la liberté du commerce. C'était vraiment quelque chose de prédominant dans l'argumentation de nos partenaires. Aujourd'hui, je crois qu'ils ont compris que notre souci répondait d'abord à une volonté d'apporter de la sécurité à nos populations et de préserver la biodiversité. Je crois que cela est compris maintenant.
Je crois, qu'il y a aussi quelque chose qui est de l'ordre du rationnel et de la confiance en la science. C'est un problème culturel. Ce n'est pas un problème politicien de bas étage. Par exemple : il y a un débat entre l'Europe et les Etats-Unis sur l'indépendance des structures appelées à formuler des avis ou à élaborer des réglementations qui ont un impact sur la santé ou la sécurité. Aux Etats-Unis, la "Food and Drug Administration" fonctionne de façon indépendante du pouvoir politique. En Europe, on considère que l'expertise doit être indépendante et pluraliste mais que le contrôle relève des politiques et de la responsabilité politique. Je crois qu'il y a un problème culturel qu'il faut prendre en compte, qui doit être discuté.
Q - Au Québec les gens sont surpris qu'il n'y ait pas une connaissance plus importante des effets des OGM. Est-ce que l'incertitude va aider à faire avancer les choses ?
R - Je vous donne un autre exemple. Les activités humaines ont elles oui ou non un impact sur la climat ? Aucun scientifique sérieux n'est capable aujourd'hui de l'affirmer de façon radicale. En revanche, la plupart des scientifiques disent qu'un ensemble d'éléments finissent par former ce que l'on pourrait appeler une sorte de faisceau d'éléments concordant qui invitent, au nom du principe de précaution, à adopter le plus vite possible une série de décisions permettant d'aller vers un développement moins générateur d'émission de gaz à effet de serre. Imaginons qu'on nous dise "les scientifiques sont incapables de répondre par oui ou par non à votre question donc vous n'avez pas le droit de prendre des précautions, vous n'avez pas le droit de vous préparer" on ne le trouverait pas normal. Si on prend l'exemple des organismes vivants manipulés, dans certains cas on sait répondre : "oui les crucifères génétiquement modifiés croisent avec les espèces sauvages" ; dans d'autres cas on ne sait pas encore répondre. Est-ce que c'est une raison pour affirmer qui y a pas de risque, ou est ce que c'est une invitation à approfondir les recherches. Je crois que c'est comme cela qu'il faut se poser la question.
Nous disposons d'études qui ne donnent pas de conclusions convergentes sinon on ne parlerait pas d'incertitude et on répondrait par oui ou par non. S'agissant des OGM, des études disent : "il y a une surmortalité chez les papillons monarques", "il y a des croisements avec des espèces sauvages au-delà des périmètres de protection qu'on jugeait acceptables jusqu'à une époque récente". Cela s'est passé chez nous, on a retrouvé des plantes croisées avec des espèces sauvages plusieurs centaines de mètres au-delà des parcelles expérimentales isolées d'une façon qui apparaissaient à peu près prudente.
Q - Aucune référence aux traités internationaux ne pourrait satisfaire tout le monde ?
R - C'est l'ambiguïté de l'article 24. Un politique responsable quand il est en situation d'incertitude, soit se pénètre de l'idée que le produit, le comportement, la pratique nouvelle qu'on lui propose, est d'une utilité sociale incontestable - et à ce moment là on accepte le doute, on accepte le risque, on fait en sorte de le réduire, mais enfin, on peut' assumer face à sa population ; si on se pénètre de l'idée qu'en plus cela n'est pas d'utilité sociale incontestable et que cela peut même avoir un impact dévastateur pour le futur alors on est plus prudent.
