Texte intégral
Monsieur le Président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, je vous remercie, tout d'abord, pour vos paroles d'accueil. Vous vous en doutez, je suis très heureux de vous retrouver, de retrouver à la fois cette grande maison que dirige Bruno Racine et de retrouver également, avec vous, le débat sur la part que prennent les collectivités locales au développement culturel de notre pays, ainsi que du débat sur l'association des efforts et des projets des collectivités locales et de l'Etat. Je n'oublie pas non plus que j'ai eu, comme Bruno Racine, le bonheur de servir une grande collectivité locale, en l'occurrence la Ville de Paris, dont je salue d'ailleurs l'Adjoint au Maire. Tous les deux, nous avons pu mesurer dans cette fonction de Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris à quel point les collectivités locales étaient devenues des acteurs majeurs de la vie culturelle dans notre pays. J'avais d'ailleurs, à l'époque, pris l'initiative de créer une Association des directeurs des affaires culturelles des grandes villes de France, association qui s'est progressivement imposée comme un interlocuteur tout à fait valable des collectivités locales mais également de l'Etat.
Monsieur le Président, vous avez évoqué mon agenda chargé. Je tiens tout simplement à vous dire que s'il l'est en effet, c'est parce que j'ai pris le parti de donner beaucoup de temps à la présence sur le territoire. J'étais hier à Evreux, je pars tout à l'heure pour Clermont-Ferrand, la semaine dernière je me suis rendu à Cannes, à Angoulême, Nantes, Ancenis. Au cours des neuf derniers mois, il y a peu de régions où je ne me sois rendu. Je regrette de n'avoir pu aller encore en Franche-Comté, en Nord-Pas-de-Calais, en Basse-Normandie. Ce sont les seules régions où jusqu'à présent je n'ai pas eu l'occasion d'engager une visite systématique et de rencontrer les acteurs de la vie culturelle locale.
Vous le savez également, j'ai pris soin d'engager dans deux régions que j'ai voulu considérer comme des régions pilotes, un stage particulièrement prolongé de réflexion sur la décentralisation. Je m'y suis installé, à chaque fois, pendant cinq jours, avec tout mon cabinet, une bonne partie de l'administration du Ministère de la Culture, tout du moins de l'encadrement de l'administration. Je l'ai fait en Midi-Pyrénées, en Lorraine, j'ai souhaité le faire dans une région au Nord, une région au Sud. Je l'ai fait dans une région marquée par des pans immenses de ruralité avec une ville-centre exerçant une influence radicale, il s'agit de Midi-Pyrénées. Et je l'ai fait par ailleurs dans une région sortant d'une crise, la crise des désindustrialisations, crise qui - hélas - frappe toujours cette région organisée autour de deux grands pôles urbains, Metz et Nancy.
J'ai aussi, par principe, souhaité choisir une ville dont la majorité est à droite et une ville dont la majorité est à gauche, pour bien marquer l'impartialité de l'Etat.
Dans la mise en oeuvre de la réflexion et de l'action sur la décentralisation, il faut bien veiller en effet à ce que l'Etat, et en l'occurrence le Ministère de la Culture, associe à cet exercice l'ensemble de ses interlocuteurs, l'ensemble des élus, mais également l'ensemble des acteurs de la vie culturelle dans les territoires.
Cette présence sur le terrain est pour moi un enjeu tout à fait décisif, car lorsqu'on travaille sur la décentralisation, je crois qu'il faut se garder d'émettre des schémas abstraits conçus dans nos bureaux à Paris. Il faut prendre soin de mesurer sur le terrain la réalité des situations, la réalité des attentes, la réalité des disponibilités. La conclusion en est, fondamentalement, que notre pays est un pays divers, que les réalités y sont diverses. Vous avez, Monsieur le Président, souligné la très grande diversité de l'engagement culturel des collectivités locales. La plus grande partie des compétences culturelles recouvre en effet des compétences dont la loi ne fait pas obligation aux collectivités locales. Mais elles s'en sont emparées volontairement, et l'on remarque qu'il y a des engagements plus ou moins radicaux, plus ou moins marqués, plus ou moins enthousiastes, parfois d'ailleurs aussi plus ou moins compétents.
Toutefois, on voit rarement dans notre pays une collectivité de tel ou tel niveau avoir radicalement - par principe ou par négligence - omis de prendre des initiatives plus ou moins importantes en matière de développement culturel. C'est donc tout d'abord le constat dressé de cette très grande diversité, celui également de la diversité des attentes. Dans certaines régions, j'ai rencontré des élus très volontaires qui revendiquaient la délégation de nouvelles responsabilités. Dans d'autres, j'ai rencontré moins d'enthousiasme et parfois même de la méfiance de la part d'élus craignant que cette délégation ne soit une délégation de charges sans contreparties, d'élus pour qui la décentralisation constituerait en quelque sorte une solution commode pour se délester de charges coûteuses que l'Etat n'aurait plus les moyens ou la volonté d'assumer entièrement ou partiellement.
Une très grande diversité d'attente donc, d'un bout à l'autre de notre pays. Mais j'ai à tout moment rencontré des élus qui m'ont clairement dit que s'ils étaient très disponibles à l'égard d'une prise de responsabilité plus large, ils ne souhaitaient pas pour autant un effacement, un affaiblissement de l'Etat. Ils attendaient que l'Etat continue à jouer en matière culturelle un rôle important, même si c'était un rôle différent de celui qu'il exerce aujourd'hui, ils souhaitaient que les modalités de la mise en oeuvre de l'action de l'Etat soient différentes ou modulées.
