Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur l'accès à la citoyenneté des jeunes issus de l'immigration, la pratique de l'Islam, l'intercommunalité, la modernisation de la vie politique et la mise en place de la police de proximité, Paris le 12 janvier 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation des voeux à la presse, à Paris le 12 janvier 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les journalistes,
Je suis heureux de vous recevoir, ici, pour vous présenter mes meilleurs vux, pour la troisième année consécutive.
Il m'a semblé tout indiqué, après trente-deux mois place Beauvau, de placer notre rencontre d'aujourd'hui sous le signe de la valeur du temps, lorsqu'il est en fait usage à bon escient.
1) L'an dernier, je vous présentais comme un objectif majeur l'accès des jeunes issus de l'immigration à une pleine citoyenneté.
Une circulaire du 18 janvier 1999 créait les commissions départementales d'accès à la citoyenneté (CODAC). Elles étaient toutes installées début avril. Beaucoup de propositions très diverses ont été faites (dispositifs d'aide aux élèves, préparations spéciales aux cours, par exemple dans la police, parrainage en matière d'emploi, formation des employés chargés de l'accueil dans les discothèques, intensification de la lutte contre l'absentéisme scolaire, meilleur usage des outils de la politique du logement, etc.). Plus de 300 cas de discriminations ont été signalés et traités, un tiers ayant trait à l'emploi, un autre tiers aux loisirs. Un certain nombre de ces cas ont été transmis au parquet. Un contexte de concertation s'est instauré avec de nombreux exploitants de discothèques, lieux fréquents de frictions.
Cette déjà riche expérience sera mise à profit, à l'occasion des Assises nationales de la citoyenneté qui se tiendront le 18 mars prochain, à la Grande Arche de la Défense, à l'initiative du Premier ministre. Celui-ci a décidé que le thème de l'accès à la citoyenneté serait assumé par le gouvernement tout entier. On doit attendre de ces Assises qu'elles se traduisent par des projets pensés sur l'accès à l'emploi dans les services publics et le secteur privé, où le ministère de l'intérieur entend bien être une référence, par le renouveau d'un élitisme vraiment républicain au sein de l'Education Nationale. Il faut faire fond sur les qualités de ces centaines de milliers de jeunes nés des dernières vagues de l'immigration pour qu'ils prennent toute leur place dans la France de demain.
La politique d'accès à la citoyenneté concerne des jeunes qui sont des Français depuis une, voire deux ou trois générations. La question de l'immigration est une tout autre question puisqu'elle touche les primo-arrivants. La France en a accueilli 115.000 en 1998. Les sages mesures prises en 1997 et 1998, le consensus sur l'application de la loi Réséda, ne sont pas pour rien dans le dépassement d'un débat démagogique alimenté par les surenchères électoralistes ou médiatiques des tenants du catastrophisme ou de l'angélisme. Je signale, d'ailleurs, que les principes qui fondent la loi Réséda (résumés par le triptyque : codéveloppement, maîtrise des flux, intégration des immigrés réguliers) ont inspiré les positions adoptées par le Conseil européen de Tempere, en octobre, concernant les politiques d'asile et d'immigration, sur la base d'un mémorandum commun franco-allemand. Ce résultat marque l'efficacité d'un bon usage des institutions européennes à partir de la volonté des Etats.
La tradition d'accueil qui est, depuis toujours, celle de la France, doit être maintenue. Un problème me soucie, à cet égard, au plus haut point : celui de la diminution du nombre des étudiants étrangers en France. Vous savez que l'avis du ministère de l'intérieur est requis, sur chaque demande, pour l'attribution des visas, compétence du ministère des affaires étrangères. Le nombre de titres a baissé de 14,5 % en 1998, affectant notamment la zone francophone. Je sais que Claude Allègre se préoccupe de cette situation. Ses efforts pour inverser la tendance trouveront le meilleur écho dans cette maison. Il est difficile d'imaginer que la France, alors même que le nombre global des étudiants se stabilise, ne puisse pas accueillir au moins deux fois plus de jeunes gens de pays étrangers, qui souhaiteraient s'instruire chez nous pour réinvestir, une fois retournés dans leur pays, les connaissances et les capacités acquises en France. Car l'éducation est le meilleur investissement à long terme que nous puissions faire pour les pays du Sud. Le ministère de l'Intérieur, dans ses avis, se montrera très ouvert à une telle perspective accordée aux choix de notre politique de co-développement.
2) L'an dernier, je m'interrogeais à haute voix, devant vous, sur les moyens de faire en sorte qu'un Islam de France soit "admis, de plein droit, à la table de la République".
La religion musulmane qui est désormais la seconde en France -quatre millions de Français ou d'étrangers régulièrement établis dans notre pays sont de tradition musulmane- doit pouvoir être pratiquée dignement à l'égal des autres religions traditionnelles, dans le cadre des principes et des règles de notre république.
J'ai initié, en novembre, une large consultation, auprès des représentants des grandes sensibilités musulmanes, mosquées, fédérations, personnalités représentatives.