Il faut remonter à la Conférence de Rio en 1992 où les textes adoptés alors ont conduit à ce qu'on lance en 1995 un travail sur le protocole sur les biosécurité. Mais je crois qu'on n'était pas forcément très nombreux en 1992 à avoir examiné cette question. Je crois que la prise de conscience a été lente et qu'elle a été d'autant plus lente d'ailleurs dans la population que les éléments n'ont pas été posés de façon globale. C'est une vraie faiblesse de la société. On considère que toutes les pratiques nouvelles, tous les produits nouveaux que des groupes privés décident de mettre sur le marché sont à priori normaux, légitimes, possibles, tant qu'il n'y a pas eu de garde-fou posé par la société. On pourrait aussi imaginer que des évolutions aussi importantes que celles-là fassent l'objet de débat de société avant que de grands programmes de recherches soient lancés, avant que ces pratiques se popularisent, se généralisent. C'est vrai pour les nouvelles technologies de l'information.
Q - Et si un article de la Convention spécifiait "les signataires s'engagent à ne pas présenter de recours devant l'OMC", tout serait bien plus simple.
R - A Carthagène, on se disait que la réunion de Seattle poserait de façon plus générale la question de l'articulation avec l'OMC. Il faudrait qu'on revienne sur cette discussion à Genève d'ici quelques semaines et la mention dans le préambule m'apparaît comme tout à fait possible à condition que les choses soient claires. Selon la formule un petit peu ambiguë proposée par le président du Groupe de contact, le commerce et l'environnement devront être de "mutual support".
C'est un compromis qui ne résout pas grand chose, il faut quand même le reconnaître.
Q -Peut-on imaginer une formule sur l'OMC qui puisse servir pour d'autres accords multilatéraux ?
R - Je crois que, jusqu'au bout, il faut parier sur la capacité des pays du groupe de Miami à entendre leurs opinions publiques. On était peut-être un peu isolé, il y a quelques mois sur cette question, mais aujourd'hui est-ce que M. Anderson, est-ce que M. Loyd ont intérêt à revenir devant leur opinion en disant "désolé on a défendu jusqu'au bout les intérêts de nos industries biotechnologies et vos préoccupations sont passées au second plan" ? Je n'en suis pas certaine.
Les Etats-Unis ont assumé de façon assez désagréable pour eux l'échec des discussions de Seattle. Leur est-il possible de revenir régulièrement devant leur opinion et dire "j'ai bloqué la discussion" ? Je n'en suis pas sûre.
Q - Vous avez autorisé la culture de maïs transgénique. Les Etats-Unis sont en train de reconsidérer leurs autorisations. Allez-vous faire de même en France ?
R - Si je vous disais le contraire, vous ne me croiriez pas quand même.
Je vous donne juste l'information de façon informelle. Voilà comment les choses se sont passées. Vous savez donc que nous avons une procédure communautaire, procédure européenne où normalement le pays demande l'autorisation soit de mise sur le marché, soit de mise en culture ou de commercialisation d'une espèce génétiquement modifiée qui s'impose ensuite dans les autres pays de l'Union. Il se trouve qu'il y a quelques années, sous un autre gouvernement, une décision un petit peu curieuse avait conduit à ce qu'on autorise la commercialisation mais pas la mise en culture. Nous avons été interpellés par des instances communautaires qui considèrent que cette décision était bancale. Nous avons été pratiquement contraints, pour respecter les règlements communautaires, d'aller au-delà.
Mais il se trouve que nos agriculteurs n'ont pas semé, n'ont pas utilisé les OGM parce que la résistance de la population a été dissuasive.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 février 2000)
R - (.....) De nombreux éléments nous font penser qu'il n'y a pas unanimité de point de vue dans ce qu'on appelle le Groupe de Miami. Je crois que l'Australie, l'Uruguay ou l'Argentine par exemple sont beaucoup plus ouverts sur la question de l'étiquetage. Ce n'est pas à nous de régler ces problèmes. C'est aux parties membres du Groupe de Miami de clarifier leurs priorités.
Q - Pourrait-on signer sans les Etats-Unis qui d'ailleurs ne sont pas membre de la Convention ?
R - On s'est tous posé la question de savoir si ça changerait quelque chose que les Etats-Unis marquent leur soutien au compromis.