Quelles conclusions puis-je tirer de ces neufs mois d'observation et de présence sur le terrain ? Au cours de ces neuf mois, j'ai pris un certain nombre d'initiatives, comme celle par exemple de resserrer les relations entre l'Etat et ses services, entre le Ministère de la Culture et ses services déconcentrés. J'ai été frappé par l'affaiblissement de cette relation, certaines directions régionales se sentant quasiment abandonnées par les services centraux. Il est évident que dans le processus de la décentralisation, les services déconcentrés joueront un rôle important, à la fois dans le processus et dans la gestion des situations nouvelles créées par la décentralisation. Il est donc important que le Ministère de la Culture fasse tout pour resserrer les liens qui unissent l'administration centrale et les services déconcentrés. Nous avons pris le parti, par exemple, de visiter chaque mois une direction régionale, d'y travailler avec le Directeur, d'y travailler avec ses services de façon à avoir également, par ce biais, une vision claire de l'action territoriale de l'Etat. J'ai pris aussi, Bruno Racine le sait, le parti d'inviter l'ensemble des Etablissements publics qui relèvent du Ministère de la Culture à s'engager ou en tout cas, dans un premier temps, à imaginer de quelle façon leur mission territoriale pourrait se déployer de manière renouvelée.
La logique de notre histoire a concentré à Paris un très grand nombre d'Etablissements publics. Notre histoire est ainsi faite, on ne va pas l'abolir : si le Musée national du Louvre, l'Opéra national de Paris, la Comédie-Française comme Théâtre national, le Centre Pompidou, la Bibliothèque nationale de France sont à Paris, c'est que notre histoire s'est ainsi agrégée. C'est également un grand avantage pour notre pays que d'avoir ainsi une ville-capitale avec une telle concentration de grandes institutions. Cela nous assure, face à des villes comme Londres ou Berlin, voire Nord-Américaine comme New York, d'une puissance, d'une capacité tout à fait considérable à affirmer notre rôle culturel. Néanmoins, je sais depuis longtemps que si ces institutions ne prennent pas en compte de façon plus déterminée qu'elles n'appartiennent pas à l'espace parisien - même si elles sont installées à Paris - et qu'elles ont des missions réellement nationales, elles seront en quelque sorte réputées illégitimes par la nation. On le voit bien à chaque débat sur le budget de la culture, que ce soit à l'Assemblée Nationale ou au Sénat : les élus de nos régions, de nos départements éprouvent toujours quelque peine à constater puis à voter des dispositions qui concentrent à Paris ou dans l'espace parisien une bonne partie de la dépense culturelle de l'Etat. L'addition des concours de l'Etat à la Bibliothèque nationale de France, au Louvre, au Centre Pompidou, à l'Opéra national de Paris, à tous les autres, constitue une part importante de la ressource budgétaire de l'Etat. Je crois qu'il ne faut surtout pas sombrer dans la démagogie qui voudrait que l'Etat abandonne ces grandes institutions.
Elles sont les premières expressions du service public de la Nation. Mais l'Etat, le Ministère de la Culture doivent dans le même temps demander à ces établissements de se rendre disponible à la nation tout entière. C'est ce que Bruno Racine a fait en engageant et en concluant des négociations avec le Maire de Metz en vue de la création d'une antenne permanente du Centre Pompidou dans cette ville. C'est ce que j'ai demandé au Président du Louvre : dans quelques mois, nous serons en mesure d'annoncer la création d'antennes permanentes du Louvre dans une, si ce n'est deux villes de France. Et je souhaite naturellement que toutes les institutions nationales prennent part à ce mouvement. Nous aurons ainsi inventé une nouvelle façon de définir ce qu'est la Nation, une nouvelle façon de définir notre perception du territoire.
Vous le savez, j'ai également commandé un certain nombre de rapports sur tel ou tel secteur et sur l'impact de la décentralisation dans tel ou tel domaine de la culture. Je l'ai fait par exemple pour le patrimoine, en confiant à Jean-Pierre Bady une mission dont le sujet était précisément "L'Etat et les collectivités locales dans la mise en oeuvre des politiques publiques du patrimoine". Toute cette information sédimentée, toutes ces réflexions engagées, la prise en compte des demandes ou des propositions des collectivités locales et notamment des régions étant également accomplies, nous voyons à peu près ce que l'intérêt général, ce que la Nation attend de nous.
Je crois qu'il ne faut pas perdre de vue que la décentralisation n'est pas un exercice abstrait, une sorte d'exercice bureaucratique, administrativo-politique. A chaque moment de cet exercice, il nous faut garder à l'esprit l'objet pour lequel nous nous mobilisons. Cet objet, quel est-il ? D'abord, tout simplement, que le développement culturel de notre pays soit mieux assumé, que son patrimoine soit pris en charge de façon plus satisfaisante, que le travail de création artistique puisse se développer sur le territoire de façon plus étendue. Que l'ensemble de nos concitoyens puisse accéder à la culture de façon plus spontanée, plus satisfaisante, plus large. Voilà quel est notre objectif. Qu'aucune considération politique ou administrative ne nous en éloigne ! Il s'agit bien de maintenir cet objectif et je tiens toujours à rappeler, qu'après tout, la politique se définit d'abord en termes d'objectifs et non pas en termes de modalités. Dans notre pays, on s'imagine parfois, quand on parle du service public, que le service public n'est pas l'objet que l'on vise mais la façon de le mettre en oeuvre. Or si la façon de le mettre en oeuvre est une réalité contingente, l'objectif, lui, constitue indéniablement le but que la politique destine à la mobilisation des collectivités publiques.
Voilà notre objectif en matière culturelle : faire en sorte que ce soit mieux encore. Si nous avons su bien faire au cours des dernières décennies, surtout après la guerre - bien que l'engagement culturel des collectivités publiques soit antérieur et remonte même pour certaines d'entre elles à l'Ancien Régime - si nous avons su bien faire, il nous appartient de faire encore mieux.