J'ai le plaisir de constater, alors que l'ensemble des musulmans vient de célébrer la fête de la Rupture du jeûne de l'Aïd el Fitr, que les réponses qui me sont parvenues sont encourageantes : 5 grandes mosquées sur 6 et 3 fédérations sur 6 (dont la Mosquée de Paris) ont accepté le texte que nous avions élaboré, rassemblant l'ensemble des principes juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et les Cultes en France. Les dernières réponses manquantes devraient m'arriver dans les tous prochains jours.
Je pourrai, alors, recevoir l'ensemble des participants à la consultation, moment fort qui marquera la considération que la République accorde à la religion musulmane et qui permettra -je l'espère- d'aider à la construction, par les Musulmans eux-mêmes, de l'instance représentative de l'islam de France qui est nécessaire à la bonne solution d'un grand nombre de problèmes concrets.
La route est encore longue. Il y a là un grand défi pour la France, une chance pour les Musulmans établis en France, un atout potentiel pour l'islam lui-même et un espoir, sans doute, pour les pays arabo-musulmans aux prises avec des questionnements fondamentaux sur les rapports entre la religion et la modernité.
3) L'an dernier, à pareille époque, je m'apprêtais à défendre devant le Parlement la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Ce projet était, à mes yeux, un outil pour résoudre la seule véritable difficulté que pose l'architecture générale de notre organisation administrative, celle de l'existence de 36 600 communes qui ne sont pas unies par des liens de solidarité et de coopération assez forts pour faire face aux problèmes du développement urbain et de l'affaiblissement, voire de la désertification, des zones rurales.
Cette loi a été promulguée le 12 juillet 1999, après avoir été votée, à l'Assemblée nationale et au Sénat, après accord en commission mixte paritaire, par une large majorité dépassant les clivages partisans habituels. Son apport fondamental est d'une part la création d'un pouvoir d'agglomération en milieu urbain grâce aux communautés d'agglomération et communautés urbaines dotées de fortes compétences et, d'autre part, la structuration du milieu rural autour de communautés de communes également à taxe professionnelle unique et à dotation bonifiée
Moins de six mois après sa promulgation, ce texte connaît un vif succès. La combinaison du pouvoir des préfets d'arrêter les périmètres et de l'incitation financière a remarquablement opéré. Au 31 décembre 1999, 51 communautés d'agglomération, 7 capitales régionales ont constitué, avec les communes environnantes, des communautés d'agglomération: Amiens, Châlons-en-Champagne, Clermont-Ferrand, Dijon, Poitiers, Rennes, auxquelles viennent s'ajouter 21 chefs-lieux de départements. Nous avons donc atteint en six mois l'objectif que nous nous étions fixé pour cinq ans ! Le mouvement devrait se poursuivre durant l'an 2000 où d'autres créations sont attendues.
Au vu de ces premiers résultats, il est permis de dire, Mesdames et Messieurs les journalistes, que cette loi constitue une Révolution, mais une révolution tranquille. Elle modifiera durablement le paysage de notre décentralisation car elle est une véritable loi d'aménagement du territoire, en donnant particulièrement aux élus de nos villes les moyens de lutter à l'échelle pertinente contre la ségrégation urbaine.
4) L'an dernier j'évoquais devant vous la nécessaire modernisation de notre vie politique.
Celle-ci est en marche. La réforme constitutionnelle du mois de juin 1999 a permis d'envisager la reconnaissance de la "parité" dans notre vie publique. Le projet de loi sur l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives sera présenté à l'Assemblée Nationale à la fin du mois. Cela devrait accélérer le renouvellement des élus, puisqu'il faudra bien diminuer la représentation des hommes pour que place soit faite aux femmes. Les projets de lois - organique et ordinaire - restreignant le cumul des mandats électifs auront aussi pour effet de revaloriser le rôle du Parlement, en permettant aux élus concernés de s'y consacrer davantage. Ils ont déjà connu une première lecture devant chacune des deux assemblées. Quant au projet modifiant l'élection des sénateurs et ménageant une meilleure représentation de la France urbaine, il devrait renouveler et refonder à la fois le bicaméralisme dans notre pays.
5) L'an dernier, je vous entretenais déjà du projet de la police de proximité comme d'une philosophie et d'une organisation de nos forces de sécurité adaptée aux évolutions de la délinquance. C'est évidemment le projet majeur du ministère de l'Intérieur puisqu'il concerne 130 000 fonctionnaires et surtout des dizaines de millions de Français qui aspirent à ce que le droit égal à la sécurité proclamé à Villepinte par le Premier ministre devienne réalité.
Je voudrais d'abord vous présenter quelques observations relatives à l'évolution de la délinquance. Sur l'ensemble de l'année 1999, la délinquance générale n'a pratiquement pas augmenté (0,07 %). La délinquance des mineurs s'est même stabilisée notamment dans les derniers mois (- 0,81 %) et la délinquance de voie publique, celle qui rend la vie insupportable à beaucoup de nos concitoyens, a baissé très significativement (- 2,95 %). Le nombre des crimes de sang élucidés est de 83 %.