Je souhaite que ce compromis soit le plus large possible et que l'ensemble des composantes de la négociation, y compris les Etats-Unis, fassent les pas nécessaires pour nous permettre d'aboutir demain.
Si demain après-midi on devait se reposer la question dans des termes un peu différents alors on sera peut-être amené à se revoir. Mais je préfère parier sur l'intelligence collective et sur notre capacité à évoluer. Je n'envisage pas un seconde que cela puisse se faire au détriment des trois points-clés pour l'Union européenne que je viens de vous rappeler.
Q - (inaudible)
R - Ces questions ont été posées à Seattle aussi pour savoir qui décide, qui arbitre. En matière de certitudes scientifiques, les choses sont claires si on nous prouve qu'il n'y a pas de risque. Si on nous prouve qu'il y en a un, on prend des décisions politiques. Quand les choses sont moins sûres sur le plan scientifique, la décision politique prend d'autant plus de poids, mais je n'imagine pas qu'on puisse faire abstraction de cette responsabilité des Etats. Aucun texte international ne permet de faire l'impasse sur la responsabilité des gouvernements. Je crois qu'au moment de donner notre accord à ce protocole nous prendrons évidemment en compte la façon dont cela va nous permettre de remplir nos engagements à l'égard de nos populations.
La question a été posée ce matin : ce sont toujours les gouvernements qui décident. Quand on accepte de valider une convention internationale, quand on accepte de signer ou de ratifier un protocole, on engage sa responsabilité politique et on en rend compte politiquement. Je n'ai jamais imaginé une seconde de sous-traiter l'exercice de cette responsabilité à quelques cercles scientifiques que ce soit.
La question de la prise en compte du principe de précaution n'est pas un prétexte pour "ouvrir le parapluie", pour ne pas prendre de risque, c'est une tentative de traiter de façon rationnelle les cas où il n'existe pas de certitude scientifique.
Evidemment, tant qu'on en discute de façon théorique cela ne se passe pas très bien . Si on en vient à des cas concrets, si la question est pour nous la préservation de la biodiversité, on pourrait imaginer que le même produit avec les mêmes caractéristiques soient dans certains cas tolérés et pas dans d'autres, tout simplement à cause de la sensibilité des milieux, parce que le climat ou parce que la richesse biologique du pays dans lequel ce produit est sensé être semé n'est pas la même. Il y a une exigence de prendre des décisions en fonction des conditions réelles et pas en fonction de textes technocratiques.
Q - Mme Wallstrom a parlé ce matin environnement et santé mais aussi commerce. Cela ne se retrouvait pas dans votre discours. Le discours de l'Union européenne est-il à géométrie variable ?
R - Non, c'est parce que vous m'avez demandé en quelques mots de dire quels étaient les points importants. Je n'avais pas prévu de parler, donc je n'ai pas forcément calé mon intervention avec Mme Wallstrom. Nous disons qu'il y a la liberté de commerce : on en discute dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce - et je souhaite d'ailleurs que la discussion puisse reprendre sur d'autres bases que Seattle. Nous avons été nombreux à évoquer l'idée que le système de l'OMC se normalise par rapport au système onusien et que l'articulation entre les accords multilatéraux sur l'environnement et l'OMC soient clarifiés Nous souhaitons explicitement que les engagements qui seraient pris par les parties en raison d'accords multilatéraux sur l'environnement soient respectés par les panels de l'OMC.
Q - De nombreux organismes disposent d'un mécanisme d'arbitrage des conflits. Sur 42 dossiers déposés devant l'OMC, 39 ont été récemment arbitrés en faveur du commerce. Ne croyez-vous pas que ce protocole manque d'un organisme de règlement des différends ?
R - Il y a la liberté du commerce. Mais aussi l'obligation pour les Etats d'assurer le respect de la biodiversité et la sécurité sanitaire de la population. Il n'y a pas à arbitrer entre ces deux discussions, mais à les rendre compatibles.