J'observe d'ailleurs qu'il faut également tirer un bilan des premières lois de décentralisation, lorsqu'elles ont eu un impact sur la vie culturelle. L'Etat a-t-il bien ou mal fait de déléguer aux départements, au début des années quatre-vingt, la responsabilité des Archives départementales et des services centraux de prêt ? Je dis, moi, que l'Etat a bien fait. Dans nos départements, les services d'archives ont, de façon générale, été améliorés dans leur installation, dans leur fonctionnement. Le service de conservation et d'accès aux archives est beaucoup mieux rendu, les archives ont été installées dans des bâtiments plus convenables et plus dignes - j'inaugurais récemment celui du département de la Sarthe. On a vu dans tous les services d'archives des initiatives pédagogiques - destinées notamment aux scolaires - rétablir une relation vive entre la mémoire historique et les jeunes citoyens. L'Etat a-t-il bien ou mal fait ? J'observe que les départements ont pris en charge cette nouvelle compétence avec zèle, enthousiasme et efficacité. C'est un élément qui doit également alimenter notre réflexion.
Aujourd'hui, alors que nous sommes au moment de prendre des engagements concrets, même de façon expérimentale, puisque le Premier Ministre a souhaité que l'expérimentation constitue l'une des données de cette nouvelle vague de décentralisation - et je crois et je sais que c'est une disposition utile parce qu'elle prend justement en compte la très grande diversité des situations et des attentes - aujourd'hui donc, à ce moment très important, que devons-nous faire ?
Je crois tout d'abord qu'il nous appartient à tous, voyant bien que le thème de la décentralisation suscite des inquiétudes, de mobiliser nos efforts, de mobiliser notre conviction pour permettre à chacun de surmonter ses inquiétudes, ses appréhensions. Quelles sont ces appréhensions ? Elles émanent souvent des acteurs de la vie culturelle en régions, artistes, créateurs dans le domaine du théâtre, de la musique, de la danse, des arts plastique. Ces appréhensions sont alimentées par la crainte que les collectivités locales, si elles prenaient une responsabilité plus large, auraient moins de discernement, moins de neutralité, moins d'objectivité, moins d'enthousiasme, moins de convictions que les services de l'Etat pour promouvoir ces activités. Dans de nombreux endroits, dans de nombreuses régions, un directeur de Centre d'art pense que, même si une toute petite partie de ses moyens financiers provient de l'Etat, seul celui-ci pourra lui garantir une certaine indépendance de son activité et que seul il s'y intéressera réellement. Cette crainte doit être surmontée. Parce que partout, dans tous les territoires de notre pays, je vois des élus convaincus, compétents, déterminés à poursuivre la mise en oeuvre d'actions culturelles en faveur de la création.
D'autre part je vois aussi, notamment dans tous les services de l'Etat, la crainte qu'à travers la décentralisation, ce soit l'Etat qui abandonne ses prérogatives, ses missions et ses personnels. Je crois que là aussi, il faut indiquer à chacun qu'il n'en est rien. A quoi en effet la décentralisation de ce début du vingt-et-unième siècle nous invite-t-elle? Elle nous invite à repenser pour demain le "tricotage" de l'action de l'Etat et de l'action des collectivités locales en vue d'un meilleur développement culturel de notre pays. Elle nous invite à consacrer le fait que l'Etat et les collectivités locales prennent une part importante à ce développement culturel, et qu'il leur appartient aujourd'hui de mieux définir le périmètre de l'action de chacun, de mieux définir les modalités selon lesquelles se rencontrent la responsabilité de l'Etat et la responsabilité des collectivités locales. Elle nous invite également à mieux discerner, à chaque étape de la mise en oeuvre de la vie culturelle, quelle est la collectivité publique la mieux placée pour exercer à l'égard de telle ou telle activité une responsabilité de première ligne : tantôt l'Etat, tantôt la collectivité locale. Sur cette question de la "première ligne", d'ailleurs, il nous restera à traiter le délicat problème de la distinction des différents degrés de collectivités locales : quelle est la collectivité locale la mieux disposée à exercer tel ou type de responsabilité ? Est-ce la commune, la communauté de communes, le département, la région?
On observe souvent, de ce point de vue, des tensions en régions. Dans le domaine du patrimoine, on voit parfois le département ou les départements et la région se disputer des prérogatives ou la possibilité de prendre en charge telle ou telle responsabilité : c'est le cas par exemple en Alsace où, entre la région Alsace et les deux départements qui la constituent, une véritable tension s'est fait jour sur la question de savoir qui pourrait, de la façon la plus judicieuse, devenir le relais de l'Etat dans la mise en oeuvre des politiques du patrimoine. Mais ces questions doivent être désamorcées après que l'on aura désamorcé les préventions, les rumeurs, les alarmes. C'est réellement vers un mouvement positif que nous nous dirigeons.
Que reste-t-il alors de l'Etat dans cette perspective ? A tous ceux qui pensent que l'Etat est en train de se saborder, de brader ses missions, de se dissoudre, j'aimerais réponde que nulle part en France on ne réclame sa disparition. Peut-être est-ce parce que dans l'histoire de notre pays s'est progressivement constituée une coïncidence très forte entre la Nation et l'Etat ? Nous sommes tributaires de cette tradition historique, elle a très profondément armé notre pensée politique, et donc nulle part on ne réclame la fin de l'Etat. Je tiens d'ailleurs à vous dire que je ne serai jamais aux côtés de ceux qui demanderaient l'extinction progressive de l'Etat, et ce n'est pas simplement parce que je suis ministre, mais parce que je suis très profondément attaché à l'action de l'Etat. Pourquoi suis-je attaché à l'action de l'Etat ? Parce que, je le sais, de toutes les collectivités publiques, c'est l'Etat qui est en charge de l'égalité des citoyens et des territoires. Je crois que l'une des mission réaffirmées de l'Etat dans ce processus de la décentralisation, c'est précisément de veiller à la mise en oeuvre sur l'ensemble du territoire de dispositifs qui assureront à nos concitoyens des conditions d'égalité.
Une égalité dont je suis bien conscient qu'elle a des limites techniques : certaines villes ont un théâtre, d'autres n'en auront jamais car la mise en oeuvre d'une activité théâtrale requiert une masse critique de population. Toutefois, au-delà de ces contraintes techniques, le service public culturel s'exprime de bien d'autres façons et l'Etat, en tout cas, doit veiller à promouvoir l'égalité.
