Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la préparation des collectivités locales au passage à l'euro et l'institution de la coopération européenne au sein du Conseil de l'euro, Strasbourg le 12 mai 1998.

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Circonstance : Journée sur l'euro organisée par l'Association des maires de France (AMF) à Strasbourg le 12 mai 1998

Texte intégral

Monsieur le Président de la Commission européenne,
Monsieur le Président de l'Association des maires de grandes villes de France,
Monsieur le Maire de Strasbourg,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord exprimer mes plus vifs remerciements à Michel Delebarre, qui m'a amicalement convié à clore la manifestation organisée aujourd'hui à Strasbourg par l'Association des maires de grandes villes de France.
Vous avez débattu depuis ce matin de l'euro et de ses conséquences pour les collectivités locales. Vos débats ont été très riches, j'en suis certain, et aussi très concrets si j'en juge par la lecture du programme détaillé de votre manifestation. C'est, incontestablement, un bon signe après la réunion de Bruxelles du 2 mai dernier.
Car il est clair que les débats un peu théoriques sur l'euro - "faut-il le faire?", "faut-il ne pas le faire ?" - sont derrière nous. Nous savons qu'il sera là le 1er janvier prochain, et nous savons comment il va être géré techniquement. La Banque centrale européenne va s'installer dans quelques semaines, avec un directoire qui va prendre sereinement la mesure de ses responsabilités après les péripéties du Sommet de Bruxelles, un peu artificiellement gonflées par les médias, il faut bien le dire. Nous connaissons les taux qui serviront à fixer les parités bilatérales avec l'euro, et l'on pourrait presque fermer dès aujourd'hui les marchés des changes entre monnaies européennes.
Pour autant, les débats sur l'euro ne sont pas clos, et votre manifestation en porte témoignage. Simplement, nous allons basculer dans un autre type de débats, beaucoup plus pratiques, tournant autour du "comment faire l'euro ?", et l'on pourrait même dire du "comment bien faire l'euro ?".
Cette question se pose à nous, responsables gouvernementaux, et elle se pose aussi à vous, gestionnaires locaux.
Pour nous, responsables gouvernementaux, le problème se pose en termes finalement assez simples, même si la réalisation est un peu complexe.
Nous avions clairement expliqué aux Français, il y a un an, ce que nous voulions faire. Quand je dis nous, chacun l'aura compris, il s'agit du principal parti de la majorité. Mais, à titre personnel, dès lors que la décision historique de faire l'euro a été confirmée, je n'ai pas beaucoup de doutes que les discussions - toujours amicales - que nous pouvons avoir avec nos amis du Mouvement des citoyens ou du Parti communiste seront, d'une certaine manière, plus faciles sur ces sujets. Car, en réalité, on sait assez bien ce qu'il faut faire pour que l'euro soit bien accepté par nos concitoyens.
Il faut principalement deux choses qui nous ramènent au fondement même de la démocratie.
Il faut qu'il soit géré pour les hommes et les femmes, pour les salariés, pour les travailleurs de ce pays, car l'économie doit être au service des gens. Il faut donc aussi que l'euro soit mis au service de la croissance et de l'emploi en Europe. Nous avons posé de premières pierres sur ce chemin dont l'Europe s'était écartée depuis de trop longues années. Nous avons obtenu la résolution sur la croissance et l'emploi au Conseil européen d'Amsterdam, qui affirme la place primordiale de ces priorités pour l'Union. Nous avons obtenu également un Conseil européen extraordinaire entièrement consacré à l'emploi, qui a produit des résultats très positifs à mon sens, en dégageant une perspective commune, une certaine forme de convergence sur l'emploi en Europe. J'ajoute qu'il ne s'agira pas d'un coup d'épée dans l'eau, puisque nous nous réunirons à nouveau chaque année pour évaluer les résultats obtenus et améliorer notre méthode commune pour l'avenir. Beaucoup reste à faire, chacun en a conscience, mais il demeure que nous disposons désormais d'un cadre pour agir: des lignes directrices communes pour l'emploi, ce qui est absolument essentiel pour progresser dans la voie d'un rééquilibrage de l'Union économique et monétaire dans le sens de la croissance et de l'emploi.