Je vois deux points différents dans votre exposé concernant tout d'abord l'absence d'une institution internationale prenant en compte l'ensemble des questions d'environnement et je crois qu'on en ressent tous le besoin aujourd'hui. C'est vrai que dans le domaine du travail il existe l'Organisation internationale du travail, dans le domaine de l'aviation civile, il existe l'Organisation de l'aviation civile internationale.
C'est vrai que, dans le système onusien, il n'existe pas de structure qui coordonne toute la réglementation de tous les accords internationaux en matière d'environnement et qui leur donnerait une visibilité et une force comparable à ce qui existe dans d'autres domaines. Nous sommes nombreux aujourd'hui à poser clairement la question d'une organisation mondiale de l'environnement que nous ne souhaitons pas, comme l'Organisation mondiale du commerce, voir se développer en dehors du système multilatéral des Nations unies mais au sein de l'Organisation des Nations unies et clairement articulée avec elle. Mais l'enjeu premier reste pour nous aujourd'hui d'obtenir que ne puisse pas être traîner devant un panel de l'OMC un pays qui aurait pris des dispositions restrictives en matière de commerce pour satisfaire aux engagements qu'il aurait pris dans le cadre d'une convention, d'un protocole des Nations unies. Cela me parait un préalable qu'il existe ou non une organisation de l'environnement.
C'est une question qui concerne les organismes génétiquement modifiés. L'ambiguïté vient évidemment du fait que le champ de la convention de la biodiversité et de son article qui prévoyait la possibilité de rédiger un protocole consacré à la biosécurité est assez limité en ce qui concerne la protection de la biodiversité avec une extension tolérée au champ de la santé humaine. Mais, il n'a pas été prévu d'interrogation sur l'utilité sociale des OGM, le rapport avec les agriculteurs des pays en développement par exemple, leurs liens avec les intérêts des entreprises du secteur. Je crois qu'on manque d'un lieu où ce débat pourrait être posé de façon explicite. Il ne l'a pas été à l'OMC, il ne le sera pas ici sinon à la marge. Il ne le sera probablement non plus dans le cadre de l'OCDE. Je ne suis pas sûre qu'il puisse l'être autrement que pour la beauté d'échanges intellectuels dans le cadre d'un partenariat informel euro-atlantique. On manque évidemment d'un lieu pour évaluer l'intérêt social, économique, écologique des OGM.
Q - Il n'y a que l'article 24 du protocole qui traite de l'impact socio-économique de la biodiversité. L'Union européenne serait-elle d'avis de le supprimer ?
R - La question n'a pas été soulevée.
Q - Comment pouvez-vous décrire la dynamique actuelle de la négociation ?
R - De ce point de vue, concernant les demandes de réouverture de discussions antérieures par exemple, je crois que les choses sont claires sur le champ d'application du protocole. Quand l'Union européenne dit qu'on n'a pas souhaiter que ces discussions soient rouvertes, cela signifie qu'on pense être arrivé à un état d'équilibre parfait et qu'on souhaite aboutir avant demain soir. Des points restent en suspens. Ils sont suffisamment nombreux pour qu'on ne revienne pas sur des points assez largement acquis. Le fait que le Groupe de Miami manifeste un accord de principe pour rouvrir cette discussion est plutôt interprété comme une tentative de gagner du temps et de relancer des heures de discussion qui ne pourraient pas aboutir. Cela ne veut pas dire qu'il y ait pas matière à rediscuter sur des produits pharmaceutiques par exemple.
Je crois que depuis 24 heures on sent que la discussion se focalise autour des deux points qui restent sur la table : la définition du principe de précaution et l'articulation entre l'OMC et le protocole. Dans une espèce de logique de "donnant-donnant", le groupe de Miami a assez maladroitement tenté de charger la barque. Il n'est pas certain que cette stratégie ait été comprise par le reste de l'assemblée. Nous souhaitons aborder les points-clés qui restent en suspens.
Je crois que les choses sont claires, on peut passer énormément de temps à trouver des formulations ambiguës qui permettront à chacun d'aller expliquer à son opinion publique qu'il a gagné. On ne pourra pas éviter d'avoir une discussion politique au fond sur le principe de précaution et sur l'articulation "commerce-environnement".