Je crois également que l'Etat, dans ce dispositif, doit promouvoir des normes, s'agissant par exemple de la protection des monuments historiques. Dans la réflexion sur la décentralisation, nulle part je n'ai rencontré la demande que l'Etat cesserait d'être éminemment compétent en matière de protection des monuments historiques : classement, inscription. Même si, ici ou là, je vois certains élus s'intéresser à certaines formules de tiers-protection. Pourquoi pas ? L'Etat est garant des normes de protection du patrimoine.
Nulle part je ne vois contester la capacité ou même la nécessité pour l'Etat de définir les normes en matière d'éducation artistique : le cursus des études, la qualification des enseignants et des chefs d'établissements, la reconnaissance des diplômes. Parce que nos concitoyens veulent que de Lorient à Sélestat, de Béthune à Perpignan, l'éducation artistique se déroule dans la variété des projets pédagogiques possibles à l'intérieur d'un cadre qui assure, d'une part, la condition d'une réelle mobilité d'un point à l'autre du territoire, et d'autre part, l'homogénéité de la qualité des diplômes délivrés. L'Etat reste donc l'instance qui définit les normes.
Je n'oublie pas non plus par ailleurs que la collectivité nationale attend toujours de l'Etat, non seulement qu'il mette en oeuvre lui-même une politique culturelle, mais également que cette politique culturelle propre à l'Etat soit une politique nationale. Pour que cette politique nationale soit légitime, elle doit aujourd'hui tendre vers plus de clarté, vers plus de lisibilité.
Au cours de cinquante ans de politique culturelle, surtout depuis 1959 et l'instauration d'un Ministère de la Culture, l'Etat a sédimenté beaucoup d'initiatives, de réseaux, de labels Et, arrivant rue de Valois, je me rendu compte que si l'on me posait la question : "Quelle est la politique culturelle de l'Etat ?", j'étais incapable d'y répondre. Tout simplement parce que celle-ci était faite d'une accumulation d'initiatives à laquelle plus personne ne comprend rien du tout ! Je crois donc que le moment est venu pour l'Etat d'affirmer des choix. A vouloir tout faire on ne fait rien de façon convenable, il faut énoncer des choix. Et notamment mettre fin à cette sorte d'ambiguïté qui s'est installée dans les années quatre-vingt, qui voudrait que le ministre de la Culture connaisse tous les projets qui s'imagineraient en France et qu'il intervienne pour tout projet ou pour toute initiative culturelle. Non. L'Etat doit intervenir sur les équipements ou les initiatives qui ont une fonction structurante ou bien pour le pays tout entier - y compris sur la scène internationale - ou bien pour la vie culturelle d'un large territoire. Tout ce qui est strictement local doit relever, à mes yeux, de la compétence assumée des collectivités locales.
Dans le domaine des festivals, lorsque je considère que notre ministère subventionne sur crédits concentrés et déconcentrés près de huit cents festivals, je me dis que nous sommes dans l'erreur. L'Etat ferait mieux de concentrer plus de moyens sur des festivals dont la fonction est vraiment déterminante dans la vie culturelle de notre pays, qui contribuent à son rayonnement, à la prise en charge d'un secteur de la production de l'activité culturelle. Je considère ensuite que d'autres festivals relèvent réellement davantage de la responsabilité des acteurs de la vie culturelle locale. Le Festival de la bande dessinée d'Angoulême est un festival essentiel dans l'Europe entière : il est considéré comme "Le" festival de référence. En me rendant à Angoulême, j'ai pris connaissance du fait que ce festival recevait jusqu'à présent du Ministère de la Culture quelques vingt mille euros, guère plus que beaucoup de festivals n'ayant aucun impact national ou international. Nous nous trompons : ce festival doit être soutenu de manière plus radicale parce qu'il est l'un des grands festivals de notre pays. Même chose en ce qui concerne " Les Folles Journées de Nantes ", parce qu'on a su y inventer un nouveau mode de relation avec le public. Ce festival recevait jusqu'à présent de notre ministère une subvention d'une quinzaine de milliers d'euros. C'est anormal ! Je considère que le festival des Folles Journées de Nantes est un grand festival au même titre que le festival d'Avignon ou que le festival d'Aix. Apprenons donc à faire des choix.
Sachez-le en tout cas, je ferai et j'ai fait des choix, car j'estime que la pire des choses est de vouloir faire plaisir à tout le monde, de disperser les moyens, de "satelliser" les subventions, de ne jamais vouloir faire de la peine à qui que ce soit, et en conséquence, de ne mettre en oeuvre aucune politique culturelle de qualité. La politique désormais doit avoir des priorités et faire des choix.
Elle doit également s'efforcer de clarifier le déploiement territorial des actions de l'Etat. J'ai demandé à mes services de dresser une cartographie culturelle des actions de l'Etat, région par région. Je me rends compte tout d'abord que nous sommes face à une situation de profonde inégalité. Non pas par parti pris, mais parce que nous sommes tributaires de simples phénomènes de sédimentation : dans tel département, par exemple, l'Etat soutiendra quatre scènes nationales, dans tel autre département il ne soutiendra aucun théâtre.
Dans l'Ain, aucune scène n'est soutenue alors qu'il y en a quatre en Seine-Maritime - et j'en suis heureux d'ailleurs pour la Seine-Maritime - à Dieppe, Fécamp, Ticquevilly et au Havre. Comment expliquer au Président du Conseil général de l'Ain et au Maire de Bourg-en-Bresse que l'Etat s'est effacé de ce département ? Nous devons aujourd'hui réaffirmer des normes. Dire que du point de vue de l'Etat, il faut qu'il y ait tel type de structure dans tel type de territoire pour tant d'habitants et que c'est en fonction de ces normes que l'Etat apportera son concours. Il importe donc d'afficher une lisibilité plus grande. C'est à cela que nous travaillons.
J'estime pour ma part que la décentralisation est une formidable occasion pour l'Etat de réaffirmer ses choix, ses priorités, ses missions et donc de réaffirmer sa nécessité. L'Etat est nécessaire. Il est un partenaire des collectivités locales, mais pour être un partenaire réellement efficace, il doit devenir un partenaire lisible.
