Interview de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, à RMC le 19 mars 2003, sur la décentralisation dans l'enseignement, le plan anti-violence dans les établissements scolaires et la violence sexuelle dirigée contre les filles.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin - Vous avez suivi évidemment les manifestations d'hier dans l'enseignement scolaire. Les syndicats se plaignent d'une "absence totale de dialogue social, de reniement des promesses, de passage en force, de mépris absolu des personnels traités comme quantité négligeable, de décisions couperets assénées sans préavis, aussi bien sur la décentralisation que la pénurie budgétaire ou la création du nouveau corps d'assistants d'éducation." Cela fait beaucoup...
- "Cela fait beaucoup. Il faut toujours être prudent : dans ce vocabulaire syndical, il y a toujours un vocabulaire assez ferme, assez guerrier, il y a une dramatisation évidemment ; chacun est dans son rôle. Il y a trois sujets d'inquiétude, si je comprends bien. La première, c'est qu'en gros, les syndicats ont le sentiment que nous manquons d'objectifs, que nous manquons de grandes options et qu'on ne discute pas avec eux. On peut leur en donner acte : nous n'avons pas su, dans la période qui vient de passer, trouver avec eux un pilotage par objectif de l'éducation nationale."
Qu'allez-vous changer ?
- "Je crois qu'il faudrait que nous rouvrions un vrai dialogue à partir de quelques objectifs clairs : sur la violence, sur la santé, sur la condition d'enseignement."
Que leur proposez-vous ce matin ?
- "Ce n'est pas à moi de leur proposer seul des choses, mais je souhaite en tous les cas que dès la semaine prochaine ou dans les dix jours qui viennent, que nous retrouvions un vrai dialogue sur des objectifs et pas seulement sur des moyens."
De nouvelles rencontres ?
- "De nouvelles rencontres, et puis parlons du fond un petit peu... On parle trop des postes, des choses comme ça."
Les postes, c'est le fond aussi, le nombre de surveillants dans une école, c'est le fond !
- "Oui. Comme ils le savent, il n'y a pas autant [de réduction] qu'on le laisse entendre, il n'y a pas de réduction d'effectifs. Je pense en particulier aux enseignants ; nous allons recruter l'an prochain plus d'enseignants du second degré que nous n'en faisons partir à la retraite. 16.100 partent à la retraite, on en recrute 18.000 ; il ne faut quand même pas considérer qu'il y a pénurie. Et puis, sur la décentralisation, ils trouvent qu'on les met un peu devant le couperet. Là, vraiment, je ne suis pas d'accord parce que 55.000 personnes ont été consultées au cours des Assises des Libertés locales, qui ont préparé la décentralisation. Voilà six-sept mois que le Gouvernement circule sur l'ensemble du territoire pour discuter avec les collectivités, avec tous les partenaires, pour essayer de montrer une nouvelle possibilité de décentralisation. On ne peut pas dire que du jour au lendemain, à moins que les syndicats ne lisent pas les journaux et ne participent pas aux réunions en province, on les met au pied du mur."
Sont touchés 110.000 ouvriers et techniciens de l'Education nationale, 2.500 assistantes sociales et 1.200 médecins scolaires, ainsi que quelques milliers de conseillers d'orientation qui seront transférés aux régions. Ils perdront le statut de la fonction publique d'Etat ?
- "Non, ils ne le perdront pas, ils peuvent choisir. Il faut justement rassurer les personnels. En ce qui concerne les personnels ouvriers et de service, ils vont vers les régions ; les personnels de santé vont vers les départements. Mais ils ne perdent pas leur statut du tout, justement ! Tout l'intérêt du dispositif - il faut rassurer les personnels qui le craindraient -, [c'est] s'ils veulent garder leur statut d'Etat et être détachés auprès des collectivités locales, ils le peuvent, donc ils ne changeront rien en ce qui concerne leur statut actuel. S'ils préfèrent - et à mon avis, ils y ont intérêt, parce que je connais bien la fonction publique territoriale - devenir fonctionnaires territoriaux, ils le pourront aussi bien. Donc, ils ne doivent avoir pour l'instant aucune inquiétude concernant leur carrière à proprement parler, leur salaire, leur retraite."
Sous quelle autorité seront-ils placés ?
- "En ce qui concerne les missions de service public, ils seront placés sous l'autorité des chefs d'établissement comme c'était le cas, de ceux qui pilotent le système éducatif. Et en ce qui concerne la gestion de leur carrière, éventuellement, s'ils le choisissent, ils seront placés sous l'autorité des collectivités. La mission de service public ne s'interrompt pas, que ce soit bien clair ! Ils ne vont pas devenir des sortes d'ouvriers qui dépendraient d'un président élu ; ce n'est pas leur mission. Ils resteront dans les missions du service public."
Je voudrais revenir maintenant à la violence. Votre plan anti-violence, annoncé en octobre, met du temps à porter ses fruits apparemment, non ?