Il faut donc que l'euro soit géré pour les hommes.
Il faut aussi qu'il soit maîtrisé par les hommes, en particulier par ceux qui sont investis d'un mandat de la nation et sont donc amenés à rendre des comptes aux Français. C'est pourquoi nous avons milité inlassablement depuis un an en faveur d'un "pôle" économique qui incarne concrètement cette volonté d'une gestion coordonnée de la zone euro par des gouvernements responsables. Le Conseil de l'euro, qui réunira les ministres de l'Economie des Onze, aura donc cette responsabilité essentielle de discuter des meilleures orientations de politique économique dans la zone euro. Il sera l'interlocuteur politique de la Banque centrale européenne.
Certains ont prétendu que le Conseil de l'euro n'était pas né dans les meilleures conditions. Il est un organe informel de l'Union, c'est vrai, puisque le Traité n'avait pas prévu l'hypothèse d'un euro ne couvrant qu'une partie des Quinze et, donc, faisait implicitement du Conseil Ecofin le lieu naturel de la coordination. Il sera présidé par les Autrichiens en juin, puisque les Anglais, qui exercent actuellement la présidence de l'Union, en sont empêchés du fait de leur absence du premier train de l'euro. Enfin, sur le fond, il est vraisemblable que chacun n'aura pas forcément la même conception des compétences du Conseil de l'euro.
Mais, personnellement, je suis résolument optimiste.
Je suis optimiste parce que, d'une certaine façon, la fonction crée l'organe. Et le besoin de coordination des politiques économiques en Europe se fera très rapidement sentir. Il y aura donc une pression des opinions pour que cette coordination s'opère dans de bonnes conditions. Dans de bonnes conditions, cela veut dire sur la base d'échanges de vues approfondis entre les responsables politiques.
Je suis optimiste aussi parce que l'euro va constituer pour l'Europe un choc fédérateur, dont le Conseil de l'euro sera la manifestation la plus visible. Le Conseil de l'euro préfigure assez largement les coopérations renforcées prévues par le Traité d'Amsterdam, et qui permettent d'avancer dans le processus d'intégration à plusieurs sans qu'un seul, deux ou trois Etats ne bloquent le processus pour des raisons liées à leur positionnement singulier sur telle ou telle politique commune. Je crois qu'on a là l'une des clés du développement futur de l'Union européenne.
Il faut que l'Europe avance.
Il faut qu'elle avance parce que, à défaut, la Banque centrale européenne, nouvelle institution fédérale de l'Europe, occupera un espace plus grand que celui qui doit être le sien.
Il faut qu'elle avance aussi parce que nous sommes engagés dans un processus d'élargissement, qui vise à réunifier notre continent, dix ans après la chute du mur de Berlin, et nous ne pouvons pas continuer à vivre dans une Europe à 22 ou 23 avec le fonctionnement actuel des institutions européennes, conçu pour 6 ou 9 à l'origine.
Ma conviction est que les coopérations renforcées constituent une voie d'avenir. Elles permettent d'aller vers une intégration renforcée dans tel ou tel domaine entre ceux qui le veulent, et le peuvent.
Je voudrais insister, pour finir, sur un autre point.
La réussite de l'euro dépend des responsables gouvernementaux, c'est bien évident.
Mais elle dépend aussi de la mobilisation de l'ensemble des acteurs économiques.
Chacun se représente assez bien que l'euro va constituer un changement majeur dans les habitudes des Français. Il est donc essentiel que chacun soit mobilisé afin que ce processus d'appropriation collective de l'euro se déroule dans les meilleures conditions. Nous avons un peu de temps pour cela puisque les pièces et les billets ne seront mis en circulation qu'en l'an 2002, comme vous le savez. Quatre ans, je crois que c'est une bonne durée pour que l'euro puisse entrer définitivement dans les moeurs. Mais il ne faut pas se leurrer non plus. Ce processus d'appropriation ne relèvera pas de la "génération spontanée". Il doit être encouragé, accompagné, organisé. Et vous avez, vous, maires de grandes villes, une responsabilité particulière à cet égard.