Voilà ma conviction, ma très profonde conviction. Ce matin, en ouverture de votre colloque, je tenais à vous confier ces quelques impressions, ces quelques sentiments, ces quelques convictions et je vous remercie pour votre attention. Je vous souhaite une très bonne journée et je serai toujours heureux de recevoir vos recommandations, vos suggestions et vos critiques, parce la critique fait du bien !
(source http://www.culture.gouv.fr, le 2 mai 2003)
Monsieur le Président, vous avez évoqué mon agenda chargé. Je tiens tout simplement à vous dire que s'il l'est en effet, c'est parce que j'ai pris le parti de donner beaucoup de temps à la présence sur le territoire. J'étais hier à Evreux, je pars tout à l'heure pour Clermont-Ferrand, la semaine dernière je me suis rendu à Cannes, à Angoulême, Nantes, Ancenis. Au cours des neuf derniers mois, il y a peu de régions où je ne me sois rendu. Je regrette de n'avoir pu aller encore en Franche-Comté, en Nord-Pas-de-Calais, en Basse-Normandie. Ce sont les seules régions où jusqu'à présent je n'ai pas eu l'occasion d'engager une visite systématique et de rencontrer les acteurs de la vie culturelle locale.
Vous le savez également, j'ai pris soin d'engager dans deux régions que j'ai voulu considérer comme des régions pilotes, un stage particulièrement prolongé de réflexion sur la décentralisation. Je m'y suis installé, à chaque fois, pendant cinq jours, avec tout mon cabinet, une bonne partie de l'administration du Ministère de la Culture, tout du moins de l'encadrement de l'administration. Je l'ai fait en Midi-Pyrénées, en Lorraine, j'ai souhaité le faire dans une région au Nord, une région au Sud. Je l'ai fait dans une région marquée par des pans immenses de ruralité avec une ville-centre exerçant une influence radicale, il s'agit de Midi-Pyrénées. Et je l'ai fait par ailleurs dans une région sortant d'une crise, la crise des désindustrialisations, crise qui - hélas - frappe toujours cette région organisée autour de deux grands pôles urbains, Metz et Nancy.
J'ai aussi, par principe, souhaité choisir une ville dont la majorité est à droite et une ville dont la majorité est à gauche, pour bien marquer l'impartialité de l'Etat.
Dans la mise en oeuvre de la réflexion et de l'action sur la décentralisation, il faut bien veiller en effet à ce que l'Etat, et en l'occurrence le Ministère de la Culture, associe à cet exercice l'ensemble de ses interlocuteurs, l'ensemble des élus, mais également l'ensemble des acteurs de la vie culturelle dans les territoires.
Cette présence sur le terrain est pour moi un enjeu tout à fait décisif, car lorsqu'on travaille sur la décentralisation, je crois qu'il faut se garder d'émettre des schémas abstraits conçus dans nos bureaux à Paris. Il faut prendre soin de mesurer sur le terrain la réalité des situations, la réalité des attentes, la réalité des disponibilités. La conclusion en est, fondamentalement, que notre pays est un pays divers, que les réalités y sont diverses. Vous avez, Monsieur le Président, souligné la très grande diversité de l'engagement culturel des collectivités locales. La plus grande partie des compétences culturelles recouvre en effet des compétences dont la loi ne fait pas obligation aux collectivités locales. Mais elles s'en sont emparées volontairement, et l'on remarque qu'il y a des engagements plus ou moins radicaux, plus ou moins marqués, plus ou moins enthousiastes, parfois d'ailleurs aussi plus ou moins compétents.
Toutefois, on voit rarement dans notre pays une collectivité de tel ou tel niveau avoir radicalement - par principe ou par négligence - omis de prendre des initiatives plus ou moins importantes en matière de développement culturel. C'est donc tout d'abord le constat dressé de cette très grande diversité, celui également de la diversité des attentes. Dans certaines régions, j'ai rencontré des élus très volontaires qui revendiquaient la délégation de nouvelles responsabilités. Dans d'autres, j'ai rencontré moins d'enthousiasme et parfois même de la méfiance de la part d'élus craignant que cette délégation ne soit une délégation de charges sans contreparties, d'élus pour qui la décentralisation constituerait en quelque sorte une solution commode pour se délester de charges coûteuses que l'Etat n'aurait plus les moyens ou la volonté d'assumer entièrement ou partiellement.
Une très grande diversité d'attente donc, d'un bout à l'autre de notre pays. Mais j'ai à tout moment rencontré des élus qui m'ont clairement dit que s'ils étaient très disponibles à l'égard d'une prise de responsabilité plus large, ils ne souhaitaient pas pour autant un effacement, un affaiblissement de l'Etat. Ils attendaient que l'Etat continue à jouer en matière culturelle un rôle important, même si c'était un rôle différent de celui qu'il exerce aujourd'hui, ils souhaitaient que les modalités de la mise en oeuvre de l'action de l'Etat soient différentes ou modulées.
Quelles conclusions puis-je tirer de ces neufs mois d'observation et de présence sur le terrain ? Au cours de ces neuf mois, j'ai pris un certain nombre d'initiatives, comme celle par exemple de resserrer les relations entre l'Etat et ses services, entre le Ministère de la Culture et ses services déconcentrés. J'ai été frappé par l'affaiblissement de cette relation, certaines directions régionales se sentant quasiment abandonnées par les services centraux. Il est évident que dans le processus de la décentralisation, les services déconcentrés joueront un rôle important, à la fois dans le processus et dans la gestion des situations nouvelles créées par la décentralisation. Il est donc important que le Ministère de la Culture fasse tout pour resserrer les liens qui unissent l'administration centrale et les services déconcentrés. Nous avons pris le parti, par exemple, de visiter chaque mois une direction régionale, d'y travailler avec le Directeur, d'y travailler avec ses services de façon à avoir également, par ce biais, une vision claire de l'action territoriale de l'Etat. J'ai pris aussi, Bruno Racine le sait, le parti d'inviter l'ensemble des Etablissements publics qui relèvent du Ministère de la Culture à s'engager ou en tout cas, dans un premier temps, à imaginer de quelle façon leur mission territoriale pourrait se déployer de manière renouvelée.