Q - Y a-t-il eu un débat entre les ministres de l'environnement ?
R - Il y a une rencontre entre les ministres de l'Union européenne et les ministres du Groupe de Miami à 17h. On voit tous les groupes cet après-midi
Q - Vous avez déjà eu ces discussions. Cela n'aurait servi à rien ?
R - On en discute depuis des mois quand même, à la Commission du développement durable, l'année dernière au mois de mai, et dans toutes les réunions bilatérales à l'OMC.
Q - A-t-on explicité le principe de précaution lors du moratoire ?
R - Il y a un an nous étions accusés d'utiliser le principe de précaution comme un subterfuge pour empêcher la liberté du commerce. C'était vraiment quelque chose de prédominant dans l'argumentation de nos partenaires. Aujourd'hui, je crois qu'ils ont compris que notre souci répondait d'abord à une volonté d'apporter de la sécurité à nos populations et de préserver la biodiversité. Je crois que cela est compris maintenant.
Je crois, qu'il y a aussi quelque chose qui est de l'ordre du rationnel et de la confiance en la science. C'est un problème culturel. Ce n'est pas un problème politicien de bas étage. Par exemple : il y a un débat entre l'Europe et les Etats-Unis sur l'indépendance des structures appelées à formuler des avis ou à élaborer des réglementations qui ont un impact sur la santé ou la sécurité. Aux Etats-Unis, la "Food and Drug Administration" fonctionne de façon indépendante du pouvoir politique. En Europe, on considère que l'expertise doit être indépendante et pluraliste mais que le contrôle relève des politiques et de la responsabilité politique. Je crois qu'il y a un problème culturel qu'il faut prendre en compte, qui doit être discuté.
Q - Au Québec les gens sont surpris qu'il n'y ait pas une connaissance plus importante des effets des OGM. Est-ce que l'incertitude va aider à faire avancer les choses ?
R - Je vous donne un autre exemple. Les activités humaines ont elles oui ou non un impact sur la climat ? Aucun scientifique sérieux n'est capable aujourd'hui de l'affirmer de façon radicale. En revanche, la plupart des scientifiques disent qu'un ensemble d'éléments finissent par former ce que l'on pourrait appeler une sorte de faisceau d'éléments concordant qui invitent, au nom du principe de précaution, à adopter le plus vite possible une série de décisions permettant d'aller vers un développement moins générateur d'émission de gaz à effet de serre. Imaginons qu'on nous dise "les scientifiques sont incapables de répondre par oui ou par non à votre question donc vous n'avez pas le droit de prendre des précautions, vous n'avez pas le droit de vous préparer" on ne le trouverait pas normal. Si on prend l'exemple des organismes vivants manipulés, dans certains cas on sait répondre : "oui les crucifères génétiquement modifiés croisent avec les espèces sauvages" ; dans d'autres cas on ne sait pas encore répondre. Est-ce que c'est une raison pour affirmer qui y a pas de risque, ou est ce que c'est une invitation à approfondir les recherches. Je crois que c'est comme cela qu'il faut se poser la question.
Nous disposons d'études qui ne donnent pas de conclusions convergentes sinon on ne parlerait pas d'incertitude et on répondrait par oui ou par non. S'agissant des OGM, des études disent : "il y a une surmortalité chez les papillons monarques", "il y a des croisements avec des espèces sauvages au-delà des périmètres de protection qu'on jugeait acceptables jusqu'à une époque récente". Cela s'est passé chez nous, on a retrouvé des plantes croisées avec des espèces sauvages plusieurs centaines de mètres au-delà des parcelles expérimentales isolées d'une façon qui apparaissaient à peu près prudente.
Q - Aucune référence aux traités internationaux ne pourrait satisfaire tout le monde ?