- "Je connais et je reconnais la grande difficulté au quotidien, pour beaucoup d'enseignants, d'assurer leur mission dans les établissements difficiles. Cependant, je ne peux pas laisser dire que le plan anti-violence que nous avons mis en place ne porte pas se fruits. Ou alors, c'est qu'on nous ment... Puisque nous avons des systèmes extrêmement sophistiqués pour savoir le nombre d'incidents, où ils se passent, quand, et pour l'instant, nous avons une légère décélération de ces chiffres."
Moins d'incidents depuis la rentrée ?
- "Tout à fait. Nous avons une décélération très sensible, à peu près de 10 à 15 % d'incidents signalés selon les niveaux ; jusqu'à 15 % dans les lycées professionnels. Mais cependant, évidemment, vous avez raison de le signaler... Il se passe tous les jours des choses tellement incroyables, il y a toujours des événements si brutaux et si stupéfiants qu'on a l'impression qu'il se passe toujours des choses épouvantables. Il y a ici et là des événements inadmissibles qui mettent nos professeurs dans des situations épouvantables, mais fondamentalement, on ne peut pas dire que la violence augmente. Il y a simplement des incidents de plus en plus choquants, et souvent l'arbre cache la forêt, l'émotion est très grande, et on ne voit plus que cela."
Par exemple, la drogue à l'école : l'an dernier, dans le système scolaire, 740 dealers ont été arrêtés. Que faut-il faire ?
- "Il faut continuer la chasse aux dealers. Il faut d'abord dire que toutes les drogues sont néfastes ; il n'y a pas de drogue douce, il ne faut pas entrer dans cette espèce de discours sur la dépénalisation du cannabis qu'on avait entendu dans le Gouvernement précédent - même des ministres socialistes le disaient - ; nous ne sommes pas du tout dans cette optique. Il faut considérer que le cannabis, comme tout le reste, est un ennemi. Il faut donc évidemment organiser un plan de lutte..."
...Mais concrètement, dans les établissements scolaires ?
- "Concrètement, dans les établissements scolaires, nous sommes en train de mettre en place un système de signalisation, de sanction rapide, de remise immédiate de tous les dealers à la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse. Et puis surtout, tout ceci doit s'inscrire - la drogue n'est qu'un des symptômes - dans une reconquête de l'autorité républicaine dans les établissements. C'est vrai pour la violence, c'est vrai pour la santé, c'est vrai pour toutes les déviances que vous signalez. Il s'agit de faire en sorte, autant que nous pouvons - nous essayons -, que les établissements scolaires redeviennent les territoires reconquis de la République."
Qu'allez-vous faire pour lutter contre la violence sexuelle ? 1.400 actes de violence sexuelle dans les établissements scolaires l'année dernière.
- "Nous sommes dans les même dispositifs que ceux que je viens de vous dire. Tout cela va ensemble. On ne va pas simplement courir après un type de violence... Cependant, comme en effet, il y a de plus en plus de signalements à cet égard, nous avons décidé de prendre deux académies pilotes, qui sont l'académie de Caen et de Rouen. Une équipe avec les recteurs, les médiatrices, les représentantes de la mission Egalité à l'Education nationale, les déléguées régionales aux droits des femmes : tout ce petit monde va travailler ensemble. Nous allons donner deux ans pour travailler sur ce sujet dans ces académies, et on va expérimenter, faire faire un laboratoire de solutions pour ensuite les généraliser."
Concrètement, qu'allez-vous faire ?
- "Peut-être meilleure orientation, surveillance plus systématique de la mixité."
La mixité, vous la remettez en cause ou pas ?
- "Pas du tout. Ce que nous savons simplement, c'est que beaucoup de filles réussiraient plutôt mieux que les garçons, et elles se plaignent que la culture scolaire des garçons est une culture très ironique, très retournée contre l'école, et que du coup, certaines d'entre elles, qui pourraient faire une très belle carrière scolaire, sont empêchées parce qu'elles sont dans des classes mixtes. Evidemment, nous n'allons pas supprimer la mixité. Je constate simplement que des filles disent qu'elles préféreraient des classes non-mixtes à des classes mixtes. Je le constate, mais je n'en tire pour l'instant aucune conclusion."

Les problèmes d'orientation aussi : on a l'impression qu'on dirige les filles toujours vers les mêmes métiers, et les garçons de la même façon...
- "Il est clair en tous les cas qu'il faut que les filles prennent conscience qu'elles peuvent aller dans toutes les directions, en particulier dans les filières scientifiques, les filières technologiques."
Pourquoi ces blocages ?
- "Ce sont des blocages qui ont un caractère sociologique très ancien. L'école n'y est pour rien, dans une certaine mesure. Elle peut lutter mais ce n'est pas elle qui crée ces mentalités."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 mars 2003)