La logique de notre histoire a concentré à Paris un très grand nombre d'Etablissements publics. Notre histoire est ainsi faite, on ne va pas l'abolir : si le Musée national du Louvre, l'Opéra national de Paris, la Comédie-Française comme Théâtre national, le Centre Pompidou, la Bibliothèque nationale de France sont à Paris, c'est que notre histoire s'est ainsi agrégée. C'est également un grand avantage pour notre pays que d'avoir ainsi une ville-capitale avec une telle concentration de grandes institutions. Cela nous assure, face à des villes comme Londres ou Berlin, voire Nord-Américaine comme New York, d'une puissance, d'une capacité tout à fait considérable à affirmer notre rôle culturel. Néanmoins, je sais depuis longtemps que si ces institutions ne prennent pas en compte de façon plus déterminée qu'elles n'appartiennent pas à l'espace parisien - même si elles sont installées à Paris - et qu'elles ont des missions réellement nationales, elles seront en quelque sorte réputées illégitimes par la nation. On le voit bien à chaque débat sur le budget de la culture, que ce soit à l'Assemblée Nationale ou au Sénat : les élus de nos régions, de nos départements éprouvent toujours quelque peine à constater puis à voter des dispositions qui concentrent à Paris ou dans l'espace parisien une bonne partie de la dépense culturelle de l'Etat. L'addition des concours de l'Etat à la Bibliothèque nationale de France, au Louvre, au Centre Pompidou, à l'Opéra national de Paris, à tous les autres, constitue une part importante de la ressource budgétaire de l'Etat. Je crois qu'il ne faut surtout pas sombrer dans la démagogie qui voudrait que l'Etat abandonne ces grandes institutions.
Elles sont les premières expressions du service public de la Nation. Mais l'Etat, le Ministère de la Culture doivent dans le même temps demander à ces établissements de se rendre disponible à la nation tout entière. C'est ce que Bruno Racine a fait en engageant et en concluant des négociations avec le Maire de Metz en vue de la création d'une antenne permanente du Centre Pompidou dans cette ville. C'est ce que j'ai demandé au Président du Louvre : dans quelques mois, nous serons en mesure d'annoncer la création d'antennes permanentes du Louvre dans une, si ce n'est deux villes de France. Et je souhaite naturellement que toutes les institutions nationales prennent part à ce mouvement. Nous aurons ainsi inventé une nouvelle façon de définir ce qu'est la Nation, une nouvelle façon de définir notre perception du territoire.
Vous le savez, j'ai également commandé un certain nombre de rapports sur tel ou tel secteur et sur l'impact de la décentralisation dans tel ou tel domaine de la culture. Je l'ai fait par exemple pour le patrimoine, en confiant à Jean-Pierre Bady une mission dont le sujet était précisément "L'Etat et les collectivités locales dans la mise en oeuvre des politiques publiques du patrimoine". Toute cette information sédimentée, toutes ces réflexions engagées, la prise en compte des demandes ou des propositions des collectivités locales et notamment des régions étant également accomplies, nous voyons à peu près ce que l'intérêt général, ce que la Nation attend de nous.
Je crois qu'il ne faut pas perdre de vue que la décentralisation n'est pas un exercice abstrait, une sorte d'exercice bureaucratique, administrativo-politique. A chaque moment de cet exercice, il nous faut garder à l'esprit l'objet pour lequel nous nous mobilisons. Cet objet, quel est-il ? D'abord, tout simplement, que le développement culturel de notre pays soit mieux assumé, que son patrimoine soit pris en charge de façon plus satisfaisante, que le travail de création artistique puisse se développer sur le territoire de façon plus étendue. Que l'ensemble de nos concitoyens puisse accéder à la culture de façon plus spontanée, plus satisfaisante, plus large. Voilà quel est notre objectif. Qu'aucune considération politique ou administrative ne nous en éloigne ! Il s'agit bien de maintenir cet objectif et je tiens toujours à rappeler, qu'après tout, la politique se définit d'abord en termes d'objectifs et non pas en termes de modalités. Dans notre pays, on s'imagine parfois, quand on parle du service public, que le service public n'est pas l'objet que l'on vise mais la façon de le mettre en oeuvre. Or si la façon de le mettre en oeuvre est une réalité contingente, l'objectif, lui, constitue indéniablement le but que la politique destine à la mobilisation des collectivités publiques.
Voilà notre objectif en matière culturelle : faire en sorte que ce soit mieux encore. Si nous avons su bien faire au cours des dernières décennies, surtout après la guerre - bien que l'engagement culturel des collectivités publiques soit antérieur et remonte même pour certaines d'entre elles à l'Ancien Régime - si nous avons su bien faire, il nous appartient de faire encore mieux.
J'observe d'ailleurs qu'il faut également tirer un bilan des premières lois de décentralisation, lorsqu'elles ont eu un impact sur la vie culturelle. L'Etat a-t-il bien ou mal fait de déléguer aux départements, au début des années quatre-vingt, la responsabilité des Archives départementales et des services centraux de prêt ? Je dis, moi, que l'Etat a bien fait. Dans nos départements, les services d'archives ont, de façon générale, été améliorés dans leur installation, dans leur fonctionnement. Le service de conservation et d'accès aux archives est beaucoup mieux rendu, les archives ont été installées dans des bâtiments plus convenables et plus dignes - j'inaugurais récemment celui du département de la Sarthe. On a vu dans tous les services d'archives des initiatives pédagogiques - destinées notamment aux scolaires - rétablir une relation vive entre la mémoire historique et les jeunes citoyens. L'Etat a-t-il bien ou mal fait ? J'observe que les départements ont pris en charge cette nouvelle compétence avec zèle, enthousiasme et efficacité. C'est un élément qui doit également alimenter notre réflexion.