R - C'est l'ambiguïté de l'article 24. Un politique responsable quand il est en situation d'incertitude, soit se pénètre de l'idée que le produit, le comportement, la pratique nouvelle qu'on lui propose, est d'une utilité sociale incontestable - et à ce moment là on accepte le doute, on accepte le risque, on fait en sorte de le réduire, mais enfin, on peut' assumer face à sa population ; si on se pénètre de l'idée qu'en plus cela n'est pas d'utilité sociale incontestable et que cela peut même avoir un impact dévastateur pour le futur alors on est plus prudent.
Il faut remonter à la Conférence de Rio en 1992 où les textes adoptés alors ont conduit à ce qu'on lance en 1995 un travail sur le protocole sur les biosécurité. Mais je crois qu'on n'était pas forcément très nombreux en 1992 à avoir examiné cette question. Je crois que la prise de conscience a été lente et qu'elle a été d'autant plus lente d'ailleurs dans la population que les éléments n'ont pas été posés de façon globale. C'est une vraie faiblesse de la société. On considère que toutes les pratiques nouvelles, tous les produits nouveaux que des groupes privés décident de mettre sur le marché sont à priori normaux, légitimes, possibles, tant qu'il n'y a pas eu de garde-fou posé par la société. On pourrait aussi imaginer que des évolutions aussi importantes que celles-là fassent l'objet de débat de société avant que de grands programmes de recherches soient lancés, avant que ces pratiques se popularisent, se généralisent. C'est vrai pour les nouvelles technologies de l'information.
Q - Et si un article de la Convention spécifiait "les signataires s'engagent à ne pas présenter de recours devant l'OMC", tout serait bien plus simple.
R - A Carthagène, on se disait que la réunion de Seattle poserait de façon plus générale la question de l'articulation avec l'OMC. Il faudrait qu'on revienne sur cette discussion à Genève d'ici quelques semaines et la mention dans le préambule m'apparaît comme tout à fait possible à condition que les choses soient claires. Selon la formule un petit peu ambiguë proposée par le président du Groupe de contact, le commerce et l'environnement devront être de "mutual support".
C'est un compromis qui ne résout pas grand chose, il faut quand même le reconnaître.
Q -Peut-on imaginer une formule sur l'OMC qui puisse servir pour d'autres accords multilatéraux ?
R - Je crois que, jusqu'au bout, il faut parier sur la capacité des pays du groupe de Miami à entendre leurs opinions publiques. On était peut-être un peu isolé, il y a quelques mois sur cette question, mais aujourd'hui est-ce que M. Anderson, est-ce que M. Loyd ont intérêt à revenir devant leur opinion en disant "désolé on a défendu jusqu'au bout les intérêts de nos industries biotechnologies et vos préoccupations sont passées au second plan" ? Je n'en suis pas certaine.
Les Etats-Unis ont assumé de façon assez désagréable pour eux l'échec des discussions de Seattle. Leur est-il possible de revenir régulièrement devant leur opinion et dire "j'ai bloqué la discussion" ? Je n'en suis pas sûre.
Q - Vous avez autorisé la culture de maïs transgénique. Les Etats-Unis sont en train de reconsidérer leurs autorisations. Allez-vous faire de même en France ?
R - Si je vous disais le contraire, vous ne me croiriez pas quand même.
Je vous donne juste l'information de façon informelle. Voilà comment les choses se sont passées. Vous savez donc que nous avons une procédure communautaire, procédure européenne où normalement le pays demande l'autorisation soit de mise sur le marché, soit de mise en culture ou de commercialisation d'une espèce génétiquement modifiée qui s'impose ensuite dans les autres pays de l'Union. Il se trouve qu'il y a quelques années, sous un autre gouvernement, une décision un petit peu curieuse avait conduit à ce qu'on autorise la commercialisation mais pas la mise en culture. Nous avons été interpellés par des instances communautaires qui considèrent que cette décision était bancale. Nous avons été pratiquement contraints, pour respecter les règlements communautaires, d'aller au-delà.
Mais il se trouve que nos agriculteurs n'ont pas semé, n'ont pas utilisé les OGM parce que la résistance de la population a été dissuasive.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 février 2000)