Entre 1990 et 1999, en France métropolitaine, la croissance des crimes et des délits constatés par l'ensemble des services de police et de gendarmerie a été inférieure à celle de la population totale : +2,15 % dans un cas, + 3,36 % dans l'autre.
Une prochaine conférence de presse conjointe du directeur général de la police nationale et du directeur général de la gendarmerie nationale fournira le détail de ces chiffres, comme il est d'usage.
Bien entendu, je me garde de tout triomphalisme. Il faut rester attentif à la délinquance des mineurs qui représente encore 21,33 % du total des mises en cause et aux violences urbaines, même si celles-ci sont de plus en plus souvent des violences de basse intensité.
Pour en revenir à cette grande réforme de la police de proximité, l'expérimentation engagée au printemps à la préfecture de police de Paris, puis élargie à 67 sites, nous renvoie des échos très positifs. Elle concerne aujourd'hui un bassin de population de près de quatre millions de personnes. Nous passerons à la phase de généralisation, à l'issue des Assises de la police de proximité qui seront organisées le 30 mars prochain, de juin 2000 à juillet 2002.
Les policiers ont commencé à faire, sur le terrain, l'expérience de la valorisation et de l'enrichissement des tâches : responsabilité territorialisée, polyvalence, partenariat avec les autres acteurs de la sécurité, contact resserré avec la population sur un territoire bien identifié. L'étroit couplage entre la police de proximité et les contrats locaux de sécurité (CLS) permet une meilleure prévention et une répression plus efficace de cette délinquance au quotidien dont souffrent plus particulièrement nos concitoyens les plus démunis. Au 31 décembre, 317 CLS étaient signés et 406 en cours de préparation.
Cette réforme de notre organisation de la police, est la réforme la plus importante dans la police nationale depuis la Libération. C'est un projet structurant pour un grand service public de sécurité. Elle répondra aux attentes de nos concitoyens en matière de sécurité.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, la politique mise en uvre dans cette maison produit ses résultats, ici comme ailleurs, en s'installant dans la durée.
J'aurais pu traiter devant vous de bien d'autres points d'actualité, la poursuite et l'achèvement de la réforme des services d'incendie et de secours, le projet de loi relatif aux activités privées de sécurité que je présenterai prochainement au conseil des ministres, la réforme de l'Etat à travers le projet territorial de l'Etat dans chaque département, le bicentenaire du corps préfectoral et des préfectures que nous commémorerons cette année, la lutte contre la grande délinquance financière et le blanchiment de l'argent sale, et d'autres sujets encore.
Mais je ne voudrais pas lasser votre attention.
Je concluerai sur le rôle irremplaçable de l'Etat républicain dans la société française. Certains ont fait mine de le redécouvrir à l'occasion de la crise provoquée par les tempêtes qui ont ravagé une partie de notre pays, il y a trois semaines, et où l'intervention efficace des agents des services publics, parfois au péril de leur vie, a été unanimement saluée. Ils ont redécouvert l'intérêt général. Et d'autres ou les mêmes, pourfendeurs habituels de l'Etat, ce pelé, ce galeux, d'où nous vient tout le mal, apôtres de la privatisation des services publics, théoriciens de la main invisible et du "moins d'Etat" ont considéré, pour le coup, que l'Etat n'en faisait pas assez.
Nos concitoyens attendent de l'Etat qu'il joue son rôle :
Qu'il s'agisse de l'égalité devant la sécurité, de la lutte contre la ségrégation urbaine à travers la coopération intercommunale, de l'accès à la citoyenneté des jeunes Français, de la modernisation des conditions d'exercice du suffrage universel, de la pleine reconnaissance de l'Islam dans notre cadre laïc, l'Etat républicain s'impose comme le promoteur de la cohésion sociale, le comptable de l'égalité des chances, le garant de l'intérêt général.
Ce rôle, Mesdames et Messieurs, qui pourrait le jouer à sa place ?
Dans notre société, l'initiative autonome des citoyens compte certes énormément mais les événements récents ont montré que l'exigence de solidarité nationale est aussi un impérieux devoir de l'Etat appuyé sur la mobilisation de l'esprit civique. Face à la récente crise, qui est en voie de se résorber mais dont on affrontera longtemps encore les conséquences, il n'y a pas, d'un côté les riches et d'un autre côté, les pauvres, plus ou moins couverts par les assurances selon leurs moyens financiers respectifs. Non, il y a la solidarité nationale qui, sans l'Etat républicain, ne pourrait pas s'exercer.
Vous êtes au ministère de l'Intérieur : s'il est naturel qu'on y parle de l'Etat, cela ne m'empêche pas de vous souhaiter, à toutes et à tous, une très heureuse année 2000, beaucoup de joies dans votre vie personnelle, et beaucoup de satisfactions dans votre métier, qui peut être le plus passionnant des métiers, puisque vous êtes, naturellement, tournés vers les autres.
(source http://www.interieur.gouv.fr, le 26 janvier 2000)