Aujourd'hui, alors que nous sommes au moment de prendre des engagements concrets, même de façon expérimentale, puisque le Premier Ministre a souhaité que l'expérimentation constitue l'une des données de cette nouvelle vague de décentralisation - et je crois et je sais que c'est une disposition utile parce qu'elle prend justement en compte la très grande diversité des situations et des attentes - aujourd'hui donc, à ce moment très important, que devons-nous faire ?
Je crois tout d'abord qu'il nous appartient à tous, voyant bien que le thème de la décentralisation suscite des inquiétudes, de mobiliser nos efforts, de mobiliser notre conviction pour permettre à chacun de surmonter ses inquiétudes, ses appréhensions. Quelles sont ces appréhensions ? Elles émanent souvent des acteurs de la vie culturelle en régions, artistes, créateurs dans le domaine du théâtre, de la musique, de la danse, des arts plastique. Ces appréhensions sont alimentées par la crainte que les collectivités locales, si elles prenaient une responsabilité plus large, auraient moins de discernement, moins de neutralité, moins d'objectivité, moins d'enthousiasme, moins de convictions que les services de l'Etat pour promouvoir ces activités. Dans de nombreux endroits, dans de nombreuses régions, un directeur de Centre d'art pense que, même si une toute petite partie de ses moyens financiers provient de l'Etat, seul celui-ci pourra lui garantir une certaine indépendance de son activité et que seul il s'y intéressera réellement. Cette crainte doit être surmontée. Parce que partout, dans tous les territoires de notre pays, je vois des élus convaincus, compétents, déterminés à poursuivre la mise en oeuvre d'actions culturelles en faveur de la création.
D'autre part je vois aussi, notamment dans tous les services de l'Etat, la crainte qu'à travers la décentralisation, ce soit l'Etat qui abandonne ses prérogatives, ses missions et ses personnels. Je crois que là aussi, il faut indiquer à chacun qu'il n'en est rien. A quoi en effet la décentralisation de ce début du vingt-et-unième siècle nous invite-t-elle? Elle nous invite à repenser pour demain le "tricotage" de l'action de l'Etat et de l'action des collectivités locales en vue d'un meilleur développement culturel de notre pays. Elle nous invite à consacrer le fait que l'Etat et les collectivités locales prennent une part importante à ce développement culturel, et qu'il leur appartient aujourd'hui de mieux définir le périmètre de l'action de chacun, de mieux définir les modalités selon lesquelles se rencontrent la responsabilité de l'Etat et la responsabilité des collectivités locales. Elle nous invite également à mieux discerner, à chaque étape de la mise en oeuvre de la vie culturelle, quelle est la collectivité publique la mieux placée pour exercer à l'égard de telle ou telle activité une responsabilité de première ligne : tantôt l'Etat, tantôt la collectivité locale. Sur cette question de la "première ligne", d'ailleurs, il nous restera à traiter le délicat problème de la distinction des différents degrés de collectivités locales : quelle est la collectivité locale la mieux disposée à exercer tel ou type de responsabilité ? Est-ce la commune, la communauté de communes, le département, la région?
On observe souvent, de ce point de vue, des tensions en régions. Dans le domaine du patrimoine, on voit parfois le département ou les départements et la région se disputer des prérogatives ou la possibilité de prendre en charge telle ou telle responsabilité : c'est le cas par exemple en Alsace où, entre la région Alsace et les deux départements qui la constituent, une véritable tension s'est fait jour sur la question de savoir qui pourrait, de la façon la plus judicieuse, devenir le relais de l'Etat dans la mise en oeuvre des politiques du patrimoine. Mais ces questions doivent être désamorcées après que l'on aura désamorcé les préventions, les rumeurs, les alarmes. C'est réellement vers un mouvement positif que nous nous dirigeons.
Que reste-t-il alors de l'Etat dans cette perspective ? A tous ceux qui pensent que l'Etat est en train de se saborder, de brader ses missions, de se dissoudre, j'aimerais réponde que nulle part en France on ne réclame sa disparition. Peut-être est-ce parce que dans l'histoire de notre pays s'est progressivement constituée une coïncidence très forte entre la Nation et l'Etat ? Nous sommes tributaires de cette tradition historique, elle a très profondément armé notre pensée politique, et donc nulle part on ne réclame la fin de l'Etat. Je tiens d'ailleurs à vous dire que je ne serai jamais aux côtés de ceux qui demanderaient l'extinction progressive de l'Etat, et ce n'est pas simplement parce que je suis ministre, mais parce que je suis très profondément attaché à l'action de l'Etat. Pourquoi suis-je attaché à l'action de l'Etat ? Parce que, je le sais, de toutes les collectivités publiques, c'est l'Etat qui est en charge de l'égalité des citoyens et des territoires. Je crois que l'une des mission réaffirmées de l'Etat dans ce processus de la décentralisation, c'est précisément de veiller à la mise en oeuvre sur l'ensemble du territoire de dispositifs qui assureront à nos concitoyens des conditions d'égalité.
Une égalité dont je suis bien conscient qu'elle a des limites techniques : certaines villes ont un théâtre, d'autres n'en auront jamais car la mise en oeuvre d'une activité théâtrale requiert une masse critique de population. Toutefois, au-delà de ces contraintes techniques, le service public culturel s'exprime de bien d'autres façons et l'Etat, en tout cas, doit veiller à promouvoir l'égalité.
Je crois également que l'Etat, dans ce dispositif, doit promouvoir des normes, s'agissant par exemple de la protection des monuments historiques. Dans la réflexion sur la décentralisation, nulle part je n'ai rencontré la demande que l'Etat cesserait d'être éminemment compétent en matière de protection des monuments historiques : classement, inscription. Même si, ici ou là, je vois certains élus s'intéresser à certaines formules de tiers-protection. Pourquoi pas ? L'Etat est garant des normes de protection du patrimoine.