Je sais que vous êtes déjà largement associés à la grande campagne d'information lancée à l'initiative du ministre de l'Economie et de moi-même en novembre dernier. Vous êtes donc à même de mesurer l'ampleur de la demande d'information de nos concitoyens, qui se tournent assez naturellement vers les pouvoirs publics, que ce soit l'Etat avec le réseau comptable du Trésor fortement mobilisé comme il se doit, mais aussi naturellement les collectivités locales. Cet effort devra encore s'amplifier dans les mois qui viennent. C'est indispensable.
Mais le rôle des grandes villes dans cette "pédagogie" de l'euro doit aller plus loin. Les villes sont presque toujours un acteur majeur de l'économie locale. Elles sont fréquemment le premier employeur local, elles passent des marchés, elles contractent avec de très nombreuses entreprises régionales. Le rôle structurant des grandes villes est a fortiori encore plus fort, bien évidemment. C'est donc sur elles que va reposer au premier chef cette pédagogie de l'euro.
Le basculement de leur opérations en euro aura un impact majeur sur les populations à un double titre :
Par un effet de diffusion tout d'abord, car chacun est en contact ou a des relations d'argent avec les mairies, ne serait-ce que pour l'acquittement de diverses taxes ou de droits indirects.
Mais aussi par un effet de confiance, car je crois que chacun sera intimement convaincu qu'avoir des euros ou des francs, c'est en définitive la même chose, dès lors que les administrations, qu'elles soient d'Etat ou locales, le manifesteront très concrètement dans les rapports quotidiens qu'elles entretiennent avec chacun d'entre nous.
Je sais aussi que tout cela représente un effort d'adaptation important pour tous les gestionnaires locaux. Je ne doute pas qu'il sera accompli avec le professionnalisme qui caractérise généralement les grandes villes.
La difficulté est double.
Il faut que les villes utilisent au mieux cette période transitoire de quatre ans pour être en mesure d'assumer une gestion complète en euro en 2002.
Mais il faut aussi qu'elles veillent à ne pas se lancer dans des programmes trop lourds d'adaptation spécifique aux besoins d'une période intermédiaire d'assez courte durée.
Il y a là un petit calcul d'optimisation à réaliser pour éviter toute déconvenue. En tous cas, je crois que la meilleure préparation consiste à engager dès maintenant des actions d'adaptation, tout en gardant en permanence à l'esprit la configuration future des systèmes d'information dans la période définitive de l'après 2002.
J'ajoute que le plan de basculement a été largement conçu pour les collectivités locales en fonction de cet impératif.
La simplicité prévaut pour l'établissement des budgets, puisque ceux-ci seront établis et votés en francs jusqu'en 2001 inclus, puis en euro à compter de l'exercice 2002. Par conséquent, la gestion budgétaire ne sera pas affectée par cette période transitoire.
En revanche, le principe du "ni-ni" - "ni obligation, ni interdiction" - s'appliquera largement aux opérations de gestion des collectivités locales. Les comptables du Trésor pourront accepter des paiements et effectuer des règlements en euro pour le compte des collectivités locales. La période transitoire relèvera donc largement d'une co-responsabilité des collectivités locales et de leurs comptables du Trésor. Ce rôle d'appui du Trésor public est tout à fait naturel, compte tenu de notre tradition administrative. Mais il ne faudrait pas non plus que le zèle de nos agents comptables - qualité qui leur est généralement reconnue en France et même à l'étranger -, amène les villes à s'en remettre complètement à eux. A l'évidence, il y aura un équilibre à trouver entre un principe d'économies de moyens et un principe de préparation du futur. Celui-ci devra s'établir dans les mois prochains.
La prospérité économique de nos villes, de nos régions, dépendra aussi de la qualité de cette action spécifique qui, j'en conviens aisément, n'est pas anodine.
En même temps, et fort heureusement, on ne change pas de monnaie tous les jours. Pour ma part, je me contenterai donc de formuler en conclusion un voeu - et pourquoi pas un pronostic -, qui est de voir l'euro bénéficier d'une longévité et d'une stabilité au moins aussi remarquables que celles dont a pu bénéficier jadis notre vieux franc germinal, né dans des conditions bien difficiles mais dont la popularité ne s'est jamais démentie dans nos villes et nos campagnes durant plus d'un siècle./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)