Nulle part je ne vois contester la capacité ou même la nécessité pour l'Etat de définir les normes en matière d'éducation artistique : le cursus des études, la qualification des enseignants et des chefs d'établissements, la reconnaissance des diplômes. Parce que nos concitoyens veulent que de Lorient à Sélestat, de Béthune à Perpignan, l'éducation artistique se déroule dans la variété des projets pédagogiques possibles à l'intérieur d'un cadre qui assure, d'une part, la condition d'une réelle mobilité d'un point à l'autre du territoire, et d'autre part, l'homogénéité de la qualité des diplômes délivrés. L'Etat reste donc l'instance qui définit les normes.
Je n'oublie pas non plus par ailleurs que la collectivité nationale attend toujours de l'Etat, non seulement qu'il mette en oeuvre lui-même une politique culturelle, mais également que cette politique culturelle propre à l'Etat soit une politique nationale. Pour que cette politique nationale soit légitime, elle doit aujourd'hui tendre vers plus de clarté, vers plus de lisibilité.
Au cours de cinquante ans de politique culturelle, surtout depuis 1959 et l'instauration d'un Ministère de la Culture, l'Etat a sédimenté beaucoup d'initiatives, de réseaux, de labels Et, arrivant rue de Valois, je me rendu compte que si l'on me posait la question : "Quelle est la politique culturelle de l'Etat ?", j'étais incapable d'y répondre. Tout simplement parce que celle-ci était faite d'une accumulation d'initiatives à laquelle plus personne ne comprend rien du tout ! Je crois donc que le moment est venu pour l'Etat d'affirmer des choix. A vouloir tout faire on ne fait rien de façon convenable, il faut énoncer des choix. Et notamment mettre fin à cette sorte d'ambiguïté qui s'est installée dans les années quatre-vingt, qui voudrait que le ministre de la Culture connaisse tous les projets qui s'imagineraient en France et qu'il intervienne pour tout projet ou pour toute initiative culturelle. Non. L'Etat doit intervenir sur les équipements ou les initiatives qui ont une fonction structurante ou bien pour le pays tout entier - y compris sur la scène internationale - ou bien pour la vie culturelle d'un large territoire. Tout ce qui est strictement local doit relever, à mes yeux, de la compétence assumée des collectivités locales.
Dans le domaine des festivals, lorsque je considère que notre ministère subventionne sur crédits concentrés et déconcentrés près de huit cents festivals, je me dis que nous sommes dans l'erreur. L'Etat ferait mieux de concentrer plus de moyens sur des festivals dont la fonction est vraiment déterminante dans la vie culturelle de notre pays, qui contribuent à son rayonnement, à la prise en charge d'un secteur de la production de l'activité culturelle. Je considère ensuite que d'autres festivals relèvent réellement davantage de la responsabilité des acteurs de la vie culturelle locale. Le Festival de la bande dessinée d'Angoulême est un festival essentiel dans l'Europe entière : il est considéré comme "Le" festival de référence. En me rendant à Angoulême, j'ai pris connaissance du fait que ce festival recevait jusqu'à présent du Ministère de la Culture quelques vingt mille euros, guère plus que beaucoup de festivals n'ayant aucun impact national ou international. Nous nous trompons : ce festival doit être soutenu de manière plus radicale parce qu'il est l'un des grands festivals de notre pays. Même chose en ce qui concerne " Les Folles Journées de Nantes ", parce qu'on a su y inventer un nouveau mode de relation avec le public. Ce festival recevait jusqu'à présent de notre ministère une subvention d'une quinzaine de milliers d'euros. C'est anormal ! Je considère que le festival des Folles Journées de Nantes est un grand festival au même titre que le festival d'Avignon ou que le festival d'Aix. Apprenons donc à faire des choix.
Sachez-le en tout cas, je ferai et j'ai fait des choix, car j'estime que la pire des choses est de vouloir faire plaisir à tout le monde, de disperser les moyens, de "satelliser" les subventions, de ne jamais vouloir faire de la peine à qui que ce soit, et en conséquence, de ne mettre en oeuvre aucune politique culturelle de qualité. La politique désormais doit avoir des priorités et faire des choix.
Elle doit également s'efforcer de clarifier le déploiement territorial des actions de l'Etat. J'ai demandé à mes services de dresser une cartographie culturelle des actions de l'Etat, région par région. Je me rends compte tout d'abord que nous sommes face à une situation de profonde inégalité. Non pas par parti pris, mais parce que nous sommes tributaires de simples phénomènes de sédimentation : dans tel département, par exemple, l'Etat soutiendra quatre scènes nationales, dans tel autre département il ne soutiendra aucun théâtre.
Dans l'Ain, aucune scène n'est soutenue alors qu'il y en a quatre en Seine-Maritime - et j'en suis heureux d'ailleurs pour la Seine-Maritime - à Dieppe, Fécamp, Ticquevilly et au Havre. Comment expliquer au Président du Conseil général de l'Ain et au Maire de Bourg-en-Bresse que l'Etat s'est effacé de ce département ? Nous devons aujourd'hui réaffirmer des normes. Dire que du point de vue de l'Etat, il faut qu'il y ait tel type de structure dans tel type de territoire pour tant d'habitants et que c'est en fonction de ces normes que l'Etat apportera son concours. Il importe donc d'afficher une lisibilité plus grande. C'est à cela que nous travaillons.
J'estime pour ma part que la décentralisation est une formidable occasion pour l'Etat de réaffirmer ses choix, ses priorités, ses missions et donc de réaffirmer sa nécessité. L'Etat est nécessaire. Il est un partenaire des collectivités locales, mais pour être un partenaire réellement efficace, il doit devenir un partenaire lisible.
Voilà ma conviction, ma très profonde conviction. Ce matin, en ouverture de votre colloque, je tenais à vous confier ces quelques impressions, ces quelques sentiments, ces quelques convictions et je vous remercie pour votre attention. Je vous souhaite une très bonne journée et je serai toujours heureux de recevoir vos recommandations, vos suggestions et vos critiques, parce la critique fait du bien !
(source http://www.culture.gouv.fr, le 2 mai 2003)